Traité de la divinité de Jésus-Christ

Préface

Les vérités essentielles de la religion sont tellement enchaînées, qu’elles ressemblent, à cet égard, aux principes de la géométrie, dont les uns servent comme de degré pour descendre à la connaissance des autres.

Ainsi, dans l’examen que nous avons fait des principales preuves qui établissent les fondements de notre foi, la vérité de l’existence de Dieu nous avait conduits à celle de la religion naturelle, la vérité de la religion naturelle à la connaissance de la religion judaïque, et la religion judaïque à la vérité de la religion chrétienne ; et tout cela par une suite de conséquences si justes, qu’il ne semble pas qu’on puisse les contester sans renoncer à ce qu’il y a de plus pur dans la lumière naturelle.

Ce rapport, que les grandes vérités ont entre elles, nous a conduit encore plus loin. Nous n’avons pu examiner avec quelque soin les fondements qui établissent la vérité de la religion chrétienne, sans nous convaincre que ces mêmes principes établissent la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, d’une telle sorte que celui qui doute que Jésus-Christ soit Dieu, le Dieu Très-haut, doit douter de la vérité des oracles qui établissent le christianisme, et que celui qui s’assure que ces oracles sont véritables, ne doute plus de la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ. Et c’est ici le dessein général de ce traité.

Mais pour le mieux comprendre, il faut faire une distinction très nécessaire dans ces matières. On peut considérer la divinité de Jésus-Christ comme un mystère qui nous est caché, ou comme une vérité qui nous a été révélée. Au premier égard, c’est un dogme incompréhensible, et nous ne devons point tâcher de l’expliquer ; mais nous devons faire voir qu’il est inexplicable.

Toute la différence qu’il y a à cet égard entre le peuple et les docteurs, c’est que leur ignorance étant égale, l’ignorance du peuple est une ignorance modeste et de bonne foi, qui ne rougit point de ne pas voir ce qu’il a plu à Dieu de lui cacher ; au lieu que l’ignorance des docteurs est une ignorance superbe et artificieuse, qui a recours aux distinctions de l’école et aux spéculations abstraites, pour n’être pas obligée de se confondre avec celle du peuple.

On n’entreprend point ici d’expliquer le mystère, mais d’en prouver la vérité. On n’aura point recours à des spéculations humaines pour montrer comment la chose est, mais on montrera qu’elle est effectivement, par des preuves prises de la révélation. En tant que c’est une vérité révélée, elle est clairement et distinctement contenue dans l’Écriture.

Au reste, comme mon dessein est de faire voir la dépendance essentielle qui est entre la divinité de Jésus-Christ et la vérité de la religion chrétienne en général, je m’attacherai principalement à faire voir qu’il faut ou les sauver toutes deux, ou les faire périr toutes deux par un commun naufrage ; et dans cette vue, je me servirai d’une méthode qui pourra sembler avoir quelque chose de nouveau et d’extraordinaire, mais qui, peut-être, convaincra l’esprit.

Car, premièrement, je montrerai que si Jésus-Christ n’était pas vrai Dieu d’une même essence avec son Père, la religion mahométane serait préférable à la religion chrétienne, et Jésus-Christ moindre que Mahomet. En second lieu, je ferai voir que, si Jésus-Christ n’était pas le vrai Dieu dans ce sens, le sanhédrin aurait fait un acte de justice en le faisant mourir, ou du moins que les Juifs auraient bien fait de s’en tenir à cette sentence, et de rejeter la prédication des apôtres, lorsque ceux-ci leur ont proposé de croire en ce crucifié. On montrera pour un troisième, que si Jésus-Christ n’est point le vrai Dieu, Jésus-Christ et les apôtres nous ont engagés dans l’erreur, et que c’est eux, et non pas nous, qui sont coupables de cette séduction. On fera voir en quatrième lieu, que si Jésus-Christ n’est point d’une même essence avec son Père, il n’y a aucun accord entre le Vieux et le Nouveau Testament, et que les prophètes et les apôtres ont été inspirés par un esprit de contradiction et de mensonge. Enfin, on montrera que si Jésus-Christ n’est pas le Dieu Très-haut, on ne peut discerner la religion de la superstition et de l’idolâtrie ; qu’on la doit prendre pour une farce destinée à tromper les hommes, et même (si l’on peut le dire sans blasphème) qu’il n’y a point après cela assez de caractères dans la religion pour la discerner de la magie : c’est à quoi nous destinons cinq sections différentes, qui partageront cet ouvrage avec la sixième et dernière, qui est destinée à répondre aux objections qu’on fait contre la foi orthodoxe, et à chercher quelques voies de se satisfaire sur les difficultés et sur les obscurités de ce grand mystère.

Cependant il est bon de donner ici au lecteur quelques avis qui nous paraissent assez importants. Le premier est que la divinité de Jésus-Christ, l’incarnation et la trinité étant trois objets que l’on peut traiter avec quelque distinction, on ne se propose ici que d’établir la première, que l’on regarde comme étant plus connue, et en quelque sorte fondamentale à l’égard des autres.

Le second est que l’on ne fera point de difficulté d’employer le terme de Dieu souverain en parlant de Jésus-Christ, quoique ce terme soit une expression païenne, à le prendre à la rigueur, et qu’il semble marquer quelque opposition entre le Dieu suprême et des divinités subalternes. Il suffit que nous ôtions l’équivoque en déclarant que nous entendons par là celui qui est participant de cette essence et de cette divinité glorieuse et souveraine à laquelle toutes choses obéissent.

Le troisième est que la brièveté qu’on recherche dans cet écrit, n’ayant point permis de ranger les adversaires de la doctrine orthodoxe en plusieurs classes différentes, et de combattre distinctement les ariens, les demi-ariens, et les sociniens, on s’est tellement réglé dans la conduite de cet ouvrage, qu’ils se trouvent presque partout combattus par les mêmes preuves.

Après cela je souhaite qu’on distingue ici ce que je dis de la personne de nos adversaires, d’avec ce que je dois dire de leur cause. J’ai pour la première tous les sentiments d’amour et de compassion que je dois à mes frères égarés. J’admire les grands et admirables talents que Dieu a départis à quelques-uns d’entre eux ; et quoiqu’ils fassent une violence manifeste à l’Écriture, je ne voudrais pas les accuser de parler contre leur sentiment, ni les juger indignes du charitable support qu’on a pour leurs personnes dans quelques États protestants.

A l’égard de leur cause, on ne trouvera pas mauvais que je tâche de la faire paraître dans toute la difformité qui peut donner le plus d’horreur pour des sentiments que nous croyons incompatibles avec l’esprit de la véritable religion. C’est mon devoir et la fin de mon ministère ; je ne dois rien oublier de tout ce que je peux croire capable de faire revenir ceux qui sont dans l’égarement, et d’en défendre les autres.

On ne prétend point, au reste, employer des hyperboles et des déclamations pour faire un portrait affreux d’une doctrine déguisée. On n’emploiera que des preuves proposées d’une manière simple, et on n’aura recours qu’à la sévérité de la droite raison, soit pour se convaincre, soit pour convaincre les autres. Dieu veuille nous éclairer et nous diriger par son Esprit, afin que cet ouvrage serve à sa gloire et au salut éternel des âmes. Ainsi soit-il.

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