Olympia Morata, un épisode de la Renaissance et de la Réforme en Italie

Conclusion

Jugements divers portés sur Olympia. Publication de ses écrits par Curione, avec quelques détails bibliographiques. Enseignements de sa vie. Education inspirée par le génie de la Renaissance. Empire universel exercé par les souvenirs de l’antiquité. Réaction de la Réforme. Emancipation des langues vulgaires en France, en Allemagne et en Italie. A quelle école appartient Olympia Morata ? Instruction des femmes au seizième siècle.

Notre rôle de biographe est terminé : nous avons fidèlement recomposé, dans ses moindres détails, la vie d’une jeune femme dont le nom appartient aux annales littéraires de l’Italie, et dont la destinée unie d’abord à celle d’une princesse française, en est bientôt détachée par la rigueur des temps, et projette son dernier éclat dans l’exil. Nous n’avons pas séparé, dans cette étude, l’histoire d’Olympia de celle de ses écrits, et nous avons essayé de les éclairer l’une par l’autre, à la lumière de ce rapprochement. Toutefois, la forme narrative que nous avons suivie, laissait trop peu de place aux appréciations exclusivement littéraires, réservées ainsi pour les dernières pages qui doivent servir de conclusion à ce modeste essai. Il nous reste à exposer les jugements portés sur cette femme si distinguée par ses plus éminents contemporains. Nous essayerons ensuite de l’apprécier après eux, et d’indiquer le rang qui lui appartient parmi les femmes illustres de l’Italie, au seizième siècle.

Les historiens de cette époque sont unanimes dans l’expression des éloges qu’ils accordent à Olympia Morata. Théodore de Bèze loue l’incomparable savoir par lequel elle s’éleva au-dessus de son sexe, et la grandeur d’âme qu’elle déploya dans les revers. Melchior Adam, recteur de l’université d’Heidelberg, la range au nombre des philosophes de l’Allemagne dont il a tracé le portrait pour la postérité. L’impartial de Thou la proclame égale aux plus nobles femmes de l’antiquité, par la sainteté de son caractère ; et il trouve dans ses écrits le gage de ce que permettaient d’espérer ses beaux talents, si la mort ne l’avait enlevée par un coup prématuré. Un dernier témoignage emprunté à ce siècle couronne dignement ceux que nous avons déjà cités ; c’est celui de Josias Simler, l’historien de Pierre Martyr : « De nos jours, dit-il, deux femmes également célèbres ont montré, l’une en Angleterre et l’autre en Italie, ce que peut le génie de leur sexe, appliqué à l’étude de l’éloquence : c’est l’honneur que se partagent entre elles Jeanne Gray et Olympia Morata. » Que pourrions-nous ajouter à cet éloge, ou plutôt à ce mélancolique rapprochement de la destinée entre deux noms, qui rappellent une même gloire et un même deuil !

L’estime des savants qui ne connaissaient Olympia que par quelques-uns de ses écrits, nous explique l’enthousiasme de ceux qui l’avaient connue elle-même, qui avaient pu apprécier, en Allemagne ou en Italie, les facultés remarquables dont elle était douée. De ce nombre était Gui du Faur, seigneur de Pibrac, l’ami d’Auguste de Thou et de Montaigne. Instruit à Padoue dans la science du droit par le célèbre Alciat, il avait visité dans sa jeunesse la cour de Ferrare alors embellie par les talents d’Olympia, et il avait conçu pour elle une si vive admiration, qu’il donna son nom à l’aînée de ses filles, en souvenir du docte commerce qu’il avait entretenu avec cette illustre étrangère. La fille du président de Pibrac devait épouser plus tard le petit-fils d’un chancelier de France, et associer ainsi le beau nom d’Olympia au grand nom de l’Hôpital !

D’autres hommages étaient encore réservés à la fille de Peregrino Morato. Sa mort fut pleurée partout, et inspira un grand nombre de poésies grecques et latines. Les sentiments qui y sont exprimés sont le témoignage le plus flatteur rendu à sa mémoire. C’est une plainte sur la rigueur du sort qui vient de trancher, en sa fleur, une destinée à laquelle de longs jours semblaient assurés ; c’est une allusion pleine de regrets au silence qui succède « aux chants mélodieux interrompus par la mort. »

Suaveque fundentem cithara melos interrumpit.

Les souvenirs de l’antiquité profane et sacrée se mêlent dans ces vers, comme dans le génie de la femme à laquelle ils sont consacrés : « Elle n’est plus, celle qui méritait de vivre aussi longtemps que la sibylle prophétique des anciens jours ; elle n’est plus. Mais elle revit dans la plus noble partie d’elle-même, et transportée au sein de l’éternelle lumière, elle goûte désormais un bonheur sans mélange ! »

L’Allemagne et l’Italie s’associèrent dans ce tribut d’affection et de respect payé à leur élève. Les docteurs de ces deux pays se disputèrent l’honneur qui devait rejaillir du nom d’Olympia sur la contrée qui l’avait vue naître, et sur celle où elle avait rendu le dernier soupir. L’un d’eux envie à l’Allemagne le privilège d’avoir été choisi pour le lieu de son exil et de sa mort : « La gloire de l’avoir élevée appartient, dit-il, à ses précepteurs de l’une et de l’autre nation. Mais la Germanie a été plus heureuse en ce qu’elle a reçu à la fois la confidence de ses dernières pensées, et le dépôt de son corps si chaste et si pur ! C’est là que, prenant son vol vers les célestes demeures, elle remit entre les mains de son Dieu l’esprit dont elle avait été animée dans la cité de Ferrare qui lui donna le jour ! » L’unique consolation des amis qui lui survécurent, fut d’élever un monument à son nom par la publication de ses écrits. Mais ce monument d’une sainte amitié devait être incomplet, comme la destinée dont il était l’image. Les ruines de Schweinfurt gardèrent le trésor qui y était enseveli, et ne le rendirent jamais aux pieuses mains chargées d’en recueillir les dernières parcelles !

La première édition des œuvres d’Olympia parut à Bâle, en 1558, par les soins de Curione, avec une préface dédiée à Isabella Manricha de Bresegna, une des plus illustres néophytes de cette congrégation religieuse de Naples, fondée par Pierre Martyr, et sitôt dispersée par les rigueurs de la persécution ! — « Noble Isabella, recevez ces pieuses reliques, non d’un corps qui n’était que poudre et qui est retourné à la poudre, mais d’une âme immortelle et d’un beau génie. Recevez-les honorablement, et déposez-les dans le lieu le plus saint de votre demeure, avec le respect que d’autres accordent à cette poussière vaine disputée aux vers du sépulcre, et présentée au culte superstitieux de la foule ! … – En vous dédiant ce livre d’une femme née sous le ciel de l’Italie, et ensevelie sur une terre étrangère, je ne fais que restituer à l’Italie son propre bien ! » Restitution sans doute imparfaite, mais parole touchante, et digne de réveiller un écho dans la patrie d’Olympia Morata !

Un fragment de cette même préface nous permet d’apprécier l’étendue des pertes que nous avons à déplorer dans les écrits d’Olympia : « Elle avait rédigé des observations critiques sur Homère, le prince des poètes, et composé, sur des sujets religieux, des poésies nombreuses, qui se distinguaient à la fois par l’élégance et la variété. Il faut y joindre des dialogues latins et grecs, imités de Cicéron et de Platon, et dont la perfection ne laissait rien à reprendre à nos modernes Zoïle : presque tout a été perdu ! … » La première édition offerte au public excita cependant un intérêt si général, qu’elle fut épuisée au bout d’un an. Curione écrivait, en 1560, à Jean Sinapi : « Les écrits d’Olympia, que nous avons publiés, ont été reçus de tous avec le même empressement, les mêmes honneurs, que ces boucliers sacrés que l’on croyait tombés du ciel, et auxquels les Romains attachaient la fortune mystérieuse de leur patrie. C’est pourquoi nous avons jugé convenable, pour la gloire de notre amie, de préparer une nouvelle édition plus complète et plus élégante de ses œuvres. » Cette seconde édition parut en 1562, avec une dédicace à Elisabeth, reine d’Angleterre, dont l’esprit familiarisé avec les lettres antiques par les leçons de Roger Ascham, devait apprécier un tel hommage. On y remarque le passage suivant :

« A quelle autre qu’à vous, très haute princesse, pourrais-je offrir les ouvrages d’une femme non moins remarquable par son savoir que par sa piété, et sous quels auspices plus éclatants pourrais-je les présenter au public ? Daignez accepter ce présent bien modeste, en comparaison du rang glorieux que vous occupez, mais auquel, du moins, votre majesté donnera un prix infini, en l’élevant jusqu’à sa propre grandeur. Ce livre vous fera connaître le merveilleux savoir d’Olympia, son zèle pour la religion, sa patience dans les épreuves, sa constance inébranlable dans les revers. Elle avait composé beaucoup d’autres écrits, qui devaient perpétuer le souvenir de sa foi et de ses talents, et qui ont péri dans le désastre de sa patrie adoptive.

Ce qui reste pourra vous donner une idée de ce qui est perdu ; à la touche, vous reconnaîtrez la main. J’ai cru devoir ajouter à ces divers essais quelques morceaux choisis, composés sur elle, de son vivant ou après sa mort, afin d’accompagner mon jugement de ceux d’autrui, et d’éviter tout reproche d’exagération, dans les éloges que j’ai accordés à ma jeune compatriote. »

L’édition de 1562, aussi rapidement épuisée que la précédente, ne devait pas être la dernière. Deux éditions nouvelles, publiées avec quelques additions, l’une, en 1570, sous les yeux de Celio Secondo Curione mourant, l’autre en 1580, et devenues très rares aujourd’hui, sont un témoignage des regrets inspirés par Olympia, et de l’estime qui s’attachait à ses écrits.

Trois siècles sont déjà presque écoulés, et le nom d’Olympia Morata, relégué dans le domaine de l’érudition, ne semble plus aujourd’hui qu’une de ces curiosités littéraires que l’ingénieux caprice de l’archéologue se plaît à exhumer parfois de la poussière du temps et de l’oubli mérité de l’histoire. Nous avons cru obéir à un sentiment plus sérieux en entreprenant un travail en apparence analogue ; et si le résultat de cette humble étude n’est pas environné de trop d’illusions, nous espérons n’avoir pas interrogé, sans profit, un nom qui réveille tant d’échos dans un siècle mémorable, et qui se lie à de grands souvenirs. Notre ambition était du moins de ressaisir, dans un passé plein de vie, quelques scènes à demi effacées, qui ne sont peut-être ni sans intérêt, ni sans enseignement.

La jeunesse d’Olympia nous offre le tableau et pour ainsi dire le modèle achevé de l’éducation dans une cour lettrée de l’Italie, à l’époque de la Renaissance. C’est le génie de l’antiquité qui en inspire toutes les leçons. On se croirait, en les écoutant, transporté sous les portiques d’Athènes et de Rome, dans ces écoles où la poésie et l’éloquence avaient de brillants interprètes. Les Muses sont la divinité de ce monde qui semble rajeuni par l’imitation ; l’Olympe en est le ciel. Mais sous le voile transparent de ces réminiscences païennes, on découvre les germes d’une transformation profonde déposés dans les esprits. Une passion sainte, celle de la vérité, s’allume dans ces âmes qui semblaient uniquement éprises de l’enthousiasme du beau. Elles saluent avec transport ces horizons nouveaux qui se révèlent à leurs regards. Luttes, sacrifices, douleurs, rien ne leur coûte pour saisir l’objet de leurs aspirations ; et ces vies commencées dans le culte paisible des lettres, s’achèvent dans les cachots, sur les bûchers, ou dans cette consomption lente de l’exil, qui ressemble à un martyre. Telle fut celle d’Olympia Morata.

Elle grandit et se forma dans ces écoles de la Renaissance, où maîtres et disciples, animés d’une égale ardeur, semblaient ne connaître qu’une seule passion, l’amour des lettres, porté au point d’être lui-même une poésiea. Olympia y puisa de bonne heure les goûts et les talents qui devinrent l’honneur de sa vie, et qui composèrent les traits distinctifs de son caractère, mélange heureux de douceur et de force, de grâce, d’héroïque ferveur et d’austérité. Si l’on dépouille son éducation du prestige d’une cour, et de l’éclat d’un talent précoce, on y reconnaîtra, dans ses premiers développements, cette instruction classique qui repose sur l’étude des chefs-d’œuvre de l’antiquité, et qui, souveraine encore dans les écoles de nos jours, doit, en s’accommodant à tous les besoins nouveaux de la pensée, conserver intactes les traditions des grandes époques littéraires de l’esprit humain. Le quinzième siècle inaugura cette révolution que le seizième devait consacrer, et qui trouva quelques-uns de ses plus laborieux promoteurs dans les rangs de la réforme. Il suffit de nommer Mélanchthon en Allemagne, Jean Sturm à Strasbourg, les Estienne à Paris, et à Genève, entre Calvin et Théodore de Bèze, le modeste auteur des Colloques, Mathurin Cordier.

a – Expression de M. Villemain. (Littérature du moyen âge, t. II, p. 339.)

L’union de la science et de la piété, voilà quel est, en effet, le premier caractère de la révolution religieuse, dont ces hommes furent, à des degrés divers, les instruments. Il en est un second, non moins digne d’être remarqué. La Réforme exerça une influence modératrice sur le mouvement qui entraînait alors toutes les intelligences dans la voie de l’imitation. Elle fut elle-même une diversion puissante à cette idolâtrie de l’antiquité profane, et l’énergique appel qu’elle adressa aux consciences, rompit en quelque sorte l’enchantement des esprits absorbés dans la contemplation des monuments de la littérature grecque et romaine. Erasme avait signalé depuis longtemps le paganisme des idées renaissant sous le paganisme du langage. La Réforme contribua peut-être à conjurer ce danger. Nourris de la science du siècle, ses docteurs apparaissent d’abord comme de simples lettrés. Mais, à mesure que leur mission se révèle plus clairement à eux, ils aspirent à devenir des tribuns. Ils veulent parler au peuple, être compris de tous. Ce besoin devient le principe d’une transformation féconde dont on peut suivre les différentes phases dans les premiers écrits de Calvin. Le commentaire sur le traité de la Clémence de Sénèque, est l’œuyre d’un savant qui oublie les hommes et son propre temps au milieu des livres ; les souffrances de ses frères persécutés lui inspirent le beau plaidoyer de l’Institution chrétienne, composé pour la première fois en latin. Mais Calvin le traduira bientôt en français sous la pression de l’opinion populaire, et il revêtira d’une forme immortelle cette dédicace à François Ier, un des plus magnifiques monuments de l’éloquence en langue vulgaire, au seizième siècle.

L’Allemagne se dégage plus lentement encore des langes de l’érudition, qui enveloppent son rude génie et qui doivent protéger sa longue enfance. Les savants de ce pays s’efforcent de reproduire et d’égaler cet élan d’activité littéraire qui se déploie de l’autre côté des Alpes. Ils veulent montrer au monde « une Germanie si lettrée, que le Latium lui-même ne sera pas plus latin qu’elle. » C’est là le rêve d’Agricola et de Camerarius ; le rôle de cette académie rhénane qui couvre de ses réseaux les cités du Palatinat et de la Franconie. La voix des anciens minnesinger n’éveille plus que de rares échos sur les rives du fleuve tant de fois célébré dans leurs chants. Le poète Conrad Celtès obtient, de l’empereur Frédéric III, une couronne de laurier d’or pour ses poésies latines. Le célèbre helléniste, Jean Reuchlin, fait représenter sur le théâtre d’Heidelberg, par les écoliers de l’Académie, des comédies latines qu’applaudit avec transport un public allemand. L’imitation des anciens est une ivresse, un vertige, avant de devenir une inspiration de plus au service de la langue nationale, dans les écrits d’un homme de génie qui saura, comme Dante, répudier le langage des temps passés, « et offrir un pain moins dur à la bouche des nouveau-nés. » Cet homme, ouvrier de l’avenir, n’est pas autre que l’hôte mystérieux du château de la Wartbourg, le traducteur de la Bible en langue vulgaire, le prédicateur familier et tout-puissant sur le peuple, Martin Luther.

Cette réaction des langages nationaux, parlant par la voix des poètes ou des orateurs, n’était pas moins nécessaire dans le pays où les fruits d’une civilisation nouvelle s’étaient produits avec le plus d’éclat. En présence des chefs-d’œuvre restaurés de l’antiquité, l’Italie oublie, durant un siècle, de parler sa propre langue. Cet idiome, dont l’auteur de la Divine comédie avait entrevu les glorieuses destinées, auquel Pétrarque avait confié l’expression des sentiments qui devaient assurer l’immortalité de son nom, semble effacé tout à coup de la mémoire des écrivains, comme une brillante et courte apparition sur le seuil d’un monde évanoui. Quelques savants, attardés dans leurs veilles laborieuses, consacrent seuls à le faire revivre presque autant d’efforts qu’il en avait fallu pour le créer. Le débat qui s’agite entre les communions, semble s’élever aussi entre les langues. On en retrouve la trace dans les Prose du cardinal Bembo, curieux dialogues entre quelques beaux esprits de la Renaissance qui donnent, à la majorité de troix voix contre une, la préférence à l’italien sur le latin. Mais le poète Hercule Strozzi, de Ferrare, proteste contre cet arrêt. Il ne fallait pas moins que l’Arioste et le Tasse, pour achever victorieusement la démonstration.

L’Italie sortit la première, par la puissance d’une imagination vive et d’un goût épuré, de cette laborieuse épreuve qui fut pour les autres peuples une initiation plus lente à la conquête de l’affranchissement littéraire. Une école de poètes et de prosateurs, née, pour ainsi dire, avec le siècle des Médicis, retrouve l’originalité dans l’imitation, et fait servir l’étude même de l’antiquité au perfectionnement de la langue nouvelle, rendue plus flexible, plus élégante et plus pure. Mais à côté de ces libres génies, dont le regard est fixé sur l’avenir, on voit se prolonger l’école de l’érudition, née du passé, qui produit trois grands poètes latins, Sannazar, Vida, Fracastor, et à laquelle se rattache, de loin, Olympia Morata.

La mémoire de cette jeune femme a subi le sort de la révolution religieuse à laquelle son existence fut mêlée. La Réforme, proscrite en Italie, l’entraîna dans sa propre disgrâce, et les lettres, qui honorèrent son nom aux yeux de ses contemporains, l’ont à peine protégée contre l’oubli de la postérité.

[Il faut cependant rendre hommage à la noble impartialité des historiens littéraires de l’Italie. L’éloge d’Olympia Morata n’est tempéré dans leur bouche que par les réserves obligées de l’orthodoxie catholique. Ecoutons d’abord le grave Tiraboschi : — « Donna veramente nata a onor del suo sesso e di tutta l’Italia, se il seguir ch’ella fece gli errori de’ protestanti, oltre il macchiarne la fama, non l’avesse renduta infelice, e coll’abreviarle i giorni non le avesse ancora vietato il far que’ maggiori progressi, che in altro tenor di vita avrebbe ella fatti. » (Tiraboschi Storia…, t. VII, part. III, p. 1202.) Un autre écrivain de la Péninsule, Francesco Quadrio, ne se montre pas moins généreux. Il accorde même à Olympia le don de la poésie en italien, en français et en allemand : Scriveva eleganti versi non pur in italiano, ma in latino, in francese e in tedesco. » (Indice universale…, Milan, 1752, t. II, p. 244.) Cette flatteuse assertion s’évanouit promptement en présence des faits ; mais l’exagération même de l’éloge nous paraît un fait curieux et digne d’être noté.]

D’autres femmes, nées dans la patrie d’Olympia, et distinguées comme elle par le savoir et l’esprit, jouirent plus paisiblement des hommages qui leur furent décernés de leur vivant, et dont le souvenir devait se perpétuer après leur mort. Au premier rang brille Cassandra Fedeleb, qui fut également instruite dans la littérature latine, dans l’art oratoire, la philosophie et la musique, et qui obtint les éloges de Politien : « Vous écrivez, lui disait-il, des lettres spirituelles, ingénieuses, élégantes, vraiment latines, remplies d’une certaine grâce enfantine et virginale, et cependant à la fois pleines de sagesse et de gravité. J’ai lu aussi votre discours, que j’ai trouvé savant, riche, harmonieux, noble, digne enfin de votre heureux génie. J’ai même appris que vous avez le talent d’improviser, qui a quelquefois manqué à de grands orateurs. On dit que, dans la dialectique, vous savez compliquer des nœuds que personne ne peut dénouer, et trouver la solution de ce qui avait été jugé et paraissait devoir être insoluble. Dans les combats philosophiques, vous savez également soutenir vos propositions et attaquer celles des autres ; enfin, dans cette belle carrière des sciences, le sexe ne nuit point en vous au courage, ni le courage à la pudeur, ni la pudeur au génie ; et tandis que tout le monde fait retentir vos louanges, vous voulez rabaisser en même temps l’opinion que le monde a conçue de vous, et vous voiler de modestie. » Nous avons cité à dessein cet éloge : Politien, transporté dans l’académie du palais des ducs d’Este, et témoin d’une de ces solennités littéraires qui charmaient la cour de Ferrare, aurait-il trouvé d’autres traits pour peindre la fille de Peregrino Morato ?

b – Née à Venise en 1465, et morte dans un age très avancé.

L’histoire de Cassandra Fedele offre d’ailleurs quelques particularités qui méritent d’être rapportées, à cause de leur analogie ou de leur contraste avec les circonstances de la vie d’Olympia. Unie, comme elle, à un médecin, Joseph Mapelli, de Vicence, elle suivit son mari dans l’île de Crète, où il était appelé comme professeur, et elle y vécut, durant plusieurs années, dans la retraite et l’étude. Elle occupait ses loisirs à explorer cette île fameuse, à visiter ses monuments en ruines, recueillant partout avec soin les souvenirs qui vivifiaient ses lectures, et qui devenaient ensuite le sujet des plus doctes entretiens. Rappelée à Venise, elle essuya un naufrage à son retour, et se vit presque réduite à la misère. La culture des lettres et les pratiques de la piété remplirent ses dernières années. Ses funérailles, célébrées par ses compatriotes avec une pompe égale à celle qui accompagnait le couronnement des doges, furent un éclatant témoignage de ce culte universel rendu à l’antiquité, jusque dans les républiques où le génie du commerce semblait régner sans partage.

Le savoir et la poésie réclament également, dans ce siècle, Vittoria Colonna, marquise de Pescairec. Elle connaissait parfaitement les lettres latines ; mais elle choisit la langue italienne, pour donner une forme plus durable aux sentiments dont l’expression devait lui survivre. Veuve d’un héros, Ferdinand-François d’Avalos, mort à la fleur de l’âge des suites de blessures qu’il avait reçues à Pavie, la poésie de Vittoria ne fut que l’hymne de son deuil, adouci par les consolations d’une foi dont elle avait peut-être appris les secrets à l’école des réformateurs proscrits dans sa patrie. Ses sonnets se font remarquer par un caractère viril qui s’unit à une mystique ferveur. « Oh ! que n’ai-je vaincu, dit-elle quelque part, avec les armes célestes, mes sens, ma raison et moi-même ! Je m’élèverais par mon esprit, loin, bien loin, au-dessus de ce monde et de l’éclat trompeur qui l’embellit. Alors ma pensée, portée sur les ailes de la foi, et soutenue par l’infaillible espérance, n’apercevrait plus cette vallée de misères. Mon regard, je l’avoue, est toujours fixé vers le but sublime où je dois tendre, mais mon vol n’est pas encore aussi direct ni aussi ferme que je le désire. Je ne vois que l’aurore et les premiers rayons du soleil, et je ne puis pénétrer jusque dans cette demeure divine, où se cache la source de la véritable lumière ! » Olympia était digne de faire entendre de pareils accents à son siècle. L’inspiration religieuse n’aurait pas fait défaut à ses chants, auxquels l’exil aurait ajouté peut-être une éloquence de plus ; rien ne lui manqua, que les années !

c – Elle naquit en 1490 et mourut en 1547.

Cassandra Fedele et Vittoria Colonna représentent, dans la renaissance des lettres en Italie, deux puissances alliées, l’érudition profane et l’enthousiasme sacré, qui unirent un instant leur double flamme sur le front d’Olympia Morata. Savante comme Fedele, pieuse comme Vittoria, elle consacra aussi sa lyre à des sujets de piété, dont l’expression ne nous est parvenue que dans quelques rares essais de traduction, et non dans les compositions originales qui nous auraient donné la vraie mesure de ses talents. On ne saurait trop regretter qu’elle ait négligé la langue vulgaire, dont elle aurait tiré des sons pleins de douceur, pour se servir uniquement du langage des anciens, dont elle reproduisit d’ailleurs les secrets avec un art remarquable. Entraînée par l’exemple de ses contemporains, elle ne se souvint pas assez de cet idiome créé par Dante, assoupli par Pétrarque, et qui devenu, après une éclipse de plus d’un siècle, la forme de la civilisation nouvelle, devait exprimer, dans toutes ses nuances, les beautés durables du génie moderne de l’Italie. Ses prédilections l’attachèrent trop exclusivement au passé qui nourrit à la fois ses heureuses facultés, et retint peut-être leur essor captif. Elle y puisa cette abondance de souvenirs antiques qui furent l’aliment de sa jeunesse, et qui se mêlèrent, plus tard, à sa foi elle-même. Sa physionomie a deux aspects comme sa destinée : c’est une vierge grecque à Ferrare ; c’est une matrone chrétienne, une Paula et une Eustochia dans l’exil. Son berceau semble placé sur les rives de la mer d’Ionie, et sa tombe dans une grotte sacrée de l’Horeb ou du Carmel. Il ne manque à sa mémoire, ni l’éclat du talent, ni le prestige du malheur, ni l’auréole d’une sainte mort.

La vie d’Olympia Morata fournit un élément de plus à la solution de ce problème moral, si souvent controversé, qui se rapporte à l’instruction des femmes. Elle nous présente, en effet, dans un équilibre harmonieux, la culture des lettres unie à la pratique des vertus modestes, et à l’accomplissement des devoirs domestiques. Elle est peut-être une réponse à quelques-unes des objections ordinaires ; une humble et discrète protestation contre la défaveur, si souvent injuste, qui s’attache aux femmes savantes. La question est toujours pendante, et l’appel comme d’abus incessamment formé devant l’opinion, a trouvé d’éloquentes voix pour interprètes. A peine oserions-nous y associer la nôtre, dans la juste mesure indiquée par un vieil auteur, dont le témoignage naïf sera au besoin, et sauf quelques réserves, la conclusion dernière de cet écrit :

« Aulcuns trouvoient estrange que ceste dame emploiast son esprit à composer livres, disant que ce n’estoit l’estat de son sexe. Mais ce légier jugement procède d’ignorance, car en parlant de telles manières, on doit distinguer des femmes, et sçavoir de quelles maisons sont venues, si elles sont riches ou pauvres. Je suis bien d’opinion que les femmes de bas estat, et qui sont contrainctes vacquer aux choses familières et domesticques, ne doibvent vacquer aux lettres, parce que c’est chose répugnante à rusticité. Mais les roynes, princesses et aultres dames qui ne se doibvent, pour la révérence de leur estat, applicquer à mesnages… et qui ont serviteurs et servantes pour ce faire, doibvent trop mieulx applicquer leurs esprits, et emploier le temps à vacquer aux bonnes et honnestes lettres, concernant choses morales qui induisent à vertus et bonnes mœurs, que à oysiveté mère de tous vices, ou à dances, convis et banquets ; mais se doibvent garder d’applicquer leurs esprits aux curieuses questions de théologie, dont le savoir appartient aux prélats, recteurs et docteurs. Et si, à ceste considération, est convenable aux femmes estre lettrées en lettres vulgaires, est encores plus requis pour un aultre bien qui en peult procéder. C’est que les enfans nourriz avec telles mères, sont voluntiers plus éloquens, mieulx parlans, plus saiges, et mieulx disans, que les nourriz avec les rustiques, parce qu’ils retiennent toujours des conditions de leurs mères ou nourrices. Cornélie, mère de Gracchus ayda fort, par son continuel usaige de bien parler, à l’éloquence de ses enfans. La fille de Lélius, qui avait retenu la paternelle éloquence, rendit ses enfans et nepveux disers… Les anciens abundoyent en femmes très doctes, entre lesquelles y eut plusieurs très bien instruites en philosophie. Et si nous voulons parler des dames chrestiennes, pensons au sçavoir de Paule et de Probe, auxquelles sainct Hiérosme a escript tant de belles épistres latines, à la science de saincte Catherine, et ne oublions le livre composé en latin par saincte Brigide, ne les prophécies de toutes les sibillesd. »

dLe panegyric du chevalier sans reproche, ou Mémoires de la Trémouille, par Jehan Bouchet, ch. 20, p. 448.

Ce dernier trait, d’une finesse légère et presque moqueuse, n’ôte rien à la sagesse des réflexions dont il est précédé, et qui trouvent, dans l’histoire même du seizième siècle, une éclatante consécration. Nous croirions devoir, seulement sur un point, excéder la réserve prudente, ou plutôt la stricte orthodoxie de notre auteur, en n’exceptant pas même les questions religieuses des sujets dont une femme peut s’occuper. Nous réclamerions pour elle, comme pour l’homme, les études et les méditations pieuses, persuadé qu’elles ne peuvent rien perdre à revêtir, dans le cœur d’une mère, des formes plus simples, plus attrayantes et plus sympathiques.

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