Aonio Paleario, étude sur la Réforme en Italie

III
1538-1542

Caractère du seizième siècle. La Réforme en Italie. Un portrait de Luther. Triumvirat évangélique à Naples : Valdez, Pierre Martyr, Ochino. Progrès de la nouvelle doctrine. Témoignage d’un religieux du Mont-Cassin. Mort de Valdez. La Réforme en Toscane. Ochino à Sienne. Ses rapports avec Paleario. Histoire d’une âme. Lettres à Paul Sadolet, à Philonardi. Une réforme sans schisme. Conférences de Ratisbonne. Contarini. Mémoire à Calvin. Concile œcuménique. Progrès du protestantisme en Italie. Paul III et le cardinal Caraffa. Institution du saint-office. Dernières prédications d’Ochino. Lettre à Vittoria Colonna. Fuite à Genève. Ère de persécutions. Témoignages de constance et de foi. Journal d’un missionnaire. Martyrs ignorés.

C’est le privilège des époques marquées par des révolutions fécondes, de susciter des hommes dignes du rôle qui leur est assigné par la Providence, et de projeter jusque sur les personnages secondaires comme un reflet de la grandeur des événements contemporains. Si ces époques sont surtout mémorables par réveil des croyances, et par l’enthousiasme de la vérité qui produit les grands sacrifices ; si dans le drame, plein d’émouvantes péripéties, qu’elles déroulent à nos yeux, la religion ressaisissant son empire, retrempe les âmes, fortifie les caractères, et imprime aux actions ce cachet d’héroïsme et d’austérité qui contraste avec les molles habitudes des siècles de scepticisme et de politesse, l’humanité s’élevant au-dessus d’elle-même, nous apparaît tour à tour dans une série de représentants qui résument toutes ses puissances. Croyances et passions, crimes et vertus, luttes, faiblesses, immolation de la vie au devoir, tout y revêt d’éclatantes couleurs, tout y prend un aspect grandiose et tragique, en harmonie avec l’esprit de la génération qui occupe la scène de l’histoire. Tel nous semble le caractère du siècle que l’on peut appeler entre tous l’âge héroïque du monde moderne, parce que malgré son intolérance, triste legs du moyen âge, il aima la vérité ; il connut les nobles douleurs inséparables du triomphe de la justice ici-bas. L’âge de la Renaissance fut aussi celui de la Réforme, et quelles que soient les taches qui le déparent, il sera beaucoup pardonné à la génération qui se trouva prête pour tous les martyres, et qui peut opposer à la sombre figure d’un Philippe II, l’âme pure d’une Jeanne Gray, la grande âme d’un L’Hôpital ou d’un Coligny !

Citer de tels noms, c’est évoquer l’histoire de la grande révolution qui détachant les États du Nord, l’Allemagne et la Suisse, de l’unité catholique, entraînant l’Angleterre dans les voies du schisme, agitant la France, transforma les principaux États de l’Europe, et n’en laissa aucun entièrement en dehors de son influence. L’Italie elle-même, si étroitement unie aux destinées de la papauté, ne demeura pas étrangère au réveil qui devait obtenir ailleurs ses fruits les plus beaux, et ses plus durables conquêtes. Cette terre des arts et de la poésie dont la Renaissance avait partout ranimé le culte, saturée de doute au milieu des splendeurs du génie catholique qui décoraient ses palais et ses temples, tressaillit à la voix de Luther tonnant contre les abus, invoquant à Worms les droits de la conscience. Les exemplaires de ses écrits que répandaient par milliers les imprimeries de Bâle, circulant de main en main, étaient lus avec avidité dans la Péninsule. « Soyez assuré, écrivait-on de Venise au chapelain de l’électeur de Saxe, George Spalatin, que le nom du docteur Martin Luther est en grande estime dans cette ville. On répète seulement partout : qu’il prenne garde au papea. » Le portrait du réformateur, peint par Lucas Kranach, et reproduit dans les gravures du temps, était exposé aux regards de la foule, et donnait lieu aux commentaires les plus enthousiastes. « Si la seule beauté digne de ce nom est celle de l’âme, quel art, ô Luther, pourrait rendre tes traits immortels, redire les accents de ta mâle éloquence ? A ta voix retentissant dans le monde chrétien, la superstition s’enfuit, et les maux qui semblaient incurables trouvent un divin remède. Courage donc, magnanime Luther, ta parole est notre salut, et tes écrits, tes discours ont déjà fait périr plus de monstres que n’en étouffa jamais la main d’Herculeb ! » Cet hommage rendu au réformateur par un peuple ingénieux, spirituel, dont il avait sondé jusqu’au fond les plaies morales, n’était que l’expression des besoins qui tourmentaient en secret bien des âmes ; et la piquante anecdote du livre de Mélanchthon répandu sous le pseudonyme de Messer Ippofilo de Terra Negra, et lu avec admiration par les membres du sacré collège, puis rejeté avec horreur comme provenant d’une plume luthérienne, peint bien l’état de l’Église, de la cour pontificale elle-même, ne se dissimulant pas la gravité du mal, la nécessité d’un remède, mais n’osant accepter une réforme véritable.

a – « Dicunt autem : Caveat sibi a pontifice. » (Seckendorf, Hist. Luth, liv. I, p. 115. Ann. 1520.)

b – Schelhorn, Amœnitates Hist. Eccl., t. II, p. 624.

Quoi qu’il en soit, les idées réformatrices trouvèrent un écho dans un grand nombre de cités de la Lombardie, où la distance de Rome, les relations plus fréquentes avec l’Allemagne et la Suisse, favorisaient l’émancipation des esprits. Dès l’an 1524, Milan recevait dans son sein des prédicateurs du culte nouveau. Venise, Padoue, Vicence, Vérone comptèrent de bonne heure des réunions où l’Évangile était lu, librement commenté. Le Vénitien Paolo Rosselli écrivait à Mélanchthon pendant les conférences d’Augsbourg : « Toute l’Italie attend avec anxiété les résultats de votre assemblée. Vous devez donc demeurer fermes et ne pas déserter l’étendard de la vérité, quoiqu’on emploie les menaces, les promesses ou les prières pour vous en détourner. Ayez égard, je vous en supplie, au salut de tant d’hommes dont les regards sont fixés sur vous, et n’abandonnez pas la cause du Christc. » Modène, patrie de Sadolet, fut initiée aux dotrines luthériennes, par Louis de Castelvetro, tandis que la cour de Ferrare voyait se développer dans son sein, sous les auspices d’une princesse illustre, belle-sœur de François Ier, une renaissance spirituelle inaugurée par Calvin lui-même. Florence, encore tout émue du souvenir de Savonarole, donna le jour au traducteur de la Bible en langue vulgaire, Antonio Bruccioli, et à Pierre Martyr dont la voix éloquente allait prêcher à Naples des croyances épurées, une réforme sans schisme. Sous ce ciel enchanteur dont le sourire n’est pas sans tristesse, car il éclaire la dégradation d’un peuple digne d’un meilleur sort, il y a place pour les superstitions de la foule, paganisme éternel qui fleurit sous le nom du Christ, et pour les aspirations de quelques âmes d’élite vers un Dieu inconnu. Mystique au Midi, rationaliste au Nord, la Réforme participa de ce double esprit en Toscane, et y fit de rapides progrès, grâces aux circonstances qui appellent spécialement notre attention.

c – Cælestini Act. Comit. Aug., t. II, p. 274. (Lettre du 30 juillet 1530.) Mac-Cree, Hist. de la Réforme en Italie, p. 104, 105.

Un des premiers missionnaires de la Réforme en Italie, fut un gentilhomme espagnol de la suite de Charles-Quint, le secrétaire du vice-roi de Naples, Jean de Valdezd. Elevé à l’université d’Alcala, chargé de plusieurs missions en Allemagne, il avait lu les écrits de Luther, ainsi que les livres de ces pieux docteurs, Tauler, Ruisbrock, Gerson, qui, dans le monde ou le cloître, rêvant une foi plus pure, avaient tracé les règles de la vie spirituelle fondée sur l’union de l’âme avec Dieu. Sous ces influences diverses se forma la piété de Valdez, mélange de foi libre puisée dans l’étude de la parole sainte et d’ascétique ferveur. Quoiqu’il eût commenté, non sans profondeur, les épîtres de saint Paul, et composé le livre des Divines considérations, dont le succès fut très grand, son apostolat s’exerça plus par ses entretiens, dont l’effet était d’autant plus puissant que la grâce de sa personne ajoutait encore à la vive impression produite par ses dis cours. Les contemporains sont unanimes dans leur admiration pour les qualités qui le rendirent, en peu de temps, l’idole de la société de Naples. Son visage pâle où se peignait la sérénité de son âme comme absorbée la contemplation du monde invisible, ses yeux noirs dont l’éclat n’était adouci que par une expression de mansuétude et de charité, l’urbanité de ses manières, le charme insinuant de sa parole, la pureté de sa vie, tout concourait à lui assurer un ascendant extraordinaire sur les esprits. Les hommes les plus distingués, les femmes les plus brillantes se pressaient autour de lui, et dans ce cercle d’élite, où jeunesse, beauté, génie, rayonnaient d’un égal éclat, il semblait accomplir une mission que lui conféraient à la fois ses talents supérieurs et un appel d’en haut.

d – « Cavaliere di Cesare, ma piu honorato e splendido cavaliere di Cristo. » Préface de Curione, en tête de la traduction italienne des Divines considérations. 1 vol. in-12, Bâle, 1560.

Au premier rang, parmi les membres de la société spirituelle et polie où brillaient Vittoria Colonna, marquise de Pescara, le poète Flaminio, le marquis de Vico, le protonotaire Carnesecchi, martyr prédestiné de la nouvelle doctrine en Italie, se faisaient remarquer deux hommes dont le nom demeure inséparablement uni aux tentatives de réforme dans la Péninsule. Originaires tous deux de la Toscane, ils apportaient au service de cette grande cause des talents éprouvés, une vertu sans tache. La diversité même de leurs dons ajoutait à la puissance de leur apostolat. Ce que l’un était pour les savants, l’autre l’était pour le peuple. Né à Florence de parents nobles et riches, et doué du caractère le plus aimable, Pierre Martyr Vermigli fit ses études en compagnie des jeunes gens les plus distingués de la république, Ricci, Capponi, Francesco Médicis, neveu de Côme, auxquels il inspira une vive affection. Les plus brillantes perspectives s’ouvraient devant lui, quand saisi tout à coup d’un de ces accès de mélancolie et de ferveur qui conduisent au cloître les âmes ardentes, il dit adieu au monde pour entrer, à l’âge de seize ans, malgré les larmes de sa mère, au monastère de Fiésole. Il y passa trois ans en qualité de novice, avant de se rendre à l’université de Padoue, où, sous la direction des maîtres les plus habiles, il étudia les monuments de l’antiquité profane et sacrée qui lui devinrent également familiers, et se forma dans l’art oratoire. Nommé prédicateur de son ordre, celui des religieux augustiniens, il s’acquitta de cette mission avec le plus grand succès, et obtint beaucoup de réputation pour la solidité de son savoir et la gravité de son éloquence. Ses services ne furent pas méconnus. A peine âgé de vingt-six ans, il fut élu abbé de Spolete, titre qu’il échangea bientôt contre celui de prieur de Saint-Pierre ad Aram, un des plus riches bénéfices de l’Italie. En possession d’une dignité qui égalait presque l’épiscopat, aimé des religieux de son ordre, estimé des plus éminents prélats, Contarini, Pole, Fregoso, dont la faveur lui aplanissait le chemin des plus hautes charges ecclésiastiques, rien ne manquait à ses vœux, quand un changement soudain dans ses croyances imprima une direction inattendue à sa destinée. Quelques écrits de Bucer, répandus sous le pseudonyme d’Arétius Felinus, tombèrent entre ses mains ; il ne put les lire sans y puiser des doutes que confirma le livre de Zwingle de Vera et falsa religione, et que ne devait pas dissiper une étude plus attentive de l’Évangile. Il lutta longtemps dans le secret de son cœur avant de se détacher de croyances révérées, et s’il ne se sépara que plus tard de l’Église dont il discernait les abus, c’est que sans doute il ne désespéra pas de voir une réforme s’opérer sans déchirements dans son sein, et de contribuer peut-être à en assurer le succès.

L’histoire d’Ochino présente, à la fois, de vifs contrastes et de singulières analogies avec celle de Martyr. Il vit le jour à Sienne en 1487. Jeune encore, la soif de gagner le ciel par une vie de renoncement et d’austérités s’empara de son âme. Il entra dans l’ordre des Franciscains qui lui semblait de tous le plus sévère, et ne tarda pas à l’abandonner pour suivre la règle plus dure des Capucins. Mais, ainsi que Luther, il était destiné à faire l’épreuve de l’inanité des pratiques monastiques pour calmer la conscience tourmentée par le sentiment du péché. Quand il avait multiplié les jeûnes et les pénitences, quand il s’était longtemps prosterné devant les plus saintes images sans obtenir une réponse à ses prières, il s’écriait douloureusement : « Seigneur, si maintenant je ne suis pas sauvé, je ne sais plus que fairee. » Ce ne fut que plus tard qu’il ressentit la joie du pardon, qu’il connut la paix, fruit d’une humble confiance dans la miséricorde céleste. Fra-Bernardino n’était déjà plus un moine obscur, voué aux pratiques d’une dévotion sans spiritualité. C’était un prédicateur puissant, dont le nom répété par tous les échos de la renommée, avait retenti dans les principales cités de la Péninsule. Depuis Savonarole, aucun orateur n’avait déployé une puissance comparable à la sienne, soit que réconciliés à sa voix les habitants de Pérouse promissent d’abjurer des haines séculaires, soit que sous les voûtes de Saint-Marc il retînt toute une cité captive sous le charme de sa parole, ou que prêchant à Naples pour une œuvre de charité, il recueillît la somme prodigieuse de cinq mille écus. Charles-Quint disait, après l’avoir entendu : « Cet homme ferait pleurer les pierres ! » et Bembo n’avait pas assez d’éloges pour cette éloquence mâle et simple qui savait exposer les plus hautes vérités dans un langage accessible aux savants comme aux ignorants, aux grands du monde comme aux petits. Tout, il est vrai, dans la personne d’Ochino, ajoutait à ce mystérieux pouvoir de la parole, le plus beau qu’il soit donné à l’homme d’exercer : sa stature imposante, sa tête blanchie avant l’âge par les fatigues de l’apostolat, sa physionomie austère, sa vie conforme à sa doctrine. On négociait pour obtenir une de ses prédications comme pour les plus graves affaires d’État, et quand, revêtu de l’humble costume de son ordre, il arrivait dans une ville, on lui prodiguait les honneurs réservés aux personnages les plus distingués. Un tel homme ne pouvait paraître à Naples sans exciter le plus vif intérêt dans tous les rangs de la population, sans être bientôt uni à Valdez et à Martyr par les liens d’une pieuse amitié.

e – « Mi ricordo che dissi a Cristo : Signore, se hora non mi salvo, non so che farmi piu. » (Lettere, manuscrit de la biblioth. de Sienne.)

Ainsi se forma de bonne heure l’évangélique triumvirat qui, selon l’expression d’un historien du temps, « ravit plus d’âmes à l’Église que n’en avaient fait périr les hordes de Bourbon. » Ce n’est pas que Valdez et ses amis attaquassent de front les doctrines catholiques ; ils s’abstenaient avec soin de toute controverse. Leurs disciples imitaient cet exemple. Tantôt réunis à la Chiaïa, sur les pentes du Pausilippe, tantôt rangés autour de la chaire de Saint-Jean-Majeur et de Saint-Pierre ad Aram, où retentissait la voix éloquente d’Ochino et de Martyr, ils se distinguaient par une mise sévère, des meurs pures, et s’attachaient à répandre un petit nombre de vérités supérieures dont l’influence devait préparer la formation d’un peuple nouveau, et la restauration du culte en esprit. La chute de l’homme, la grâce offerte en Jésus-Christ, l’œuvre du Saint-Esprit dans les cœurs, tels étaient les points particulièrement développés dans leurs discours. Leurs efforts ne furent pas inutiles : « Ce nouveau mode de prédication, dit Giannone, en excitant vivement les esprits, donna lieu à beaucoup de disputes sur l’Écriture sainte, sur la justification par la foi ou les œuvres, sur le purgatoire ; et les questions jusqu’alors réservées aux seuls théologiens, dans l’ombre des écoles, tombèrent dans le domaine public. Elles furent discutées par les laïques, et même par des hommes sans théologie et sans lettres. Que dis-je ? on voyait jusqu’aux plus humbles artisans atteints de la démangeaison de raisonner sur ces matières, commenter les épîtres de saint Paul, discourir sur les points les plus obscurs, et l’hérésie faisant tous les jours de nouveaux progrès se répandre dans le royaume de Naples, comme elle avait déjà fait dans plusieurs contrées de l’Italief. »

f – Giannone, Istoria di Napoli, t. IV, liv. xxxii, p. 60 et suivantes.

Ce passage est confirmé par le rapport des inquisiteurs au pape Paul III. « En peu d’années le poison infecta un très grand nombre de personnes, tant hommes que femmes, dans le menu peuple comme dans la noblesseg. » Les doctrines les plus chères à l’Église catholique, le jeûne, le purgatoire, les indulgences, furent ébranlées, et le salut gratuit offert par la miséricorde divine aux pécheurs devint la consolation de bien des âmes qui n’avaient recouru jusqu’alors qu’aux mérites des saints. La mort de Valdez, en 1540, n’arrêta pas le mouvement dont il n’avait peut-être pas prévu toute l’étendue. Le souvenir du Maître, gravé dans le cœur de ses disciples, se confondait pour ainsi dire avec l’image des lieux où il avait vécu : « Florence est toute belle, écrivait Bonfadio ; mais l’aménité du ciel de Naples, ce site enchanteur, ces rivages, siège d’un éternel printemps, où la nature déploie amoureusement sa pompe et sourit dans sa majesté, ne donnent-ils pas l’idée de la suprême beauté ? Plût à Dieu que nous pussions nous y trouver réunis comme autrefois, quoique, à vrai dire, je n’ose former un tel souhait depuis que Valdez est mort ! C’est une grande perte pour nous et pour le monde entier, car Valdez était un des personnages les plus remarquables de l’Europe, comme l’attestent les écrits qu’il a laissés. Dans ses actes comme dans ses paroles, et dans toutes ses pensées, il était sans nul doute un homme accompli. Avec une parcelle de son âme il soutenait son corps débile et amaigri par la souffrance. Mais la plus noble partie de lui-même, sa belle intelligence, détachée par anticipation des liens terrestres, était absorbée dans la contemplation de la vérité. Je joins mes larmes à celles de Flaminio que Valdez aimait, admirait par-dessus tous les autres. » Ce bel éloge ne semble pas suffisamment justifié par la lecture des écrits de Valdez. Théologien mystique, il n’a ni la douceur de Gerson ni la flamme de sainte Thérèse. Son influence ne s’explique que par un de ces dons supérieurs, dont l’effet irrésistible sur les contemporains demeure un secret pour la postérité.

g – Caracciolo, Vita di Paolo IV. (Manuscrit du British Museum.)

Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Valdez ne périt point avec lui. Propagée par Ochino et Martyr, elle continua ses progrès dans le midi de l’Italie. Nous en retrouvons la trace jusque dans les effusions d’un religieux du Mont-Cassin, Baptista Folengi : « De nos jours, s’écrie-t-il, spectacle véritablement admirable ! les femmes, dont l’esprit est d’ordinaire plus enclin à la vanité qu’à la science, se montrent profondément pénétrées des vérités du salut, et des hommes appartenant aux plus humbles conditions, des soldats même, nous offrent l’exemple de la perfection de la vie chrétienne. Siècle digne de l’âge d’or ! Dans la Campanie où j’écris maintenant, le plus savant prédicateur deviendrait encore plus habile et plus saint par une conversation avec quelques femmes nourries des saintes lettres. J’ai fait la même observation à Mantoue, mon pays natal. Dieu de bonté, quelle abondante effusion du Saint-Esprit ! Quelle ferveur ! Quelle piété parmi ces humbles servantes parées de l’incorruptible couronne du Christ ! J’apprends que dans un grand nombre de cités tout leur plaisir est de se rendre en secret à des réunions de prières, de visiter les malades, de panser les plaies les plus rebutantes de leurs mains délicates plus faites pour manier les bandelettes nuptiales. A ces nouvelles, je me sens ravi d’admiration, et je me demande quelles merveilles nous présagent ces manifestations étonnantes de foi et de charité ! » L’auteur de cette belle page, détachée d’un commentaire sur les psaumes qui rappelle parfois le livre de l’Imitation, Baptista Folengi, nous est peu connu. Un mystère douloureux environne sa vie. Lorsqu’à l’âge de soixante-deux ans il achevait son livre, fruit de l’exil, baigné plus d’une fois de ses larmes, il se consolait de ses maux en contemplant à l’horizon l’aube d’un jour meilleur pour l’Église. Des hauteurs du Mont-Cassin, comme d’un nouveau Sinaï, il saluait de loin la terre promise dans laquelle il ne devait point entrer.

La Réforme de Naples se rattache par les liens les plus étroits à celle de la Toscane, toute pleine encore du souvenir de Savonarole. Quarante ans s’étaient écoulés depuis la mort de l’éloquent dominicain, mais sa mémoire vivait au fond des cœurs, et son nom glorifié par un de ses disciples, Fra-Benedetto, était l’objet d’un culte pour les âmes pieuses qui soupiraient après la régénération de l’Église. Ce rêve était celui de Martyr et d’Ochino, tous deux enfants de la Toscane. Tandis que le premier, s’éloignant de Naples, allait fonder à Lucques une congrégation évangélique dont nous retracerons plus tard les destinées, le second parcourait incessamment l’Italie, et dans ses brillantes missions à Florence, à Venise, il visitait fréquemment Sienne, sa patrie. Les archives de la Seigneurie contiennent de nombreux appels adressés à Ochino, avec ses réponses, qui respirent le plus vif amour pour son pays natal. Durant ses retraites au monastère de son ordre, près de la ville, il recevait de nombreux visiteurs, qui se retiraient également pénétrés de la pureté de sa doctrine et de la sainteté de sa vie. Paleario ne put le voir et l’entendre, sans l’admirer, comme le prouve le bel hommage qu’il rend dans plusieurs de ses écrits à la vertu presque divine de l’homme dont l’éloge était alors dans toutes les bouches. L’influence d’Ochino sur ses compatriotes fut égale à sa popularité. Dans les rangs du clergé comme dans ceux de l’université, dans la bourgeoisie comme dans la noblesse, la Réforme fit des progrès attestés plus tard par de nombreuses émigrations. « Sienne et Florence, dit un inquisiteur, ne furent que trop infectées d’hérésie. » La patrie d’Ochino fut aussi celle de Lactanzio Rangone, de Mino de Celsa, l’un des premiers apôtres de la tolérance, et des Socin.

Paleario dut ressentir de bonne heure le souffle de l’esprit nouveau qui préludait par le rajeunissement des lettres à celui de la religion. Né dans une famille pieuse, élevé dans le respect des croyances que l’enseignement de l’Église et l’assentiment continu des générations avaient confondues peu à peu avec la foi des premiers âges, il ne séparait pas dans la ferveur de ses dévotions l’adoration de Jésus-Christ de l’obéissance filiale due à son vicaire. Le pape était pour lui le représentant de Dieu, l’interprète de la vérité, rendant incessamment ses oracles du haut de la chaire de Saint-Pierre. Le spectacle de la cour de Rome n’était pas fait pour confirmer ces naïves impressions de l’enfance, développées dans le cœur de l’adolescent par les leçons de Philonardi. Quel contraste pour une âme sérieuse entre la vie de saint Paul et celle d’un Alexandre VI, d’un Jules II ! En face du Colisée, théâtre du baptême sanglant de l’Église, au-dessus des catacombes témoins de sa vie cachée et de sa glorieuse victoire après trois siècles, des pompes et des fêtes qui semblaient empruntées au paganisme vaincu ! La corruption, élégante et grossière, s’étalant à tous les degrés de la hiérarchie, et jusque dans les rangs du sacré collège ; une courtisane, Impéria, l’Aspasie de la Renaissance, recevant des honneurs presque divins ; la religion s’élevant comme une ruine de plus dans la ville des ruines ! On sait l’impression que produisit sur Luther cette société à la fois superstitieuse et impie, livrée à tous les désordres et à tous les vices. Entré moine à Rome, il en sortit réformateur. Paleario ne fut pas moins attristé de ces saturnales dont le souvenir le poursuivait sans doute quand il écrivit ces lignes, qui rappellent les plus véhémentes invectives de Luther : « A Rome, la démoralisation s’étale partout, et les pontifes ne rougissent point de prélever un droit sur l’impudicité comme sur l’usure. Ce ne sont partout qu’exactions, violences, simonies, rapts, vente et achat des choses saintes, et pour tout dire enfin, abominations si monstrueuses que quiconque est animé de l’esprit de Jésus-Christ, peut lire clairement ces mots sur le front de la Curie : C’est ici la grande Babylone, la mère des fornications et des impudicités de toute la terre. »

[Ce langage diffère à peine de celui du pieux Adrien VI : « Scimus in hac sancta sede aliquot jam annis multa abominanda fuisse, etc… » et du rapport adressé en 1587 au pape Paul III : Consilium delectorum cardinalium et aliorum prælatorum de emendanda ecclesia (p. 26, 57). L’authenticité de cette pièce embarrassante ; attribuée d’abord à la plume des protestants, a été reconnue par le cardinal Quirini. (Voir Mac-Cree, p. 95, 96.)]

Il est vrai que ce cri d’accusation ne s’éleva du cœur de Paleario qu’après bien des années de luttes intérieures, de vœux incessants pour la réforme de l’Église, et d’espérances toujours trompées. Ses lettres ne nous révèlent qu’à demi le secret de cette douloureuse histoire qui fut celle de plus d’un de ses contemporains. Mais Paleario n’était pas homme à gémir sur la décadence de l’Église, sans en chercher le remède. Des abus remontant à leur source, il crut saisir la cause du mal dans l’oubli des saintes Écritures, dans l’abandon des règles apostoliques, dans l’ignorance du clergé s’interposant entre Dieu et les fidèles. Cette cause, il n’hésita pas à la signaler. Dans une lettre à Paul Sadolet, neveu du cardinal, on lit ces mots : « Je vous le dirai, mon cher Paul, avec ma franchise accoutumée ; il est une race d’hommes adonnés à la fraude et à toute espèce de vices qui par ostentation ou par intérêt se sont plu à obscurcir des vérités plus éclatantes que la lumière du soleil. Si le dépôt de la science humaine eût été seul altéré entre leurs mains, on pourrait aisément le leur pardonner. Mais que le trésor de la révélation divine elle-même, c’est-à-dire notre vie, notre lumière, le garant de notre immortelle destinée, disparaisse sous les vaines disputes et les volumineuses contentions auxquelles ils se livrent, l’approuve qui voudra, nul homme de bien ne le saurait supporter ! Il est des hommes qui, pareils aux oiseaux de nuit, ne se plaisent que dans les ténèbres. La clarté du jour offense leurs yeux. N’essayez pas de les tirer de leur aveuglement, tous vos efforts seraient inutiles. »

C’est la même plainte qui s’exhale, avec non moins d’énergie, dans une lettre à Antonio Philonardi, neveu d’Ennio, appelé à l’évêché de Veroli : « Je n’ignore pas que depuis des siècles les ténèbres les plus épaisses ont obscurci la philosophie chrétienne, en sorte que le nom du Christ est, pour ainsi dire, effacé de la mémoire des hommes, par la faute de ceux qui, voulant faire étalage de bel esprit, ont substitué à la prédication du pur Évangile de vaines questions, plus dignes de sophistes que de prédicateurs chrétiens. C’est à l’évêque de remédier au mal, avec l’autorité que lui confèrent le titre dont il est revêtu, le respect du peuple et des magistrats. C’est à lui d’évangéliser, de confier le ministère de la Parole aux hommes d’une saine doctrine et d’une vie pure qui, aiment non les disputes mais la vérité, et ne veulent annoncer que la gloire du Christ, du Fils de Dieu, dans lequel sont cachés, selon saint Paul, tous les trésors de la connaissance et de la sagesse. » Ces deux fragments nous révèlent les tendances de Paleario au sortir de la crise par laquelle sa foi fut douloureusement éprouvée, et ses aspirations, pleines de candeur, vers une religion épurée qui se résumait tout entière dans l’œuvre du Christ. Restaurer l’empire du Christ sur les âmes, tel est le rôle d’une théologie digne de ce nom. Les écrits de Paleario ne seront qu’un hommage rendu au Rédempteur.

La lecture des réformateurs étrangers confirma Paleario dans ces sentiments. Jugée à la clarté de ses méditations et de ses expériences, la Réforme lui apparut non comme un acte d’incrédulité, mais de foi ; non comme la négation de toute autorité, mais comme la proclamation d’une autorité supérieure à celle de l’homme. Les livres de Luther, de Mélanchthon, de Calvin excitèrent son admiration, et la conformité des Pères les plus anciens, Irénée, Origène, Ambroise, Augustin, avec les docteurs de l’Allemagne et de la Suisse, acheva de porter la conviction dans son esprit. Dès lors son choix était fixé. Comme Ochino et ses amis, il crut à la nécessité d’une rénovation, mais il espéra qu’elle s’accomplirait, sans violence, sans schisme, par la seule puissance de la foi et de la charité opérant dans les âmes. C’était l’époque où les tendances rénovatrices pénétraient partout, où l’Oratoire de l’amour divin réunissait les prélats les plus distingués cherchant dans le recueillement et la prière un remède aux maux de l’Église, où plusieurs cardinaux soumettaient au pape Paul III un projet de réforme dans lequel les abus étaient énergiquement dénoncés. Les conférences de Worms et de Ratisbonne donnaient à ces vœux une solennelle consécration, ayant que le schisme fût irrévocablement consommé. Jamais on ne parut plus près de s’entendre, jamais aussi l’impuissance des hommes pour opérer une conciliation entre des principes radicalement opposés, ne parut avec plus d’éclat que dans les conférences de Ratisbonne. Les deux Églises rivales y apparaissaient représentées par leurs plus célèbres docteurs, Bucer, Melanchthon, Calvin, du côté des protestants ; Gropper, Julius Pflug, Eck, du côté des catholiques. Mais l’âme de ces pacifiques conférences était le légat Contarini, le plus pieux des membres du sacré collège, le fondateur de l’Oratoire où de nobles esprits rêvaient une Église épurée, la réconciliation des partis par les effusions de la charité. Un moment cet espoir parut sur le point de se réaliser. Le dogme de la justification par la foi fut proclamé par les théologiens des deux partis, et Pole ravi de cet accord inattendu des opinions put écrire à Contarini : « J’ai éprouvé à cette nouvelle un plaisir tel qu’aucune harmonie céleste ne pourrait m’en procurer de semblable. » Mais l’illusion fut de peu de durée. Sous le conciliant langage des hommes, persistait l’invincible désaccord entre deux Églises, dont l’une a pour règle l’autorité de l’Écriture sainte, humblement interrogée par chaque fidèle ; et l’autre, les décisions du pontife, siégeant à Rome comme vicaire du Christ. Les concessions de Mélanchthon et de ses amis parurent excessives à Luther, qui les taxa de faiblesse. Contarini, avant de rentrer en Italie, fut frappé d’un désaveu qui brisa son cœur. Il se tut. Mais que ne dut pas souffrir l’homme dont le caractère était assez élevé, l’âme assez pure pour espérer la pacification des partis, et s’immoler à un tel dessein ! Avec lui s’évanouirent sans retour les espérances d’un rapprochement entre les deux cultes, que l’apparition d’Ignace de Loyola et la fondation de l’ordre des Jésuites allait rendre irréconciliables l’un avec l’autre.

L’insuccès des conférences de Ratisbonne annonçait d’avance le peu de résultat qu’il fallait attendre du concile impérieusement demandé par Charles-Quint, concédé à regret par Paul III et convoqué successivement à Bologne, à Mantoue et à Trente. Ce pape temporisateur, qui ne rêvait que la grandeur de sa famille, et qui, au sortir d’un entretien avec Pole et Sadolet, conférait en secret avec des astrologues, sentait mieux que personne la gravité de la situation et se flattait d’en conjurer les périls. Mai ses velléités réformatrices n’allaient point au delà de quelques concessions insignifiantes, et le concile promis, différé sans cesse, n’était que le mirage trompeur destiné à calmer les impatiences de l’opinion. Paleario ne s’y méprit pas, et désespérant de la sincérité d’une réforme accomplie par un pouvoir trop intéressé au maintien des abus, il exposa ses vues dans un mémoire adressé aux principaux théologiens de l’Allemagne et de la Suisse. Egalement défiant à l’égard de l’épiscopat et de la papauté, il faisait appel aux représentants de l’Église universelle, librement élus par elle, organes légitimes de ses vœux et de ses droits : « C’est notre triste sort à nous Italiens, s’écriait-il éloquemment, de n’avoir personne à qui demander secours dans notre détresse, et si nous trouvons un protecteur, de ne pouvoir, sans crime, invoquer son appui. » Les manéges de la papauté ne doivent tromper personne sur ses intentions. Eluder les vœux des princes en leur donnant une apparente satisfaction, tel est son but. « Malgré son âge et sa santé chancelante, Paul III ne connaît aucun repos. Il s’entoure de gens habiles, et confère jour et nuit avec eux. Juristes, hommes d’affaires, politiques consommés dans l’astuce, théologiens et sophistes avides de disputes, il les appelle tous ensemble à son aide ; il les adjure de maintenir à tout prix la majesté de l’Église romaine et les droits de la papauté, inséparables de ceux de l’épiscopat. Fortune, dignités, faveurs, rien ne leur sera refusé, s’ils répondent dignement à l’attente de Rome, s’ils savent se montrer prompts à l’attaque, inépuisables en ressources dans la défense… De quel nom appeler tout cela, si ce n’est de la corruption ? Mais nous ne sommes pas assez insensés pour abandonner cette grande cause de la restauration de l’Église au pape et à ses agents. Non, de si graves intérêts ne peuvent être complètement livrés aux évêques qui ne forment pour ainsi dire qu’un seul corps, dont tous les membres obéissant à leur chef, le pontife romain, soutiennent tout ce qu’il approuve, et reçoivent de lui l’impulsion et la vie. Ne leur demandez pas de restreindre une tyrannie dont ils exercent eux-mêmes une part. Leur unique désir est de lutter à outrance pour le maintien des abus, comme pour une propriété personnelle. »

Quel est donc le remède aux maux qui consument la société religieuse ? Paleario croit le trouver dans le retour aux pratiques du siècle apostolique, dans la participation des fidèles au gouvernement de l’Église, dans l’organisation d’une démocratie chrétienne, capable d’opposer une digue aux débordements du clergé. Comme aux jours de Gerson et de Jean Huss, la chrétienté soupire après la délivrance. Le mot de concile est dans toutes les bouches. Il ne faut pas que cette assemblée soit un mécompte de plus. Les règles les plus sévères doivent présider à l’élection de ses membres, afin de lui assurer ce triple caractère d’indépendance, d’universalité, de sainteté, sans lequel son œuvre serait également récusée de tous les partis : « Que par l’ordre de l’Empereur, des princes et des cités souveraines, en Angleterre, en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie, on élise quelques personnes instruites dans les saintes lettres, et qui ne puissent être soupçonnées de connivence avec Rome. Que ce choix s’opère dans les rangs du peuple chrétien par le suffrage de tous, et soit déféré à l’empereur ainsi qu’aux monarques intéressés. Que ces délégués s’adjoignent à leur tour un nombre égal de députés pris dans les provinces, tandis que le pape et les cardinaux nommeront douze prélats d’une vie pure et d’une piété éprouvée pour imposer les mains aux élus et appeler sur eux la vertu du Saint-Esprit. Ainsi sera constitué le tribunal suprême appelé à juger toutes les questions en litige, à prononcer en dernier ressort. Que, du reste, il soit loisible à tout fidèle de se présenter devant le concile ; d’assister aux débats et de formuler d’humbles requêtes. » Tel était le plan, aussi nouveau que hardi, exposé par Paleario dans une lettre aux théologiens de l’Allemagne et de la Suisse. Mais sa voix ne pouvait être entendue que si les nations réformées, oubliant leurs dissentiments, s’unissaient sous une même bannière. Paleario ne l’ignorait pas, et son mémoire se terminait par une pressante exhortation à la concorde : « J’apprends par des témoignages malheureusement trop certains, qu’il s’est élevé entre vous des sujets de contention et de disputes qui s’opposent à votre réunion, non seulement dans une même pensée, mais encore dans un même lieu. Ah ! frères bien-aimés, par égard du moins pour le Christ et les nécessités du temps où nous vivons, serrez vos rangs pour que l’adversaire ne puisse soutenir l’impétuosité de votre choc ! Si vous avez rejeté de concert tant d’abus, si vous n’êtes qu’un cœur et qu’une âme pour le rétablissement des institutions apostoliques et la restauration de l’Évangile, quel sujet peut vous diviser encore et vous armer les uns contre les autres ? Vos ennemis s’avancent contre vous en bon ordre, forts de leur union. Ralliez-vous sous l’étendard du Christ ; de peur que la victoire ne vous échappe et qu’il n’y ait plus après de république chrétienne à défendre et à sauver ! … Si vous différez dans l’interprétation de quelques points particuliers, est-ce une raison pour vous déchirer mutuellement ? Que chacun garde son opinion en respectant celle d’autrui. Dieu, le Père de Jésus-Christ, vous donnera tôt ou tard de parvenir à l’unité dans les choses qui vous divisent présentement ! » Ce langage si élevé ne fut malheureusement pas compris en ce siècle d’intolérance, où les adeptes d’une même foi se jetaient mutuellement l’anathème, et les vœux de Paleario pour la pacification de l’Église nouvelle, comme pour la réforme de l’ancienne, demeurèrent également impuissants.

Le moment était venu d’ailleurs où la papauté changeant de système, allait comprimer sans pitié dans la Péninsule les tendances avec lesquelles elle avait paru vouloir transiger au dehors. A l’esprit de conciliation représenté par Contarini succédait un esprit violent et farouche personnifié par le cardinal Caraffa, le promoteur de l’inquisition. A la faveur des libres discussions ouvertes en Allemagne et en Suisse, et dont l’écho retentissait incessamment en Italie, les opinions réformées se propageaient avec une rapidité extraordinaire. Leurs adhérents se rencontraient partout, et devenaient plus hardis chaque jour. Ferrare était un des principaux foyers de l’opposition à la cour de Rome. Le luthéranisme, à peine déguisé, montait dans les chaires de Modène, et le cardinal Sadolet, originaire de cette ville, adjurait ses compatriotes de s’arrêter dans la voie du schisme. Venise offrait un asile au Florentin Bruccioli qui revendiquait hardiment pour le peuple le droit de lire la Bible en langue vulgaire. Bologne, Padoue, Vicence étaient entraînées dans le courant des nouveautés. Chaque jour les rapports les plus alarmants parvenaient au pape sur l’état des esprits. Plus de trois mille instituteurs professaient, disait-on, la doctrine luthérienne : les agents de l’inquisition étaient eux-mêmes infectés du venin de l’hérésie. Ce fut dans ces circonstances que Paul III effrayé demanda au cardinal Caraffa par quels moyens on pourrait arrêter les progrès du mal. Celui-ci répondit qu’une inquisition sévère, inflexible, était seule capable de sauver l’Église. Le cardinal de Burgos, Alvarès de Tolède, fut du même avis. De ce secret entretien entre ces trois hommes sortit la redoutable institution du saint-office empruntée à l’Espagne, et dont l’Italie avait jusqu’alors ignoré le fléau. La bulle pontificale fut signée le 21 juillet 1542.

Le cardinal Caraffa, muni de pleins pouvoirs, se mit à l’œuvre avec le zèle qui le caractérisait. Quoique pauvre, il n’attendit pas l’argent qui lui était dû par la chambre apostolique, et loua une maison à ses frais pour y installer le nouveau tribunal avec son lugubre appareil de chaînes et d’instruments de tortures. Ce palais de sombre mémoire, agrandi et restauré plus tard par Pie V, s’élève encore dans le Borgo comme un fantôme sinistre du passé. Si les pierres pouvaient parler, que de plaintes accusatrices s’élèveraient de ces cachots pareils à des tombes, où agonisèrent tant de victimes ! Caraffa s’était tracé à lui-même les règles suivantes, qui révèlent l’esprit dont il était animé :

  1. En matière de foi, il ne faut pas perdre un instant, mais au plus léger soupçon mettre la main à l’œuvre avec la plus grande énergie.
  2. Il ne faut avoir aucune espèce d’égard soit pour un prince, soit pour un prélat, quelque haut placé qu’il soit.
  3. Il faut agir avec la plus rigoureuse sévérité contre ceux qui cherchent à se défendre, en se plaçant sous la protection de quelque personnage puissant. Mais il faut traiter avec une douceur et une miséricorde paternelle celui qui fait l’aveu de sa faute.
  4. Il ne faut s’abaisser à aucune espèce de tolérance envers les hérétiques et particulièrement envers les calvinistesh.

h – Ranke, Histoire de la papauté, t. 1, p. 192 et suivantes.

Le premier soin des inquisiteurs fut d’organiser la plus rigoureuse surveillance autour des prédicateurs suspects d’hétérodoxie. Ochino attirait tous les regards. Elu supérieur général de l’ordre des Capucins, et appelé dans les premiers mois de l’an 1542 à prêcher le carême à Venise, il avait été l’objet des témoignages les plus enivrants de la popularité, à laquelle se mêlaient de secrètes amertumes. Dénoncé par le légat, il s’était défendu avec tant d’énergie que ses adversaires avaient été réduits au silence. Mais quand il apprit que son disciple, son ami le plus cher, Terentiano ; incarcéré à Milan, était cité devant le saint-office comme suspect d’hérésie, il ne put se contenir, et montant dans la chaire de Saint-Marc ; il éclata dans cette hardie apostrophe : « Que me reste-t-il à faire ; Messeigneurs, et pourquoi me fatiguer encore et consumer inutilement mes forces ? Noble Venise, reine de l’Adriatique, si la délation, les cachots et les fers attendent les hommes qui t’annoncent la vérité, dans quelles cités et dans quelles campagnes la parole sainte trouvera-t-elle un asile ? Ah ! si nous pouvions la proclamer librement cette vérité, que d’aveugles qui s’en vont aujourd’hui errants dans les ténèbres, verraient enfin la lumière ! » A ces mots, le nonce interrompit le prédicateur, et lui intima le silence. Mais telle était la faveur dont Ochino jouissait à Venise qu’il remonta trois jours après en chaire devant un auditoire plus nombreux, qu’il émut vivement par son éloquence. C’étaient là ses derniers triomphes. S’étant rendu à Vérone pour y instruire les religieux de son ordre, il reçut une citation devant le tribunal de l’inquisition à Rome. Il n’hésita pas d’abord à s’y rendre, mais ayant appris que sa condamnation était déjà décidée, il recula devant un sacrifice suprême et résolut de quitter l’Italie.

Les motifs de cette détermination sont exposés dans une lettre à Vittoria Colonna, qui nous fait lire jusqu’au fond dans l’âme ardente et inquiète d’Ochino : « Informé par Pierre Martyr et plusieurs autres de mes amis, de la manière dont on procède à Rome contre les prétendus hérétiques, j’ai décidé de n’y point paraître, parce que je n’aurais d’autre alternative que de renier le Christ, ou de mourir dans les tourments. Renier le Christ, je ne le pourrai jamais ! … Mourir, j’y suis résolu avec la grâce de Dieu, et selon qu’il l’ordonnera lui-même, mais non en me livrant volontairement à mes bourreaux. Le Seigneur saura me trouver partout, quand il aura besoin de mon sang. Je suis donc l’exemple du Christ, qui m’enseigne lui-même à fuir en Egypte et en Samarie. Je suis le précepte de saint Paul, recommandant à ses disciples chassés d’une ville de passer dans une autre. Que ferais-je d’ailleurs en Italie, assiégé d’espions, réduit à prêcher un Christ masqué, défiguré, si je ne veux retomber dans les confusions et les tumultes qui attendent tout confesseur de la vérité ? Pour ces raisons et beaucoup d’autres, je suis résolu à m’éloigner afin de me dérober à la haine de mes ennemis, qui ne veulent que m’arracher une rétractation ou me perdre ! … Farnèse, le Théatin, Pulci sont animés contre moi d’une telle fureur, que si j’avais crucifié le Christ de mes mains, ils ne feraient pas plus de bruit. Je suis tel Madame, que vous m’avez toujours connu ; ma doctrine est celle que vous avez tant de fois approuvée. Je n’ai même jamais prêché avec plus de réserve et de modestie que dans ces derniers temps. Néanmoins ils me déclarent apostat sans m’entendre, et c’est ainsi qu’ils procèdent à la réforme de l’Église. Mon devoir est de déjouer leur fureur. Il m’en coûte, croyez-le, de quitter patrie, parents, amis, sans savoir ce que l’on dira de moi ; mais Dieu le veut pour quelque dessein qui se révélera plus tard. Priez-le pour moi, Madame ; tout mon désir est de le servir plus fidèlement que jamais. »

Peu de jours après avoir écrit cette lettre ; Ochino quitta Florence et se dirigea vers la Suisse en traversant Vérone, Milan ; et cette vallée d’Aoste que Calvin, comme lui fugitif, proscrit, avait vainement tenté, six ans auparavant, de ravir à l’autorité de Rome. Mais Calvin était jeune, et toute une carrière de foi, d’activité, de génie s’ouvrait devant lui, tandis qu’Ochino déjà parvenu au déclin de l’âge, voyait se fermer derrière lui tout un monde de faveur et de popularité. Est-il vrai, comme l’affirme l’historien des Frères Mineurs, que non loin du Saint-Bernard, sur une cime d’où l’Italie apparaissait une dernière fois à sa vue, il s’arrêta en pleurant et lui adressa de tristes adieux ? Ah ! sans doute, en un tel moment, toutes les scènes de sa vie passée vinrent s’offrir à ses yeux ! Il revit Naples, Sienne, Venise, et les multitudes enthousiastes qui recueillaient partout ses paroles ! Un orateur perd tout en perdant sa patrie. L’exil est le tombeau de l’éloquence. Ochino n’hésita point à faire ce dernier sacrifice, et remettant les sceaux de son ordre au frère Mariano qui l’avait accompagné jusque-là, il descendit rapidement les Alpes du Valais et se rendit à Genève.

Il y fut reçu avec le plus respectueux empressement, et nommé presque aussitôt pasteur des réfugiés italiens dont la persécution allait incessamment accroître le nombre. Mais toutes ses pensées étaient tournées vers l’Italie qu’il venait de quitter, vers sa ville natale tout émue de son départ. Dans une lettre aux seigneurs de Sienne, dont le retentissement fut immense, il exposait les motifs de sa conduite, et retraçant les luttes, les agitations par lesquelles il avait passé, il s’honorait de souffrir pour la cause que les martyrs avaient scellée de leur sang : « Pour cette même vérité je suis exilé de l’Italie, anathématisé, traqué jusqu’à la mort par le pontife romain. Mais la cause que je défends est si juste que je trouve en elle ma justification. Si je souffre, c’est avec les saints, c’est avec les apôtres, et c’est avec le Christ lui-même, qui ont été comme moi chassés, maudits, voués à l’ignominie ! … Ma doctrine est une hérésie, dites-vous ; mais alors jetez au feu l’Évangile, déchirez les épîtres de saint Paul, anéantissez la révélation tout entière ; car la Parole de Dieu ne serait plus qu’un mensonge, la grâce du Christ un piège, la religion un blasphème ! » A cette véhémente apologie se mêlaient des accents plus doux. On sentait battre le cœur de l’exilé dans cette invocation suprême à ses compatriotes : « Sienne, ô ma patrie ! si je ne t’ai point écrit jusqu’à ce jour ce n’est pas faute de t’aimer, mais parce que, sachant la douleur qu’en mère tendre et compatissante tu as ressentie de mon départ, je voulais t’offrir les consolations de la religion ! Que tu serais heureuse, ô ma cité bien-aimée, si, rejetant le joug de tant de cérémonies pharisaïques et de vaines superstitions qui sont en abomination devant Dieu, tu prenais pour règle sa pure Parole, celle qu’ont prêchée le Christ, et après lui les apôtres et leurs disciples. Oh ! dis, ne veux-tu pas te tourner vers le Christ, toi que le ciel a dotée de si nobles esprits ? Veux-tu demeurer la dernière à connaître et à adorer ton Rédempteur ? Ouvre, ouvre les yeux, je t’en supplie, afin que la lumière d’en haut t’éclaire, et que, recevant du Fils de Dieu sagesse, justice, paix et salut, tu vives désormais pour lui seul, et trouves en lui ta gloire et ta félicité. » Ces ardentes prédications retentissaient dans les cités de la Péninsule, et trouvaient un écho prolongé en Toscane. Les sermons d’Ochino publiés à Genève, et par lesquels il rompait sans retour avec l’Église dont il avait été l’ornement, étaient avidement lus par ses compatriotes. Le pape Paul III en interdit par un bref la lecture, et Ochino s’adressant au pontife lui-même, se plaignit amèrement dans une lettre qui n’est qu’une invective, parfois éloquente, contre les Farnèse, terminée par une adjuration aux princes de procéder sans retard à la réforme de l’Église.

L’interdiction des écrits d’Ochino n’était que le prélude des peines sévères prononcées contre ses adhérents. Le tribunal du saint-office, présidé par Caraffa, et muni de pleins pouvoirs pour la répression de l’hérésie, agit avec vigueur : Des agents mystérieux se répandirent partout. Ils pénétrèrent dans les cloîtres, les palais, les académies, et jusque dans le cercle le plus intime de la vie domestique : un mot, un geste, un regard suffirent à compromettre, un homme, à perdre quelquefois une famille tout entière. Les princes furent requis de prêter main-forte aux inquisiteurs, et acceptèrent ce triste rôle. La délation multiplia les suspects, les cachots se remplirent, et l’émigration commença. Sur les pas d’Ochino, de nombreux réfugiés prirent le chemin de la Suisse, tandis que moins heureux des milliers de leurs frères se voyaient arrachés à leurs familles, ensevelis dans les prisons, livrés à la torture. Sous le coup d’un orage aussi imprévu que terrible, leur constance ne fléchit pas. « Dieu soit loué ! écrivait Camille Renato à Bullinger, ministre de Zurich, de ce que nous pouvons nous souvenir sans trop de honte de ce que nous étions, en songeant à ce que nous sommes devenus par la grâce divine. La fureur du pontife romain nous poursuit sans relâche. On nous arrache de nos maisons, on nous sépare de nos familles ; nous sommes emprisonnés, torturés, menacés de la mort ; mais nous supportons ces odieux traitements avec une patience que rendent plus facile les précieux témoignages de sympathie qui nous arrivent de toutes parts. Nous éprouvons dans nos cœurs les puissantes consolations du Saint-Esprit, et nous sommes prêts à souffrir plus encore, en regardant à Jésus-Christ l’homme de douleur, la source de toute gloire et de toute félicité. » Tels étaient les sentiments qui animaient les confesseurs italiens, à cette première époque trop ignorée de la persécution dans la Péninsule. En transmettant cette lettre à son ami Joachim Wadian de Saint-Gall, Bullinger se bornait à y ajouter ces simples paroles : « La foi de ce peuple est grande. A Dieu soit gloire et honneur ! Deo laus et gloriai ! »

i – Bullingerus Wadiano, 19 décembre 1542. (Manuscrit de la bibl. de Saint-Gall.)

Une autre lettre écrite à cette époque par les fidèles de Venise et de Vicence aux ministres de Genève, montre les liens qui unissaient les Églises naissantes de l’Italie à celles de la Suisse : « Nous avons appris, bien-aimés frères, avec quelle affection, quelle ardente charité vous recevez chaque jour ceux de nos compatriotes qui sont partis pour la terre d’exil, réalisant à leur égard par vos fraternelles sympathies le précepte du Christ, et portant une part de leur fardeau, à l’exemple de celui qui touché de compassion pour nous, est descendu du ciel sur la terre, et s’est abaissé jusqu’au supplice de la croix pour nous arracher à la mort. Soyez bénis de ce que vous leur prodiguez avec de pieuses exhortations tous les témoignages de la charité chrétienne, en sorte que reprenant force et courage auprès de vous, ils ressentent plus de joie de votre fraternelle hospitalité qu’ils n’ont éprouvé de douleur à la perte des biens les plus précieux, et recueillis comme dans un port tranquille, ils ne se souviennent plus des épreuves qu’ils ont essuyées. Ce sont les voies ordinaires de Dieu envers ses enfants. Il châtie parce qu’il aime. Il console ceux qui ont le cœur brisé, il relève ceux qui sont abattus, il rend la vie à ceux qui sont déjà au bord du sépulcre. »

La correspondance d’un missionnaire italien, Baldassar Altiéri, jette un nouveau jour sur les épreuves des disciples de l’Évangile durant les années qui suivirent la fondation du tribunal de l’Inquisition :

« La persécution devient tous les jours plus violente contre nos frères. Les uns sont traînés aux galères, les autres condamnés à une perpétuelle détention. Quelques-uns, hélas ! ont abjuré par crainte de la mort. Tant il est difficile de confesser courageusement le Christ au milieu des tourments ! Beaucoup sont proscrits avec leurs femmes et leurs enfants ! Le plus grand nombre cherche son salut dans la fuite. Ce qui fait notre consolation parmi tant de maux, c’est que Dieu règne. Il ne nous abandonnera pas. Toutes choses concourent à notre salut. La mort est le chemin de la vie !

Un messager de Venise m’apprend que les fidèles y sont poursuivis avec une extrême rigueur. Ce n’est pas sans péril que j’y retourne, à cause de la haine que m’ont vouée les sectateurs de la papauté. Que mes amis prient pour moi !

Il a plu à Dieu d’éprouver ma foi, car j’ignorais encore ce que c’est que la fureur des princes, et l’autorité de leurs menaces, comparées si justement dans les saints écrits à la gueule des lions. Sachez que je suis d’heure en heure exposé au péril de la mort. Il n’est plus un seul lieu où je puisse trouver un asile en Italie. Les méchants n’auront pas de repos qu’ils ne m’aient dévoré tout vivant. Une voix du ciel murmure cependant à mon oreille : « Aie bon courage, je serai avec toi ! »

Là s’arrête le journal du missionnaire proscrit, de ce juste errant de lieu en lieu sans savoir où reposer, sa tête, et dont on perd la trace au sortir de Ferrare. Quel fut son sort ? Il est aisé de le conjecturer, en songeant aux innombrables victimes disparues dans les cachots du saint-office, sans même léguer un nom au martyrologe italien. D’heureuses circonstances ont dévoilé de nos jours les mystères de l’inquisition en Espagne, et révélé tout un monde de foi, de douleurs, de sublimes sacrifices. Sous ces voûtes funèbres où luit comme un rayon consolateur la vertu des martyrs, on peut du moins contempler leur attitude, écouter leur voix, suivre leurs pas dans la voie triomphale du prétoire au bûcher. Après avoir longtemps déroulé dans l’ombre ses tortueuses procédures, l’inquisition espagnole a d’ailleurs ses grands jours. Elle aime les spectacles en plein soleil, les auto-da-fé pareils aux hécatombes de la Rome païenne, auxquels on convie la multitude, peuple et roi, comme à une fête. Philippe II n’en connut pas de plus belle. L’inquisition italienne, triste emprunt fait à l’étranger, repoussée par l’esprit national, a de tout autres allures. Elle frappe dans les ténèbres, et donne rarement en spectacle ces immolations publiques qui attendrissent les cours, et ramènent à la justice par la pitié. La destinée de ces confesseurs obscurs n’en est que plus douloureuse, et l’histoire semble infidèle à sa mission quand elle se tait sur des souffrances ignorées. C’est un motif de plus pour retracer en détail la vie des témoins dont le nom n’a pas péri dans le naufrage de la réforme à laquelle ils firent le sacrifice de ce qu’ils avaient de plus cher, fortune, famille, patrie ; martyrs de l’exil, ballottés sur tous les rivages, et ne trouvant de repos que dans la mort ; plus heureux que ceux de leurs frères qui ne purent se décider à quitter le sol natal, et pour lesquels le supplice de l’injure, de la calomnie, de la délation précéda celui du bûcher ! C’est l’histoire touchante et triste de Paleario.

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