Traité de la vérité de la religion chrétienne

5. Que supposé que nous trouvions des caractères de divinité dans la révélation judaïque, nous pouvons de cela même nous assurer qu’elle n’a pas été essentiellement corrompue.

La révélation des Juifs étant divine, nous devons d’abord nous assurer que la Providence veille à ce que les hommes ne la changent et ne la corrompent par leur malice, puisque Dieu est engagé par sa propre bonté et par sa propre sagesse à la conservation de ses ouvrages.

Il y aurait de l’extravagance et de l’impiété à avoir moins de confiance en Dieu dans la religion que dans la nature. Comme donc nous ne craignons point que la bonté de Dieu se démente, en permettant que les moissons qui germent cette année ne produisent que du poison, encore qu’il ne fallût pour cela qu’une configuration de parties différente de l’ordinaire, nous ne craindrons pas aussi que sa sagesse permette jamais qu’une révélation destinée à nous procurer la vie, serve à nous donner la mort.

Ceux qui n’ont ni assez de lumière ni assez de loisir pour examiner dans le détail quels sont les moyens que la sagesse divine a employés pour nous conserver cette révélation pure et incorruptible, doivent se consoler, et se rassurer entièrement par cette considération.

Il est certain même que c’est là une disposition fondamentale, sans laquelle nous ne sommes capables ni de foi ni de religion. Ce ne serait jamais fait si, pour croire, il fallait entrer dans toutes ces longues discussions que demande la curiosité des hommes, ou la défiance des incrédules. Il suffit, premièrement, d’apercevoir des caractères de divinité dans l’Écriture ; ce qui arrivera infailliblement par la seule lecture de ce livre admirable, à moins qu’on ne s’aveugle soi-même par l’effort de ses passions ; et en second lieu, de s’assurer que Dieu est trop bon pour vouloir nous tromper par la fausseté des choses qu’il nous révélerait, et trop sage pour permettre que la révélation souffre quelque changement essentiel.

Car, comme c’est manquer de respect envers Dieu, que de douter de la vérité de ce qu’il dit, encore que notre raison ne le comprenne pas tout à fait, c’est l’offenser aussi que de se défier de la pureté de sa révélation, encore que nous ne sachions pas toutes les voies que sa sagesse a employées pour nous la conserver entière, la confiance en sa sagesse et en sa bonté n’étant pas moins légitime que celle que nous avons en sa vérité et faisant une partie considérable du sacrifice que la foi lui présente.

Il est donc vrai que, lorsqu’on a reconnu l’Écriture des Juifs pour divine, on ne saurait plus trouver de retranchement pour persévérer dans ses doutes. Qu’on feigne tant qu’on voudra qu’elle a été rétablie par Esdras, cela ne fait rien ; car, quand elle l’aurait été, il faudrait qu’elle l’eût été par l’ordre de Dieu, et par l’inspiration du Saint-Esprit. Un simple homme n’a point mis dans l’Écriture des Juifs tous ces caractères de divinité que j’y aperçois. Esdras, éclairé des seules lumières de la nature, n’a pu prédire si exactement une infinité de choses qui sont arrivées après lui : on verra dans la suite le peu de fondement qu’il y a dans cette fiction.

Cependant, telle est la merveille de la sagesse divine, que ce qui avait donné lieu aux doutes des incrédules, sert à les dissiper, et que, sans aller plus loin, leurs difficultés servent à rassurer notre foi.

La diversité du style objectée par quelques-uns, nous fait voir que ces livres admirables n’ont pas été écrits par un seul homme, et que ce n’est point Esdras qui en est l’auteur. Les petites variétés de chronologie, ou plutôt ces apparences de variété que nous laissons aux interprètes à concilier, nous rassurent du moins contre le soupçon que nous pourrions avoir que ces écrivains se soient copiés les uns les autres. Les répétitions y sont d’un usage merveilleux, étant absolument nécessaire que les vérités essentielles et importantes soient répétées, afin qu’on n’en puisse prétexter l’ignorance ni corrompre la vérité. La simplicité du style répond au dessein que la sagesse divine a eu de rendre cette révélation proportionnée à la portée de tout le monde. Les transpositions, les parenthèses, et tout ce qui semble dans l’Écriture contraire aux lois de la politesse, nous marquent un caractère élevé au-dessus de l’affectation et des vains ornements d’une éloquence qui est toujours suspecte d’intérêt ou de vanité. Les diverses leçons, les termes synonymes, la variété des ponctuations réveillent et attachent l’esprit des hommes, lequel, sans ces petites difficultés, considérerait avec autant de sang-froid et d’indifférence les merveilles de la seconde révélation, auxquelles il serait trop accoutumé, que nous considérons celles de la première : outre que ces sortes d’accidents ne peuvent s’éviter, à moins que d’un miracle constant et perpétuel, qui n’est point dans l’ordre de la Providence, et n’y saurait être, parce qu’il cesserait d’être un miracle s’il subsistait toujours. D’ailleurs, comme il a fallu qu’il y eût des difficultés dans les mystères, pour exercer notre esprit et pour le soumettre, il a été nécessaire aussi que la révélation des Juifs parût sujette aux accidents qui arrivent aux autres livres, pour exercer la foi encore à cet égard, et donner lieu à la confiance que nous devons avoir en la sagesse divine.

Les incrédules, qui aiment à vétiller là-dessus, feraient bien mieux de considérer si ces difficultés mêmes n’entrent point dans le plan de la religion, et ne font point partie du conseil de Dieu ; car pour nous, nous les regardons comme des ombres nécessaires à la beauté du tableau, et nous n’avons pas de peine à leur trouver des usages qui en découvrent la raison et la nécessité.

Nous pourrions nous arrêter ici. Il suffirait d’avoir remarqué des caractères de divinité dans la révélation judaïque ; et tout au plus, on ne pourrait exiger de nous, avec justice, que d’insister un peu plus longtemps sur l’examen de ces marques que nous avons déjà touchées, et de mettre en vue celles qui nous restent à découvrir. Mais il faut porter plus loin la complaisance que nous voulons bien avoir pour les incrédules, et, quoique nous n’y soyons pas obligés, leur faire voir que les moyens dont la providence divine s’est servie pour conserver sa révélation, ne pouvaient être plus propres ni plus efficaces, et que la merveille de la sagesse de Dieu éclate surtout en ce que, sans miracle, elle a rendu la corruption de l’Écriture des Juifs entièrement impossible.

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