Traité de la divinité de Jésus-Christ

Quatrième section

Où l’on fait voir que si Jésus-Christ n’est point d’une même essence avec son Père, il n’y a aucune harmonie entre les prophètes et les apôtres, ni entre le Vieux et le Nouveau Testament.

Chapitre I

Que si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence avec son Père, les prophètes qui ont parlé de lui n’ont point prévu les choses comme elles devaient arriver.

La religion de Jésus-Christ roule sur un double témoignage, sur celui des prophètes et sur celui des apôtres ; et il a fallu que ces deux témoignages s’unissent et se soutinssent mutuellement pour confirmer notre foi.

Il s’ensuit de là qu’une hypothèse qui détruit cet accord qui doit être entre les évangélistes et les prophètes, ruine les véritables fondements de la religion.

Or, le sentiment de ceux qui font de Jésus-Christ une simple créature, est précisément de ce caractère, puisque, si vous supposez ce sentiment véritable, vous serez contraint d’avouer, premièrement, que l’esprit qui a inspiré les prophètes n’a point prédit ni prévu les choses comme elles devaient arriver sous la nouvelle dispensation ; et en second lieu, que l’esprit qui a fait parler les apôtres n’a point entendu les oracles de l’Ancien Testament.

On demeurera d’accord du premier, si l’on considère : 1. de quelle manière les prophètes caractérisent le vrai Dieu ; 2. comment ils caractérisent le Messie ; 3. sur quelles maximes fondamentales ils établissent la religion judaïque ; 4. et enfin, avec quelles circonstances ils décrivent l’établissement de la nouvelle alliance et la vocation des païens.

Les prophètes caractérisent le grand et suprême Dieu par des titres qu’ils lui donnent exclusivement à tous les autres êtres ; et c’est dans cette vue qu’ils le nomment le Créateur de toutes choses : C’est celui qui a créé la lumière, et qui forme les ténèbres, etc. (Ésaïe 45.7) Le premier et le dernier : Ecoute-moi, Jacob ; c’est moi qui suis le premier et le dernier. (Ésaïe 48.12) Le roi de gloire : Ouvrez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire entrera. (Psaumes 24.9) Tantôt le scrutateur des cœurs : Toi, Seigneur, connais seul les cœurs, etc. (1 Rois 8.39). Tantôt le Sauveur ou le Rédempteur : C’est moi, moi qui efface tes forfaits pour l’amour de moi, etc. (Ésaïe 43.25) Ainsi a dit le Rédempteur d’Israël, etc. Je donnerai salut à Sion, et ma gloire à Israël, etc. Ésaïe 46.13) Tantôt le Juge, le Législateur et le Roi : Car le Seigneur est notre juge ; le Seigneur est notre Législateur ; le Seigneur est notre Roi ; c’est lui qui nous sauvera. (Ésaïe 33.22) Tantôt le Très-Haut (5) : Toi seul es le Très-Haut sur toute la terre. (Psaumes 83.18)

Il est remarquable que ce ne sont pas seulement là les caractères du Dieu souverain, mais encore ses caractères propres ; car il est dit que lui seul est le Dieu très-haut ; que lui seul connaît le cœur des hommes ; que c’est lui, et non aucun autre, qui efface les péchés pour l’amour de lui-même, etc., qu’il est le Sauveur, le Rédempteur d’Israël, et qu’il n’y en a point d’autre.

On doit aussi considérer que ces caractères sont ceux qui distinguent principalement le Créateur de la créature, et qu’il serait difficile d’en trouver dans l’Écriture qui fissent connaître cette différence avec plus d’éclat. On peut bien en être assuré, puisque ce sont là les titres que Dieu choisit lorsqu’il veut se distinguer des autres êtres.

Cependant ces titres sont tous donnés à Jésus-Christ dans l’Écriture du Nouveau Testament ; on le reconnaît pour celui qui a fondé la terre, les cieux étant l’ouvrage de ses mains. Il est appelé le premier et le dernier, celui qui sonde les cœurs et les reins. Zacharie dit du précurseur de Jésus-Christ, qu’il irait devant la face du très-Haut. Jésus-Christ est appelé le Roi des Rois, et le Seigneur de gloire ; car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de gloire. Il est notre Roi, notre Juge, et le Sauveur du monde. Qui peut l’ignorer ?

Si ces titres appartiennent à Jésus-Christ, comme nous n’en saurions douter, comment les prophètes les donnent-ils au Dieu souverain comme lui étant propres et incommunicables à tout autre ? Comment n’ont-ils point prévu que ces titres seraient donnés à une simple créature, laquelle, quelque excellente qu’elle puisse être, est infiniment au-dessous de cette essence éternelle et infinie ? Comment se peut-il que, dans toutes ces magnifiques descriptions que l’ancienne Écriture nous fournit de la divinité, nous ne trouvions que des traits équivoques qui devaient convenir à Jésus-Christ aussi bien qu’à son Père ? Et lorsque le Saint-Esprit nous dit si souvent que Dieu, le grand Dieu, le Dieu souverain, possède seul ces titres, que ces titres n’appartiennent à aucun autre qu’à lui, que pouvons-nous penser autre chose, sinon, ou que le Saint-Esprit n’a point prévu la gloire de Jésus-Christ qui devait porter toutes ces qualités, ou que, la prévoyant, il a eu dessein de nous engager dans une erreur qui confond le Créateur avec la créature ?

On se confirmera dans cette pensée, si à la considération des caractères de Dieu on ajoute celle des caractères du Messie. Si l’Esprit qui inspirait les prophètes n’a point prévu ce qui arriverait après la venue du Messie, quelles seraient les impressions que ferait sa doctrine, et comment elle serait condamnée de blasphème et d’impiété par les Juifs, accusant Jésus-Christ de se faire égal à Dieu ; et ensuite de quelle manière les disciples du Messie feraient de leur Maître l’objet de leur adoration, et ensuite, pendant plusieurs siècles, celui de leur idolâtrie, il est impossible de concevoir que cet Esprit soit l’Esprit de celui qui connaît toutes choses ; et si cet Esprit a prévu ce qui arriverait à cet égard, il est assez difficile de n’être point choqué, lorsqu’on voit que cet Esprit, au lieu de défendre cette idolâtrie qu’il prévoit, fait tout ce qu’il faut pour la faire naître et pour la justifier. Car quel autre dessein pourrait-il avoir en nommant le Messie Dieu avec nous, l’Éternel notre justice, le Dieu et le Sauveur de toute la terre, le Père d’éternité, le Dieu fort, le Seigneur qui doit venir dans son temple ?

On dira peut-être ici, qu’encore que le Messie soit appelé Dieu avec nous, ou Dieu notre justice, il n’est pourtant pas appelé simplement Dieu, et que ces deux expressions emportent seulement que par le Messie Dieu serait avec les hommes, en leur donnant des marques de sa faveur, et que par le Messie aussi Dieu justifierait les hommes, et deviendrait le principe de leur salut. Il est inutile d’entrer dans cette discussion, puisque nous citons d’autres passages exprès et formels de l’Écriture de l’Ancien Testament, où le Messie est appelé Dieu, le Dieu et le Sauveur de toute la terre, le Dieu fort, le Seigneur qui doit venir dans son temple.

D’ailleurs, cette réponse ne touche point à notre preuve ; car nous ne raisonnons point ici par la force des expressions, mais par la sagesse ou le dessein du Saint-Esprit qui les a employées. Certainement, quand ce ne serait pas l’Esprit de Dieu, mais un homme médiocrement prudent qui agirait dans cette occasion, nous ne pouvons nous imaginer que, s’il prévoyait que les hommes dussent un jour tomber dans une si triste idolâtrie, en confondant Jésus-Christ avec le Dieu souverain, il s’avisât de caractériser Jésus-Christ par ces grands noms : Dieu avec nous, l’Éternel notre justice, notre Dieu et Sauveur, le Dieu fort, etc. Et si nos adversaires pouvaient se mettre en la place des prophètes, et qu’ils dussent, par l’ordre de Dieu, former un plan anticipé de la religion chrétienne, ils se donneraient bien de garde de décrire ainsi le Messie qui devait venir.

On dira peut-être ici qu’il n’est pas étonnant que les prophètes aient parlé aussi d’un homme à qui ils savaient que Dieu devait communiquer son nom et sa gloire ; car si c’est là la vue des prophètes, ou de l’Esprit qui les a inspirés, il est inconcevable qu’ils aient pris tous ces principes pour les maximes fondamentales de leur religion : Les dieux qui n’ont point fait les cieux seront raclés de la terre et de dessous les cieux. Je ne donnerai point ma gloire à un autre. Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu serviras lui seul. Celui qui jugera en la terre, jugera par le Dieu de vérité. Car c’est ici une prophétie et un précepte tout ensemble, et l’on peut dire hardiment que jamais un homme n’a été plus opposé à un autre, que le Saint-Esprit le serait à lui-même dans cette occasion.

On en conviendra beaucoup mieux encore si l’on considère de quelle manière les prophètes circonstancient la vocation des païens avec l’établissement de la nouvelle alliance par Jésus-Christ : elle nous est marquée dans les anciens oracles avec quatre caractères remarquables. Le premier est une joie et une allégresse universelle : Les nations se réjouiront et triompheront d’allégresse. Dieu créera Jérusalem pour n’être que joie. O cieux ! réjouissez-vous ; et toi, terre, éclate en chants de réjouissance. Et comme si les créatures insensibles devaient être tout d’un coup capables de sentiment pour participer à ce grand salut, les prophètes annoncent que les îles, la mer, la terre, les montagnes, les forêts, les déserts, doivent s’écrier de joie. Le second de ces caractères, c’est l’habitation de Dieu au milieu des hommesa. Voici, le Seigneur viendra dans sa force, etc. Car voici je viens, et j’habiterai au milieu de toi, etc. Le Seigneur lui-même viendra et vous sauvera, et alors les yeux des aveugles seront ouverts, etc. La troisième, c’est l’exaltation de Dieu : Toutes choses seront abaissées, et l’Éternel seul sera exalté en ce jour-là. Et le dernier, enfin, c’est la ruine des idoles : Les Dieux qui n’ont point fait, etc. J’abolirai de dessus la terre tous les noms des idoles.

aEsaïe ch. 40 et 43.

Si l’Esprit qui a fait parler les prophètes a prévu les choses comme elles devaient arriver, il a bien vu qu’il marquait la vocation des gentils, et l’établissement de l’alliance par des caractères qui étaient entièrement faux ; il a vu que l’Évangile ferait passer le monde d’une idolâtrie à une autre plus dangereuse ; car si l’on compare cette idolâtrie chrétienne qui fait de Jésus-Christ une idole qu’elle met sur le trône de l’Être souverain, avec l’idolâtrie des païens qui servaient à de faux dieux, on trouvera plusieurs différences entre l’une et l’autre, qui sont à l’avantage de cette dernière. L’idolâtrie païenne était grossière, et peu digne de personnes éclairées ; au lieu que l’idolâtrie chrétienne aura été spirituelle, et par là même plus dangereuse. La première est née de l’abus que les hommes ont fait de la révélation de la nature ; la seconde naît de l’usage le plus naturel que l’on puisse faire de la révélation écrite. Car quel usage en pourrait-on faire plus naturel, que celui de prendre ses expressions dans leur signification ordinaire et connue ? L’idolâtrie païenne est un mal que le Saint-Esprit a mille et mille fois tâché de prévenir dans l’Écriture du Vieux et du Nouveau Testament, en nous adressant les préceptes les plus exprès, et les exhortations les plus fortes sur ce sujet ; au lieu que l’idolâtrie chrétienne est un mal que le Saint-Esprit n’a ni prévu ni prévenu, mais plutôt qu’il semblerait autoriser par les expressions du monde les plus capables (si l’on peut le dire sans blasphème) d’engager les hommes dans une impie superstition. L’idolâtrie païenne n’allait pas plus qu’à égaler les divinités subalternes à Jupiter leur Dieu souverain ; mais si le principe de nos adversaires est véritable, l’idolâtrie chrétienne consiste à confondre Jésus-Christ, qui ne peut être qu’un Dieu très inférieur avec le Dieu très haut. Bien que les païens adorassent plusieurs dieux, ils ne croyaient point ces dieux infinis en gloire et en perfection ; au lieu que les chrétiens croient tout cela de Jésus-Christ. On peut ajouter à cela qu’il semble que la jalousie de Dieu doit bien s’émouvoir plutôt quand on revêt de sa gloire une créature très excellente, que quand on transporte à des créatures basses les hommages qui lui sont dus, parce que le premier est bien plus dangereux que le second, et qu’ainsi l’idolâtrie chrétienne devrait être bien plus dangereuse que l’idolâtrie païenne.

Certainement, ou l’Esprit qui inspirait les prophètes n’a point vu les choses comme elles étaient, ou il a prévu que non seulement la nouvelle alliance ne serait point signalée par la ruine des idoles, et que Dieu n’effacerait point tous leurs noms, mais plutôt qu’une idolâtrie moins dangereuse ferait place à une idolâtrie plus criminelle, qui remplirait bientôt l’univers ; que le désiré des nations deviendrait l’idole des peuples, et que ce nom qui avait été donné aux hommes pour être sauvés, serait par toute la terre et pendant plusieurs siècles un nom de blasphème et de superstition.

Il est aisé de conclure de là que, bien loin que Dieu ait été élevé sous la nouvelle dispensation par l’abaissement de toutes les autres choses, il a commencé d’être abaissé par l’exaltation de Jésus-Christ, puisque cette exaltation a donné lieu aux apôtres de lui comparer Jésus-Christ, et d’attribuer sans scrupule à ce dernier l’égalité avec Dieu, le revêtant de tous les droits et de tous les titres de l’Être souverain.

Il paraît encore de là que les prophètes n’ont pas eu un grand sujet de se réjouir en considérant les suites de l’Évangile, lequel, par ses impressions les plus naturelles, devait engager les hommes dans l’idolâtrie. Et il faut ajouter à tout cela, que Dieu se serait bien moins trouvé dans l’Église chrétienne, que dans la république d’Israël, si le sentiment de nos adversaires était véritable, puisqu’il était d’une présence glorieuse dans l’arche et dans la nuée, et qu’on veut qu’il n’y ait eu qu’un simple homme en Jésus-Christ. Ainsi il faut demeurer d’accord que l’Esprit qui a prédit que Dieu viendrait et habiterait au milieu des hommes, s’est extrêmement trompé, et que, bien loin de donner ce séjour de Dieu au milieu des hommes pour le caractère de la nouvelle alliance, il aurait parlé beaucoup plus véritablement s’il avait dit qu’au temps de a nouvelle alliance Dieu cesserait de se montrer aussi présent aux hommes qu’il avait paru jusqu’alors.

Ainsi les caractères du Dieu souverain décrits par les prophètes, les caractères du Messie annoncés dans le Vieux Testament, les maximes fondamentales sur lesquelles était établi l’ancien et légitime culte du vrai Dieu, et les circonstances qui devaient accompagner l’établissement de la nouvelle alliance, nous montrent ou que l’esprit qui a inspiré les prophètes n’a point prédit les choses comme elles devaient être, ou que les choses ne sont point comme nos adversaires ont bien voulu se les imaginer.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant