Traité de la vérité de la religion chrétienne

Préface

La religion chrétienne se fait sentir aussitôt qu’elle se fait connaître ; et comme elle a une lumière qui éclaire et une force qui sanctifie, il y a aussi deux sortes de preuves qui en font connaître la vérité : les unes qu’on peut appeler les preuves de l’esprit, et les autres qu’on peut nommer les démonstrations de la conscience. Les premières consistent en connaissance, et les autres en sentiments.

Il est certain que les preuves du premier ordre se présentent naturellement à l’esprit de toutes sortes de personnes : les simples les aperçoivent comme les savants, encore qu’ils n’en parlent pas si bien ; et cette admiration qui naît dans leur esprit des merveilles qui leur ont été révélées, nous marque qu’ils y ont aperçu des caractères de divinité, encore qu’ils ne soient pas en état de bien développer la connaissance qu’ils en ont.

Ces personnes simples et grossières ont même cet avantage sur les autres, c’est que, paraissant moins capables de comprendre ces preuves qui consistent en connaissance, elles sont ordinairement plus propres à goûter celles qui consistent en sentiment : leur esprit, qui n’est pas dissipé par les spéculations de la philosophie et de la curiosité humaine, s’arrête davantage aux nouvelles de l’Évangile ; et leur cœur, qui n’est point enflé de ses connaissances, les dispose plus facilement à l’admiration de ce qu’ils connaissent, et à l’amour de ce qu’ils admirent.

Mais bien qu’il y ait dans la religion des preuves qui se présentent naturellement à l’esprit des hommes, et d’autres qui se font sentir par la proportion qu’elles ont avec le cœur, comme la lumière se fait connaître par la proportion qu’elle a avec nos yeux, et qu’on puisse dire de ces démonstrations de la conscience, qu’elles sont au-dessus de toute expression, et qu’elles perdent plus qu’elles ne gagnent par le raisonnement, il ne faut pourtant pas consentir aux triomphes imaginaires des incrédules, qui n’ayant jamais senti l’efficace de la religion, et n’en voulant point admirer les vraies beautés, en combattent ouvertement la divinité. Dieu nous aidera par sa grâce dans le dessein que nous avons de confondre par les principes de la raison ces faux partisans de la raison humaine, et de mettre au jour les secrètes illusions que leur font les passions de leur cœur, et de tâcher de les disposer à sentir les divins rapports qui sont entre la religion chrétienne et la conscience.

Ceux qui sont déjà persuadés, ne seront pas fâchés qu’on leur fasse faire de nouvelles réflexions sur des objets qui ne peuvent être ni trop présents à leur esprit ni trop empreints dans leur mémoire, et pardonneront volontiers à notre faiblesse la disproportion qu’ils trouveront entre ce qu’ils ont déjà conçu et senti de la religion, et ce que nous pouvons leur en faire sentir et concevoir. Ceux qui sont assez malheureux pour flotter dans l’incertitude, y trouveront, avec la grâce de Dieu, de quoi dissiper leurs doutes et s’affermir dans la piété ; et ceux qui veulent être incrédules à quelque prix que ce soit, et qui ne cherchent que des ténèbres favorables à leurs passions, y trouveront une lumière qui les confondra infailliblement, pour peu qu’ils aient de reste de sentiments.

Cet ouvrage sera partagé en deux parties, qui ne seront que deux méthodes différentes de prouver la vérité de la religion chrétienne. Dans la première on descendra de cette proposition : Il y a un Dieu, jusqu’à celle-ci : Jésus, Fils de Marie, est le Messie promis. Et dans la seconde, on montera de celle-ci : Il y a aujourd’hui des chrétiens dans le monde, jusqu’à cette première proposition : Il y a un Dieu.

La première de ces deux parties sera partagée en quatre sections. On examinera si le sentiment que nous avons qu’il y a un Dieu, est un préjugé dont il faille se défier, ou une opinion qui naisse du sentiment de la vérité connue. On cherchera la divinité dans la nature, dans la société et dans le cœur de l’homme. On examinera les difficultés les plus spécieuses que l’on peut opposer à ce grand principe ; et par la comparaison exacte des deux sentiments, on montrera que l’athéisme est une extravagance dont l’homme n’est point capable, à moins qu’il ne renonce à lui-même. C’est le sujet de la première section.

Après avoir prouvé l’existence de Dieu, il en faudra établir l’idée. L’idée de Dieu établie nous servira pour prouver la nécessité d’une religion en général : celle-ci nous conduira aux principes de la religion naturelle dont nous justifierons la vérité et la divinité. L’abus que les hommes ont fait de la religion naturelle par le paganisme qui en est la corruption, nous mènera à une révélation ajoutée à la première, et qui doit réparer la religion naturelle. C’est la matière de la seconde section.

Il faudra ensuite s’attacher à la recherche de cette révélation ajoutée à celle de la nature, dont nous aurons entrevu la nécessité ; et trouvant dans un coin du monde un peuple de sages qui ont de plus beaux sentiments de la Divinité que les philosophes les plus éclairés, et qui se vantent d’avoir été honorés de cette révélation, nous examinerons le caractère de ces hommes, qui sont les Juifs, et ensuite, entrant dans l’examen de leur Écriture, qui contient leur révélation, nous trouverons qu’elle a un caractère singulier et extraordinaire ; qu’elle est exempte des passions et des faiblesses qui paraissent dans les autres livres ; qu’elle répare effectivement la religion naturelle ; que seule elle conduit les hommes à leur véritable fin ; qu’elle contient des prophéties très expresses, très clairement accomplies, et qu’on ne peut soupçonner d’avoir été composées après l’événement ; que cette révélation a été conservée dans des monuments inviolables ; qu’il a été absolument impossible qu’on la supposât, ou qu’on la changeât essentiellement : ce qui nous donnera occasion de réfuter amplement les vues de Spinosa, Hobbes, etc., que l’on ne peut raisonnablement révoquer en doute les faits qui sont contenus dans l’Écriture des Juifs, et que la vérité de ces faits justifie invinciblement la divinité de la religion judaïque. C’est le sujet qui est traité dans la troisième section.

Comme la religion naturelle nous a conduits à la religion judaïque, la religion judaïque nous mène aussi à la religion chrétienne. L’Écriture des Juifs nous enseigne que Dieu traitera une nouvelle alliance avec les hommes ; que cette alliance sera établie sous de meilleures promesses que la première ; qu’elle sera adressée à tous les hommes, et que les nations seront appelées à la connaissance du vrai Dieu ; qu’elles seront appelées par le ministère d’un homme saint, dont les prophètes nous marquent la venue, le temps de la venue, la naissance, le lieu de la naissance, la tribu, la famille, la vie, le ministère, les actions, le précurseur, les disciples, la doctrine, l’opposition à sa doctrine, la mort, le genre de la mort, les circonstances de sa mort, sa sépulture, sa résurrection, son ascension dans le ciel : de sorte que, trouvant toutes ces circonstances en Jésus-Christ, et ne les trouvant qu’en Jésus-Christ, nous ne pouvons nous empêcher de regarder celui-ci comme le Messie que les prophètes avaient annoncé. C’est ce qui est contenu dans la quatrième section.

Dans la seconde partie on considère la religion sous une face assez différente de celle-là. La première a établi le christianisme par des preuves empruntées de la religion naturelle et de la religion judaïque ; celle-ci l’établira par ses propres caractères. Mais afin que les incrédules n’aient aucun lieu de se défier des preuves qu’on apportera dans ce dessein, on commencera par douter de tout, et l’on ne recevra les vérités qu’à mesure qu’elles seront évidentes. On ne supposera d’abord que cette vérité connue, qu’il y a aujourd’hui des chrétiens dans le monde, et qu’il n’y en a pas toujours eu. On remontera jusqu’aux siècles qui ont précédé Constantin. On examinera le martyre des chrétiens. On passera jusqu’aux disciples et aux successeurs des apôtres. On fera voir deux choses importantes dans cette matière ; qu’ils ont souffert la mort pour défendre une religion qui est visiblement fondée sur des faits, et que ces faits ne pouvaient leur être inconnus. On fera voir que, soit que l’Écriture du Nouveau Testament soit supposée, soit qu’elle ne le soit pas, elle contient certains faits fondamentaux qui ne peuvent être révoqués en doute, et que ces faits suffisent pour prouver la vérité de la religion chrétienne. On considérera d’abord les apôtres comme de simples témoins. On prouvera la validité de leur témoignage par des circonstances de leur vie, qui ne peuvent être contestées ; et par la validité de leur témoignage, on établira la divinité de la religion chrétienne. Tout cela fera le sujet de la première section de cette seconde partie.

Après avoir considéré les apôtres comme prédicateurs, on les regardera comme écrivains. On entrera dans l’examen des livres du Nouveau Testament : on fera voir qu’ils n’ont pu être supposés ni corrompus, et que les apôtres n’ont pu écrire des choses fausses : on remarquera qu’ils ont tous les caractères qui sont le plus opposés à celui des imposteurs ; qu’ils n’auraient pu ni voulu séduire les hommes ; qu’il est même impossible qu’ils en aient conçu le dessein. On considérera ensuite la sainteté et les miracles de Jésus-Christ, la sainteté et les miracles des apôtres, les prophéties du Nouveau Testament, les dons extraordinaires et miraculeux si communs du temps des apôtres, et dont les apôtres parlent si souvent ; et par l’amas de toutes ces circonstances extérieures, mais incontestables, on prouvera que l’Écriture a été composée par des hommes qui avaient le Saint-Esprit, et qu’on ne peut révoquer en doute la vérité de la religion chrétienne. C’est la matière de la seconde et de la troisième section.

Comme tout cela ne regarde que le dehors de la religion, il en faudra montrer ensuite les beautés, les usages, l’utilité et l’excellence ; et c’est ce que nous ferons, en la représentant dans onze tableaux différents : dans l’amas des témoignages qui lui sont rendus, dans son opposition avec toutes les fausses religions, dans la pureté et le désintéressement de sa fin, dans ses effets admirables qui se manifestent dans le cœur de l’homme, dans l’Église, et même dans la société générale des hommes ; dans sa morale si sainte ; dans ses mystères si sublimes, et pourtant si liés avec les principes de la conscience ; dans la convenance de ces mystères avec les lumières de la raison ; dans le rapport essentiel qu’elle a avec la gloire de Dieu ; dans sa divine convenance avec notre cœur, qu’elle affranchit de sa misère, de sa bassesse et de sa corruption ; dans cette proportion si exacte qu’elle a avec la religion judaïque, qui fait que la religion judaïque n’enferme ni raison, ni sagesse, séparée de la religion chrétienne qui en est la clef, et que la religion chrétienne se trouve représentée dans la religion judaïque comme dans un grand et magnifique miroir ; et enfin, dans sa proportion avec la religion naturelle, dont le christianisme est le rétablissement parfait, comme le paganisme en était la corruption. C’est le sujet de la quatrième et dernière section de la seconde partie.

Voilà quel est le plan de cet ouvrage, dans lequel on s’est principalement proposé quatre choses : de donner aux principes de la religion un ordre et un enchaînement qui servît à en faire voir la vérité ; de découvrir les principes secrets de l’incrédulité, et de la combattre en montrant sa source ; de satisfaire le plus qu’il a été possible à toutes les difficultés qu’on nous fait, soit dans les livres, soit dans la conversation, j’entends celles qui ont quelque espèce d’apparence ; et enfin de n’employer que les preuves qui nous persuadent, et de ne les presser qu’à mesure qu’elles nous persuadent, ne nous attachant point à copier ceux qui ont écrit sur la même matière, et n’affectant pas aussi de les éviter, mais tâchant de nous mettre au-dessus de toute ostentation d’esprit et d’érudition, qui est si fatale à cette sorte d’ouvrage, parce qu’on y cherche précisément ce qui établit que la religion chrétienne est véritable, et non pas ce qui prouve simplement que l’auteur est subtil ou savant.

Si l’on ose se flatter d’avoir réussi dans toutes ces vues, on peut se rendre ce témoignage à soi-même, d’y avoir travaillé sincèrement et avec application. Dieu, qui nous a mis ce dessein au cœur, et qui a soulagé notre faiblesse par sa grâce, veuille le faire réussir pour la gloire de sa vérité, et pour le salut de ceux qui la contredisent !

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