Le voyage du Pèlerin

19. Les Pèlerins s'entretiennent de nouveau avec Ignorant, et se rendent ainsi compte de la foi stérile de ceux qui se confient dans leurs œuvres pour être sauvés ; ensuite ils se racontent l'histoire de Temporaire, et s'entretiennent de l'inconstance de semblables personnes.

Je vis alors, dans mon rêve, Plein-d'Espoir regarder en arrière. Il aperçut Ignorant, que les Pèlerins avaient quitté, et qui les suivait.

— Regarde, dit-il à Chrétien, comme il est loin derrière nous ; il est cependant bien plus jeune que nous !

— Oui, oui, je le vois bien, mais il ne tient pas à notre compagnie.

— Cependant cela ne lui aurait point fait de mal de marcher avec nous.

— Certainement, mais je te garantis qu'il ne pense.

— Cela se peut ; mais essayons de l'attendre.

Ils s'arrêtèrent donc. Dès qu'Ignorant fut à leur portée, Chrétien lui dit :

— Viens vers nous, mon ami, pourquoi restes-tu ainsi en arrière ?

— J'aime marcher seul, répondit Ignorant, beaucoup mieux que d'être en compagnie, à moins qu'elle ne me convienne bien. Chrétien dit alors à voix basse à Plein-d'Espoir :

— Ne t'avais-je pas dit qu'il ne désirait pas être avec nous. Cependant, pour abréger le temps, dans ce lieu solitaire, essayons de nous entretenir avec lui.

Puis s'adressant à Ignorant, il lui dit :

— Eh bien, comment te portes-tu ? Comment cela va-t-il entre ton âme et Dieu, maintenant ?

— Bien, je l'espère, car je suis plein de bons désirs et de bonnes pensées qui réconfortent mon esprit pendant la marche.

— Quelles bonnes pensées as-tu ? Dis-les moi, je t'en prie.

— Eh bien, je pense à Dieu et à la Patrie céleste.

—Les démons le font aussi, dit Chrétien, et ils en tremblent.

— Mais je ne me borne pas à penser à Dieu, je désire être à lui.

— Beaucoup en sont là, et ne parviennent jamais à le posséder.

« L'âme du paresseux a des désirs qu'il ne peut satisfaire. » (Proverbes 13.4)

— Mais j'ai tout quitté pour parvenir à la Patrie céleste.

— J'en doute, car tout abandonner est bien difficile, oui, plus difficile que beaucoup de personnes ne se l'imaginent. Mais qu'est-ce qui te fait croire que tu as tout quitté pour Dieu et la patrie céleste ?

— Mon cœur me le dit.

— « Celui qui a confiance dans son propre cœur est un insensé, » (Proverbes 28:26) a dit le Sage.

— Il a voulu parler d'un cœur mauvais, tandis que le mien est bon.

— Peux-tu le prouver ?

— Oui, car il me console par l'espérance du ciel.

— Ceci peut arriver malgré la méchanceté du cœur, car un cœur mauvais peut espérer des biens qu'il n'a aucun droit de posséder.

— Mais mon cœur et ma vie sont d'accord c'est pourquoi mon espérance est bien fondée.

— Qui t'a dit que ton coeur et ta vie étaient d'accord ?

— Mon cœur me l'a dit.

— Ton cœur te l'a dit ! Il n'y a que la Parole de Dieu qui puisse rendre un témoignage à cet égard ; tous les autres témoignages sont sans valeur.

— Mais n'est-ce pas un bon cœur que celui qui a de bonnes pensées ? et n'est-ce pas une bonne vie que celle qui est d'accord avec les commandements de Dieu ?

— Oui, un cœur rempli de bonnes pensées et une vie conforme aux commandements de Dieu sont de bonnes choses, mais il faut posséder ces choses, et ne pas seulement croire qu'on les possède.

— Qu'entendez-vous, je vous prie de me le dire, par un cœur plein de bonnes pensées et une vie conforme aux commandements de Dieu ? demanda Ignorant.

— On peut avoir des bonnes pensées de différentes sortes ainsi, il y a des bonnes pensées qui se rapportent à nous-mêmes, d'autres à Dieu, d'autres à Christ, d'autres enfin aux choses de la vie.

— Quelles sont les bonnes pensées qui se rapportent à nous-mêmes ?

— Celles qui sont conformes à la Parole de Dieu.

— Et quand sont-elles conformes à cette Parole ?

— Quand nous nous jugeons comme la Parole de Dieu nous juge. Par exemple, cette Parole dit des personnes qui sont encore dans leur état de nature : « Il n'y a point de juste, pas même un seul. » (Romains 3.10) Elle dit aussi que « toutes les pensées de leur coeur se portent, chaque jour, uniquement vers le mal. » (Genèse 6.5) Et encore que « les pensées du cœur de l'homme sont mauvaises dès sa jeunesse. » (Genèse 8.21) Quand nous pensons ainsi de nous-mêmes, ces pensées sont bonnes parce qu'elles sont d'accord avec la. Parole de Dieu.

Je ne puis pas croire que mon cœur soit aussi mauvais.

— C'est pourquoi tu n'as donc jamais une bonne pensée sur toi-même. Mais continuons. De même que la Parole de Dieu juge nos cœurs, elle juge aussi nos voies, et quand nos cœurs et nos actions sont d'accord avec le jugement que la Parole de Dieu porte sur eux, ils sont tous deux bons :

— Expliquez-vous plus clairement.

— Eh bien, la Parole de Dieu dit que les voies de l'homme sont des voies détournées, (Psaumes 125.5) perverses, tortueuses. (Proverbes 2.14, 15) Elle dit que, par nature, les hommes sont tous égarés, tous pervertis, qu'ils ne connaissent pas le chemin de la paix. (Romains 10.11-18) Quand un homme a de telles pensées sur ses voies, et qu'elles sont accompagnées d'un sentiment d'humiliation, elles sont bonnes parce qu'elles sont d'accord avec la Parole de Dieu.

— Quelles sont les bonnes pensées concernant Dieu ? demanda Ignorant.

— Il faut aussi qu'elles soient d'accord avec ce que Dieu dit de lui-même, de son être et de ses attributs, mais cela serait trop long d'en parler en détail. Cependant, en ce qui concerne ses rapports avec nous, nous avons des pensées justes sur Dieu quand nous pensons qu'il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, et qu'il découvre le péché qui est en nous lorsque nous ne le découvrons pas nous-mêmes ; quand nous pensons qu'il connaît nos plus secrètes pensées, et que notre cœur, avec toutes ses profondeurs, est ouvert devant ses yeux ; lorsque nous pensons encore que toute notre justice n'est que souillure à ses yeux, et que, par conséquent, nous ne pouvons subsister devant lui en nous confiant en quoi que ce soit que nous possédions ou que nous ayons fait.

— Croyez-vous que je sois assez insensé pour m'imaginer que Dieu n'en sait pas plus long que moi, ou pour me présenter devant lui drapé dans mes bonnes œuvres ?

— Alors quelles sont tes pensées sur ces sujets ?

— Je répondrai par un seul mot : Je sais que je dois croire en Christ pour être justifié.

— Comment ! Tu penses que tu dois croire en Christ quand tu ne ressens aucun besoin de lui ? Tu ne vois donc pas ta misère originelle et actuelle ? Mais tu as une telle opinion de toi-même et de ce que tu fais, que tu ne peux sentir la nécessité de la justice personnelle de Christ pour être justifié devant Dieu. Comment donc dis-tu : « Je crois en Christ ? »

— Je crois que Christ est mort pour les pécheurs, et que devant Dieu, je serai justifié de la malédiction, par sa gracieuse acceptation de mon obéissance à sa loi. Ou mieux encore, Christ rend mes oeuvres, qui sont religieuses, agréables à son Père par la vertu de ses mérites, et ainsi je serai justifié.

— Permets-moi de répondre ceci à ta profession de foi :

  1. Tu as une foi d'imagination, car une foi semblable n'est décrite nulle part dans la Parole de Dieu.
  2. Cette foi est fausse, parce qu'elle prend la justification qui provient de la justice personnelle de Christ, pour l'appliquer à ta propre justification.
  3. Cette foi ne fait pas de Christ celui qui justifie ta personne, mais celui qui justifie tes actions, ou ta personne par tes actions, ce qui est faux.
  4. C'est pourquoi cette foi est trompeuse et te laissera sous la colère de Dieu, au jour du Tout-Puissant. La vraie foi qui sauve est celle qui pousse l'âme connaissant son état de perdition à chercher un refuge dans la justice de Christ, justice qui n'est pas un acte de grâce destiné à faire accepter ton obéissance par Dieu, mais par laquelle il offre sa propre obéissance à la loi, en vivant et en souffrant pour nous, en accomplissant ce que nous aurions dû faire. C'est cette justice-là que la foi accepte, afin que l'âme en soit enveloppée comme dans un manteau, et puisse se présenter devant Dieu qui la considère sans tache, l'accepte, et l'absout de toute condamnation.

— Quoi! Voudriez-vous que nous nous confiions en ce que Christ a fait sans nous ? Cette pensée lâcherait la bride à nos convoitises, et nous pourrions vivre selon notre fantaisie. Car qu'importerait alors notre manière de vivre, puisque nous serions justifiés de tout péché par la justice de Christ, simplement en y croyant ?

— Ton nom est Ignorant, et tu le mérites bien ? Ta réponse le prouve. Tu ignores ce que c'est que la justice qui justifie, et comment tu peux sauver ton âme de la colère de Dieu par la foi en cette justice. Tu es ignorant en ce qui concerne les vrais effets de la foi en la justice de Christ, qui sont de toucher et de gagner le cœur pour l'amener à Dieu par Christ, et de lui faire aimer Dieu, sa Parole, ses voies, son peuple, d'une toute autre manière que tu ne te l'imagines.

— Demande-lui si Christ lui a jamais été révélé par Dieu, dit Plein-d'Espoir à Chrétien.

— Quoi ! vous croyez aux révélations ? Je suis certain que tout ce que vous et vos pareils pouvez dire là dessus n'est que le fruit de cerveaux détraqués.

— Cependant, mon ami, répondit Plein-d'Espoir, Christ est tellement caché à la raison charnelle, qu'aucun homme ne peut le connaître salutairement à moins que Dieu le Père ne le lui révèle.

— C'est votre croyance, ce n'est pas la mienne, qui est cependant, je n'en doute pas, aussi bonne que la vôtre, quoique je n'aie pas autant de rêveries que vous dans la tête.

— Laisse-moi ajouter encore un mot, dit Chrétien. Tu ne devrais pas parler si légèrement de ces choses, car j'affirme hardiment — comme mon compagnon vient de le faire — qu'aucun homme ne peut connaître Jésus-Christ sans que le Père le lui ait révélé. (Matthieu 11.27) Même la foi par laquelle l'âme s'attache à Christ doit — si elle est vraie — comprendre l'infinie grandeur de sa puissance, (Ephésiens 1.17,18) et je vois, pauvre Ignorant, que tu n'as aucune idée de l'efficace de cette foi. Réveille-toi donc, considère ta misère et va au Seigneur Jésus. Alors, par sa justice, qui est la justice de Dieu puisqu'il est Dieu lui-même, tu seras délivré de la condamnation.

— Vous marchez si vite que je ne puis vous suivre, dit alors ignorant ; prenez les devants, je vous suivrai tranquillement.

Les Pèlerins cherchèrent encore à le persuader en lui disant :

— Eh bien, seras-tu assez insensé pour mépriser les bons conseils que nous t'avons donnés ? Si tu refuses de nous écouter, tu t'en repentiras avant qu'il soit longtemps. Arrête-toi à temps, ami, écoute nos conseils, ils te feront du bien. Mais si tu les rejettes, sache que tu en porteras seul la peine, pauvre Ignorant ! Puis Chrétien s'adressant à son compagnon lui dit :

— Viens, cher ami, je vois qu'il nous faut poursuivre seuls notre route.

Je vis alors, dans mon rêve, qu'ils s'avancèrent sur le chemin. tandis qu'Ignorant les suivait de loin en sautillant.

Chrétien dit à son compagnon :

— Ce pauvre homme me fait vraiment pitié ; il lui arrivera certainement malheur plus tard.

— Hélas ! répondit Plein-d'Espoir, il y a un grand nombre de personnes semblables dans notre ville ; des rues entières en sont peuplées. Et s'il en est ainsi pour une ville d'où sont partis tant de pèlerins, combien ne doit-il pas y en avoir dans celle où il est né.

— Cette parole de l'Ecriture est bien vraie : « Il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient des yeux, et qu'ils ne comprennent du cœur » (Esaïe 6.10 ; Jean 12.40) ajouta Chrétien. Maintenant que nous sommes seuls, dis-moi ce que tu penses de semblables personnes. Crois-tu qu'elles n'éprouvent jamais le sentiment du péché et qu'elles ne comprennent jamais, par conséquent, combien leur état est dangereux ?

— Réponds toi-même à cette question, car tu es plus âgé que moi.

— Eh bien, je pense qu'elles ont parfois la conviction du péché, mais comme elles sont naturellement ignorantes, elles ne comprennent pas que cette conviction est pour leur bien ; elles cherchent à s'en débarrasser et continuent à se flatter d'être dans le vrai en suivant les désirs de leur propre cœur.

— Je crois, comme tu viens de le dire, que la conviction du péché est nécessaire pour l'homme, puisqu'elle peut le décider à se mettre en chemin.

— Sans aucun doute, si cette conviction lui inspire une crainte salutaire, car la Parole de Dieu dit : « La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. » (Job 28:28 ; Psaumes 111.10 ; Proverbes 17.9-10)

— Qu'entends-tu par crainte salutaire ?

— Une crainte salutaire ou vraie, se reconnaît à ces trois caractères :

  1. Elle procède de la conviction du péché.
  2. Elle pousse l'âme à s'attacher à Christ pour être sauvée.
  3. Elle crée et entretient dans l'âme un profond respect pour Dieu, pour sa Parole et ses voies ; elle rend la conscience délicate et attentive à ne se détourner, ni à droite, ni à gauche, à ne rien faire qui pourrait déshonorer Dieu, détruire sa propre paix, contrister le Saint-Esprit, ou donner à l'ennemi l'occasion de blasphémer contre Dieu.

— Je crois que tu as dit la vérité. Avons-nous bientôt dépassé le Sol enchanté ?

— Pourquoi demandes-tu cela ? Es-tu fatigué de notre conversation ?

— Absolument pas ; mais j'aimerais savoir où nous sommes.

— Nous avons encore deux lieues à parcourir, répondit Chrétien. Mais revenons à notre sujet. C'est, parce que les ignorants ne savent pas que la conviction du péché est salutaire, qu'ils cherchent à s'en débarrasser.

— Comment font-ils pour y parvenir ?

  1. Ils se persuadent que ces craintes leur sont envoyées par le démon — quoiqu'elles le soient par Dieu — et leur résistent comme à des choses qui tendent directement à leur ruine.
  2. Ils pensent aussi que ces craintes tendent à affaiblir leur foi, quand hélas ! pauvres ignorants ! ils n'en possèdent encore aucune ! et ils endurcissent leur cœur contre elles.
  3. Ils s'imaginent qu'ils n'ont rien à craindre ; c'est pourquoi, malgré ces craintes, ils vivent dans une fausse sécurité.
  4. Ils s'aperçoivent que ces craintes détruisent l'idée qu'ils se font de leur propre valeur, et ils résistent de toutes leurs forces.

— Je me souviens d'avoir éprouvé tout cela, avant de me convertir, dit Plein-d'Espoir.

— Maintenant, abandonnons à lui-même notre voisin Ignorant, et choisissons pour notre conversation un autre sujet qui nous soit profitable.

— Je le veux bien, mais choisis toi-même.

— Eh bien, as-tu connu, il y a une dizaine d'années, un homme de notre pays qui se nommait Temporaire, et qui était très zélé pour la religion ?

Je crois bien que je l'ai connu ! Il habitait la ville Privée-de-Grâce, située à une demi-lieue d'Honnêteté; il demeurait à côté du nommé Retourne-en-Arrière.

— Parfaitement, ils habitaient sous le même toit. Eh bien, cet homme a été très réveillé pendant un certain temps. Je crois qu'il avait le sentiment du péché et de la condamnation qu'il entraîne.

— J'en suis persuadé, car ma maison n'étant pas très éloignée de la sienne, il venait souvent me voir, et versait auprès de moi d'abondantes larmes. Il me faisait vraiment pitié, et j'avais bon espoir pour lui, mais j'ai dû reconnaître que ce ne sont pas tous ceux qui disent : Seigneur ! Seigneur ! (Matthieu 7.21) qui lui appartiennent.

— Il me dit, une fois, qu'il était décidé à faire le même pèlerinage que nous, mais à ce moment il fit la connaissance d'un certain Aide-toi toi-même, et il me devint étranger.

— Puisque nous parlons de lui, recherchons ensemble les causes du soudain revirement de cet homme et de ceux qui font comme lui, dit Plein-d'Espoir.

— Je crois que cela nous sera très utile. Mais commence, cher compagnon.

— Eh bien, je découvre quatre raisons à cette conduite :

  1. Quoique la conscience de tels hommes soit éveillée, leurs cœurs ne sont pas changés, c'est pourquoi lorsque le sentiment du péché s'efface, ce qui les poussait à être religieux s'amoindrit et disparaît ; ils reviennent à leur ancienne vie. Ils ressemblent à un chien qui, ayant mangé quelque chose de mauvais, vomit continuellement parce que son estomac est malade, mais qui, dès qu'il est mieux et que son estomac est un peu rétabli, retourne manger ce qu'il a vomi, justifiant ainsi cette parole : « Le chien est retourné à ce qu'il avait vomi. » (2 Pierre 2.22) De même, les hommes dont nous parlons se préoccupent du ciel quand ils ont peur de l'enfer, et si cette crainte diminue, leur désir du salut s'évanouit du même coup, et ils retournent à leur ancienne vie.
  2. Une autre raison, c'est qu'ils sont les esclaves d'une mauvaise crainte, je veux parler de la crainte des hommes, car « la crainte des hommes tend un piège. » (Proverbes 29.25) Ainsi, quoiqu'ils semblent ardents pour le ciel aussi longtemps que la frayeur de l'enfer les aiguillonne, cependant dès que cette frayeur diminue, ils s'adonnent à de nouvelles pensées, à savoir qu'il est bon d'être modéré et de ne pas courir la chance de tout perdre ou tout au moins de se plonger dans des difficultés inutiles et qui peuvent être évitées; alors ils retournent au monde.
  3. L'opprobre qui accompagne la religion leur est aussi une pierre d'achoppement. Ils sont fiers et hautains ; à leurs yeux la religion est vile et méprisable, aussi dès que leur crainte de l'enfer et de la colère à venir disparaît, ils retournent à leur première manière de vivre.
  4. La pensée de leurs fautes et le souvenir de leurs terreurs sont insupportables pour eux ; ils n'aiment pas à constater leur misère avant d'en ressentir les effets, quoique cependant, la vue de cette misère eût pu les pousser à se réfugier où les justes trouvent la sécurité. Mais parce qu'ils repoussent — comme je l'ai dit — la pensée du péché et le souvenir de leurs craintes, quand ils en sont délivrés, ils endurcissent volontairement leur cœur, et s'engagent dans des voies qui les éloigneront de plus en plus de Dieu.

— Tu as raison, dit Chrétien ; la cause fondamentale de leur état, c'est que leur cœur n'a pas été transformé et que leur volonté n'a pas été gagnée. Ils ressemblent au coupable devant son juge qui tremble et éprouve un profond repentir, mais qui, au fond, ne craint que le bourreau et n'a aucune douleur d'avoir mal agi; preuve en soit que si on met un tel homme en liberté, il recommencera ses mauvaises actions, tandis que si son cœur avait été touché et changé, il en serait tout autrement.

— Maintenant que je t'ai montré les raisons de leur revirement, pourrais-tu me dire comment il se produit, demanda Plein-d'Espoir.

— Très volontiers

  1. Ils détournent leurs pensées, autant qu'ils le peuvent, de Dieu, de la mort et du jugement à venir.
  2. Ils abandonnent graduellement leurs devoirs religieux, tels que la prière, le renoncement à eux-mêmes, la vigilance, la douleur du péché et autres choses semblables.
  3. Ils s'éloignent de la société des chrétiens vivants.
  4. Ensuite, ils négligent la fréquentation du culte et des assemblées religieuses.
  5. Ils se mettent à critiquer les gens pieux d'une manière diabolique, afin d'avoir — grâce à quelques infirmités qu'ils ont découvertes en eux — un prétexte et une excuse pour rejeter la religion.
  6. Ils en viennent à s'associer avec des hommes charnels et de conduite relâchée.
  7. Ils tiennent secrètement des conversations impures, et heureux sont-ils lorsqu'ils peuvent découvrir quelque chose de pareil chez des gens qui passent pour être vertueux et honnêtes, car leur exemple les affermit dans leur mauvaise conduite.
  8. Ensuite, ils se permettent ouvertement des petits péchés.
  9. Enfin, s'enhardissant, ils finissent par se montrer tels qu'ils sont. Ainsi, précipités de nouveau dans le gouffre du péché et de la misère, ils y périssent, à moins qu'un miracle de la grâce ne les en retire.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant