Le voyage du Pèlerin

17. Les Pèlerins apprennent beaucoup de choses par leurs propres expériences et par celles de Petite-Foi et d'autres ; ils se laissent prendre dans le filet du Flatteur, et après avoir été justement châtiés, ils rentrent dans le bon chemin.

Je me rendormis et je rêvai de nouveau. Je vis les deux Pèlerins descendre de la montagne, et se diriger vers la ville. Au pied des Montagnes Délectables, à main gauche, se trouve la contrée de l'Imagination, d'où part un sentier aboutissant au chemin que suivaient les Pèlerins. A cet endroit, ils rencontrèrent un jeune homme très leste, qui venait de cette contrée et dont le nom était Propre-Justice.

Chrétien lui adressa la parole, et lui demanda d'où il venait et où il allait.

— Je suis né dans la contrée que vous voyez ici à main gauche, et je me rends à la Cité céleste, répondit Propre-Justice.

— Mais comment espères-tu atteindre la porte ? Ne t'attends-tu pas à rencontrer des difficultés ? lui dit Chrétien.

— Je ferai comme tout monde.

— Mais que montreras-tu à la porte, pour qu'on te laisse entrer ?

— Je connais la volonté de mon Maître, répondit le jeune homme ; je suis un honnête homme, payant à chacun ce qui lui est dû. Je prie, je jeûne, je paye la dîme, et fais des aumônes et j'ai abandonné mon pays pour me rendre là-bas.

— Mais tu n'a pas passé par la porte étroite qui est à l'entrée de ce chemin, dit Chrétien ; tu es arrivé ici directement par ce sentier ; c'est pourquoi je crains que malgré la bonne opinion que tu as de toi-même, tu ne sois, quand le moment de rendre compte sera venu, traité comme un voleur et un brigand, au lieu de pouvoir entrer dans la Cité céleste.

— Messieurs, dit Propre-Justice, vous êtes des étrangers pour moi ; je ne vous connais pas. Suivez, si cela vous plaît, la religion de votre pays, moi je suis celle du mien ; j'espère que tout ira bien. Quant à la porte dont vous me parlez, tout le monde sait qu'elle est très éloignée de notre pays. Je ne crois pas qu'aucun de mes compatriotes en connaisse le chemin, et nous ne nous soucions pas non plus de le connaître, puisque nous avons ce joli sentier qui conduit directement de notre pays dans le bon chemin.

Quand Chrétien se rendit compte combien ce jeune homme était sage à ses propres yeux, il murmura à l'oreille de Plein-d'Espoir :

— « Il y a plus à espérer d'un insensé que de lui ! » (Proverbes 26.12) Puis il ajouta : « Quand l'insensé marche dans un chemin, le sens lui manque », et il dit de chacun : « Voilà un fou ! » (Ecclésiaste 10.3) Continuerons-nous à nous entretenir avec lui, ou l'abandonnerons-nous maintenant, le laissant méditer sur ce qu'il vient d'entendre ? Nous pourrons toujours le rejoindre plus tard, et voir si, graduellement, il nous sera possible de lui faire quelque bien.

Plein-d'Espoir répondit en chantant :

Comment peut un aveugle suivre le droit chemin,
Etant sans lumière et sans guide ?
Comment une tête stupide
Peut-elle, sans l'Esprit divin,
Des mystères du ciel avoir l'intelligence
Ah ! si du moins ton ignorance,
Malheureux, t'excitait à suivre un conducteur !
Il pourrait encore t'introduire,
Par la clarté qu'il ferait luire,
Dans le chemin du vrai bonheur.

Puis il ajouta :

— Je crois qu'il ne serait pas bon de vouloir l'instruire en une seule fois. Dépassons-le, si tu le veux, et nous lui dirons plus tard ce que nous jugerons qu'il pourra comprendre.

Ils avancèrent donc, et Propre-Justice les suivait. Ils entrèrent à ce moment dans un chemin très obscur, où ils remarquèrent un homme que sept démons avaient lié de sept cordes très solides, et transportaient vers la porte située sur le flanc de la colline.

Chrétien commença à trembler ainsi que Plein-d'Espoir. Pendant que les démons emmenaient cet homme, Chrétien le regarda pour voir s'il le connaissait. Il lui sembla reconnaître Déserteur de la ville Apostasie. Mais il ne put pas bien distinguer son visage, car il baissait la tête, comme un voleur qui s'est laissé prendre.

Quand il eut passé, Plein-d'Espoir aperçut derrière son dos un écriteau portant cette inscription : « Professeur de volupté et maudit apostat. »

Alors Chrétien dit à son compagnon :

— Je me souviens maintenant d'une chose qu'on m'a racontée et qui est arrivée à un individu nommé Petite-Foi. C'était un homme bon, et il demeurait dans la ville de Sincérité. Voici la chose : A l'entrée de ce chemin aboutit un autre chemin, qui vient de la Porte-large, et se nomme la Voie des morts. Il porte ce nom a cause des nombreux meurtres qui s'y commettent. Petite-Foi, faisant le même pèlerinage que nous, s'assit dans ce chemin et s'y endormit. A ce moment survinrent trois hommes qui venaient de la Porte-large ; c'étaient trois méchants frères nommés Timide, Méfiant et Coupable. Apercevant Petite-Foi endormi, ils fondirent sur lui. Le pauvre homme s'éveillait à ce moment, et se préparait à reprendre sa route, mais dans un langage menaçant, ces trois hommes lui ordonnèrent de rester où il était. Petite-Foi devint pâle comme la mort, et n'eut la force ni de lutter, ni de s'enfuir.

Alors Timide lui dit : « Donne-moi ta bourse. » Mais comme il ne se pressait pas de la lui remettre, car il ne désirait pas être privé de son argent, Méfiant se jeta sur lui, et mettant la main dans sa poche, il en retira une bourse pleine d'argent. Alors Petite-Foi cria : « Au voleur ! au voleur ! » Mais Coupable, qui avait un bâton à la main, le frappa sur la tête d'un formidable coup qui l'étendit sur le sol, où il resta baigné dans son sang. Cependant, les voleurs entendant du bruit sur le chemin, et craignant que ce ne fût Grande-Grâce qui demeure dans la ville de Confiance, tournèrent sur leurs talons et s'enfuirent, laissant Petite-Foi se tirer d'affaire tout seul. Quand celui-ci revint à lui, il essaya de se lever et de poursuivre sa route en se traînant. Voilà l'histoire telle qu'elle m'a été racontée.

— Lui prirent-ils tout ce qu'il possédait ? demanda Plein-d'Espoir.

— Non, répondit Chrétien, ils ne purent découvrir la place où il avait caché ses joyaux. Mais on m'a dit que Petite-Foi fut très affligé de sa perte, car les voleurs lui avaient pris presque tout l'argent qu'il possédait, en sorte qu'il avait à peine de quoi arriver au terme de son voyage ; il fut même obligé — si je suis bien informé — de mendier pour avoir de quoi vivre, car il ne pouvait vendre ses bijoux. Même en mendiant, il eut souvent faim pendant le reste de son voyage.

— N'est-ce pas un miracle qu'ils ne lui aient pas volé le passe-port qui lui permettait d'entrer dans la Cité céleste ? demanda Plein-d'Espoir.

— C'est en effet un miracle. Ce n'est pas grâce à ses précautions qu'ils ne l'ont pas trouvé ; car épouvanté par leur brusque assaut, il n'a eu ni le pouvoir, ni l'habileté de le cacher. C'est donc à la Providence, bien plus qu'à ses efforts, qu'il dut de ne pas en être dépouillé.

— Ce fut, sans doute, une consolation pour lui qu'ils ne lui aient pas pris ses joyaux, ajouta Plein-d'Espoir.

— Il en aurait été ainsi s'il avait pu s'en servir ; mais ceux qui m'ont conté cette histoire m'ont assuré qu'il n'en fit presque aucun usage pendant tout le reste de son voyage, tant il avait de chagrin qu'on lui ait pris son argent. Il oubliait même qu'il possédait ces joyaux, et lorsqu'ils lui revenaient à la mémoire, et que cela commençait à le réconforter, la pensée de l'argent qu'il avait perdu le plongeait de nouveau dans la tristesse.

— Hélas ! pauvre homme ! il était bien malheureux !

— Malheureux ! je le crois bien, répondit Chrétien. Ne le serions-nous pas aussi si nous avions été volés et blessés comme lui, dans ce lieu ? C'est un miracle qu'il ne soit pas mort de chagrin. J'ai entendu dire que pendant presque tout son voyage, il n'a fait que soupirer et gémir, racontant à tous ceux qu'il rencontrait comment il avait été volé, et où cela lui était arrivé; quels étaient ceux qui l'avaient attaqué, ce qu'il avait perdu, et comment il avait été blessé au point d'en perdre la vie.

— Comment se fait-il que sa détresse ne l'ait pas poussé à vendre, ou à mettre en gage quelques-uns de ses joyaux, afin d'avoir de quoi terminer son voyage ? demanda Plein-d'Espoir.

— Tu parles comme quelqu'un qui n'y comprend rien, mon frère, car où aurait-il pu les mettre en gage ? et à qui aurait-il pu les vendre ? Dans tout le pays où il a été dépouillé, ses joyaux n'ont aucune valeur, et il n'y pouvait trouver, non plus, les consolations dont il avait besoin. D'ailleurs, s'il n'avait pu présenter ces bijoux à la porte de la Cité céleste, il en aurait été exclu — il le savait bien — et cela aurait été pire pour lui que les attaques de mille voleurs.

— Pourquoi es-tu si acerbe, mon frère ? Esaü vendit son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, (Hébreux 12.16) et cependant ce droit était son bien le plus précieux. Ce qu'il a fait, Petite-Foi n'aurait-il pu le faire aussi ?

— Il est vrai qu'Esaü vendit son droit d'aînesse, répondit Chrétien, et que beaucoup l'imitent. En le faisant, ils s'excluent eux-mêmes, comme lui, de la bénédiction suprême. Mais tu dois faire une distinction entre Esaü et Petite-Foi, ainsi qu'entre leurs conditions. Le droit d'aînesse d'Esaü était typique, mais non les joyaux de Petite-Foi. Esaü faisait de son ventre un dieu, Petite-Foi n'agissait pas ainsi. Le péché d'Esaü provenait de sa sensualité, ce qui n'est pas le cas pour l'autre. Esaü ne cherchait que la satisfaction de ses convoitises : « Voici, je m'en vais mourir, » disait-il, « à quoi me sert ce droit d'aînesse ? » (Genèse 25.29-34) Mais Petite-Foi, quoiqu'il n'eût qu'une petite foi, fut préservé d'une telle extravagance, et rendu capable d'estimer assez ses joyaux pour ne pas les vendre comme Esaü son droit d'aînesse. Tu ne lis nulle part qu'Esaü ait eu de la foi, même en faible mesure ; c'est pourquoi il n'est pas étonnant qu'une personne se laissant diriger uniquement par la chair, en arrive, comme lui, a vendre son droit d'aînesse, son âme et tout ce qu'elle possède, au démon. Car de telles personnes sont semblables à l'ânesse sauvage qui veut satisfaire l'ardeur de sa passion ; (Jérémie 2.24) elles ne pensent qu'à leurs convoitises, et veulent les satisfaire à n'importe quel prix. Petite-Foi était d'un autre tempérament ; il aimait les choses divines ; il faisait sa nourriture des biens spirituels et célestes. Pourquoi aurait-il vendu ses joyaux — s'il avait trouvé quelqu'un qui ait voulu les acheter — pour acquérir des choses terrestres ? Un homme dépenserait-il un sou pour acquérir du foin comme nourriture ? Ou pourrait-on persuader la tourterelle de se nourrir de cadavres comme le corbeau ?

Si les incrédules, pour assouvir leurs convoitises charnelles, sont capables de mettre en gage, ou de vendre, ce qu'ils possèdent, il n'en est pas de même des croyants, même de ceux qui n'ont qu'une petite foi. C'est ce que tu n'avais pas compris, mon frère.

— Je le reconnais, dit Plein-d'Espoir, mais ta sévérité m'avait presque fâché.

— Eh bien, je te comparerai à ces petits oiseaux imprudents qui, à peine sortis de leur coquille, courent çà et là dans des chemins non frayés ! Mais laissons tout cela ; considère seulement pour elle-même la chose dont nous venons de parler, et tout ira bien entre nous.

— Mais, Chrétien, je suis persuadé que ces trois compagnons n'étaient que des lâches. Autrement, crois-tu qu'ils se seraient enfuis, comme ils l'on fait, en entendant du bruit dans le chemin ? Pourquoi Petite-Foi n'a-t-il pas montré plus de courage ? Il aurait pu, je pense, combattre contre eux, et ne se rendre qu'à la dernière extrémité.

— Qu'ils soient des lâches, beaucoup l'ont dit, mais peu les trouvent tels au moment de l'épreuve. Quant à du courage, Petite-Foi n'en avait point, et je m'aperçois que toi-même, mon cher frère, si tu avais été à sa place, tu te serais d'abord défendu, puis tu aurais cédé. Et vraiment, quoique tu penses ainsi parce qu'ils sont à une certaine distance de nous, s'ils t'apparaissaient, comme à lui, tu changerais sans doute d'idée.

Réfléchis qu'ils sont des détrousseurs de voyageurs ; ils servent le roi de l'Abîme qui, si cela est nécessaire, vient à leur aide. Sa voix ressemble au rugissement du lion. (1 Pierre 5.8) J'ai moi-même été surpris par eux comme Petite-Foi, et j'ai éprouvé que c'est terrible. Ces trois coquins s'étaient jetés sur moi ; j'ai commencé par résister, comme tout chrétien doit le faire ; mais ils appelèrent leur maître qui vint à leur aide. J'aurais à ce moment donné ma vie pour un liard, mais, par la volonté de Dieu, je me suis trouvé en possession d'armes éprouvées. Et cependant, quoique ainsi préservé, j'ai expérimenté combien il est difficile de se comporter courageusement dans un cas semblable. Aucun homme ne peut dire ce qu'est un tel combat, à moins qu'il n'ait eu à le soutenir lui-même.

— Cependant, tu les as vus fuir quand ils ont supposé que Grande-Grâce venait à son secours sur le chemin, dit Plein-d'Espoir :

— C'est vrai, ils ont dû s'enfuir souvent, eux et leur Maître, devant Grande-Grâce, et ce n'est pas étonnant, car il est le Champion du Roi. Mais j'imagine que tu établis une différence entre Petite-Foi et le Champion du Roi. Tous les sujets du Roi ne sont pas des champions, et ne peuvent, à l'épreuve, fournir de hauts faits d'armes. Serait-il juste de penser qu'un petit enfant aurait pu tuer Goliath comme David l'a fait? ou peut-on trouver, la force d'un bœuf dans un roitelet ? Il y a des forts et des faibles, les uns ont une grande foi, les autres une petite. Cet homme était faible, c'est pourquoi il s'est laissé maltraiter.

— J'aurais voulu qu'il fût Grande-Grâce, pour leur tenir tête.

— Grande-Grâce lui-même aurait eu fort à faire avec eux, bien qu'il soit habile à manier les armes et à tenir ses ennemis à la pointe de son épée. Cependant si Timide, Méfiant, ou un autre, réussissent à avancer quelque peu, il n'a qu'à se bien tenir, s'il ne veut pas être jeté par terre. Et quand un homme est à bas, que peut-il faire ? Ceux qui ont remarqué sur le visage de Grande-Grâce des traces de coups et des cicatrices approuveront ce que je viens de dire. Je l'ai même entendu une fois s'écrier, pendant le combat : « Nous désespérions de conserver la vie. » (2 Corinthiens 1.8) Et souviens-toi comment ces terribles ennemis ont fait soupirer, gémir et crier le roi David. Héman (Psaumes 88) et Ezéchias aussi, quoiqu'ils fussent des champions, durent se donner beaucoup de peine pour leur résister ; malgré cela leurs vêtements ont été vigoureusement frottés par eux. Pierre essaya de les vaincre, mais quoique plusieurs le nomment le Prince des apôtres, il fut maltraité par eux au point d'en être complètement abattu.

Leur Prince est toujours à portée de leur appel, et lorsqu'ils sont près d'être vaincus, il accourt à leur aide. C'est de lui qu'il est dit : « C'est en vain qu'on l'attaque avec l'épée ; la lance, le javelot, la cuirasse ne servent à rien. Il regarde le fer comme de la paille, l'airain comme du bois pourri. La flèche ne le met pas en fuite, les pierres de la fronde sont pour lui du chaume. Il ne voit dans la massue qu'un brin de paille, il rit au sifflement des dards. » (Job 41.17-20) Que peut faire un homme contre un tel ennemi ? Il est vrai que si un homme pouvait avoir le cheval de Job, son habileté et son courage pour le monter, il ferait de grandes choses. Car : « Son fier hennissement répand la terreur. Il creuse le sol, et se réjouit de sa force, il s'élance au devant des armes ; il se rit de la crainte, il n'a pas peur, il ne recule pas en face de l'épée. Sur lui retentit le carquois, brillent la lance et le javelot. Bouillant d'ardeur, il dévore la terre, il ne peut se contenir au bruit de la trompette. Quand la trompette sonne, il dit : En avant ! Et de loin, il flaire la bataille, la voix tonnante des chefs et les cris de guerre. » (Job 39.23-28) Mais des combattants, comme toi et moi, ne doivent pas souhaiter de rencontrer de semblables ennemis, ni se vanter de pouvoir faire mieux que ceux qui ont succombé, car ce sont souvent ceux qui se glorifient de leur force qui sont le plus vite vaincus. Témoin Pierre, dont je viens de te parler. Il a voulu faire le crâne ; son esprit prompt l'a poussé à dire qu'il n'abandonnerait jamais son Maître, même si les autres le faisaient ; et qui fut plus humilié et plus abaissé que lui ?

Aussi quand nous entendons dire que sur le chemin royal de tels brigandages se sont exercés, il nous reste deux choses à faire : Premièrement, revêtir nos armes, et surtout notre bouclier, car c'est pour n'avoir pas eu de bouclier que celui qui combattait Léviathan ne put le vaincre. L'ennemi ne nous craint plus du tout dès qu'il voit que nous en sommes dépourvus. C'est pourquoi celui qui connaissait bien ce combat a dit : « Prenez par dessus tout le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin ». (Ephésiens 6.6)

Deuxièmement : il est bon que nous demandions une escorte au Roi, et même qu'il nous accompagne lui-même. Sa présence réjouit David dans la Vallée de l'Ombre de la Mort, et Moïse préférait mourir sur place que de faire un pas sans Dieu. (Exode 33.15) O mon frère ! s'il est avec nous, nous ne craindrons rien, même si des myriades nous assiègent, et si une armée se campe contre nous ! (Psaumes 3.6 ; 27.1-3) Sans lui, les plus fiers héros tombent parmi les morts. (Esaïe 10.4)

Pour moi, j'ai été au combat avant ce moment, et quoique, par la bonté de Dieu, je sois encore en vie, je ne puis me glorifier de ma force. Je serai heureux si je n'ai plus à soutenir de tels assauts, quoique je ne croie pas que nous soyons à l'abri de tout danger. Cependant, « puisque le lion et l'ours ne m'ont pas encore dévoré, j'espère que Dieu nous délivrera enfin de la main des Philistins. » (1 Samuel 17.37)

Chrétien se mit alors à chanter :

Une foi débile et tremblante
Ne peut résister à l'effort
D'un ennemi cruel et fort.
On la voit bientôt chancelante,
Dès que Satan et ses suppôts
Lui livrent les moindres assauts.

Mais un bouclier invincible
C'est la fermeté de la foi,
Qui ne subit jamais la loi
De l'ennemi le plus terrible.
En vain Satan et ses suppôts
Lui livrent leurs mortels assauts.

Dans nos plus terribles alarmes,
Sachons, comme fit Israël,
Etre vainqueurs de l'Eternel
Par nos prières et nos larmes,
Alors Satan et ses suppôts
Nous livrent en vain mille assauts.

Les Pèlerins poursuivirent leur voyage, et Propre-Justice marchait derrière eux. Ils arrivèrent à une place où un chemin croisait le leur ; tout en paraissant aussi droit que celui qu'ils suivaient. Très embarrassés de savoir lequel ils devaient prendre, ils s'arrêtèrent pour se consulter. Pendant qu'ils réfléchissaient, un homme à la peau noire, vêtu d'une robe blanche, vint vers eux, et leur demanda pourquoi ils restaient là, immobiles. Ils répondirent qu'ils se rendaient à la Cité céleste, mais ne savaient lequel des deux chemins ils devaient choisir.

— Suivez-moi, leur dit cet homme, car je me rends aussi à cet endroit.

Ils le suivirent donc dans le chemin qui était à côté du leur, mais qui ne tarda pas à s'en éloigner toujours plus, à mesure qu'ils avançaient, de telle sorte qu'ils s'en allaient dans une direction tout à fait opposée à la Cité céleste, à laquelle ils tournaient maintenant le dos. Cependant ils continuaient à avancer. Mais, peu à peu, ils se rendirent compte que cet homme les conduisait dans un filet dont ils furent bientôt enveloppés si étroitement qu'ils ne savaient que devenir. Au même moment, la robe blanche tomba des épaules de l'homme, et ils virent où ils étaient. Alors ils se mirent à pleurer, car ils ne pouvaient pas se délivrer eux-mêmes.

— Je reconnais maintenant notre erreur, dit Chrétien à son compagnon. Les bergers ne nous avaient-ils pas mis en garde contre le Flatteur ? Suivant la parole de l'homme sage, nous éprouvons aujourd'hui que l'homme qui flatte son prochain tend un filet sous ses pas. (Proverbes 29.5)

— Les bergers nous ont aussi donné des instructions écrites sur le chemin à suivre, et nous avons négligé de les lire, dit Plein-d'Espoir. Nous n'avons pas pensé à éviter le chemin des méchants. En ceci, David a été plus sage que nous, car il a dit : « A la vue des actions des hommes, fidèle à la parole de tes livres, je me tiens en garde contre la voie des méchants. » (Psaumes 17.4)

C'est ainsi qu'ils se lamentaient, enveloppés dans le filet.


Ils se lamentaient, enveloppés dans le filet, lorsqu'ils aperçurent un homme tout resplendissant.

Enfin ils aperçurent un homme tout resplendissant qui s'avançait vers eux un fouet de petites cordes à la main. Quand il fut arrivé à l'endroit où ils étaient, il leur demanda d'où ils venaient, et ce qu'ils faisaient là. Ils lui répondirent qu'ils étaient de pauvres pèlerins se rendant à Sion, mais qui avaient été détournés de leur chemin par un homme noir, vêtu de blanc, qui leur avait dit de le suivre, parce qu'il faisait la même route qu'eux :

— C'est un flatteur, « un faux apôtre qui s'est déguisé en apôtre de Christ, » (2 Corinthiens 11.13) dit l'homme qui tenait le fouet.

Puis il rompit le filet et les mit en liberté.

— Suivez-moi, leur dit-il encore, et je vous remettrai dans le bon chemin. Ainsi il les replaça dans le chemin qu'ils avaient quitté pour suivre Flatteur. Il leur demanda alors :

— Où avez-vous passé la nuit dernière ?

— Avec les bergers, sur les Montagnes Délectables, répondirent-ils.

— Les bergers ne vous ont-ils pas donné des instructions écrites pour votre voyage ?

— Oui, répondirent-ils.

— N'avez-vous pas lu ces instructions quand vous vous êtes trouvés dans l'embarras ?

— Non, dirent-ils.

— Pourquoi ?

Ils durent avouer qu'ils l'avaient oublié. Il s'informa si les bergers ne les avaient pas mis en garde contre Flatteur.

— Oui, répondirent-ils, mais nous n'avons pas supposé que cet homme qui parlait si bien fût un flatteur.

Alors je vis dans mon rêve qu'il leur commandait de se coucher sur le sol, ce qu'ils firent. Puis il les châtia sévèrement pour leur apprendre à rester dans le droit chemin. Tout en les châtiant il disait : « Je reprends et je châtie tous ceux que j'aime. Ayez donc du zèle et repentez-vous. » (Apocalypse 3.19)

Ensuite il leur recommanda de continuer leur route et de suivre strictement les instructions que les bergers leur avaient données. Ils le remercièrent pour sa bonté, et s'en allèrent en chantant :

Prenez exemple ici, vous qui suivez les traces
Qui mènent en Sion,
Et voyez dans quelles disgrâces
Nous jette la séduction
Des esprits déguisés en anges de lumière
Qu'on rencontre dans sa carrière.

Une âme qui se perd hors de la droite voie
Va tomber dans un rets
Qui la fait devenir la proie
D'innombrables regrets.
En vain, pour se tirer de sa chute imprudente,
Elle s'agite et se tourmente.

Mais si dans ce malheur
Dieu permet qu'elle tombe,
Ce n'est pas pour toujours.
Il ne veut pas qu'elle succombe,
Son sauveur vient à son secours,
Et s'il exerce encore un châtiment sur elle,
C'est pour la rendre plus fidèle.

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