Le voyage du Pèlerin

1. Le Pèlerin s'enfuit et trouve un guide

Dans mon voyage à travers le désert de ce monde, j'arrivai dans un lieu où il y avait une caverne. Je m'y couchai pour prendre un peu de repos, et m'étant endormi, je vis en songe un homme vêtu d'habits sales et déchirés. (Esaïe 64.5) Il était debout et tournait le dos à sa maison. (Luc 14.33) Dans sa main, il tenait un livre, et ses épaules étaient chargées d'un pesant fardeau. (Psaumes 38.5)


Je vis en songe un homme dont les épaules étaient chargées d'un pesant fardeau.

Je le vis ouvrir le livre et lire.

Tout en lisant, il pleurait et tremblait. Incapable de se contenir plus longtemps, il s'écria d'un ton lamentable : « Que faut-il que je fasse ? » (Actes 2.37).

Dans ce triste état, il retourna chez lui et se contraignit aussi longtemps que possible, afin que sa femme et ses enfants ne s'aperçussent pas de son angoisse. Mais sa tristesse augmentant de plus en plus, il s'en ouvrit à. ses proches en leur disant :

— O ma chère femme et mes chers enfants ! je suis perdu ; je suis accablé par un lourd fardeau ! De plus, je sais d'une façon certaine que la ville où nous demeurons va être détruite par le feu du ciel, et que nous serons tous atteints par cette catastrophe, à moins que nous ne réussissions à trouver — je ne sais trop comment — un moyen d'échapper à ce bouleversement.

Sa femme et ses enfants furent péniblement surpris, non qu'ils ajoutassent foi à ses paroles, mais parce qu'ils craignaient que son esprit ne se fût égaré. La nuit approchant, ils se hâtèrent de le mettre au lit, dans l'espoir que le sommeil calmerait son excitation. Mais, au lieu de dormir, il ne fit que soupirer et pleurer.

Quand le jour parut, ils se rendirent auprès de lui, et ils trouvèrent que son état s'était encore aggravé.

Il leur répéta ce qu'il leur avait dit la veille. Alors, ils commencèrent à se fâcher, et essayèrent de chasser ses idées noires en le rudoyant. Tantôt ils le raillaient, tantôt ils le grondaient ; parfois ils l'abandonnaient à lui-même. Il prit alors le parti de se retirer dans sa chambré, afin de prier pour les siens, et aussi de déplorer sa propre misère.

Quelquefois, il allait se promener seul dans la campagne, lisant et priant.

Un jour qu'il errait ainsi dans les champs, extrêmement angoissé et plongé dans sa lecture, je l'entendis s'écrier tout haut, encore une fois :

— « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? »

Je remarquai aussi qu'il regardait de tous côtés, comme s'il cherchait à s'enfuir ; cependant il ne bougeait pas de l'endroit où il se trouvait, sans doute parce qu'il ne savait où aller. Je vis alors un homme, dont le nom est Evangéliste, s'approcher de lui, et lui demander pourquoi il se lamentait ainsi.

— Monsieur, lui répondit-il, je lis dans ce livre que je suis condamné à mourir, et qu'ensuite je dois être jugé. (Hébreux 9:27). Or je découvre que je crains la mort, et que je ne suis pas préparé à subir le jugement. (Esaïe 22.14).

— Alors, lui dit Evangéliste, pourquoi craindre la mort, puisque cette vie est mêlée de tant de maux ?

— Je crains que le fardeau que je porte ne m'entraîne plus bas que le sépulcre, et ne me précipite au fond des enfers. Et, Monsieur, si je ne suis pas seulement capable de souffrir la prison, je le suis encore moins de passer en jugement et de subir le châtiment. Voilà ce qui me fait pousser tant de gémissements !

— Si tel est ton état, pourquoi ne cherches-tu pas à en sortir ? Hélas ! je ne sais où aller.

A ces mots, Evangéliste lui donna un rouleau de parchemin, sur lequel était écrit : « Fuyez la colère à venir ! » (Matthieu 3.7).

L'homme lut cette parole, puis il regarda fixement son interlocuteur et lui demanda : « Où dois-je fuir ? »

Evangéliste, étendant la main dans la direction d'une vaste plaine, lui dit : « Vois-tu, là-bas, cette petite porte étroite ? » (Matthieu 7.13)

— Non, répondit l'homme.

— Alors, dit l'autre, distingues-tu une lumière brillante ? (Psaumes 119.105.)

— Je crois que je l'aperçois.

— Tiens donc tes yeux fixés sur cette lumière et marche directement vers elle, tu arriveras à la porte. Tu heurteras, et là, on te dira ce que tu devras faire.

Je vis alors que l'homme se mettait à courir.

Il n'était pas encore bien éloigné de sa demeure, lorsque sa femme et ses enfants, s'apercevant de sa fuite, lui crièrent de revenir ; mais il se boucha les oreilles, et continua à courir en criant : « La vie ! la vie ! la vie éternelle ! » Et sans se retourner une seule fois, il se hâtait de traverser la plaine.


Ses voisins sortirent de leurs maisons et se moquèrent de lui.

Ses voisins sortirent de leurs maisons et le regardèrent s'enfuir ; les uns se moquaient de lui, d'autres le menaçaient ; quelques-uns lui criaient de rebrousser chemin, et parmi ceux-là, deux hommes se mirent à courir après lui, pour le ramener de force. L'un se nommait Obstiné, l'autre Facile. Quoique l'homme eût une bonne avance, ils ne tardèrent pas à le rattraper.

— Pourquoi me poursuivez-vous, chers voisins ? leur dit-il.

— Pour te persuader de revenir sur tes pas.

— Je ne le puis. Vous demeurez dans la ville de Destruction, où je suis né comme vous ; si vous y mourez, vous serez, tôt ou tard, précipités plus bas que le sépulcre, dans un étang ardent de feu et de soufre. Soyez courageux, chers voisins, et venez plutôt avec moi.

— Quoi ! dit Obstiné, nous devrions quitter nos amis et renoncer à nos aises ?

— Oui, dit Chrétien — car tel était le nom de l'homme qui fuyait — mais ce que vous abandonneriez n'est rien, en comparaison de ce que je recherche ; si vous voulez me suivre jusqu'au bout, vous participerez à tout ce que j'aurai en partage, car, là où je vais, il y a de tout en abondance. (Luc 15.17).

— Venez et mettez-moi à l'épreuve.

— Quelles sont donc les choses que tu recherches, et pour lesquelles tu renonces à tout ? demanda Obstiné.

Je cherche un héritage incorruptible, sans tache, inaltérable, (1 Pierre 4.5) qui est réservé dans les cieux, pour être donné au temps fixé, à ceux qui le cherchent avec ardeur. (Hébreux 13.14). Lisez tout cela, si vous le voulez, dans mon livre.

— Bah! dit Obstiné, loin de moi ton livre ! Veux-tu revenir avec nous, oui ou non ?

— Non, car j'ai mis la main à la charrue ! (Luc 9.62)

— Viens donc, voisin Facile, rentrons à la maison sans lui. Certaines gens, un peu fous, lorsqu'ils ont une idée en tête, se croient plus sages que les autres, et ne se rendent à aucun raisonnement.

— Ne l'insulte pas, répondit Facile ; si ce que Chrétien nous dit est vrai, les choses qu'il recherche sont préférables à ce que nous possédons. J'ai vraiment envie d'aller avec lui.

— Quoi ! un fou de plus ! Laisse-toi guider par moi, et viens ; qui sait où cet écervelé te conduirait ? Reviens, reviens sur tes pas, rentre dans ton bon sens.

— Viens plutôt avec moi, voisin Facile, dit alors Chrétien, car tous les biens dont je t'ai parlé nous attendent et d'autres plus excellents encore. Si tu ne me crois pas, lis ce livre ; tout ce qui y est écrit est vrai, et a été scellé par le sang de Celui qui l'a fait. (Hébreux 9.17-22).

— Eh bien ! voisin Obstiné, dit Facile, je suis maintenant décidé à suivre cet homme et à partager son sort. Mais mon cher ami, demanda-t-il à Chrétien, connais-tu bien le chemin qui nous conduira à ce lieu si désirable ?

— Un nommé Evangéliste m'a dit que je dois me hâter de parvenir à une petite porte, qui est devant nous, et là, on nous indiquera le chemin.

— Partons donc, cher voisin, dit Facile. Et ils se mirent en route, ensemble.

— Je retourne chez moi, dit Obstiné, je ne veux pas être le compagnon de personnes aussi fantasques !

Je vis alors, dans mon rêve, que lorsque Obstiné fut parti, Chrétien et Facile s'avancèrent à travers la plaine, tout en parlant entre eux.

— Eh bien ! voisin Facile, dit Chrétien, qu'éprouves-tu ? Je suis heureux que tu te sois décidé à m'accompagner. Si notre ami Obstiné avait, comme moi, éprouvé les terreurs de l'inconnu, il ne nous aurait pas aussi facilement tourné le dos.

— Puisque nous sommes seuls, voisin Chrétien, parle-moi, plus en détail, des choses que nous cherchons, et dis-moi comment nous pourrons les posséder.

— Je peux mieux les comprendre avec mon esprit que les exprimer avec ma bouche. Cependant, puisque tu désires en savoir davantage, je te lirai dans mon livre.

— Crois-tu que les paroles de ton livre sont absolument vraies ?

— Certainement, car celui qui les a prononcées ne peut mentir. (Tite 1.2)

— Bien. Mais quelles sont ces choses ?

— C'est un royaume qui n'aura point de fin, et la vie éternelle nous sera donnée afin que nous puissions l'habiter. (Jean 10.27-29)

— Très-bien. Et quoi d'autre encore ?

— Des couronnes de gloire nous sont réservées, (2 Timothée 4.8) et nous aurons des vêtements qui resplendiront comme le soleil. (Matthieu 13.43)

— C'est magnifique ! Y aura-t-il encore d'autres choses ?

— Il n'y aura plus de tristesse, plus de larmes, (Esaïe 35.10 ) car celui qui y règne essuiera toute larme de nos yeux. (Apocalypse 7.16-17 ; 21.4)

— Et quelle société y trouverons-nous ?

— Nous serons avec les Chérubins et les Séraphins, créatures si glorieuses que nos yeux en seront éblouis. Nous rencontrerons aussi des milliers et des milliers de personnes qui sont arrivées avant nous. Aucune d'entre elles ne commet le mal; elles sont toutes remplies d'amour et de sainteté ; elles marchent en la présence de Dieu éternellement. En un mot, nous verrons là : les vieillards avec leurs couronnes d'or, (Apocalypse 4.4) les vierges pures avec leurs harpes d'or, les hommes qui se sont laissés mettre à mort, brûler, scier, dévorer par les bêtes féroces, noyer dans la mer (Hébreux 11.33-37) par amour pour le Seigneur de ce lieu ; ils sont tous bienheureux et revêtus d'immortalité.

Rien qu'à entendre ces choses, j'ai le cœur ravi. Mais quand et comment les posséderons-nous ?

— Le Seigneur, souverain de ce pays, l'a écrit dans ce livre. (Esaïe 55.1-2) Si nous désirons vraiment les posséder, (Jean 6.37 ; 7.37) il nous les donnera, certainement.

— Combien je suis heureux, mon cher compagnon, d'entendre ces choses ! Hâtons-nous ; doublons le pas.

— Je ne puis pas avancer aussi vite que je le voudrais, dit Chrétien ; à cause du fardeau qui pèse sur mes épaules.

Je vis alors, dans mon rêve, que dès qu'ils eurent cessé de parler, ils arrivèrent près d'un bourbier fangeux, situé au milieu de la plaine. Comme ils n'y avaient pas pris garde, trop occupés qu'ils étaient par leur conversation, ils s'y enfoncèrent tous deux. Le nom de ce bourbier est Découragement. Ils s'y vautrèrent pendant quelque temps, souillés par la boue. Chrétien surtout, grâce au fardeau dont il était chargé, enfonçait plus profondément dans la vase.

— Ah ! voisin Chrétien, s'écria Facile, où êtes-vous maintenant ?

— Vraiment, je n'en sais rien, répondit Chrétien.

Facile commença alors à se fâcher, et sa colère augmentant, il dit à son compagnon :

— Est-ce là le bonheur que tu m'avais promis ? Si nous avons une si mauvaise chance dès le début de notre voyage, à quoi pouvons-nous encore nous attendre, jusqu'à ce que nous arrivions au terme de notre pèlerinage ? Si je réussis à sauver ma vie, je te laisserai bien jouir seul de ton beau pays.

En disant cela, il fit quelques vigoureux efforts et parvint à se tirer du bourbier, du côté où se trouvait sa maison, où il se rendit en hâte.

Chrétien ne le revit plus.


Secours le tira hors du bourbier et le plaça sur la terre ferme.

Resté seul à se débattre dans le bourbier du Découragement, le Pèlerin luttait pour sortir du côté opposé à sa demeure, et faisant face à la porte étroite ; mais il ne pouvait venir à bout de se dégager à cause de son pesant fardeau.

Je vis alors qu'un homme, nommé Secours, s'approchait de lui, et lui demandait ce qu'il faisait là.

Monsieur, répondit Chrétien, une personne, qui se nomme Evangéliste, m'a ordonné de suivre ce chemin. Il doit me conduire à la petite porte qui est là-bas, afin que je puisse échapper à la colère à venir. Comme je me hâtais pour y arriver, je suis tombé dans ce bourbier.

— Pourquoi n'as-tu pas pris garde aux empreintes dans lesquelles tu devais poser tes pieds ?

La crainte me tenait si fort que j'ai marché dans le premier chemin que j'ai rencontré, et je suis tombé ici.

— Donne-moi ta main, dit Secours.

Chrétien la lui tendit ; il le tira hors du bourbier et le plaça sur la terre ferme, afin qu'il pût poursuivre son chemin.

Alors je m'approchai de celui qui venait de délivrer Chrétien, et je lui d'Israël : « Seigneur, puisque cette place se trouve sur le chemin qui part de la ville de Destruction pour arriver à la porte étroite qui est là-bas, comment se fait-il que ce bourbier n'ait pas été comblé, afin que les pauvres pèlerins puissent avancer en sécurité ? »

Il me répondit : Ce bourbier ne peut être comblé. Il est le réservoir où descendent continuellement l'écume et la souillure qui découlent de la conviction du péché. C'est pourquoi il se nomme le bourbier du Découragement. Lorsque le pécheur se rend compte de son état de perdition, des craintes, des doutes, et des appréhensions qui le découragent, s'éveillent dans son âme ; ils s'unissent pour s'écouler dans ce lieu, qui ne peut ainsi être amélioré.

Ce n'est cependant pas la volonté du Roi que cette place reste en si mauvais état. (Esaïe 35.3,8) Ses ouvriers travaillent depuis plus de dix-neuf siècles à la réparer. A ma connaissance, plus de vingt mille chargements, oui, même des millions d'exhortations et d'instructions, provenant de tous les lieux soumis à la domination du Roi, ont été engloutis ici. Ce serait pourtant les meilleurs matériaux pour améliorer cette place, si cela était possible. Mais elle reste le bourbier du Découragement, et le restera en dépit de tous les efforts.

On a cependant placé, sous la direction du Législateur, quelques marchés solides, au milieu même du bourbier ; mais à certains moments, surtout quand le temps va changer, les impuretés de ce lieu augmentent, et ces marches sont fort difficiles à discerner ; ou, si elles sont visibles, les voyageurs ont le vertige, et les manquant, ils tombent dans la boue, quoiqu'elles soient cependant à côté d'eux. Mais, dès qu'on a dépassé la petite porte, le terrain est ferme.

Je vis ensuite que Facile était arrivé dans sa demeure. Ses voisins vinrent lui rendre visite, et quelques-uns d'entre eux le félicitèrent d'être de retour ; d'autres le traitèrent de fou, parce qu'il s'était hasardé à suivre Chrétien ; d'autres enfin se moquèrent de sa couardise en lui disant : « Puisque tu avais commencé, tu n'aurais pas dû te laisser décourager par de petites difficultés ; à ta place je n'aurais pas été si lâche ! »

Ainsi le pauvre Facile était tout honteux au milieu d'eux. Cependant, il reprit courage ; ses voisins se lassèrent de le railler ; ils dirigèrent leurs moqueries contre Chrétien et s'égayèrent à ses dépens.

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