Traité de la vérité de la religion chrétienne

6. Que les prophètes ont marqué le temps de la venue du Messie.

Le temps de la venue du Messie nous est clairement marqué en quatre endroits de l’Écriture, au chap. 49 de la Genèse, verset 10 ; au chap. 2, verset 8 du livre du prophète Aggée ; au chap. 3 de Malachie, verset 1, et au chap. 9 du livre de Daniel : et ce sont là les quatre passages qu’il nous faut premièrement examiner.

Le premier fait partie de la bénédiction que Jacob mourant donna à Juda son fils. Juda, dit-il, quant à toi, tes frères te loueront. Ta main sera sur le collet de tes ennemis. Les fils de ton père se prosterneront devant toi. Juda est un faon de lion, etc. Le sceptre ne se départira point de Juda, ni le législateur d’entre ses pieds, jusqu’à ce que Scilo vienne ; et à lui appartient l’assemblée des peuples.

Il faut remarquer d’abord que Jacob, bénissant ses enfants, prédit, non ce qui arrivera à leurs personnes, mais ce qui doit arriver à leur postérité. C’est ainsi qu’il promet à Siméon et à Lévi, qu’ils seront dispersés parmi les autres tribus ; ce qui s’accomplit exactement du temps de Josué ; à Zabulon, qu’il se logera dans les pays maritimes, et du côté de Sidon ; ce qui ne manqua pas d’arriver. Quand donc il bénit Juda, il lui prédit ce qui doit arriver à ses descendants. Il lui dit que ses frères se prosterneront devant lui ; que le sceptre ne se départirait point de lui, etc., ce qui emporte que cette tribu commanderait aux autres ; que le sceptre et la royauté seraient attachés à Juda, et qu’il ne cesserait d’avoir de l’empire sur les autres tribus, jusqu’à un certain temps, qui est marqué par la venue de Scilo, ou de celui à qui appartient l’assemblée des peuples.

Nous prétendons que celui qui est appelé Scilo ou Schilo en cet endroit, n’est autre que le Messie. Les Juifs modernes prétendent le contraire ; et dans le dessein de nous ôter un oracle qui favorise la foi de notre Messie, il n’est sorte de violence qu’ils ne tâchent de lui faire. Mais rien ne montre mieux la force de la vérité, que les égarements visibles auxquels la haine de la vérité les engage.

Ils ont beau chicaner d’abord sur le terme de Schilo, toutes les explications qu’ils lui donnent reviennent à notre sens. Car si, par ce terme, l’on entend avec quelques-uns celui qui doit être envoyé, il paraît que c’est là la qualité du Messie. Si l’on explique ce terme par celui à qui il est réservé, c’est-à-dire celui à qui l’empire est réservé, le sens sera, que la domination doit demeurer dans la tribu de Juda, jusqu’à ce que vienne celui à qui elle est réservée, et qui doit assembler les peuples. Que si Schilo veut dire son fils, selon l’explication ordinaire des Hébreux, on ne voit pas comment on pourrait entendre autre chose que le Messie, par un fils de Juda auquel appartient l’assemblée des peuples.

Mais peut-être que les Juifs trouveront bien d’autres sujets pour leur appliquer cet oracle. Le premier auquel ils le rapportent est Moïse, qui devait être suscité extraordinairement de Dieu, et que Jacob a prédit, selon eux, dans cet oracle comme le libérateur des Israélites. On prétend que quand il est dit : A lui appartient l’assemblée des peuplesa, il faut entendre : A lui appartient d’assembler les tribus d’Israël, et de les retirer de la captivité où elles vont tomber, car le terme qui est dans l’original, et qu’on a traduit par celui de peuples, est aussi souvent employé pour marquer le peuple saint.

aעמים (les peuples) et non גוִם (les goïm, le nations).

Mais cette pensée n’est ni solide, ni même apparente ! parce que, premièrement, si Jacob avait voulu parler de Moïse, il l’aurait représenté par ses véritables caractères, qui sont de retirer le peuple d’Israël d’esclavage, et de donner la loi de la part de Dieu. D’ailleurs, si Schilo veut dire son fils, comme les Juifs l’expliquent communément, comment cet oracle peut-il être appliqué à Moïse, qui n’était point le fils de Juda ? Mais quelle serait cette prophétie, que le sceptre ne se départirait point de Juda jusqu’au temps de Moïse ? Comment nous paraîtrait-il que cet oracle ait eu son accomplissement ? Où était le sceptre et la domination dans une servitude aussi amère et aussi insupportable que celle d’Egypte ? Enfin, il nous paraît que la tribu de Juda a dominé depuis Moïse ; et il ne nous paraît pas si clairement qu’elle ait régné avant Moïse. Il s’ensuit donc que pour trouver l’accomplissement de cet oracle, il faudrait le renverser. Car ces paroles : Le sceptre ne se départira point de Juda jusqu’à ce que Schilo vienne, ou ne signifient rien, ou signifient que, lorsque Schilo viendrait, la tribu de Juda cesserait de dominer sur les autres. Or, bien loin qu’à l’arrivée de Moïse Juda ait perdu l’empire, c’est au contraire depuis Moïse que Juda a véritablement régné. De sorte qu’on ne peut faire l’application de cet oracle à Moïse que sans en détruire entièrement la vérité. Outre que le dessein de Jacob, dans son testament, étant de marquer ce qui arrivera à ses enfants dans la terre que Dieu leur destine, comme cela se vérifie à l’égard de toutes les autres bénédictions que ce testament renferme, il n’est pas juste de croire qu’il n’étende la bénédiction qu’il donne à Juda que jusqu’au temps de Moïse.

On n’est pas mieux fondé à entendre cette prophétie de Saül comme quelques-uns, qui prétendent que Jacob l’appelle Schilo, parce qu’il devait être oint en Scilo. Car outre qu’il est faux que Saül ait été sacré en Scilo, puisque c’est en Mitspa que se fit son couronnement, il est ridicule de prétendre que quand il aurait été oint en Scilo, il dût porter le nom de Scilo pour cela. D’ailleurs, on ne voit point que l’assemblée des peuples ait appartenu à Saül. Et enfin, bien loin que l’empire de Juda ne dût subsister que jusqu’au temps de Saül, il semble bien plutôt que c’est après la mort de Saül que cet empire ait commencé, puisque les rois qui lui succédèrent furent pris de la tribu de Juda.

Jéroboam n’ôta point le sceptre à la tribu de Juda, qui continua d’avoir ses rois particuliers après la séparation des autres tribus. On ne peut donc pas rapporter cet oracle à Jéroboam, non plus qu’à Saül.

David était bien le fils de Juda ; on peut lui donner le nom de Schilo à cet égard : mais qui peut dire sans extravagance qu’à son arrivée le sceptre se soit départi de Juda.

Enfin, il y a encore moins de raison à penser comme quelques-uns, que c’est de Nabucadnetsar que parle cet oracle. Car comment est-ce qu’on lui peut appliquer le nom de Schilo ? Est-ce que Nabucadnetsar était le fils de Juda, comme les Juifs modernes expliquent ce terme ? D’ailleurs, quelle serait cette bénédiction, qui promettait la venue du fléau du peuple de Dieu ? Comment cet oracle serait-il véritable, puisque la tribu de Juda avait ses juges qui la gouvernaient, et qui avaient droit de vie et de mort sur les particuliers pendant sa captivité en Babylone ; puisque les Juifs revenant de leur captivité, eurent pour conducteur Zorobabel, qui était non seulement de la tribu de Juda, mais du sang royal ; puisque depuis leur retour les Juifs prirent même le nom de la tribu de Juda, qui subsista entière, ayant ses lois et son gouvernement ?

Les chicaneries des rabbins ne sont pas encore épuisées. Comme ils voient que les paroles de cette prophétie leur sont extrêmement contraires, étant prises dans un sens facile et naturel, il n’y a point d’explication forcée et violente qu’ils ne mettent en avant. Ils croient donc, après bien des observations grammaticales, pouvoir rendre les paroles de l’original par celles-ci : Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le législateur d’entre ses pieds, lorsque Schilo sera venu. Je laisse à juger à ceux qui examineront leur nouvelle critique là-dessus, s’il est possible de donner ce sens aux paroles de Jacob. Pour nous, il nous suffit de savoir ; 1° que notre explication est facile et naturelle, au lieu que la leur est singulière, et tirée par les cheveux ; 2° que leurs pères et leurs anciens rabbins ont traduit ces paroles comme nous, n’y ayant que la nécessité de défendre leur cause qui leur fasse avoir recours à ces interprétations subtiles et déliées ; 3° que l’oracle expliqué de cette manière serait entièrement faux.

Cette dernière raison est décisive, si elle est véritable ; et l’on trouvera qu’elle l’est, si l’on se donne la peine de considérer ce que Daniel dit du Messie. Il nous fait entendre que le Messie viendra, qu’il sera retranché, et qu’ensuite le peuple du conducteur viendra, qui détruira la ville et le temple, etc. Que si l’État des Juifs doit être renversé après la mort du Messie, comment Jacob aurait-il pu dire, qu’alors que le Messie serait arrivé le sceptre ne se départirait plus de Juda ? Mais afin qu’on ne nous accuse pas de nous appuyer sur des fondements contestés, nous ferons voir bientôt que c’est du Messie que parle Daniel dans l’endroit dont nous venons de parler.

A-t-on assez chicané inutilement ? Non, les Juifs ont encore quelque chose à dire. Ils prétendent que par le mot hébreu que nous avons rendu par celui de sceptre, il faut entendre en cet endroit une verge avec laquelle on châtie, le sens de la prophétie étant que la verge du châtiment ne se séparerait point de Juda ; c’est-à-dire que Juda serait continuellement affligé jusqu’à la venue de Schilo, qui est le Messie. Si c’est ici leur dernier retranchement, c’est aussi, selon mon opinion, le comble de leur absurdité et de leur ignorance. Car, premièrement, ce terme שבט, qui est celui de l’original, ne signifie point une verge de châtiment, à moins qu’il n’y ait quelque autre mot qui le détermine à cette signification. Mais je veux qu’il signifie aussi souvent une verge de châtiment, qu’il se prend pour un sceptre ; je soutiens que ces paroles qui suivent : ni le législateur d’entre ses pieds, nous déterminent à entendre un sceptre, et non pas une verge de châtiment. Il n’est pas difficile, en effet, de s’apercevoir que le patriarche fait une allusion à ce que de son temps le souverain magistrat étant assis dans un lieu plus élevé que les autres, avait à ses pieds un secrétaire qui écrivait sa volonté ou ses lois, et qui les donnait au peuple. C’est ce qui fait que le patriarche lui donne le nom de législateur. Ces paroles allégoriques veulent donc dire en général que l’autorité souveraine, représentée par le sceptre et par le législateur qui écrit aux pieds de quelqu’un, ne serait point ôtée à la tribu de Juda, jusqu’à ce que Schilo vînt. Comme donc il n’y a que la signification de sceptre qui s’unisse avec ces paroles : ni le législateur d’entre ses pieds, il s’ensuit qu’il n’y a que cette signification qui puisse avoir lieu dans l’oracle que nous examinons. D’ailleurs, comment cette prophétie, prise dans ce sens, serait-elle véritable, puisqu’il s’est passé tant d’années avant la venue de Schilo, pendant lesquelles non seulement la verge du châtiment s’était départie de Juda, mais son état était si pompeux et si florissant, que les écrivains sacrés ne trouvent point de termes trop magnifiques pour nous le représenter tel qu’il a été, par exemple, sous le règne de Salomon ?

Ajoutez à cela que Daniel nous a déjà appris que Jérusalem doit être détruite dès que le Messie aura paru. Comment donc le prophète pourrait-il dire que le châtiment ne s’éloignera point de Juda jusqu’alors ? Enfin, lisez ce qui précède et ce qui suit les paroles que nous examinons, et vous trouverez que c’est ici une bénédiction, et non une malédiction ; que Jacob promet des biens, et non pas des maux et des châtiments à la postérité de Juda.

Voilà combien l’erreur est faible, et ses principes défectueux. Elle se découvre de tous cotés, et se détruit presque d’elle-même. Le véritable sentiment ne nous coûtera pas tant à établir ; car il ne faut, pour cela, que laisser aux paroles de l’oracle leur situation, leur liaison et leur signification naturelle.

Il ne faut pas de grands efforts de pénétration pour connaître que c’est du Messie dont il s’agit dans ce passage, la chose parle d’elle-même ; la vanité des défaites des rabbins le justifie clairement, le consentement des anciens rabbins à rapporter ces paroles au Messie, le fait assez connaître. On n’a qu’à consulter leur Targum ou leur Talmud pour s’en éclaircir ; d’ailleurs, on sait que c’est le privilège du Messie d’assembler les peuples. En ces jours-là, dit Esaïe, il y aura une racine d’Isaï, qui sera pour signe aux peuples, et les nations le chercheront. Le psalmiste dit que toutes les nations le serviront ; et les Juifs eux-mêmes disent que le Messie assemblera tous les peuples de la terre, mais comme des esclaves destinés a la gloire et au plaisir des Israélites.

Que si vous joignez ensuite à ce caractère le nom de Schilo, de quelque manière qu’on l’explique, vous ne conserverez plus de doute sur ce sujet. Car si Schilo veut dire son fils, quel peut être ce fils de Juda qui assemblera les peuples et qui fera cesser la domination de Juda, si ce n’est le Messie ? etc. On peut dire la même chose des autres significations de ce terme. Ajoutez à cela le rapport de cet oracle avec celui de Daniel, qui nous fait voir que la domination de Juda cessera, le temple étant détruit et le sanctuaire profané, après qu’on aura retranché le Christ. Mais surtout considérez le rapport de l’oracle avec l’événement. Car si les prophéties sont obscures avant que d’être accomplies, elles sont claires après qu’elles l’ont été.

On doit considérer l’État des Juifs en trois divers temps : avant David, et l’on peut supposer qu’en ce temps même la tribu de Juda avait quelque crédit et quelque prééminence sur les autres ; depuis David jusqu’à la captivité de Babylone, et pendant tout ce temps-là, les conducteurs et les rois sont sortis de cette tribu ; enfin, depuis la captivité de Babylone jusqu’à la venue de celui que nous regardons comme le Messie ; et pendant tout ce temps, elle a eu sa prééminence et ses droits particuliers. Car, 1° Les tribus d’Israël ont été retranchées, et elle a subsisté avec les lévites destinés à lui enseigner la loi. 2° Elle a donné son nom aux enfants de Jacob en général. 3° Quand il y a eu des gouverneurs pris de la tribu de Lévi, comme les Asmonéens, c’est par les suffrages et du consentement de cette tribu qu’ils ont tenu leur autorité qui était à temps. 4° Il y avait toujours un grand conseil composé des anciens de Juda qui gouvernaient le peuple ; et puisqu’ils subsistaient seuls des autres enfants d’Israël (car je ne compte pour rien, en matière de gouvernement, les lévites qui ne s’occupaient qu’aux choses qui regardaient la religion), puisqu’ils avaient des lois et un gouvernement particulier, soit en Babylone, soit sous les Romains, qu’il y avait une forme d’État et de république parmi eux, il s’ensuit que le sceptre ne s’était point entièrement éloigné de Juda, ni le législateur d’entre ses pieds, jusqu’à la venue de notre Messie. Et voilà la première partie de l’oracle accomplie.

Que si nous jetons ensuite les yeux sur ce qui est arrivé aux Juifs depuis la mort de notre Messie, nous ne verrons plus aucune forme de gouvernement ni de république dans ce peuple. Ils vivent sans loi, sans conducteur, sans demeure, sans terre, sans possessions. Et comment n’auraient-ils point perdu le sceptre, lorsqu’ils ont tout perdu, jusqu’à leurs droits, jusqu’à leurs titres, jusqu’au moyen de se connaître, n’ayant plus de livre de généalogie, jusqu’aux promesses de leur rétablissement, jusqu’à la consolation de pouvoir espérer avec quelque ombre d’apparence que Dieu les rassemblera ?

Voilà donc la seconde partie de l’oracle qui est encore exactement accomplie. Qui peut douter de la vérité d’un oracle que son accomplissement a si bien justifié, et dont l’événement est un si juste commentaire ?

Il ne faut, pour détruire tous les doutes que l’incrédulité peut opposer ici, que jeter les yeux tantôt sur l’oracle et tantôt sur l’accomplissement. L’oracle nous donne lieu de raisonner de la sorte. Le sceptre ne devait pas être ôté de Juda, ni le législateur d’entre ses pieds, jusqu’à ce que Schilo vint. Or, ce sceptre a déjà été ôté, il faut donc que Schilo soit venu.

L’événement nous donne occasion de faire un autre raisonnement de cette manière. L’autorité et le pouvoir de se gouverner par ses lois et d’avoir ses conducteurs, sont toujours demeurés dans la tribu de Juda jusqu’à la venue de Jésus-Christ. Après la mort de Jésus-Christ précisément, elle a perdu cette autorité et ce droit ; donc il faut que Jésus-Christ soit le Schilo, à la venue duquel le sceptre devait se départir de Juda, et jusqu’à la venue duquel il y aurait un législateur en cette tribu.

Il n’est pas difficile après cela d’établir, à l’égard de ce caractère du Messie, les trois vérités que nous nous sommes engagés d’établir à l’égard de tous les autres. Ce n’est plus une chose douteuse, que c’est là le caractère du Messie. Il paraît que ce caractère convient à Jésus-Christ, et il est évident qu’il ne saurait convenir à aucun autre, puisqu’il y a si longtemps que le sceptre s’est départi de Juda, et qu’ainsi l’on peut dire que ce caractère ne serait pas le caractère du Messie, s’il ne s’accomplissait en Jésus-Christ. L’oracle donne du jour à l’événement, et l’événement fait aussi la force de l’oracle. Mais passons aux autres.

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