Traité de la vérité de la religion chrétienne

8. Où l’on examine les oracles de Daniel qui regardent le temps et la venue du Messie.

Il ne faut pour cela qu’entrer dans l’examen de ces trois vérités : premièrement, si c’est du Messie, ou d’un autre que du Messie, qu’il est parlé aux chapitres 2, 7 et 9 des visions de Daniel ; en second lieu, si l’on peut dire que le temps de la venue du Messie, qui y est marqué, soit déjà passé, comme nous prétendons ; ou qu’il ne soit pas encore venu, comme le veulent les Juifs ; et enfin, si le temps de la venue de notre Jésus s’accorde avec le temps de la venue de ce Messie révélé à Daniel.

Nous joignons ces trois chapitres, 2, 7 et 9, parce qu’ils font tous mention d’un même événement, qui est l’établissement d’un royaume éternel. Daniel expliquant le songe de Nabucadnetsar, chapitre 2, lui dit que l’or, l’argent, l’airain et le fer, avec la terre à potier de la statue qu’il a vue, signifient quatre monarchies ; et après lui avoir expliqué tous les rapports de ce songe mystérieux avec ce qui devait arriver après lui, il ajoute ces paroles : Et au temps de ces rois-là, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera jamais dissipé ; et ce royaume ne sera point délaissé à un autre peuple, mais il brisera et consumera tous ces royaumes-là, et il sera établi éternellement. D’autant que tu as vu que de la montagne une pierre a été coupée sans main, et qu’elle a brisé le fer, l’airain, la terre, l’argent et l’or, le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui adviendra ci-après.

On ne peut douter que Daniel n’ait représenté le même événement aux chapitres 7 et 11 à 14, et suivants ; car il y est fait mention de quatre bêtes, dont il est dit : Ces quatre grandes bêtes sont quatre rois qui s’élèveront sur la terre, et d’un empire éternel qui doit être établi ensuite, suivant ces paroles qui suivent immédiatement après : Et les saints du souverain recevront le royaume, et obtiendront le royaume jusqu’au siècle, et au siècle des siècles. Et afin qu’on n’en doute point, voici comment Daniel s’exprime en rapportant la dernière partie de sa vision. La seigneurie fut aussi ôtée aux autres bêtes, bien que longue vie leur eût été donnée jusqu’à temps sur temps. Je regardai dans les visions de la nuit, et voici comme le Fils de l’Homme qui venait avec les nuées des cieux ; et il vint jusqu’à l’ancien des jours, et on le fit approcher de lui, et il lui donna la seigneurie, et l’honneur, et le règne, et tous peuples, et nations, et langues le serviront. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera point dissipé.

C’est cette même prophétie qui est répétée en d’autres termes et avec d’autres circonstances à Daniel au chapitre 9, lorsque ce prophète, ayant fait à Dieu cette excellente prière et cette belle confession, dans laquelle il prie Dieu que son indignation se détourne de sa ville de Jérusalem, qui est la montagne de sa sainteté, reconnaissant que c’est pour leurs péchés et pour les iniquités de leurs pères que Jérusalem et le peuple sont en opprobre, et ajoutant qu’ils ne présentent point leurs supplications en s’appuyant sur leurs justices, mais sur les grandes compassions du Seigneur, un ange est envoyé pour lui faire entendre la parole qui suit : Il y a soixante et dix semaines déterminées sur ton peuple et sur ta sainte ville, pour mettre fin à la déloyauté, et consumer le péché, et faire propitiation pour l’iniquité, et amener la justice des siècles, et pour fermer la vision et la prophétie, et oindre le saint des saints. Tu connaîtras donc et entendras, que depuis l’issue de la parole qu’on s’en retourne et qu’on rebâtisse Jérusalem jusqu’au Christ le conducteur, il y a sept semaines et soixante-deux semaines ; et les places et la brèche seront réédifiées, et cela en temps d’angoisse. Et après ces soixante-deux semaines, le Christ sera retranché, et non pas pour soi. Puis le peuple du conducteur qui viendra, détruira la ville et le sanctuaire ; et la fin en sera avec débordement ; et les désolations sont déterminées jusqu’au bout de la guerre. Et il confirmera l’alliance à plusieurs par une semaine, et au milieu de cette semaine-là, il fera cesser le sacrifice et l’oblation. Puis, par le moyen des ailes abominables qui causeront la désolation même jusqu’à consomption déterminée, la désolation tombera sur le désolé.

Il est assez clair que la venue de ce Christ, de ce conducteur, avec la propitiation du péché, et cette justice des siècles qui doit être amenée, ne nous marquent point d’autre événement que celui qui nous a été caractérisé par la venue de ces saints à qui le royaume doit être laissé, et de ce Fils de l’Homme auquel fut donnée une seigneurie et une domination éternelle.

Je n’ignore pas néanmoins que quelques-uns ont voulu expliquer cette prophétie contenue au chapitre 9 de Daniel, de la construction du temple, de l’onction du lieu très saint ; et ce qui suit, de la venue d’Antiochus l’Illustre, qui profana le sanctuaire, et fit cesser l’oblation de la loi. Mais il y a diverses raisons qui détruisent cette explication. Le terme de soixante et dix semaines ne saurait s’y accorder. Car si vous entendez par là des semaines de jours, le terme est trop court ; et si vous entendez des semaines d’années, le terme est trop long.

D’ailleurs, comme c’est pour marquer un plus grand et un plus noble événement, que le prophète emploie cet expressions peu communes :mettre à fin la déloyauté, consumer le péché, faire propitiation pour l’iniquité, amener la justice des siècles, fermer la vision et la prophétie, et oindre le saint des saints, ou la sainteté des saintetés ; personne ne croira qu’il s’agisse seulement en cet endroit de rebâtir la ville ou le temple de Jérusalem, En effet, que signifieraient ces paroles : Le Christ sera retranché, et non pas pour soi ? Néhémie fut envoyé en Judée avec un ample pouvoir pour achever le bâtiment du temple qui avait été interrompu, et pour bâtir les murailles de Jérusalem : mais en quel endroit est-il appelé Christ ? Pourquoi l’oracle dirait-il qu’il fut retranché ? Et que signifieraient ces paroles : Il sera retranché, mais non pas pour soi ? Comment, dans cette hypothèse, expliquerait-on ces paroles : Et il confirmera l’alliance à plusieurs par une semaine ? Est-ce le Christ, le conducteur du peuple de Dieu, Néhémie, qui doit confirmer l’alliance ? Si cela est, il faut aussi que ce soit Néhémie qui fasse cesser le sacrifice et l’oblation ; car ces deux choses sont attribuées à la même personne : ce qui néanmoins serait une pensée extravagante. Est-ce Antiochus qui doit confirmer l’alliance à plusieurs ? Mais comment cela peut-il être vrai d’un tyran, d’un persécuteur ? Qu’on nous fasse voir une façon de parler semblable dans l’Écriture. Comment appliquer à Antiochus ce qui convient uniquement aux Romains, je veux dire ces ailes abominables dont il est parlé, parce qu’ils portaient sur leurs étendards les aigles dont ils faisaient leurs divinités, et qu’ils adoraient, ce qui fait qu’elles peuvent être nommées abominables, et qui causèrent cette désolation consommée dont parle le prophète.

Que si après cela vous unissez cet oracle avec les deux autres tout semblables que nous avons rapportés, où il nous est parlé d’un royaume éternel, d’un peuple de saints auxquels ce royaume doit être laissé, d’un Fils de l’homme qui obtiendra l’empire sur toutes nations, et tribus, et langues ; il ne vous restera plus aucun doute qu’il ne s’agisse ici du Messie que les Juifs attendent.

La seconde vérité n’est pas moins facile à établir que la première. S’il s’agit du Messie dans cet oracle, il s’agit d’un Messie qui doit être déjà venu, ou bien l’oracle serait faux. Ce Messie devait paraître dans le temps que les monarchies qui devaient affliger le peuple de Dieu, et qui avaient été représentées par la statue de Nabucadnetsar, subsisteraient encore, ou du moins immédiatement après leur ruine et leur décadence, suivant ces paroles : Et au temps de ces rois, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera jamais dissipé ; et ce royaume ne sera point laissé à un autre peuple, mais il brisera et consumera tous ces royaumes-là, et il sera établi éternellement et selon celles-ci : Et les saints du Souverain recevront le royaume, et obtiendront le royaume jusqu’au siècle, et au siècle des siècles. C’est encore ce qui nous est marqué par cette pierre coupée d’une montagne, qui brise le fer, l’airain, la terre, l’or et l’argent qui représentaient les quatre monarchies. Or, nous voyons que ces monarchies sont ruinées depuis plusieurs siècles ; et nous avons même vu d’autres empires leur succéder. Il s’ensuit donc, ou que le Messie est déjà venu, ou que le temps de sa venue est passé sans qu’il ait paru.

D’ailleurs, la venue de ce Messie doit précéder l’entière désolation de Jérusalem et du sanctuaire ; car ce n’est qu’après la venue de Christ, qui doit être retranché, que la désolation jusqu’à consomption déterminée doit fondre sur le désolé. Or, il y a déjà plusieurs siècles que Jérusalem est désolée de la plus triste et de la plus effroyable désolation qui fût jamais, et cela sans aucun retour. Il s’ensuit donc que ce Messie est venu, ou que le temps de sa venue est déjà passé.

Mais ce n’est pas assez que de montrer que cet oracle ne peut convenir au Messie que les Juifs attendent, ni à aucun autre sujet ; il faut faire voir en troisième lieu, qu’il a son parfait accomplissement en Jésus-Christ. C’est ce qui ne recevra aucune difficulté, si l’on considère qu’il y a dix rapports admirables entre la prophétie et l’événement.

Car, 1°. il s’agit dans la prophétie d’un royaume qui a commencé de s’établir lorsque les quatre autres monarchies ennemies du peuple de Dieu, montrées en songe à Nabucadnetsar, prenaient fin. C’est ce qu’on peut dire du règne de Jésus-Christ et qu’on ne peut dire d’aucun autre. Il ne faut pourtant pas s’imaginer que dès que Jésus-Christ a paru, les autres empires aient été dissipés ; il a fallu combattre leur gloire, leur pompe, leur puissance, les restes de la domination des Perses et des Grecs, qui enfin se sont tous soumis à l’empire de Jésus-Christ. Il suffit que le Messie, ou le roi que les anciens oracles avaient annoncé, devait venir, lorsque les quatre monarchies dont nous venons de parler seraient dans leur décadence. De sorte que comme elles ont été ruinées entièrement il y a longtemps, il s’ensuit que le temps de sa venue est déjà passé.

2° En effet, l’oracle nous apprend que cet empire éternel doit briser et consumer ces quatre monarchies qui avaient fait la guerre à Dieu, et s’établir en quelque façon sur leurs ruines ; ce qui n’a pas manqué de s’accomplir. Personne n’ignore quels furent les incroyables progrès du christianisme après la mort de Jésus-Christ, dans la Syrie, où avaient régné les Séleucides ; en Egypte qui était l’empire des Ptolomées ; dans la Grèce, première source de cet empire ; et dans la Perse, et même aux Indes, et partout où les conquérants les plus ambitieux avaient poussé leurs conquêtes, et porté leurs désirs.

3° Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que, conformément à l’oracle de notre prophète, nous voyons cette grande statue qui représentait les quatre monarchies qui avaient affligé le peuple de Dieu, brisée par une pierre qui avait été coupée sans main d’une montagne. Il n’y a rien de plus apparent que la grandeur de ces empires, de plus formidable que leurs armées, de plus magnifique que leurs rois, de plus orgueilleux que leurs pontifes, de plus enflé que leur cœur, de plus enraciné que leurs préjugés, de plus violent que leurs maximes, de plus tyrannique que leur politique. Cependant je vois disparaître ce colosse de grandeur et de vanité ; je trouve des armées de martyrs où j’avais vu des armées de conquérants ; je vois les rois humiliés, les fausses divinités bannies, les statues renversées, les temples démolis, les préjugés détruits, la politique changée, le paganisme anéanti en mille lieux, les sociétés renversées pour former une meilleure union, et toutes choses dans le trouble et dans le désordre, pour prendre ensuite une face toute nouvelle. Cette vue. réveille ma curiosité ; et comme elle me porte à rechercher de quelle manière ce grand changement a pu se faire, je trouve, avec une extrême surprise, que c’est par le ministère de quelques pauvres pêcheurs, qui ont été nourris sur les bords de la mer de Galilée, qui est de tous les pays le plus obscur et le plus méprisé. Je demande si ces hommes n’auraient point passé leur vie dans l’étude et dans la contemplation, et je trouve qu’ils n’ont été instruits qu’à raccommoder leurs filets, étant nés et ayant vécu dans une indigence qui sans doute ne leur permettait point d’autre exercice que celui qui leur était nécessaire pour gagner leur vie. Je demande à les entendre, ou du moins à juger de leurs paroles par leur manière d’écrire : je la trouve simple, grossière, et digne de leur profession et de leur pays. Il me semble que leur langage les donne assez à connaître. Je veux savoir la manière de leur prédication : on me fait voir que c’est le fils de Dieu crucifié et mort entre deux brigands, qui est de tous les objets le plus triste et le plus choquant. Je demande si le plaisir, l’amour du repos et de leurs aises ne les soutiendraient point dans une entreprise qui paraît d’abord si insensée : on me fait voir qu’ils continuent à travailler de leurs mains à mesure qu’ils évangélisent, et qu’ils souffrent toutes les injures de l’air, toutes les incommodités de la vie, et tous les mauvais traitements de la persécution, sans pouvoir être détournés de leur dessein. Ils n’ont ni savoir, ni richesses, ni crédit, ni établissement, ni amis, ni protecteurs. Toutes les puissances les poursuivent ; tous les hommes les ont d’abord en horreur : les rois, les pontifes, les magistrats et le peuple, la politique et la superstition, le paganisme et la synagogue, les Parthes et les Grecs, les Juifs et les Romains. Cependant, ne combattant que par la pauvreté et par la patience, ils viennent à bout de tout ; et malgré l’effort de toutes les puissances, ils ensevelissent dans le tombeau de Jésus-Christ la grandeur des monarchies orgueilleuses qui s’étaient élevées contre Dieu. Certainement, comme ce n’est pas eux mais leur divin chef qui agit par leur ministère avec tant de succès, on peut dire que c’est là comme une pierre coupée sans main, c’est-à-dire imperceptible, qui semblait devoir être sans effet, et qui néanmoins frappe un coup qui ébranle tout l’univers.

4° Ce royaume nous est marqué par ces trois qualités : un royaume céleste, un royaume éternel, et un royaume qui doit être occupé par les saints du Souverain ; trois qualités qui nous en marquent l’origine, la durée et les sujets. L’origine en est le ciel, la durée l’éternité, les sujets en sont les saints. A quel empire veut-on que nous attribuions ces trois qualités ? Où est-ce qu’on a jamais vu un royaume qui n’empruntât sa force et sa gloire des secours humains, qui ne vint de la terre, qui ne fut sujet aux révolutions ordinaires, qui ne s’établit par la force, qui ne se conservât par la violence, et qui n’eût pour sujets, et même pour appuis, des scélérats plus souvent que des saints ? Les rabbins auraient tort de vouloir rapporter cet oracle au Messie qu’ils attendent, pendant qu’ils attribuent à leur Messie en idée la même puissance et la même prospérité temporelle, ou plutôt la même violence, qu’aux conquérants du monde.

5° Mais il ne s’agit pas seulement dans tous ces oracles d’un royaume éternel ; il y est encore fait mention d’un homme à qui l’on attribue trois choses. 1. Que Dieu lui donne l’empire d’une manière immédiate et glorieuse tout ensemble : c’est ce qui nous est représenté par la domination que l’ancien des jours donne au Fils de l’homme, lorsque celui-ci s’approche sur les nuées du ciel. 2. Que cette domination s’étend sur toute tribu, langue et nation. 3. Et enfin, qu’elle n’a point de fin dans sa durée. On trouve ici un roi établi immédiatement de Dieu, revêtu de sa gloire, et qui règne éternellement. Il faut qu’on nous montre une autre personne que Jésus-Christ à qui toutes ces qualités conviennent, ou qu’on demeure d’accord qu’il n’y a que Jésus-Christ auquel on en puisse faire l’application.

6° Mais quand tous ces caractères lui manqueraient, à quel autre qu’à Jésus-Christ pourrions-nous attribuer d’être venu soixante et dix semaines après l’issue de la parole, qu’on s’en retourne et qu’on rebâtisse la ville de Jérusalem ? J’avoue qu’il y a ici quelque variété entre les interprètes ; car, bien qu’ils conviennent qu’il s’agit là de semaines d’années, les uns les comptent depuis la promesse que Dieu fit à Jérémie de rétablir les Juifs dans leur premier état, et de rebâtir leur temple et leur ville ; les autres depuis le premier édit de Cyrus, touchant le rétablissement des Juifs, que les uns rapportent à la première, les autres à la seconde année de son règne ; les autres depuis Darius, fils d’Hystaspe ; les autres depuis Darius Nothus ; les autres depuis Artaxerxès Longimanus ; les autres depuis Artaxerxès Mnemon ; la Providence divine ayant permis cette variété de sentiments par une conduite mystérieuse, afin que notre foi ne dépendit pas d’une supputation de chronologie, dont il n’y a que les savants qui soient ordinairement capables, mais de la vue et du sentiment, par manière de dire, des rapports qui se trouvent entre l’oracle considéré en gros, et la vérité de l’événement qu’il prédit. On ne s’attachera donc pas à supputer ici les semaines de Daniel, parce qu’on ne pourrait faire que copier les autres ; que plusieurs grands hommes l’ont déjà fait, et qu’on n’a, en particulier, qu’à lire le Discours sur l’histoire universelle que M. de Condomb a donné depuis peu au public. Pour nous, qui nous arrêtons aux preuves de la religion, les plus sensibles et les plus proportionnées à toutes sortes de personnes, nous aimons mieux raisonner par le gros de la prophétie, que nous dissiper en contestations chronologiques.

b – Bossuet.

Or, afin qu’on ne soit point arrêté par ces difficultés, on doit se souvenir qu’il y a trois temps : l’un, où les oracles de l’Écriture sont obscurs, c’est celui qui précède leur accomplissement ; l’autre, où ils sont en partie obscurs et en partie évidents, c’est celui de l’économie où nous nous trouvons, qui est mêlé de ténèbres et de lumières ; l’autre, où ils seront évidents, sans avoir rien d’obscur, c’est celui de l’entier et parfait accomplissement de tous les oracles, ou de la grande manifestation. Que les petites difficultés que nous trouvons dans les oracles ne nous fassent point fermer les yeux à une clarté et à une évidence qui les engloutit.

7° Nous n’avons jamais ouï parler d’un autre que Jésus-Christ, lequel consumât le péché, expiât l’iniquité, amenât la justice des siècles, accomplit la prophétie, et méritât d’être appelé le Saint des saints.

8° Jamais on n’a dit d’aucun autre, qu’il fût le Messie promis, le conducteur ; et qu’étant le Messie, il eût été retranché de la terre des vivants ; et qu’ayant été retranché de la terre, il ne l’avait point été pour soi, mais pour les péchés du monde. Les Juifs mêmes ne disent point toutes ces choses de leur Messie. Cependant tout cela convient à Jésus, fils de Marie. C’est donc ce dernier que nous devons reconnaître pour notre Messie.

9° Mais quoi ! il est distinctement prédit dans cet oracle, qu’après que le Christ aura été retranché, il viendra un peuple qui détruira la ville et le sanctuaire ; que la fin en sera avec débordement ; que les désolations en dureraient jusqu’à la fin de la guerre ; que cette désolation sera causée par des ailes abominables ; qu’elle sera extrême ; ce qui est marqué avec beaucoup de force par ces expressions entassées, qui causeront la désolation jusqu’à consomption même déterminée, la désolation fondra sur le désolé, ce terme de désolation déterminées marquant aussi qu’elles seraient procurées par la volonté et par la justice de Dieu.

Chacun sait qu’après la mort du Messie et la prédication des apôtres, qui prêchèrent encore quarante ans, pour obliger les Juifs à croire en ce divin crucifié, les Romains vinrent, qui assiégèrent Jérusalem, et brûlèrent la ville et le temple ; qu’il n’y eut jamais de plus effroyable désolation que celle que causèrent les légions romaines, ces aigles qui faisaient l’idolâtrie des romains. Tous ceux qui liront dans l’histoire que Josèphe en a écrite, les efforts des empereurs romains pour faire mettre des aigles dans le temple de Jérusalem, ce qui fut la première occasion de cette sanglante guerre, et des effroyables divisions qui naquirent au milieu d’eux ; ou qui considéreront l’horreur d’une famine qui contraignait les mères de se nourrir de la chair de leurs enfants, et la rage qui les obligeait à s’égorger les uns les autres, et qui les porta à s’assembler dans le temple pour s’y entretuer par une exécrable fureur, ou qui se représenteront les rues et les maisons remplies de corps morts, la contagion qui dépeuplait la ville d’habitants, sans la dépeupler de brigands et d’assassins, et le cri funeste d’un homme qui fut ouï présageant la désolation de la ville pendant quatre ans, sans que toutes les puissances pussent l’empêcher de s’écrier : Voix contre Jérusalem et le temple ; voix contre les nouveaux mariés et les nouvelles mariées ; malheur au temple, malheur à la ville, etc. ; l’embrasement du temple consumé par le feu de Dieu, malgré toutes les précautions des hommes ; la ville de Jérusalem rasée jusque dans ses fondements, et le peuple donné pour esclave à toutes les nations, et abandonné à cette longue servitude qui fait revivre tous les jours leur première désolation ; et enfin les efforts inutiles qu’ils ont faits pour se rétablir, et la confusion d’un empereur ennemi de notre foi, qui ne put leur faire rebâtir leur temple, des globes de feu sortant des fondementsc, et consumant les ouvriers, comme des païens mêmes l’ont attesté : on ne pourra s’empêcher de reconnaître que cette désolation a été extrême, et qu’elle a été déterminée jusqu’à consomption par la volonté et par la justice de Celui qui gouverne cet univers.

cAmmien Marcellin, liv. 23 ; historien du IVe s.

10° Enfin l’oracle nous marque cet ordre dans les événements qu’il annonce, que le Christ viendrait soixante-deux semaines après la parole donnée touchant la construction d’un nouveau temple, et sept autres semaines qu’il faut suppléer, comme il paraît par le verset précédent, et qui font en tout soixante-neuf semaines. Ensuite le Christ doit confirmer l’alliance pendant une semaine. Au milieu de cette semaine il doit faire cesser le sacrifice et l’oblation. Et puis les ailes abominables doivent survenir, qui causeront cette horrible désolation dont il a été parlé. Jésus-Christ est le seul qu’on puisse dire non seulement être venu soixante-neuf semaines après l’issue de la parole, mais qui puisse se vanter d’avoir confirmé l’alliance pendant une semaine, ou la moitié d’une semaine, c’est-à-dire pendant trois ans ou environ qu’il a prêché ; et d’avoir fait cesser le sacrifice et l’oblation par sa mort au milieu de cette semaine, je veux dire environ trois ans et demi après avoir commencé de confirmer son alliance en faisant les fonctions de son ministère. Ce fut alors qu’il abolit la loi, qu’il rendit inutiles les cérémonies, que son sacrifice ôta à ceux de la loi leur vertu, que tout cessa, que tout prit fin à l’égard du droit, si ce n’est pas à l’égard de l’usage, comme il le témoigna, lorsqu’il s’écria sur la croix : Tout est accompli, et comme Dieu le fit voir d’une manière bien sensible, lorsque en déchirant le voile du temple depuis le haut jusques en bas, il rejeta les sacrifices des Juifs, en attendant qu’il consumât par son feu le temple où on lui offrait ces sacrifices qui commençaient de lui être odieux. On sait qu’après la mort de Jésus-Christ, et la prédication de ses apôtres, Dieu fit fondre la désolation sur le désolé, et qu’il accomplit la terrible prédiction qui est contenue dans cet oracle.

Tous ceux qui considéreront les choses de bonne foi, trouveront que s’il y a quelque difficulté chronologique dans la supputation des soixante et dix semaines, elle est admirablement compensée par la lumière qui naît de ces dix rapports généraux que nous trouvons entre la prophétie et l’accomplissement, et qu’il faudrait avoir une étrange envie de se tromper soi-même, pour n’en être point satisfait.

Car il n’y en a aucun qui ne soit tout à fait remarquable, et digne d’une particulière considération. Daniel pleure sur ses péchés et sur les péchés de sa nation, et Dieu lui annonce un temps où l’iniquité sera expiée, et où la justice des siècles sera mise en avant. Quelle consolation pouvait venir plus à propos ? Il gémit, en considérant la misère et l’oppression du peuple d’Israël ; et Dieu lui annonce la venue d’un libérateur qui brisera les ennemis du peuple de Dieu ; et il marque le temps de sa venue par la ruine des monarchies qui avaient affligé la sainte nation. Il n’y avait rien de plus à propos que de marquer la venue du Messie par un caractère qui donnait tant de consolation au cœur de Daniel ; et il n’y a rien de plus assuré que cette marque, qui consiste dans la ruine de quatre grandes monarchies. On ne saurait s’y tromper, et des révolutions si grandes et si éclatantes sont des époques trop assurées pour nous donner lieu de craindre ni surprise ni illusion à cet égard.

L’état du peuple Juif après la venue et la mort du Messie est encore une de ces marques qui frappent, et qui ne peuvent nous tromper. On sait bien en effet qu’il ne dépendait point du prophète de faire en sorte que Jérusalem fût désolée, et l’abomination établie au lieu saint, après qu’un homme se disant le Christ aurait été retranché de la terre.

L’élection d’un empire éternel qui serait joint à la propitiation du péché, à la justice des siècles, et à un peuple de saints et de justes, est une de ces conceptions qui ne viennent point dans l’esprit, et qui ne peut sortir que de l’esprit prophétique. Qui avait dit à Daniel qu’il y aurait un royaume dont on ne pourrait être le membre sans être saint ? et qui lui avait appris si distinctement que ce roi spirituel régnerait sur toute tribu, et nation, et langue ?

On peut quelquefois prévoir les grands événements par la pénétration et le jugement aidés de l’expérience ; mais pour prédire qu’une pierre sans main brisera la statue qui représente les quatre monarchies, ou qu’une très petite cause produira les effets les plus prodigieux et les plus surprenants qui furent jamais, c’est ce qu’il n’est pas facile de conjecturer.

Daniel, qui avait été élevé à la cour des plus grands rois du monde, pouvait avoir l’esprit rempli des idées de leur gloire et de leur magnificence : mais d’où est-ce que Daniel a emprunté les idées d’un royaume céleste, spirituel, éternel et si différent par conséquent de ceux qui étaient devant ses yeux ? et pourquoi dans un temps où il ne respire avec tous les Juifs que la terre de Canaan, et sa délivrance temporelle, ne parle-t-il que d’expiation de péché, de peuple de saints, etc ?

Il pouvait se flatter de la pensée qu’il viendrait un libérateur qui délivrerait les Juifs de la tyrannie des nations : c’était jusqu’où ses lumières naturelles, aidées de ses désirs, pouvaient le conduire. Mais prédire la mort de ce libérateur, et déclarer si précisément qu’il ne souffrirait pourtant point la mort pour soi, est une circonstance surprenante, et qui doit nous ouvrir les yeux, pour voir que Daniel ne parle point comme un homme ordinaire.

Cet homme pouvait prévoir, par les seules lumières du sens commun, que Jérusalem serait une autre fois rasée et affligée ; mais qui lui avait dit qu’elle le serait par des ailes abominables, qui est l’expression dont il se sert pour représenter les armées romaines, comme si elles étaient devant ses yeux ? Comment prévoyait-il que cette désolation qui suivrait le retranchement du Christ serait extrême, qu’elle irait jusqu’à la consomption, etc ?Et comment a-t-il vu qu’on établirait l’abomination au lieu saint ? Circonstances que l’esprit humain ne pouvait prévoir, et que la sagesse divine n’aurait point pris le soin d’accomplir par complaisance pour un imposteur.

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