Traité de la vérité de la religion chrétienne

4. Troisième centre de vérité. Considération particulière de l’ascension de Jésus-Christ.

L’ascension de Jésus-Christ est un troisième centre de vérité que nous devons avoir continuellement devant les yeux pour considérer les preuves qui y sont renfermées de la vérité de la résurrection de Jésus-Christ notre Sauveur.

Cette ascension fut précédée par diverses apparitions de Jésus-Christ, et suivie d’une effusion extraordinaire des dons miraculeux qui se rendit sensible à tous les habitants de la ville de Jérusalem. Ainsi elle est, pour ainsi dire, environnée de lumière de tous les côtés.

Au reste, l’ascension de Jésus-Christ semble se prouver elle-même, et par ses propres caractères. Il est inouï que plusieurs personnes conspirent à rendre un pareil témoignage à une imposture aussi signalée que le serait celle-ci, si l’ascension de Jésus-Christ n’était pas un événement véritable. Mais considérons-en bien toutes les circonstances.

Comme la résurrection de Jésus-Christ justifie les merveilles de sa mort, aussi l’ascension de Jésus-Christ justifie-t-elle les merveilles de sa résurrection. Si l’on avait conçu le soupçon que les yeux des disciples avaient été éblouis tout d’un coup, et qu’ils aient cru voir ce qu’ils ne virent point en effet, ils ont eu le temps et les moyens de revenir de cet éblouissement ; car voici le quarantième jour depuis que Jésus-Christ est ressuscité. Si c’est un fantôme qui leur est apparu, ils ont eu le temps de se reconnaître, et de remarquer que ce fantôme n’était pas leur Maître. Ils l’ont vu ; ils l’ont entendu ; ils l’ont manié ; ils ont mangé et bu avec lui. Si c’était l’obscurité d’une nuit épaisse qui leur eût présenté quelque ressemblance de leur Maître, au lieu d’offrir à leurs regards leur Maître même, on aurait peu de peine à sortir d’erreur. Mais c’est en plein jour qu’ils ont vu la pierre du sépulcre roulée ; c’est en plein jour qu’il s’est tant de fois manifesté, et qu’il les a si souvent entretenus ; et c’est en plein jour qu’il veut monter au ciel à leurs yeux.

Si c’était la violence de leurs désirs, ou de leurs craintes, ou de leur affection, qui eût troublé leurs sens, on s’en étonnerait moins, quoique en ce cas même la chose paraîtrait incompréhensible, étant humainement impossible que les sens d’une multitude de personnes soient liés et troublés de la sorte tout à la fois ; mais ils ont eu le loisir de revenir de leur émotion ; et ils sont tranquilles et de sang-froid lorsque Jésus les prend pour témoins de sa glorieuse ascension. Enfin, s’il s’agissait d’une apparition muette et secrète, on pourrait douter davantage ; mais Jésus-Christ apparaît à ses disciples pour leur parler. Il leur donne des préceptes ; car il leur défend de s’éloigner de la ville de Jérusalem jusqu’à ce qu’ils aient reçu la vertu du Saint-Esprit. Il leur fait des promesses, et même des promesses très surprenantes, et qui sont plutôt les promesses d’un Dieu que les promesses d’un homme ; car il leur promet qu’il demeurera avec eux jusqu’à la consommation des siècles. Il institue des sacrements ; car il leur ordonne de baptiser toutes les nations au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Ce n’est pas tout. Il a des entretiens longs et suivis avec eux. Il leur parle, et ils lui répondent. Ils étaient incrédules, et il les convainc de la vérité de sa résurrection, malgré leurs doutes et leur incrédulité. Il leur fait des reproches à cet égard, ou du moins ils le disent et le rapportent ainsi. Les évangélistes rapportent ce que Jésus-Christ dit à Thomas, ce que Thomas répond à Jésus-Christ, et l’un et l’autre est assez surprenant pour n’être pas sitôt oublié. Thomas, frappé par la merveille de sa résurrection, lui donne le premier un nom que Jésus-Christ n’avait pas accoutumé de porter dans l’état de son abaissement, lui disant : Mon Seigneur et mon Dieu.

Les disciples lui demandent si ce sera en ce temps-là qu’il rétablira le royaume à Israël, et il leur répond que ce n’est point à eux à connaître les temps et les saisons que le Maître a mis en sa propre puissance. Enfin, les évangélistes ne nous font pas moins l’histoire de Jésus-Christ ressuscité, que celle de Jésus-Christ vivant, et conversant avant sa mort parmi les Juifs ; et nous soutenons que nous n’avons pas moins de raison de croire l’un que l’autre. Car enfin, pourquoi croyons-nous qu’il y a eu un Jésus-Christ ? Nous le croyons parce qu’il est humainement et moralement impossible que tant de personnes nous disent l’avoir vu, l’avoir entretenu, avoir mangé et bu avec lui, lui avoir vu même souffrir la mort à Jérusalem, sans que cela soit véritable. Mais cette même raison ne doit-elle pas aussi nous persuader que Jésus-Christ a vécu et conversé pendant quarante jours avec ses disciples, puisque tant de personnes l’ont vu, l’ont entretenu, ont mangé et bu avec lui, l’ont vu présent au milieu de leur assemblée, l’ont touché, l’ont manié ?

Mais, dira quelqu’un, si cela est de la sorte, pourquoi y avait-il en ce temps-là même tant de personnes qui ne voulaient point croire l’ascension de Jésus-Christ ? La raison n’est pas bien difficile à trouver ; c’est que la vérité de l’ascension de Jésus-Christ une fois avérée, les obligeait à souffrir la mort et à courir au martyre, et que les hommes étaient mondains en ce temps-là comme en celui-ci.

Mais enfin, il paraît, ce me semble, fort clairement jusqu’ici, que les disciples de Jésus-Christ n’ont pu se tromper eux-mêmes, ni souffrir aucune illusion sur la vérité du fait qu’ils attestent. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, qu’ils se trompent sur le sujet des miracles de Jésus-Christ qu’ils rapportent, puisqu’ils en marquent les circonstances, qu’ils citent les noms, les lieux, les personnes, et qu’ils prétendent avoir été envoyés eux-mêmes dans les divers quartiers de la Judée de la part de leur Maître, pour faire ces miracles qu’ils attestent. Mais quand ils se tromperaient à l’égard des miracles de Jésus-Christ, il ne se peut qu’ils se trompent à l’égard de sa résurrection. Car ils savent ce que c’est qu’un corps mort et un homme vivant, et la différence qui est entre l’un et l’autre, et ce sont là des choses qui ne sont point susceptibles d’illusion. Mais quand on pourrait supposer que les disciples se seraient trompés sur le sujet de la résurrection du Seigneur Jésus, il ne se peut qu’ils l’aient été sur le sujet de cette dernière merveille ; il ne se peut qu’après avoir vu un fantôme, ils conversent avec lui pendant quarante jours ; que ce fantôme se fasse manier, qu’il leur donne des préceptes, leur fasse des promesses, et qu’ensuite il soit enlevé dans le ciel, eux le voyant, le regardant, l’adorant comme il monte au ciel, et entendant le langage des anges qui leur promettent qu’il reviendra de la même manière qu’ils l’ont vu s’en allant au ciel.

Il ne servirait de rien ici de dire avec Spinosa, que les évangélistes n’ont pas exprimé toutes les circonstances des événements qu’ils rapportent, et que, s’ils l’avaient fait, nous trouverions peut-être que les circonstances qu’ils ont trouvé bon de taire, nous feraient comprendre que les autres n’ont rien que de naturel. Car, je vous prie, qu’y a-t-il de plus expressément énoncé et de plus répété dans l’Évangile, que la résurrection et l’ascension de Jésus-Christ dans le ciel ? Et quel moyen de s’imaginer qu’il soit naturel, et selon le cours réglé des causes secondes, de voir un homme qui a été crucifié et mis dans un tombeau, avec des gardes pour le garder, se relever de ce tombeau, apparaître vivant à des hommes qui le touchent et le manient, et puis monter dans le ciel à leurs yeux ?

Cette ascension de Jésus-Christ ne laisse plus aucun lieu de douter que tout ceci ne soit purement divin et surnaturel. Sans cela, l’incrédulité aurait pu s’imaginer (comme elle conçoit des doutes à l’infini) que le corps de Jésus-Christ aurait pu être descendu de la croix avant qu’il eût achevé d’expirer ; que Joseph d’Arimathée, son disciple secret, aurait pu le penser, le faire revenir à force de remèdes, supposer un autre corps mort qu’il aurait enterré en sa place, et qu’ensuite Jésus-Christ se serait montré en secret à ses disciples, ne voulant plus paraître en public, de peur de retomber entre les mains des Juifs, et de souffrir une mort effective après avoir souffert une mort imaginaire.

Cette fiction est absurde et incroyable pour plusieurs raisons. Premièrement, les évangélistes rapportent que Jésus-Christ eut le côté percé par la lance d’un soldat ; ce qui seul suffisait pour lui donner la mort. En second lieu, il n’y a aucune apparence que le grand conseil des Juifs, qui l’avait condamné, souffrit qu’on emportât son corps jusqu’à ce qu’il eût expiré, vu surtout qu’il a la précaution de mettre des gardes à son tombeau. Et enfin, il ne se peut qu’un homme qui a été pendu à une croix pendant plusieurs heures, en puisse encore réchapper, et se montrer sain et sauf à ses disciples.

Mais voici qui dissipe tous ces doutes : c’est que Jésus-Christ n’est pas seulement ressuscité, mais il est monté au ciel à la vue de ses disciples ; et c’est ici un fait sensible, sur lequel ils n’ont pu souffrir d’illusion.

Ainsi on peut dire que la preuve de la vérité de la religion chrétienne roule sur cet examen important, savoir si les disciples sont des infidèles qui nous trompent et nous fassent un faux rapport ; et si nous établissons clairement que cela n’est pas, nous prouvons démonstrativement et invinciblement la vérité de notre foi.

Attachons-nous donc à l’examen de ce fait, le plus essentiel et le plus important qui fût jamais, et voyons s’il est possible que nous ayons été trompés par des gens qui ne se trompaient point eux-mêmes.

Pour pouvoir supposer que les disciples de Jésus-Christ nous ont trompés par un faux rapport, il faut nécessairement trois choses : 1° que leur imposture soit possible ; 2° qu’elle soit bonne à quelque chose ; 3° qu’elle soit humaine. Or il est certain que celle dont il s’agirait ici n’aurait aucune de ces trois qualités. Elle n’est pas possible, parce qu’elle devrait être concertée entre plusieurs personnes, qui toutes savent la vérité du fait. Elle n’est pas utile : l’imagination humaine ne peut trouver à quel dessein ils inventeraient une telle fausseté. Elle n’est point humaine, parce que depuis la naissance du monde on n’a jamais vu d’hommes qui inventassent des mensonges pour avoir le plaisir de se faire pendre, fouetter, brûler, et pour monter sur l’échafaud.

A l’égard du premier, je veux que Pierre et quelques autres disciples aient enlevé le corps de Jésus-Christ hors de son tombeau, en trompant la vigilance des gardes, en profitant de leur sommeil, ou en les corrompant à force d’argent ; je veux qu’ils aient ensuite persuadé à la multitude des disciples, trop crédule et trop avide de nouveautés, que Jésus-Christ était véritablement apparu, et qu’il était ressuscité ; je veux que là-dessus plusieurs autres disciples aient cru avoir des révélations, ou se soient imaginé le voir en plusieurs rencontres différentes ; je demande comment ils peuvent demeurer d’accord de la vérité de son ascension ? Par quel charme Pierre et les autres apôtres leur auront-ils fait voir ce qu’ils ne voyaient point, et entendre un homme qu’ils n’entendaient point en effet ? Par quelle machine auront-ils fait descendre les nuées ? Par quel enchantement feront-ils venir deux hommes en vêtements blancs, qui leur disent : Hommes galiléens, que regardez-vous ? Ce Jésus-Christ que vous voyez monter, vous le verrez pareillement descendre. Par quelle vertu secrète auront-ils gravé dans la mémoire des disciples les paroles que Jésus-Christ leur adressa après sa résurrection, les reproches qu’il leur fait de leur incrédulité, la promesse de leur envoyer le Saint-Esprit, la défense de s’éloigner de la ville de Jérusalem, et l’ordre de baptiser toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, si toutes ces choses n’étaient que des jeux de leur imagination ?

Certainement, quand saint Pierre, ou quelque autre disciple de Jésus-Christ, aurait formé un plan de cette imposture signalée, et qu’il eût mis par écrit les articles qu’il fallait faire accroire aux hommes contre la vérité, jamais il n’aurait osé les proposer à des hommes préoccupés de la pensée que le mensonge était un grand crime, et la sincérité une grande vertu. Il est impossible même qu’il lui soit venu dans la pensée de bâtir une si signalée fourberie sur un aussi triste événement que la mort de Jésus-Christ. On ne voit point que le désir et la pensée en aient pu naître dans son esprit ; mais quand il aurait été tenté, pour se venger des scribes et des pharisiens, d’inventer ce mensonge, il ne se peut qu’il soit assez abandonné du sens commun pour s’imaginer ou que les autres voudront consentir à cette imposture, ou qu’ils seront d’humeur à la soutenir, quoi qu’il leur en coûte, par complaisance pour lui.

Le genre humain est ainsi fait, qu’il ne consent jamais au faux, à moins qu’il ne soit enveloppé de quelque apparence de vérité. De sorte que quand une chose est d’une fausseté qui frappe tout le monde, il ne nous vient point dans la pensée de vouloir la faire accroire, comme je ne m’aviserai point de vouloir faire accroire que j’ai des ailes, que je vole, etc.

On peut répéter ici ce qu’on a dit sur le sujet de la résurrection de Jésus-Christ : ou les disciples avant la mort de Jésus-Christ l’ont regardé comme le Messie, ou ils ne le regardaient point comme le Messie. S’ils regardaient Jésus-Christ comme le Messie, ils ont donc cru à ses paroles, ils ont donc pensé qu’il ressusciterait véritablement ; et s’ils ont espéré qu’il ressusciterait véritablement, ils ont cru qu’il sortirait de son tombeau, et n’ont eu que faire de l’enlever. Que s’ils ne l’ont point regardé comme le Messie pendant sa vie, il s’ensuit qu’ils ont été des séducteurs et des imposteurs, même avant que Jésus-Christ mourût. Or, comment est-il concevable que des séducteurs ne soient étonnés par le supplice de leur Maître, que leur effronterie ne soit réprimée par un si terrible exemple de la justice qu’on leur prépare ? Mais surtout, comment ces disciples scélérats et perfides osent-ils aller proposer à ces autres disciples qui sont de bonne foi, de témoigner qu’ils ont vu Jésus-Christ montant au ciel ?

En effet, je ne vois pas que l’on puisse dire que quelqu’une de ces trois choses, ou qu’ils sont tous des gens de bonne foi, ou qu’ils sont tous des fourbes, ou que les uns sont de bonne foi, et que les autres sont des fourbes. S’ils sont tous des gens de bonne foi, comme certainement leurs mœurs, leur langage, leur conduite, et mille autres caractères le donnent manifestement à connaître, il est impossible que ce concert d’imposture se soit jamais formé entre eux. S’ils sont tous fourbes et scélérats, il faut que pour la première fois il se forme une société de fourbes et de scélérats qui ne paraissent avoir d’autre dessein que celui de sanctifier les hommes. Mais quel esprit renversé, quelle raison déréglée peut supposer que tant de personnes simples et débonnaires deviennent des perfides et des scélérats, sans autre dessein que celui de se perdre ? Si les uns sont perfides, et les autres de bonne foi, et que ceux-ci soient trompés par ceux-là, comme c’est apparemment tout ce que l’incrédulité peut penser sur ce sujet, je dis encore que ce concert d’imposture n’aura jamais pu se former. Car que Pierre soit si habile qu’il vous plaira, comment persuadera-t-il à un si grand nombre de personnes qu’elles ont vu ce qu’elles n’ont point vu ; qu’elles ont touché ce qu’elles n’ont point touché en effet ; que Jésus-Christ, après leur avoir donné des préceptes et des instructions qui sont gravées dans leur mémoire, est monté dans le ciel à leurs yeux ? Je veux qu’il leur persuade sa résurrection, comment leur persuadera-t-il la vérité de son ascension ?

Si saint Pierre en fait seulement la proposition à ceux qu’il veut tromper, il est impossible que par là même ils ne s’aperçoivent de ses impostures. Ni il n’osera leur proposer de concerter ce mensonge, ni, quand il l’oserait, il ne trouverait personne qui voulût le seconder dans un dessein si insensé, ou appuyer son extravagance, et moins encore s’exposer à mille supplices pour la soutenir.

J’ai remarqué, en second lieu, que cette imposture ne serait d’aucune utilité. Il suffit qu’il soit impossible de la soutenir, afin qu’on voie bien d’abord qu’il est entièrement inutile de l’avancer. Il arrive, dans tous les temps et dans tous les lieux, qu’on serait bien aise de faire accroire certains mensonges qui seraient utiles s’ils étaient possibles ; mais parce que cela ne se peut faire sans un concert de mensonge et d’imposture, qui est tout à fait impossible, cela fait qu’on n’a pas même sérieusement de cette sorte de pensée.

Il serait bon pour ces princes qui désirent avec tant de passion d’attirer le respect et la vénération de leurs peuples, et qui, pour cette raison, ne sortent que rarement en public et ne se font presque jamais voir à leurs sujets, il serait bon, dis-je, qu’ils pussent persuader au peuple qu’ils sont descendus du ciel ; mais comme ils jugent ce dessein impossible, ils estiment aussi qu’il est tout à fait inutile de l’entreprendre.

D’ailleurs, je dis que ce dessein de faire accroire l’ascension de Jésus-Christ, contre la vérité et contre les sentiments de sa conscience, aurait été inutile, parce qu’on ne voit pas que les disciples aient pu se proposer quelque but raisonnable en soutenant une si incroyable fiction.

On ne peut pas dire seulement que cette imposture est inutile ; il faut encore ajouter qu’elle n’est pas humaine. Il ne peut tomber dans l’esprit d’un homme, bien loin de tomber dans l’esprit de tant d’hommes différents, qu’on puisse jamais persuader aux autres un mensonge qui serait si effronté, ni qu’on ose entreprendre de le faire accroire, ni qu’on doive réussir dans cet étrange dessein, ni que les autres veuillent conspirer avec nous dans ce dessein perfide, ni qu’on puisse soutenir la rigueur des tourments et des plus cruelles et plus rigoureuses épreuves, ni que ce concert de mensonge doive être cru et reçu de tout l’univers ; moins encore que l’on doive se sanctifier pour l’amour d’un imposteur, et que par une trahison signalée on doive établir la vertu et la sainteté dans toutes les parties de l’univers.

Mais j’ajoute encore qu’en un autre sens cette imposture n’est point humaine ; c’est qu’il est impossible de trouver un homme assez ennemi de soi-même pour vouloir perdre repos, liberté, parents, amis, connaissances, pour défendre un mensonge qui ne peut avoir que des suites si tristes. La nature n’est pas insensible à la douleur : elle souffre, elle pleure, elle gémit ; elle ne s’accoutume point au mépris ni à l’infamie ; rien ne l’inquiète et ne la soulève davantage que les mortifications et les disgrâces. Comment se voit-il ici un si grand nombre de personnes qui tout d’un coup renoncent à ces sentiments inviolables de la nature pour soutenir qu’ils ont vu ce qu’ils n’ont point vu en effet ? C’est une considération qui ne peut jamais être trop répétée.

Elle n’est pas humaine, enfin, parce qu’il n’est point naturel ni possible de soutenir le mensonge avec cette fermeté. Un imposteur qui se croit imposteur, et à qui la conscience reproche qu’il trahit continuellement ses sentiments, ne va pas bien loin ; le remords le prend, sa conscience se réveille ; il tremble, il s’ouvre au moindre danger qui se présente ; il est sur le point de tout confesser aussitôt qu’il se voit devant ses maîtres, et qu’il craint le bras séculier ; et il ne manque jamais de se trahir, ou en confessant tout, ou en soutenant ce qu’il a avancé d’une manière si faible et si timide, qu’il ne tardera guère, s’il est pressé, à découvrir toute la vérité. Les hommes sont faits ordinairement de la sorte. Un homme, un seul homme qui ne serait point dans cet état serait un prodige ; combien plus une multitude d’hommes ! Le moyen de penser que tant de personnes renoncent tout d’un coup à l’humanité et qu’elles soient faites autrement que les autres hommes ne l’ont été depuis la naissance du monde ? Non, cela n’est point concevable ; et entre les vérités les plus évidentes, celle-ci doit sans doute tenir le premier rang. Mais poussons plus loin encore la conviction, en suivant les vues que la sagesse de Dieu nous donne sur ce sujet.

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