Traité de la vérité de la religion chrétienne

3. Que les apôtres n’ont point écrit des choses fabuleuses.

Pour comprendre distinctement que les auteurs dont nous parlons ne nous imposent point dans leurs écrits, il est bon de considérer ces écrits en particulier les uns après les autres. Cette Écriture a trois parties principales, qui sont les quatre Évangiles, le livre des Actes, et les épîtres des apôtres.

Saint Matthieu a écrit le premier, et son Évangile est cité par Clément, évêque de Rome, disciple et contemporain des apôtres ; Barnabas le cite dans son épître ; Ignace et Polycarpe qui vivaient du temps de saint Jean ; Justin et Irénée, qui vécurent peu de temps après ; Athénagore, Tertullien, et tous les autres docteurs qui les ont suivis, le reçoivent unanimement.

Nous n’avons pas seulement l’Évangile selon saint Matthieu, sur lequel il serait assez difficile de concevoir des soupçons raisonnables ; l’Évangile selon saint Marc fut composé ensuite, pour donner une seconde aide à notre foi. Les mêmes Pères qui rendent témoignage à l’un, en rendent à l’autre : Papias, Clément Alexandrin, Justin, en font mention ; saint Irénée rapporte que Marc, disciple de saint Pierre, le composa des choses qu’il avait ouï dire à ce dernier.

Saint Luc, qui s’attacha à saint Paul dans tous ses voyages, écrivit un troisième Évangile que les anciens reçoivent aussi.

Enfin saint Jean, le dernier des apôtres, en composa un quatrième sur la fin de ses jours, comme nous l’apprenons des premiers docteurs de l’Église. Cet apôtre déclare sur la fin qu’il en est l’auteur : C’est ici le disciple qui a rendu témoignage de ces choses, et qui a vu ces choses.

Il est d’abord remarquable que les quatre évangélistes qui conviennent dans la simplicité avec laquelle ils écrivent, sont pourtant d’un caractère différent. Saint Jean s’exprime d’une manière qui paraît assez simple, si on la compare avec celle de saint Luc, qui, étant médecin, devait avoir le style un peu plus élevé que saint Jean, qui était originairement un pêcheur ; ce qui nous ôte d’abord le soupçon que nous pourrions concevoir, que tous ces Évangiles aient été composés par un même auteur.

Nous remarquons, en second lieu, que, bien que ces écrivains conviennent dans l’essentiel des choses qu’ils rapportent, il y a entre eux quelque petite diversité qui nous montre sensiblement que ces écrivains n’ont pas composé leurs Évangiles de concert ; la Providence l’ayant ainsi permis pour assurer notre foi.

L’incrédulité pourtant ne s’arrête pas là ; elle concevra que les disciples de Jésus s’étant assemblés à Jérusalem après la mort de leur maître, ils prirent des mesures pour faire accroire aux hommes certains faits fabuleux, qu’ils marquèrent avec beaucoup d’exactitude et de précision, de peur de se couper dans le témoignage qu’ils en rendraient, et que comme ils eurent ensuite fondé plusieurs Églises par leur prédication, quelques-uns d’eux eurent le soin de rédiger par écrit ces mêmes faits qu’ils avaient prêchés partout, après les avoir inventés. Je pense que c’est là ce qu’on peut imaginer de plus spécieux sur ce sujet.

Il suffirait peut-être de se ressouvenir, pour réfuter cette imagination, qu’il est absurde de penser que des pêcheurs simples et grossiers, abattus par la mort de leur maître, désabusés de l’opinion qu’il fût leur Messie, si timides qu’ils s’étaient enfuis lorsqu’on l’avait pris pour le crucifier, s’avisent de concevoir le dessein de tromper les autres, lorsqu’ils se trouvent eux-mêmes si misérablement trompés ; qu’ils osent inventer un fait qui doit attacher un opprobre éternel à leur nation, et qui fera regarder les Juifs comme des meurtriers exécrables ; que tous les disciples conspirent dans ce dessein ; qu’aucun n’avoue la vérité ; que la distance des lieux, la rigueur des supplices, la force de la vérité, les mouvements de la conscience, les appas du monde qu’ils perdent par leur profession, ne soient pas capables de rompre ce concert de mensonge et d’imposture ; qu’ils souffrent avec joie pour confirmer des fables ; qu’à la constance ils ajoutent les bonnes mœurs ; que des imposteurs ne prêchent que la vertu, la tempérance, la charité, l’amour de Dieu, l’humilité ; qu’ils nous ordonnent d’aimer nos ennemis, et de bénir, pour l’amour de Dieu, ceux qui nous maudissent ; que le mensonge, enfin, soit pour la première fois à l’épreuve des tourments, la simplicité de quelques hommes grossiers, susceptible de cette ambition délicate, qui consiste à vouloir s’immortaliser par les tourments et par la mort ; et la malice de quelques imposteurs capables de faire régner la charité, d’établir dans l’univers toutes les vertus, de détruire l’idolâtrie païenne, en faisant adorer partout le vrai Dieu, et d’accomplir tous les oracles qui regardent la vocation des gentils.

Cette considération devient beaucoup plus forte et plus considérable lorsque l’on considère la conduite des apôtres par opposition à celle des hérétiques qui troublèrent l’Église presque dans sa naissance. Combien d’orgueil, d’intérêt et d’ambition voit-on d’abord paraître en eux ! Ils ne pensent qu’à faire des sectes. Chacun s’érige en chef de parti. Simon se disait la grande vertu de Dieu, et il appelait son Hélène le Saint-Esprit. Ménander vint après lui, qui prétendait être une vertu envoyée du ciel pour le salut des hommes. Basilides se vantait d’annoncer des choses plus hautes et plus admirables que ces deux premiers. Et l’on doit mettre dans ce même rang Cérinthus, Carpocrate, Marcion, etc., qui ont tous enchéri les uns sur les autres, dans la vue de s’élever eux-mêmes ; sans parler maintenant de ce qu’ils feignaient que ceux qui étaient parvenus à un certain degré de connaissance, qui était, selon eux, un état de perfection, pouvaient vivre comme il leur plaisait, et s’abandonner à toutes sortes de passions. Voilà quel est le caractère des imposteurs.

Si les disciples de Jésus-Christ ont inventé les choses qu’ils ont écrites après les avoir prêchées, ils ont dû regarder la religion comme une fable. D’où vient donc qu’on les voit si différents de ces hérétiques dont nous venons de parler ? Pourquoi, au lieu d’inventer des doctrines favorables à leurs passions, comme les gnostiques, prêchent-ils une morale qui tend à mortifier toutes les mauvaises passions ? Que ne s’érigent-ils en chefs de parti ? Pourquoi chacun ne se fait-il pas honneur à lui-même ? Pourquoi conspirent-ils à élever un autre, étant si unanimes, qu’ils ne se contredisent point ; si humbles, qu’aucun ne prétend être le maître et le chef ; si désintéressés, qu’aucune des passions humaines ne paraît avoir de part à leur conduite ?

D’ailleurs, il est remarquable que ces anciens hérétiques dont nous venons de parler, inventaient bien des points de doctrine à l’envi les uns des autres. Ils imaginaient des Éonsa invisibles ; ils raisonnaient sur le principe du monde ; ils donnaient des idées extrêmement bizarres de Jésus-Christ et du Saint-Esprit ; ils établissaient une subordination de vertus célestes ; et comme c’étaient là des dogmes qui dépendaient de la spéculation, et non pas de l’expérience, il leur était aisé de s’en servir pour séduire les simples.

a – Idée, puissance spirituelle ; vient du grec αιών.

Les disciples de Jésus-Christ, au contraire, confirment ce qu’ils disent, non par des Éons et par des spéculations abstraites et impénétrables, comme ces imposteurs, mais par des faits dont la connaissance dépend des sens ; et les sens des personnes les plus simples sont, comme chacun sait, aussi éclairés que les sens des personnes les plus habiles ; ce qui marque qu’ils n’avaient aucun dessein de tromper les hommes.

Mais ce n’est pas assez que de faire voir que les disciples de Jésus ne sont pas d’un caractère à inventer les choses qui font le sujet de leur prédication ; allons plus loin, et montrons qu’il est absolument impossible que les disciples de Jésus-Christ aient inventé ces choses.

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