Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre II

Où l’on montre que si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence avec son Père, on ne peut se dispenser de regarder Mahomet comme un homme divin.

Ainsi il nous paraît que la religion mahométane est, du moins à quelque égard, le rétablissement de la religion chrétienne, s’il est vrai que Jésus-Christ ne soit pas d’une même essence avec le Dieu souverain. Mais parce qu’on pourrait dire que cette religion est d’ailleurs pleine de fictions et d’impostures, nous demanderions volontiers comment on conçoit que la vérité et l’erreur aient fait ici une si étroite alliance. Mahomet est un imposteur ; tout le monde le reconnaît parmi nous. Mahomet a aboli l’idolâtrie ; c’est ce qu’il faudra supposer. Voilà l’assortiment de deux caractères bien opposés. Si Mahomet a désabusé le monde sur le sujet de l’idolâtrie chrétienne (car c’est ainsi que j’appelle le culte que les chrétiens rendent à Jésus-Christ, si celui-ci n’est pas l’Être suprême), par quel esprit a-t-il fait un si grand ouvrage ? Par l’Esprit de Dieu, ou par l’esprit du démon ? Si c’est par l’esprit du démon, comment a-t-il aboli l’idolâtrie ? Si c’est par l’Esprit de Dieu, comment est-il un imposteur ?

On dira peut-être que Mahomet a condamné le culte des idoles païennes, et qu’ainsi on pourrait faire la même question sur ce dernier article. Mais il y a de la différence entre des principes que Mahomet suppose, et des principes que Mahomet a établis. Mahomet suppose la connaissance du vrai Dieu, et la ruine de l’idolâtrie païenne : ce n’est point lui, mais Jésus-Christ, qui a produit ces deux effets dans le monde. On connaissait partout le vrai Dieu plusieurs siècles avant lui, et l’idolâtrie païenne était entièrement abolie : c’est là un effet de la prédication des apôtres. Et Mahomet, de quelque esprit d’imposture qu’on le conçoive animé, n’aura osé ni pu établir une religion directement opposée à ces deux principes.

Mais il n’en est pas de même de la véritable connaissance de Jésus-Christ, et de la ruine de l’idolâtrie chrétienne. C’est Mahomet qui a enseigné aux hommes que les chrétiens étaient des idolâtres en adorant Jésus-Christ comme le Dieu souverain : il ne s’est rien proposé de plus essentiel que de ramener de leur égarement des hommes qui, sous le nom de la Trinité, servaient en effet plusieurs dieux ; car c’est ainsi qu’il parle dans son Alcoran. Jésus-Christ et les apôtres auront donc été les réformateurs du monde païen, en détruisant par leur prédication l’idolâtrie païenne. Mais Mahomet doit être considéré comme le réformateur du monde chrétien, s’il est vrai qu’il ait détruit cette idolâtrie chrétienne.

Comme donc on serait infiniment surpris si les apôtres avaient détruit l’idolâtrie païenne en prêchant des fables, nous aurions lieu d’être surpris que Mahomet eût aboli l’idolâtrie chrétienne par des impostures.

En effet, Jésus-Christ déclare dans son Évangile, qu’on reconnaît les docteurs à leurs fruits, et cette maxime ne peut manquer d’être véritable, puisque c’est la vérité même qui nous l’enseigne. A juger des choses par ce principe, nous ne pouvons qu’avoir une très haute opinion de Mahomet, et le reconnaître même pour un grand prophète, s’il est vrai qu’il ait enseigné aux hommes à ne pas confondre le Dieu souverain avec une créature. Il a éclairé plusieurs nations et plusieurs siècles ; il a mis Dieu sur le trône de Dieu, et la créature dans le rang de la créature. Qu’y a-t-il de plus légitime et de plus saint qu’un tel dessein ? Qu’y a-t-il de plus noble et de plus grand qu’un tel ouvrage ?

Certainement si Mahomet a éclairé l’univers en dissipant les ténèbres de cette profonde superstition, on aurait tort de lui contester tous les titres que les musulmans lui donnent ; et l’on peut dire hardiment qu’il doit être considéré comme un docteur de vérité, comme un prophète, comme plus grand que les prophètes de la loi, comme plus grand prophète que Jésus-Christ lui-même. Ce sont là des paradoxes étranges et choquants : ce seront néanmoins des vérités certaines et évidentes, si Jésus-Christ n’est point le Dieu souverain.

Je dis que c’est un docteur de vérité. On n’en peut douter, puisqu’il enseigne aux hommes des vérités si essentielles. Ce premier élément de la religion, celui qui est une simple créature par sa nature ne doit pas être adoré comme le Dieu souverain, est le fondement de la religion naturelle distinguée de la superstition, le fondement de la religion judaïque distinguée de l’idolâtrie païenne, et le fondement de la religion chrétienne considérée dans sa pureté. Mahomet, qui a établi sa religion sur ce grand principe, n’est donc pas seulement un docteur de vérité, mais encore un docteur qui semble rétablir toutes les vérités, du moins toutes les vérités les plus essentielles et les plus importantes à la religion.

Mais, dira-t-on, on ne saurait nier du moins que Mahomet ne tende à flatter les passions humaines, et qu’il ne soit plutôt le docteur de la chair que celui de l’esprit. Si cela est ainsi, on s’étonnera avec raison que tant de vérité se trouve jointe avec tant d’impureté et de vices ; car nous savons qu’il n’y a point de communion entre la lumière et les ténèbres, et qu’ainsi, si Mahomet n’a pas agi par l’Esprit de Dieu, il a agi par l’esprit du monde ; ou que, s’il n’a point agi par l’esprit du monde, il a agi par l’Esprit de Dieu : là-dessus nous cherchons en lui les caractères de l’un ou de l’autre de ces deux esprits. On nous dit que Mahomet est impur dans sa morale et dans ses maximes : ce caractère est celui de l’esprit du monde, mais il est contesté. Il nous paraît que Mahomet a réformé la religion en abolissant l’idolâtrie chrétienne, et faisant adorer partout un seul Dieu : c’est ici un caractère de l’Esprit de Dieu, et le fait est incontestable. Il est donc plus sûr, à notre égard, que Mahomet a le caractère de l’Esprit de Dieu, qu’il ne l’est qu’il a les caractères de l’esprit du monde.

Si Mahomet est un imposteur, dites-nous comment un imposteur fait prospérer le bon plaisir de Dieu, détruit l’idolâtrie, éclaire l’univers. Dieu a-t-il revêtu un imposteur du plus grand caractère de ses prophètes, et du caractère de son propre Fils ? Car les prophètes qui ont annoncé la venue du Messie, ont prédit aussi, comme un caractère de sa venue, qu’il détruirait l’idolâtrie. Dieu a-t-il fait d’un imposteur l’instrument de sa miséricorde et le ministre de sa gloire ? Que croirions-nous de la Providence si elle eût choisi pour ses évangélistes des démons qui eussent paru sous une forme humaine, et qui eussent prêché l’Évangile : on aurait cru, ou que Dieu voulait faire détester l’Évangile, tout divin qu’il est, en le mettant dans la bouche du démon, ou que Dieu voulait consacrer le démon nonobstant sa malice, en le rendant le dépositaire de l’Évangile. Cette comparaison, pour être odieuse, n’en est que plus propre à faire connaître la vérité ; car ce que nous disons du démon, nous pouvons le dire des séducteurs qui sont ses ministres ; nous pouvons le dire sur le sujet de Mahomet. Que si cet homme, étant un imposteur, a été choisi par la Providence pour rétablir la véritable religion, il faut que la Providence ait voulu ou rendre la religion infâme, en la faisant rétablir par un imposteur, ou consacrer l’imposture en la choisissant pour rétablir la religion ; et l’un et l’autre sont également impies et extravagants.

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