Traité de la composition d’un sermon

II
De la Division

La division en général doit être restreinte à un petit nombre de parties, et elle ne doit jamais excéder le nombre de quatre, ou de cinq tout au plus ; les plus justes sont de deux, ou de trois.

Il y a deux sortes de division dont on peut justement se servir. L’une qui est plus ordinaire est la division du texte en ses parties. L’autre est la division du discours de l’action même qu’on a à faire sur le texte.

Textes tirés d’une prophétie de l’Ancien Testament.

Cette dernière division des parties du discours a lieu, lorsque pour donner du jour à un texte, il faut nécessairement ramener plusieurs choses que le texte suppose sans les marquer formellement ; ou il les faut tirer d’ailleurs, pour pouvoir donner ensuite la juste explication de votre texte. En ce cas vous pouvez diviser votre discours en deux parties, dont la première contiendra quelques considérations générales, nécessaires pour l’intelligence du texte, et la seconde l’explication particulière du texte même. Cette méthode a lieu toutes les fois qu’on traite quelque oracle de l’Ancien Testament. Car le plus souvent le dénouement de ces oracles dépend de plusieurs considérations générales, qui rejettent les sens faux et mauvais qu’on y pourrait donner, et qui ouvrent le chemin à la véritable explication ; comme il paraît parce qu’on a dicté sur l’oracle de la Genèse : Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta semence et la semence de la femme ; cette semence te brisera la tête, et tu lui briseras le talon, et sur celui de l’alliance traitée avec Abraham.

Textes tirés d’une controverse.

Cette même méthode a lieu, quand on traite un texte tiré d’une dispute, donc par conséquent l’intelligence doit dépendre de l’état de la question, de l’hypothèse des adversaires, et des principes de l’auteur sacré. Tous ces éclaircissements sont nécessairement préalables, et ils ne se peuvent donner que par des considérations générales. Par exemple, si on avait à traiter ce texte du chapitre trois de Romains : Nous concluons donc que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. Il faudrait faire précéder des considérations générales qui éclaircissent l’état de la question entre saint Paul et les Juifs, touchant la justification ; qui marquent aussi la vraie hypothèse des Juifs sur ce sujet, et qui fassent voir le vrai principe que Paul veut établir, enfin qu’ensuite on pût clairement entendre le sens du texte.

Textes tirés d’une conclusion précédente.

Cette méthode a aussi lieu, quand il s’agit d’une conclusion qui est tirée d’un long discours précédent, comme par exemple ce texte du cinquième chapitre de Romains : Etant donc justifiés par la foi, nous avons paix envers Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ. Plusieurs s’imaginent que pour bien traiter ce texte, il ne faut point parler de la justification par la foi, mais qu’il faut seulement traiter la paix que nous avons envers Dieu, par Jésus-Christ, comme un fruit de notre justification. J’avoue qu’il ne faut point faire de la matière de la justification une partie du texte, mais c’est une conclusion que l’apôtre tire de la division de la dispute précédente. C’est se moquer de s’imaginer qu’on puisse supposer cette dispute, comme connue aux auditeurs, sans qu’il soit nécessaire de la leur remettre devant les yeux ; car les auditeurs n’ont pas ces idées assez présentes, pour les pouvoir ainsi supposer. Il faut donc diviser le discours en deux parties. Dans la première faire des considérations générales sur la doctrine de la justification que saint Paul a établie dans les chapitres précédents, et puis en faire voir la conclusion qu’il en tire ; à savoir qu’étant ainsi justifiés, nous avons paix envers Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ. Il en est de même de Romains 8.1 : Ainsi donc il n’y a maintenant nulle condamnation à ceux qui sont en Jésus-Christ, lesquels ne cheminent point selon la chair, mais selon l’Esprit. Car c’est une conséquence qu’il tire de ce qu’il avait auparavant traité.

Cette même méthode a lieu dans les textes du Nouveau Testament, où il y a quelque passage de l’Ancien, allégué ; car alors il faut faire voir par des considérations générales qu’il est allégué bien à propos ; et ensuite venir à l’explication. C’est ainsi, par exemple, qu’il faut traiter les textes Hébreux 1.5-6 : Car auquel des anges a-t-il jamais dit, c’est toi qui est mon Fils, je t’ai aujourd’hui engendré ? Et derechef, je lui serai Père, et il me sera Fils. Et encore quand il introduit au monde son Fils premier-né, il dit, et que tous les anges de Dieu l’adorent. Hébreux 2.6 : Et quelqu’un a témoigné en quelque lieu, disant, qu’est-ce que de l’homme pour que tu aies souvenance de lui ; ou du Fils de l’homme pour que tu le visites ? Hébreux 3.7 : Partant ainsi que dit le Saint Esprit, aujourd’hui si vous entendez sa voix n’endurcissez point vos cœurs, et plusieurs autres semblables.

Diviser le texte selon divers points de vues.

Dans ce genre des divisions du discours il faut mettre les divisions par différents égards ou par différents sens, qui à proprement parler ne sont point des divisions du texte en ses parties, mais sont plutôt des divisions des différentes explications, ou des différentes applications que vous faites des paroles du texte. Ces divisions ont lieu :

1° lorsqu’on traite un texte typique, comme par exemple, un nombre presque infini de passages tirés des Psaumes de David, qui ont du rapport non seulement à David, mais aussi à Jésus-Christ. Car alors on doit diviser le discours en deux parties, dont l’une considère le sens littéral, et l’autre le mystique : l’un par rapport à David et l’autre par rapport à Jésus-Christ. Il y a même quelquefois de ces textes typiques, qui outre le sens littéral en ont plusieurs de figurés, se rapportant non seulement à Jésus-Christ, mais aussi à l’Église, ou à chaque fidèle en particulier ; ou bien qui ont des degrés de leur accomplissement mystique. Par exemple, ces paroles Aggée 2.9 : La gloire de cette dernière maison sera plus grande que celle de la première, se doivent traiter en cinq égards :

  1. par égard au temple des Juifs, rebâti par Zorobabel ;
  2. par égard à la seconde alliance qui a succédé à la première ;
  3. par égard à Jésus-Christ ressuscité.
  4. par égard à l’état de chaque fidèle après la résurrection ;
  5. par égard à l’Église triomphante qui succédera à la militante.

De même ce passage : Je ne mangerai plus cet agneau de Pâque jusqu’à ce qu’il soit accompli au royaume de Dieu. Je dois diviser partout les différents égards que l’agneau pascal avait :

  1. par rapport au passage des Israélites dans la mer Rouge, et au passage de l’ange destructeur sur leur maison, car c’en était le mémorial ;
  2. par rapport au passage de Jésus-Christ, de son état d’abaissement à son état d’exaltation, car c’en était une figure ;
  3. par rapport à notre passage, de la servitude du péché à celle de justice ;
  4. par rapport à notre passage de cette vie à la vie bienheureuse, qui se fait lorsque nous mourrons ;
  5. par rapport au passage de nos corps de l’état de mort à la bienheureuse immortalité par la résurrection dernière. Car la Pâque signifiait tout cela.

Ainsi ce passage de Daniel : A toi Seigneur est la justice, et à nous la confusion de face, qui est très propre pour un jour de jeûne, se doit diviser non par parties, mais par différents égards :

  1. par égard généralement à tous les hommes ;
  2. par égard à l’Église judaïque au temps de Daniel ;
  3. par égard à nous dans le temps présent.

Ainsi ce texte de saint Paul Hébreux 3.7-8 : Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, ainsi qu’en l’irritation, au jour de la tentation au désert. Lequel est tiré du psaume 95 et qui est aussi fort propre pour un jour de censure ou de jeûne, ne se peut mieux diviser qu’en le considérant à trois égards 1° par rapport au temps de David, 2° par rapport au temps de saint Paul et 3° par rapport à nous-mêmes dans ce temps-ci.

Division propre au texte.
Selon ses paroles.

Quant à la division du texte même, quelquefois l’ordre des paroles est si clair et si naturel, qu’il n’est pas nécessaire de faire d’autres divisions ; et en ce cas, il suffit seulement de marquer qu’on suivra l’ordre des paroles par exemple ce texte Éphésiens 1.3 : Béni soit Dieu qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a béni en toutes bénédictions spirituelles, aux lieux célestes en Christ, est un de ceux auxquels il n’est point nécessaire de division, parce que les paroles se divisent d’elles-mêmes, et il ne faut que les suivre pour considérer :

  1. le mouvement de reconnaissance en ces termes, béni soit Dieu ;
  2. le titre sous lequel l’apôtre bénit Dieu ; à savoir le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ;
  3. la raison pour laquelle il le bénit ; à savoir, parce que lui-même nous a bénis ;
  4. la plénitude de la bénédiction de Dieu sur nous, marquée en ces mots en toute bénédiction ;
  5. l’espèce ou la nature, signifiée par le terme, spirituel ;
  6. le lieu où il nous a bénis, aux lieux célestes ;
  7. en qui il nous a bénis ; savoir, en Christ.

Remarquez en passant sur ce texte qu’il y a une manifeste allusion à la première bénédiction dont Dieu bénit les créatures quand il les eut faites selon qu’il est marqué au premier chapitre de Genèse :

  1. Il les fit toutes pour en être glorifié, comme il est dit, Proverbes 16.4 : Dieu a fait toute chose pour sa gloire. Ainsi de même dans la seconde création, la fin et l’exercice perpétuel du fidèle doivent être de bénir Dieu.
  2. Toutes choses dans la nature bénissent Dieu comme leur Créateur ; mais nous le bénissons comme le Père de notre Seigneur Jésus-Christ.
  3. Il les bénit alors, parce que c’était son ouvrage, et un ouvrage qui était bon. Ici de même il nous a bénis, parce que nous sommes sa production. Nous sommes, dit l’apôtre, l’ouvrage de Dieu, étant créés en Jésus-Christ en bonnes œuvres.
  4. Là, il partagea sa bénédiction, donnant à chaque créature une bénédiction différente, disant à la terre, que la terre pousse son jet ; à savoir, herbes portant semence, et herbes portant fruit. Il dit aux poissons de la mer et aux oiseaux de l’air, foisonnez et multipliez, etc. Il dit à l’homme, multipliez et remplissez la terre, et l’assujettissez et ayez seigneurie, etc. Ici les fidèles ont chacun toute sa bénédiction, car ils la possèdent par indivis. Les créatures ne reçurent alors qu’une bénédiction fort imparfaite ; au lieu que nous l’avons reçue pleine et entière autant que Dieu peut en communiquer à la créature.
  5. Leur bénédiction fut dans l’ordre de la nature une bénédiction corporelle. Ici dans l’ordre de la grâce c’est une bénédiction spirituelle.
  6. Là, sur la terre, ici au lieu céleste. Là, en Adam, ici, en Jésus-Christ. On peut aussi remarquer que l’apôtre fait allusion à la bénédiction d’Abraham à qui Dieu dit : en ta semence seront bénites toutes les nations de la terre ; et l’on peut fort bien faire une comparaison, avec opposition de la bénédiction temporelle des Israélites, avec celle que nous recevons en Jésus-Christ.

Division formelle du texte selon l’ordre naturel.

La plupart des textes pourtant, doivent être formellement divisés. Pour cet effet il faut principalement avoir égard à l’ordre de la nature, et tâcher de mettre la division qui naturellement précède, dans le premier lieu, et ensuite les autres chacune dans sa place ; ce qui se fera facilement, si l’on réduit le texte en proposition catégorique, commençant par le sujet, et ensuite mettant l’attribut, et puis les autres termes, selon que le bon sens dictera qu’ils doivent être placés. Par exemple, si j’avais à expliquer ces paroles de Hébreux 10.10 : Par laquelle volonté nous sommes sanctifiés, à savoir par l’oblation une seule fois faite du corps de Jésus-Christ. Il y aurait de l’inconvénient de parler premièrement de la volonté de Dieu, ensuite de notre sanctification, et enfin de la cause de notre sanctification, qui est l’oblation du corps de Jésus-Christ. Il serait beaucoup mieux de réduire ce texte en proposition catégorique de cette manière : L’oblation du corps de Jésus-Christ une seule fois faite, nous sanctifie par la volonté de Dieu. Car il est plus naturel de considérer : 1° La cause prochaine et immédiate de notre justice, qui est l’oblation du corps de Jésus-Christ fait une seule fois. 2° Son effet, qui est notre sanctification. 3° La cause première et plus éloignée qui lui fait produire cet effet ; savoir la volonté de Dieu.

Ordre naturel objectif et ordre naturel subjectif.

Au reste il faut se souvenir qu’il y a deux ordres naturels : l’un naturel à l’égard des choses mêmes ; et l’autre naturel à notre égard. Le naturel à l’égard des choses mêmes, est celui qui met chaque chose dans sa naturelle situation, de la manière qu’elles sont en elles-mêmes, sans avoir égard à l’ordre de notre connaissance. L’autre que j’appelle naturel à notre égard, observe la situation pour les choses lorsqu’elles paraissent en notre esprit, ou qu’elles entrent en notre pensée. Par exemple, dans le texte que je viens d’alléguer : Par laquelle volonté nous sommes sanctifiés, à savoir par l’oblation une seule fois faite du corps de Jésus-Christ. L’ordre naturel des choses veut qu’on mette la proposition en cette forme : par la volonté de Dieu, l’oblation du corps de Christ nous sanctifie ; ou la volonté de Dieu par l’oblation de Jésus-Christ nous sanctifie. Car 1° la volonté de Dieu c’est le décret de son bon plaisir qui envoie son Fils au monde. 2° L’oblation de Jésus-Christ est le premier effet de cette volonté. Et 3° notre sanctification est l’effet de l’oblation par cette volonté. L’ordre au contraire naturel de notre connaissance, veut que premièrement nous considérions cette oblation ; en second lieu cette sanctification qu’elle produit ; et enfin la volonté de Dieu qui lui donne cette efficace. Quand on a des textes où l’ordre naturel des choses est différent de celui de notre connaissance, il est arbitraire de prendre l’un ou l’autre. Je crois néanmoins qu’il vaut mieux suivre celui de notre connaissance, parce qu’il est plus facile et plus clair pour les auditeurs.

Division arbitraire du texte.

Il y a des textes qui contiennent la fin et les moyens, la cause et l’effet, le principe et la conséquence déduite des principes, l’acte et le principe de l’acte, l’occasion et le motif de l’occasion. En ce cas il est arbitraire, ou de commencer par les moyens et ensuite traiter de la fin, par les effets et ensuite traiter de la cause, par les conséquences et ensuite traiter du principe, par l’acte et ensuite par le principe de l’acte ; ou de suivre un ordre contraire. Par exemple dans ce texte 2 Timothée 2.10 : Pour cette cause je souffre toutes choses pour l’amour des élus, afin qu’eux aussi obtiennent le salut qui est en Jésus-Christ. Il est évident qu’il y a dans ce texte trois parties : les souffrances de l’apôtre, la fin qu’il se propose, et le principe par lequel il se propose cette fin. Il est donc arbitraire ou de parler en premier lieu de la charité de saint Paul pour les élus ; en second lieu du salut qu’il désire qu’ils obtiennent en Jésus-Christ ; et en troisième lieu des souffrances qu’il endure pour cela ; ou de parler 1° des souffrances ; 2° de la fin qu’il se propose dans les souffrances, à savoir le salut des élus en Jésus-Christ avec gloire éternelle ; et 3° de son amour pour les élus qui est le principe par lequel il souffre. Mais bien qu’en général on puisse dire qu’il soit arbitraire, de suivre dans la division l’un ou l’autre de ces deux ordres, si est-ce qu’il y a quelquefois des textes qui vous déterminent, et vous obligent à suivre plutôt l’un de ces ordres que l’autre. Par exemple dans ce texte : Dieu produit en nous et le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir. Il est clair qu’il y a trois choses à traiter, à savoir l’action de grâce de Dieu sur les hommes : Dieu produit en nous avec efficace. L’effet de cette grâce, c’est le vouloir et le parfaire. Le principe de cette grâce : selon son bon plaisir. Il me semble que la division ne serait pas bonne si 1° on voulait traiter du bon plaisir de Dieu ; 2° de la grâce ; et 3° du vouloir et du parfaire de l’homme. Il faut à mon avis commencer par l’explication de ce vouloir et de ce parfaire qui est l’effet de la grâce ; ensuite parler de la grâce même qui le produit en nous avec efficace ; et enfin des principes de la grâce, à savoir le bon plaisir de Dieu. Il est donc nécessaire de consulter toujours le bon sens, et de ne se conduire pas tant par des règles générales, qu’on examine aussi les circonstances particulières.

Règle 1 : Ne mettez rien dans la première partie qui suppose l’intelligence de la seconde.

Il faut éviter sur toute chose dans les divisions de mettre pour votre première partie, une chose qui suppose l’intelligence de la seconde, ou qui vous oblige de traiter la seconde, pour faire connaître la première ; car par ce moyen vous vous jetteriez dans une grande confusion, et vous seriez obligé à des répétitions ennuyeuses. Il faut tâcher de faire ses parties les plus dégagées l’une de l’autre qu’il se pourra ; et pour cet effet lorsque vos parties sont enchaînées l’une dans l’autre, il faut toujours choisir pour la première, celle qui a le plus de détachement, et tâcher que cette première serve de fondement à l’explication de la seconde, et la seconde, à l’explication de la troisième, afin qu’au bout de votre explication, l’auditeur voie d’un coup d’œil, un corps parfait et comme un bâtiment achevé. Car une des grandes perfections d’un sermon et que toutes ses parties s’entretiennent, que les premières conduisent aux secondes, que les secondes servent de lumière au troisième, que celle qui précède donne désir pour celle qui doive suivre, et enfin que la dernière rappelle toutes les autres, pour former dans l’esprit de l’auditeur une idée complète de toute la matière. C’est ce qui arrivera, non sur toutes sortes de textes, car cela ne se peut, mais sur plusieurs qui sont fort propres pour faire un projet. Mais en ce cas il faut non seulement que le projet soit bien formé, mais aussi qu’il soit heureusement exécuté.

Règle 2 : Faire quelquefois du sujet une partie, aussi bien que de l’attribut.

Il y a souvent dans les textes que vous réduisez en proposition catégorique, de la nécessité à traiter le sujet de votre proposition, aussi bien que l’attribut ; et alors il faut faire du sujet, une partie. C’est ce qui arrive lorsque le sujet de la proposition est exprimé en des termes qui méritent explication, ou qui fournissent beaucoup de considérations à faire. Par exemple, ce texte Jean 15.5 : Qui demeure en moi et moi en lui porte beaucoup de fruit, est une proposition catégorique dont il faut nécessairement traiter le sujet, à savoir, celui qui demeure en Jésus Christ, et en qui Jésus-Christ demeure. Je dis la même chose de ces textes : Qui croit en moi a la vie éternelle. Qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. Ainsi donc maintenant il n’y a nulle condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, lesquels ne cheminent point selon la chair, mais selon l’Esprit. Si quelqu’un est en Christ, qu’ils soit nouvelle créature.

Les deux derniers doivent être réduits en proposition catégorique dont le sujet est : ceux qui sont en Christ. Et en cela, en tous les autres semblables, on doit faire du sujet une partie. Il faut même en faire la première ; car il est plus de l’ordre de la nature et de celui de la doctrine, de commencer par le sujet d’une proposition.

Règle 3 : Faire quelquefois une partie, de la liaison du sujet avec l’attribut.

Quelquefois il est nécessaire, non seulement de faire du sujet une partie, et de l’attribut une autre ; mais aussi d’en faire une de la liaison du sujet avec l’attribut. En ce cas, il faut dire après avoir marqué en premier lieu le sujet, et en second lieu l’attribut, que l’on considérera pour une troisième le sens entier de toute la proposition. C’est ce qu’il faut faire dans ces textes : Si quelqu’un est en Christ, qu’il soit nouvelle créature. Qui croit en moi a la vie éternelle.

Règle 4 : Réduire les termes syncatégorématiques, ou au sujet, ou à l’attribut.

Quelquefois il y a dans les textes que l’on réduit à des propositions catégoriques, de ces termes qu’on appelle dans l’École syncatégorématiquesa ; et alors il les faut réduire ou au sujet ou à l’attribut selon, selon qu’on verra qu’ils s’y rapportent.

a – Des mots qui ne possèdent pas de sens par eux-mêmes, mais seulement quand ils sont en relation avec d’autres mots.

Règle 5 : Diviser le discours.

Quand dans un texte, il y a plusieurs termes qui méritent chacun une explication particulière, et que l’on ne peut pas sans confusion, ou sans faire une division de trop de parties, faire de chacun une partie, alors il ne faut pas diviser le texte, mais il faut diviser le discours en deux, en disant que premièrement l’on donnera l’explication des termes, et qu’ensuite on viendra à la chose elle-même. C’est ce qui doit avoir lieu dans ce texte, Actes 2.27 : Tu ne laisseras point mon âme au sépulcre, et tu ne permettras point que ton Saint sente la corruption. Car pour bien traiter ce passage, j’estime qu’il faut diviser le discours en trois parties. Dans la première, il faut faire des considérations générales pour faire voir que ce texte appartient à Jésus-Christ, et que saint Pierre l’a bien allégué. Dans la seconde, il faut faire des considérations particulières sur les termes d’âme, qui signifie la vie ; de sépulcre, qui dans l’original signifie aussi l’Enfer, sur quoi ceux de l’Église Romaine fondent leur imagination de la descente de Jésus-Christ aux Limbesb ; de Saint qui en ce lieu-là veut dire principalement immortel

b – D’après les catholiques, non pas le lieu des enfants morts sans baptême, mais celui des âmes des patriarches, morts avant la résurrection de Jésus-Christ, et situé entre le Paradis, l’Enfer et le Purgatoire.

, impérissable, et tout immuable ; et de corruption, qui signifie non la corruption morale du péché, mais la corruption physique de nos corps. La troisième enfin doit examiner la chose même dont il s’agit : à savoir, la résurrection de Jésus-Christ.

Règle 6 : Faire tomber la tractation sur les termes syncatégorématiques.

Il y a souvent des textes, où il n’est pas nécessaire de traiter, ni le sujet, ni l’attribut de la proposition, mais où toute la tractation doit tomber sur des termes syncatégorématiques. Par exemple, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. La proposition catégorique est : Dieu a aimé le monde. Et là il n’est pas nécessaire, ni d’insister beaucoup sur le terme de Dieu, ni de se jeter dans le lieu commun de l’amour divin, il faut que la division se fasse en deux points, dont le premier est, le don que Dieu nous a fait de son Fils par son amour, et le second, la fin pour laquelle il nous l’a donné, à savoir, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Et quant au premier, il faut d’abord faire voir comment Jésus-Christ est un don de Dieu :

  1. En tant qu’il n’est point venu par les principes de la nature.
  2. En tant qu’il n’y avait rien dans les hommes qui le méritât.
  3. En ce qu’il n’y avait rien dans les hommes, qui excitât même sa bonté à nous le communiquer.
  4. Qu’il n’y avait pas même de la proportion entre nous et un si grand don.
  5. Qu’il y avait au contraire une disproportion infinie, et non seulement une disproportion, mais une opposition et une contrariété.

De là on peut passer au principe de ce don qui est l’amour : et après avoir établi que c’est un amour de bon plaisir, dont on ne peut rendre aucune raison de la part des créatures, il faut particulièrement presser le terme de tant, et faire voir la grandeur de cet amour, par plusieurs considérations. Ensuite il faut passer au second point, et examiner premièrement le fruit de l’envoi de Jésus-Christ qui est le salut de l’homme, représenté ici par deux expressions : l’une négative, qu’il ne périsse point ; l’autre positive, qu’il ait la vie éternelle ; et il faut traiter l’une et l’autre. Après cela, il faut examiner qui sont ceux pour qui ce fruit de l’envoi de Jésus-Christ est destiné, à savoir, les croyants. Enfin il faut presser le mot de quiconque, qui signifie deux choses : l’une, que nul croyant n’est exclus du bénéfice de Jésus-Christ ; et l’autre que nul homme, en tant que tel, n’est exclus de la foi, mais qu’ils y sont tous indifféremment appelés.

Règle 7 : Examiner les propositions ou en suppléer de supprimées.

Dans les textes de raisonnement, il faut examiner les propositions qui composent le syllogisme, l’une après l’autre, et en faire de chacune une partie. Quelquefois même il sera nécessaire de considérer la force du raisonnement, et faire une partie, de cela même. Quelquefois il y a quelque proposition qui se trouve supprimée, et qu’il est nécessaire de suppléer. En ce cas, on verra si cette proposition supprimée est assez importante pour en faire une partie. C’est ce qui se trouve quelquefois comme dans ce texte de l’Épître aux Romains : Que dirons-nous donc qu’Abraham notre père a trouvé selon la chair ? Certes si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se vanter mais non pas envers Dieu. Là, premièrement, il faut faire deux parties, dont l’une est la question que se pose l’apôtre : Que dirons-nous donc, qu’Abraham notre père a trouvé selon la chair ? et l’autre, la solution qu’il donne à cette question. Et quant à la question, il en faut premièrement bien établir le sens, lequel dépend de l’intelligence de ces mots, selon la chair. Car cela veut dire selon les principes de la nature, par rapport à la naissance de son fils Isaac, lequel ne vint point au monde par les voies ordinaires, et selon les forces de la nature, puisque Sarah était stérile et hors d’âge d’enfanter. Or comme cela même, à savoir l’état naturel d’Abraham dans son mariage, était un type de l’état de son âme à l’égard de Dieu, ce selon la chair, signifie aussi selon les œuvres par égard à la justification devant Dieu. Le sens donc de la question est : Que dirons-nous d’Abraham notre père ? a-t-il été justifié devant Dieu par ses œuvres ? Et il ne faut pas manquer de remarquer que dans le sens de saint Paul, selon la chair s’oppose à selon la promesse, c-à-d la voie de la nature opposée à la voie surnaturelle.

Deuxièmement il faut faire voir l’importance de cette question à l’égard des Juifs, qui regardait Abraham comme leur père et la souche dont ils étaient les branches, tirant de lui tout ce qu’ils avaient. De sorte qu’il était extrêmement important de bien éclaircir ce qu’Abraham avait été, et de quelle manière il avait été justifié ; car de la dépendait la ruine de cette prétendue justification, que les Juifs voulaient établir par la voie de la loi, c’est-à-dire, par la voie des œuvres.

Passant après cela à la seconde partie, il est nécessaire de faire voir d’abord que cette solution de saint Paul est un raisonnement, et que cette particule que nous avons traduite, mais, peut être traduite par or, de cette sorte ; certes si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se vanter envers Dieu ; or il n’a pas de quoi se vanter envers Dieu. Ce qui fait voir qu’il y a une troisième proposition que l’apôtre a passé sous silence, mais qu’il faut nécessairement suppléer ; à savoir cette conséquence : donc Abraham n’a pas été justifié par les œuvres. Ainsi la solution de la question dépendant de cette proposition et de la preuve qu’il établit, il faut nécessairement traiter ces trois propositions et en faire de chacune, une partie. La première, que tout homme justifié par les œuvres a de quoi se vanter envers Dieu. La seconde, qu’Abraham quelques avantages qu’il ait eu d’ailleurs, n’a pas eu de quoi se vanter envers Dieu. Et la troisième qui est la conclusion supprimée, que donc Abraham n’a pas été justifié par ses œuvres.

Règle 8 : Division d’un texte où il y a une objection et une réponse.

Il y a des textes de raisonnement qui sont composés d’une objection et d’une réponse ; et de ceux-là, la division est claire, à savoir l’objection, et la solution de l’objection. C’est ainsi, par exemple, qu’il faut diviser ce texte du chapitre six de Romains : Que dirons-nous donc ? Demeurerons-nous dans le péché, afin que la grâce abonde ? Ainsi n’advienne ! Car nous qui sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore pour lui ? Là il est clair qu’il y a deux parties : l’objection, et la solution de l’objection. Quant à l’objection elle est :

  1. proposée en des termes généraux, que dirons-nous donc ?
  2. en des termes plus particuliers, demeurerons-nous dans le péché ?
  3. la raison, ou le fondement de l’objection, afin que la grâce abonde.

La solution de la question de même est proposée premièrement en des termes généraux, ainsi n’advienne. Deuxièmement en des termes particuliers, comment vivrons nous dans le péché ? Et troisièmement la raison en est ajoutée, à savoir, que nous sommes morts au péché.

Règle 9 : Prendre quelque voie extraordinaire, sur les textes difficiles à diviser.

Il y a des textes de raisonnements qui sont extrêmement difficiles à diviser, parce que leur réduction en plusieurs propositions ne se peut faire, sans que cela n’attire de la confusion, ou qu’ils ne sentent trop la manière de l’École, ou même qu’il n’y ait quelques défectuosités dans la division, c’est-à-dire, qu’elle ne soit insuffisante. En ce cas il faut que l’esprit et le bon sens agissent ; et il ne faut pas faire de difficulté de prendre quelque voie extraordinaire, laquelle si elle est heureuse, ne manquera jamais de produire un bon effet. Par exemple si on avait à traiter ce texte du quatrième chapitre de saint Jean : Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit, donne-moi à boire, tu lui en eusses demandé toi-même, et il t’eût donné de l’eau vive. Il me semble qu’on ne ferait pas mal de le diviser en deux parties ; dont la première serait les propositions générales, contenues dans ces paroles ; et la seconde, l’application particulière de ces propositions à la Samaritaine. Quant à la première, il faut remarquer ces propositions-ci :

  1. que Jésus-Christ est le don de Dieu ;
  2. que quoi qu’il ait lui-même demandé à boire, il est pourtant la source d’eau vive ;
  3. qu’il est l’objet de notre connaissance en tant que tel, c’est-à-dire, en tant que don de Dieu et source d’eau vive ;
  4. que de cette connaissance que nous en avons, naît le recours vers lui pour demander de son eau ;
  5. qu’à tous ceux qui lui demandent à boire, il leur donne de l’eau vive.

Dans la seconde partie il faut examiner :

  1. que Jésus-Christ ne dédaigne pas de répondre à une femme, et à une femme Samaritaine, schismatique et hors de la communion extérieure de l’Église, et à une femme pécheresse, et à une femme qui dans son schisme et dans son péché disputait contre la vérité ;
  2. que Jésus-Christ se sert de cette occasion pour lui enseigner la grâce, sans s’amuser à répondre directement à ce qu’elle lui avait dit ;
  3. il faut remarquer l’ignorance où était cette femme, à l’égard de Jésus-Christ. Elle le voyait et l’entendait mais elle ne le connaissait pas, parce qu’elle n’en voyait que le dehors. Sur quoi l’on peut dire, que c’est la condition générale des pécheurs, qui ont Dieu sans cesse devant leurs yeux et néanmoins ne le voient pas ;
  4. il faut remarquer que de cette ignorance où était cette femme naissait sa négligence et la perte qu’elle faisait d’une si belle occasion pour se sauver ;
  5. il faut remarquer la miséricorde de Jésus-Christ envers elle, qui va jusqu’à lui promettre son salut ; car en lui disant, si tu m’eusses demandé à boire, je t’eusse donner de l’eau vive, c’est autant que s’il la lui offrait ;
  6. il faut remarquer que Jésus-Christ va même jusqu’à lui commander de lui demander de son eau, car en lui disant tu lui en eusses demandé, c’était lui dire, demandes-en lui ;
  7. il faut remarquer qu’il excite à le bien connaître et à sortir de l’ignorance, où elle était, et qui faisait tout son malheur.

Règle 10 : Comment il faut diviser des textes, qui supposent plusieurs vérités importantes.

Il y a quelquefois des textes qui supposent plusieurs importantes vérités et sans les marquer expressément ; et cependant il est nécessaire de les représenter, et de les presser fortement, soit parce qu’elles sont importantes, ou parce qu’elles sont d’usage dans quelque particulière occasion ; alors on peut diviser le texte en deux parties, à savoir la partie supprimée, et la partie exprimée. J’avoue que cette division est hardie, et qu’il ne faut ni en abuser, ni en user trop souvent, mais il est certain qu’il y a des occasions où elle peut réussir heureusement. Un prédicateur dans un jour de jeûne, ayant pris pour sujet ses paroles d’Ésaïe : Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, le divisa en cette manière en deux parties, à savoir, la partie supprimée, et la partie exprimée. Dans la supprimée, il dit qu’il y avait trois importantes vérités qu’il était obligé de représenter. La première, que Dieu s’était éloigné de nous. La seconde, que nous nous étions éloignés de lui. Et la troisième, qu’il avait un temps auquel Dieu ne se trouvait point, encore qu’on le cherchât. Il traita ces trois vérités l’une après l’autre. Et dans la première, il fit l’énumération des afflictions de l’Église d’une manière fort touchante, faisant voir que toute cette triste image marquait l’éloignement de la grâce de Dieu. Dans la seconde il fit l’énumération des péchés de l’Église, et fit voir de quelle manière elle s’était éloignée de son Dieu. Dans la troisième il représenta ce funeste temps auquel la patience de Dieu se trouve poussée à bout, et fit voir qu’alors il déploie ses derniers jugements sans écouter plus la voix de la miséricorde. Ensuite venant à la partie exprimée, il expliqua ce que c’est que chercher l’Éternel, et par une pathétique exhortation porta ses auditeurs à cette recherche. Enfin il expliqua quel est ce temps auquel Dieu se trouve ; et là il renouvela ses exhortations à la repentance, en y mêlant l’espérance du pardon et de la bénédiction de Dieu. Son action fut trouvée belle, particulièrement à cause de l’ordre qu’il avait tenu.

Règle 11 : Touchant les textes d’Histoire.

Dans les textes d’Histoire, les divisions ne sont pas difficiles. Quelquefois il y a une action racontée dans toutes ses circonstances, et alors on peut considérer l’action en elle-même, et ensuite les circonstances de l’action. Quelquefois il est nécessaire de remarquer l’occasion sur laquelle l’action a été faite, et d’en faire une partie. Quelquefois il y a des actions, et des paroles, et alors il faut considérer les paroles, et les actions, séparément. Quelquefois il n’est pas nécessaire de faire de division, il faut suivre l’ordre de l’histoire. Enfin cela doit dépendre de l’état de chaque texte en particulier.

Règle 12 : Réduire les discours en termes simples.

Pour rendre une division agréable et facile à l’auditeur, il faut tâcher de la réduire, autant qu’il se pourra, en termes simples. J’appelle le terme simple, un seul mot, au même sens que dans la logique, on appelle terminus simplex, pour l’opposer à terminus complexus. En effet ces divisions dont chaque partie est exprimée en plusieurs paroles qui font un discours, sont non seulement embarrassantes, mais aussi, inutile pour les auditeurs, parce qu’ils ne les sauraient retenir. Il faut donc les réduire autant qu’on peut à un seul terme.

Règle 13 : Garder autant qu’il se peut du rapport entre les parties de la division.

Il faut autant qu’il se pourra faire en sorte, qu’il y ait du rapport entre les parties de la division, soit par voie d’opposition, soit par voie de cause et d’effet, ou d’action et de fin, ou d’action et de motif d’action, ou de quelque autre manière. Car de faire une division de plusieurs parties qui ne marquent avoir aucune liaison entre elles, c’est une chose qui choquerait extrêmement les auditeurs, et qui ferait juger que tout le discours qu’on bâtirait là-dessus ne serait qu’un galimatias. Outre que l’esprit humain aime naturellement l’ordre, on retient beaucoup plus facilement une division dont les parties se rapportent l’une à l’autre.

Règle 14 : Pour les subdivisions.

Quant aux subdivisions, il est toujours nécessaire d’en faire, car cela même aide à la composition, et répand beaucoup de clarté dans le discours ; mais il n’est pas toujours nécessaire de les dire ; au contraire, le plus souvent il faut les faut taire, parce que l’esprit de l’auditeur est accablé de cette multitude de membres. Néanmoins quand les subdivisions se peuvent faire avec grâce, soit à cause de l’excellence de la matière, et d’une grande espérance dont vous remplissez l’auditeur, soit à cause de la justesse des parties qui se répondent agréablement l’une à l’autre, on peut les marquer formellement, mais cela doit être rare. Et les auditeurs seraient bientôt ennuyés de cette méthode, car on se rassasie de tout.

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