Traité de la composition d’un sermon

VI
Des textes qu’on doit traiter par voie d’observations

Il faut maintenant venir aux textes, qu’on doit traiter par considérations et observations.

1. Donc il faut savoir en général que quand les textes sont tellement clairs d’eux-mêmes, et que d’ailleurs la matière en est fort connue, et que d’abord elle semble peu importante, ce serait abuser de l’auditeur que de s’amuser à l’expliquer ; il la faut donc supposer telle qu’elle est, c’est-à-dire, claire et connue, et s’arrêter seulement à y faire des observations.

2. Il faut savoir que la plupart des textes d’histoire doivent être traités de cette manière. Car en effet par voie d’explication il y aurait peu de choses à dire. Que pourrait-on dire par exemple sur ce texte du chapitre 12 de saint Jean : Jésus donc six jours avant Pâques vint en Béthanie où était Lazare qui avait été mort, lequel il avait ressuscité, et ils lui firent là un souper, et Marthe servit à table, et Lazare était un de ceux qui étaient à table avec lui. Vouloir expliquer cela se serait perdre son temps et sa peine, car ces paroles sont plus claires que tous les commentaires ne sauraient être ; il faut donc prendre la voie des observations.

3. Il y a des textes ou l’explication et l’observation doivent être jointes ensemble parce qu’il s’y rencontre quelque partie qui mérite d’être expliquée, comme par exemple celui-ci Actes 1.10 : Et comme ils avaient les yeux fichés vers le ciel, lui s’en allant, voici deux hommes se présentèrent devant eux en vêtements blancs. Là il est nécessaire d’expliquer en peu de mots la cause pour laquelle ils avaient les yeux levés vers le ciel, à savoir quand ils suivaient des yeux leur divin Maître, et que leurs yeux étaient les témoins des mouvements intérieurs de leur âme. Il est nécessaire aussi d’expliquer cette expression, lui s’en allant, et de faire voir que cela se doit entendre dans un sens populaire et de bonne foi, pour marquer non une simple soustraction de sa présence visible pendant qu’il demeurait invisiblement sur la terre, mais une absence absolue de son humanité, contre ceux de l’Église romaine. Car c’est le sens naturel de ces termes. Il faut enfin expliquer cette autre expression, voici deux hommes, et montrer que c’étaient des anges qui avaient emprunté de véritablesa corps humains. Sur quoi on peut traiter la question de ces apparitions angéliques sous des formes humaines. Cependant ce texte ne laisse pas d’être un texte d’observation. Au reste quand ils se rencontre ainsi, que l’explication et l’observation tombe dans un texte, il faut toujours expliquer la partie qui doit être expliquée avant que de faire aucune observation, car les observations ne doivent venir qu’après qu’on aura établi le sens clair et net.

a – Cette assertion reste à prouver. Un véritable corps humain ne saurait appartenir qu’à un humain vrai.

4. Quelquefois même une explication se doit faire par voie d’observation, comme quand il s’agit d’un terme dont la signification dans la langue originale doit être pressé pour en tirer quelque chose d’important. Ainsi Actes 2.1 : Et comme le jour de la Pentecôte s’accomplissait, ils étaient tous d’un accord en un même lieu. Il est bon de préciser et d’expliquer le terme grec ὁμοθυμαδὸνb, qu’on a traduit, tous d’un accord. Car il signifie qu’ils avaient une même espérance, un même sentiment, une même pensée, pour distinguer un accord extérieur et négatif, qui consiste simplement à n’avoir point de différents sentiments sur un sujet, et à ne pas se quereller ; ce qui peut quelque fois arriver par la négligence ou par l’ignorance des hommes, ou par la crainte que produit une domination tyrannique. Tel est l’accord dont l’Église romaine se vante de jouir. Car s’ils n’ont point de querelle entre eux, ni de disputes sur les points de la religion (ce qui pourtant n’est pas toujours véritable) cela vient de la stupidité et de l’ignorance où ils nourrissent leurs peuples ; ou de l’indifférence ou de la négligence que la plupart de ceux de leur communion ont pour les mystères de la religion, dont ils ne se mettent guère en peine ; ou de la crainte que leur donne la domination tyrannique de leurs prélats. Or de quelque côté que cela vienne, c’est un faux accord. S’il vient de l’ignorance ou de la négligence, c’est un accord semblable à celui dont jouissent les morts dans un cimetière, ou au silence d’une nuit profonde lorsque tout le monde dort. Et s’il vient de la crainte, c’est une paix d’esclave sous la verge de son comité, une ombre de paix que la frayeur et la timidité produit, mais qui n’est nullement un accord véritable. Les disciples de Jésus-Christ n’étaient pas d’accord en ce sens là ; mais ils l’étaient intérieurement et positivement, en ayant qu’un seul et même esprit. Cette explication comme on voit est elle-même une fort belle observation. Il en est de même dans un nombre presque infini de textes.

b – Malheureusement pour la belle explication de Claude sur ὁμοθυμαδὸν, ce mot ne se trouve pas dans le texte grec de Actes 2.1 sur lequel se basent nos traductions modernes, mais dans le Textus Receptus. Toutefois le livre des Actes ne compte pas moins d’une dizaine d’occurences de ὁμοθυμαδὸν, ce qui va tout à fait dans le sens de cette unité positive et surnaturelle que respirait l’Église naissante et sur laquelle notre auteur attire justement l’attention.

5. Les observations doivent être pour la plupart théologiques, c’est-à-dire qu’elles doivent appartenir à la religion ; ce n’est pas qu’on ne puisse quelquefois en faire d’historiques, de philosophiques et de critiques etc. mais il faut que cela se fasse rarement et en quelque manière nécessairement, c’est-à-dire qu’il paraisse que vous ne pouvez point vous empêchez de les faire ; il faut même qu’elles soient belles et peu communes afin d’être reçues sans dégoût. Enfin il faut si arrêter peu, et marquer même par quelque terme qu’on ne les fait qu’en passant, à moins que la véritable intelligence du texte dépendît de là ; car en ce cas il les faut faire, ex professo, et même les bien établir et les prouver. Pour d’ordinaire les observations, comme j’ai dit, doivent être théologiques et appartenir ou à cette partie de la théologie qui explique les mystères divins, ou à cette autre partie que nous appelons la morale. Car la chaire est faite pour instruire l’esprit sur les choses de la religion, et non pour l’enrichir de curiosités ; pour enflammer le cœur et non pour égayer l’imagination.

6. Les observations ne doivent pas être une théologie toute crue, telle qu’on la traite dans les Écoles, ou qu’on la trouve dans les lieux communs ; elles doivent être assaisonnées de l’air du monde, accommodées à la capacité d’un peuple, et tournées pourtant à la manière des honnêtes gens. Pour cet effet il me semble qu’un des meilleurs expédients et de tâcher de réduire les choses les plus obscures à un air naturel, ce qui ne se peut faire quand les concevant soi-même d’une manière claire et distincte, et en prenant garde qu’il n’y ait aucun caractère de contrainte, qu’il n’y ait rien qui soit tiré de trop loin, qu’il n’y ait pas une longue suite de méditations enchaînées l’une avec l’autre, ni l’embarras de divisions et subdivisions, ou des conceptions métaphysiques qui pour la plupart sont impertinentes et fondées dans la seule imagination, semblables aux figures que nous croyons voir dans les nuées, ou selon qu’il plaît à nos yeux, nous trouvons des campagnes, des villes, et des maisons.

7. Il faut pourtant se donner bien de garde de tomber dans l’autre extrémité, qui consiste à ne donner que des observations maigres et décharnées, sous prétexte de ne point débiter la théologie de l’école, et de ne pouvoir dire que des choses populaires. Il faut à la vérité penser clairement, mais il faut aussi penser noblement et solidement ; marquer dans ses considérations une belle abondance et une grande gaieté d’esprit ; car autrement on passera pour un chétif prédicateur et pour un esprit borné et étroit, qui est bientôt las et bientôt épuisé ; ce qui est un fort ridicule caractère.

Diverses voies pour faire des observations, ou sources de l’invention.

Pour ouvrir en particulier quelques voies de faire des observations, je dirai ici qu’on en peut remarquer plusieurs qui faciliteront l’invention et qui aideront à penser. On peut s’élever de l’espèce au genre, descendre du genre à l’espèce ; remarquer les différents caractères d’une vertu qui nous est commandée, ou d’un vice qui nous est défendu ; prendre garde si la chose dont il s’agit n’est point relative à quelque autre ; si elle n’en suppose point d’autres qui ne sont pas exprimées ; faire des réflexions sur la personne qui parle ou qui agit, en faire sur l’état auquel il se trouvait, quand il parlait ou quand qu’il agissait ; prendre garde s’il n’y a point à faire quelques considérations sur le temps, voir s’il n’y a rien à dire sur le lieu, tourner les yeux sur les personnes à qui l’on parle, envers qui l’on agit, examiner leur état particulier, considérer les principes d’une parole, ou d’une action ; regarder les bonnes ou mauvaises conséquences qu’on peut en tirer ; faire réflexion sur la fin que l’on s’est proposée, en parlant ou en agissant ; voir s’il n’y a point même dans les manières de parler ou d’agir quelque chose de remarquable ; comparer la parole ou l’action dont il s’agit avec d’autres semblables ; remarquer les différences de parler et d’agir en de différentes occasions ; opposer la parole ou l’action à des paroles ou à des actions contraires, soit par la contrariété des personnes qui agissent ou qui parlent, soit par la contrariété de celles à qui l’on parle, ou envers qui l’on agit ; examiner les fondements et les causes d’une action ou d’une parole, pour en faire voir la vérité ou la justice ; remarquer ce qu’il y a de bon, et ce qu’il y a de mauvais dans une action ou dans une parole ; faire même quelquefois des suppositions qui ne sont point, pour en faire naître quelque bel éclaircissement ; prendre garde aux objections qu’on peut faire contre votre texte et les réfuter solidement ; en considérer les caractères de grandeur, de majesté, de bassesse, d’infirmité, de nécessité, d’utilité, d’évidence etc. remarquer les degrés de plus ou de moins, s’il y en a ; prendre garde aux différents intérêts qui s’y peuvent rencontrer ; distinguer, définir et diviser quand il est nécessaire. En un mot tourner votre texte de tous côtés. Je donnerai des exemples de tout ce que je viens de dire.

I. Source de l’invention : S’élever de l’espèce au genre.

Si j’avais à traiter ce texte : Sacrifie louange à Dieu et rends tes vœux au Souverain, la première observation que je ferai sur ces termes, sacrifie louange, serait en m’élevant de l’espèce au genre, sur la grandeur et la dignité des sacrifices en général :

Que c’est un commerce immédiat de la créature avec son Dieu, une action dans laquelle il est difficile de juger si la terre monte au ciel, ou si le ciel descend sur la terre. Que presque dans tous les autres actes de la religion, la créature reçoit de son Créateur, mais que dans le sacrifice c’est le Créateur qui reçoit de sa créature ; que celui à qui tout l’univers appartient, qui n’a besoin de rien et qui vit éternellement dans une riche abondance a cette condescendance pour nous de vouloir recevoir des présents de nos mains. Que de toutes les dignités, il n’y en a point de plus grande que celle du sacerdoce, à cause de quoi les anciens sacrificateurs habitaient dans le tabernacle, ou dans le temple même de Dieu. Que quand Dieu partagea la terre de Canaan aux enfants d’Israël, chaque tribu eut sa portion, à la réserve de celle de Lévi à qui Dieu ne donna rien. Pourquoi ? Est-ce qu’il les aimait moins que les autres ? Non, mais c’est parce qu’il leur avait donné le sacerdoce, et que celui qui a le sacerdoce, l’autel et l’encensoir, a Dieu pour son partage, et par conséquent ne peut plus avoir de part aux choses temporelles. Vous voyez bien que c’est s’élever de l’espèce au genre ; car il s’agit dans le texte non du sacrifice en général, mais du sacrifice de louanges. Cependant quand ces considérations générales sont belles, elle ne laisse pas, quoique générales, d’être bien reçues.

II. Source de l’invention : Descendre du genre à l’espèce.

Un exemple où l’on descend du genre à l’espèce peut être pris dans ses paroles du Psaume 123 : Voici, comme les yeux des serviteurs regardent à la main de leur maître, etc. Car de là on peut fort bien et fort agréablement distinguer dans les maîtres, à l’égard de leurs serviteurs, et en Dieu à l’égard de nous trois sortes de main ; la main de bénéficence ; la main de protection ou de délivrance ; et la main de châtiment. Le serviteur regarde la main de son maître et non celle d’un étranger, quand il désire et attend des bienfaits. Car il ne les veut recevoir que de la bonté de son seigneur. Il regarde sa main de protection ou de délivrance dans les dangers dont il se voit menacé, et refuse tout autre secours que celui qui lui vient de la protection de son maître. Il regarde enfin à la main de son châtiment, lorsqu’il lui est arrivé de commettre quelque faute, et qu’il en a été châtié ; car il rapporte ce châtiment à la verge de son maître, il s’humilie devant lui, et regarde la main de sa colère pour la désarmer par les larmes de sa repentance. L’application de ces trois mains, à Dieu et aux fidèles, est facile.

De même dans le psaume 121 : Mon secours vient de l’Éternel qui a fait les cieux et la terre. Le mot de secours qui est général peut être fort bien traité, en descendant du genre à l’espèce, et en marquant les différentes occasions où nous avons besoin du secours de Dieu, et par conséquent les divers secours qu’il nous donne comme le recours de la règle de sa Parole pour nous instruire dans notre ignorance, pour nous éclaircir de nos doutes et pour nous tirer de nos erreurs. Le secours de sa providence pour nous délivrer de nos afflictions, le secours de la grâce de son esprit, pour nous garantir des tentations du monde et des faiblesses de la nature. Le secours de ses divines consolations pour adoucir les amertumes de notre cœur quand nous sommes angoissés, et pour nous donner le courage de soutenir l’affliction. Le secours de la miséricorde pour nous pardonner nos péchés, et rendre à notre conscience la tranquillité qu’elle a perdue. On trouvera un nombre presque infini de textes ou cette manière aura lieu. Mais il faut bien prendre garde de ne s’étendre pas trop sur ces différentes espèces, car cela sentirait son écolier. Le meilleur est de n’en faire qu’une remarque, et de ramasser plusieurs idées ensemble brièvement, afin que cela fasse un corps d’images plus agréables.

III. Source de l’invention : Remarquer les divers caractères d’une vertu ou d’un vice.

Par exemple, si j’avais à traiter ce texte : Le Seigneur veuille adresser vos cœurs à l’amour de Dieu et à l’attente de Christ, 2 Thessaloniciens 3.5, je serais bien aise de donner les caractères du véritable amour de Dieu ; et peut-être même ensuite n’y aurait-il point de mal de donner les caractères de l’attente de Jésus-Christ, non sous le titre de caractère, pour ne pas paraître deux fois marcher par un même chemin, mais sous le titre de mouvement et qui accompagne l’attente de Jésus-Christ.

Quant au caractère du véritable amour de Dieu :

1. Son siège est dans le cœur, il pénètre l’âme et la possède, pour le distinguer de l’amour feint des hypocrites qui n’est que dans la bouche, ou dans quelques actions extérieures, pendant que leur cœur est rempli de l’amour d’eux-mêmes. De sorte que l’on peut dire d’eux à peu près ce que Dieu disait des Israélites : Ce peuple ici m’aime de ses lèvres, mais leur cœur est fort éloigné de moi.

2. C’est un amour qui possède l’âme toute entière, sans permettre qu’elle se partage entre différents objets, pour la distinguer de ce faux amour que sentent les demi-convertis, qui ont quelquefois de bons mouvements de zèle et de repentance, mais des mouvements qui ne font que passer et qui ne viennent jamais jusqu’à une entière consommation, parce que leur âme se trouve distraite et occupée par les objets du monde, et que l’amour de Dieu, d’où procèdent ces bons mouvements de repentance et de zèle, n’est pas profondément enraciné dans leur âme. C’est pourquoi quand l’Écriture nous parle d’aimer Dieu, elles nous ordonne de l’aimer de tout notre cœur, ou comme parle David de l’aimer d’une affection cordiale.

3. L’amour de Dieu n’est pas à la vérité seul dans le cœur d’un homme de bien, il peut aimer les créatures. Un père aime ses enfants, un ami son ami, un maître ses serviteurs, un roi ses sujets, une femme son époux. Mais le caractère du véritable amour de Dieu consiste d’un côté à ne souffrir point dans le cœur d’amour contraire : Nul ne peut servir deux maîtres, dit Jésus-Christ. L’amour du monde, dit son apôtre est inimitié contre Dieu. Et quant à ses autres objets dont l’amour peut compatir avec celui de Dieu, nous pouvons leur donner une place dans notre cœur, mais il ne faut jamais qu’ils prétendent occuper la première place. Cette première place est pour Dieu. Le mettre dans le second rang, c’est le traiter avec opprobre ; lui égaler même un autre objet, c’est lui faire outrage. Partout où il est, il doit être seul assis sur le trône. Et si notre cœur est une image du ciel, comme il l’est en effet, il faut que Dieu y règne et que tout lui soit soumis.

4. Les mouvements ou les actes de cet amour doivent être infinis, sans mesure aussi bien que sans dépendance, sans bornes de même que sans condition. La raison de cela est que nous le devons aimer à la proportion de ce qu’il est aimable, et il l’est infiniment. C’est encore un des sens que nous devons donner à ce commandement : Tu aimeras Dieu de toute ton âme.

Mais comment, direz-vous, pouvons nous faire des actes infinis, nous qui sommes des créatures finies ? Je réponds que les actes de la créature sont infinis à leur manière. Et cette infinité consiste à mon avis en deux choses : l’une que notre mouvement aille aussi loin qu’il peut aller dans toute l’étendue de nos forces, sans froideur et sans ménagement ; et l’autre qu’après que nous aurons agi de cette manière autant que nous le pouvons, nous ne soyons pourtant pas encore contents de nous-mêmes, et que nous reconnaissions que notre devoir va encore infiniment plus loin que notre mouvement ; c’est ainsi que nous devons aimer Dieu de toute la puissance de notre cœur, avec abandon, si je l’ose ainsi dire, et en même temps avec un secret déplaisir de n’en pouvoir pas faire davantage.

5. Cet amour qui de lui-même n’a ni bornes ni mesures, donne des bornes et des mesures à tout autre amour. Il rassemble tout le feu de l’âme, et ensuite il en distribue quelque étincelle aux autres affections, à chacune selon la proportion de son objet, comme un roi qui rassemble en sa personne toute la majesté de son État, et ensuite en communique quelques rayons aux magistrats inférieurs. Ou si vous voulez comme la mer ramasse dans son sein toutes les eaux de l’univers pour en communiquer après une petite portion aux fontaines et aux rivières. Non seulement nous ne devons rien aimer de ce que l’amour de Dieu nous défend d’aimer, non seulement nous ne devons aimer que ce qu’il nous permet d’aimer, mais nous ne devons aimer à proprement parler que ce qu’il nous ordonne d’aimer. Cet amour doit être dans notre cœur au milieu de nos autres affections comme un prince dans son armée au milieu de ses officiers ; ou pour dire encore quelque chose de plus fort, comme Dieu lui-même dans l’univers au milieu de ses créatures, qui leur donne la vie, le mouvement et l’être.

6. L’amour de Dieu est accompagné d’humilité et de craintes, comme d’un sel qui l’empêche de se corrompre, et de dégénérer en excès de liberté. En effet quelque bonté que Dieu ait à notre égard, c’est une bonté de Maître ; quelque tendresse paternelle qu’il est pour nous, c’est une tendresse de Seigneur et de Juge. Sa miséricorde et ses grâces qui nous le rendent aimable ne se séparent jamais de sa Majesté, ni de sa justice et de sa puissance infinie ; et l’une des plus essentielles marques que nous l’aimons, c’est de nous anéantir, et de trembler en sa présence. Ces deux choses vont toujours ensemble ; pour le bien craindre il faut le craindre comme un Père ; et pour bien l’aimer, il le faut aimer comme un souverain Seigneur.

7. Cet amour doit à un égard imiter et suivre le sien dont il est le fils. Mais à un autre égard il ne le doit par imiter. Il le doit imiter, c’est-à-dire se répandre partout où le sien se répand, le suivre même quand il tombe sur nos ennemis, selon le précepte de Jésus-Christ : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est aux cieux ; lequel fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais, et tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes. Mais il ne le doit pas imiter à un autre égard. Car l’amour de Dieu envers nous est un amour jaloux, qui ne peut consentir que nous ayons d’autre Dieu. Au lieu que le nôtre ne doit jamais avoir de plus grande joie, que quand le sien multiplie ses objets. Toute la jalousie que nous devons avoir c’est la jalousie d’Élie qui étant dans la caverne de Beershéba lorsque Dieu lui demanda : Quelle affaire as-tu ici ? répondit : J’ai été extrêmement ému de jalousie pour l’Éternel le Dieu des armées, de ce que les enfants d’Israël ont délaissé ton alliance, et qu’ils ont démoli des autels. C’est la jalousie de saint Paul qui voyant que les Corinthiens se détournaient de la pureté de son Évangile, leur disait : Je suis jaloux de vous d’une jalousie de Dieu, car je vous ai approprié à un seul mari pour vous présenter comme une vierge chaste à Christ. En effet, une des plus sensibles marques que nous aimons Dieu, c’est de ne pouvoir souffrir sans douleur que son Nom soit déshonoré, que sa Parole soit outragée ou négligée, et que ces commandements soit violés.

8. Le véritable amour que nous avons pour Dieu consiste principalement en son obéissance. J’avoue que ce n’est pas toujours un caractère certain, dont on puisse conclure positivement qu’on aime Dieu. Car combien y a-t-il de personnes qui s’abstiennent du mal et qui font le bien, par un principe d’intérêt et de craintes, plutôt que par un principe d’amour ? Mais pourtant c’est un caractère négatif qui est toujours assuré, parce qu’on peut toujours fort bien conclure de ce qu’on obéit point à Dieu, qu’on ne l’aime pas ; car tous ceux qui aiment Dieu, obéissent à ses lois. La raison de cela est évidente. Tous ceux qui aiment véritablement Dieu n’ont point de plus ardent désir que d’être aimé de lui. C’est une production nécessaire de l’amour, que le désir d’être aimé de ce que l’on aime. Or on ne peut être aimé de Dieu sans lui plaire ; et on ne saurait lui plaire, sans obéir à ses commandements. L’amour de Dieu est toujours accompagné d’un saint empressement de faire sa volonté, et d’une crainte respectueuse de l’offenser. Un vrai fidèle appréhende toujours qu’il ne lui échappe quelque chose, ou par négligence, ou par infirmité, qui choque son devoir, et qui lui attire l’indignation de son Dieu. C’est ce qui faisait dire à saint Paul : Employez-vous à votre propre salut avec crainte et tremblement ; et ailleurs : Je mate, et réduit mon corps en servitude, afin qu’en quelque manière après avoir prêché aux autres, moi-même je ne sois trouvé non recevable (1 Corinthiens 9.27). De là viennent les prières des saints : Éternel, enseigne-moi tes voies, et je cheminerai en ta vérité. Range du tout mon cœur à craindre ton nom. Dieu nous rendent accompli en toute bonne œuvre pour faire sa volonté, faisant en nous ce qui lui est agréable par Jésus-Christ. (Psaumes 66.12 ; Hébreux 13.21)

9. Le véritable amour de Dieu, non seulement persévère, mais s’enflamme davantage sous la verge de son châtiment ; par opposition au faux amour qui ne subsiste que dans la prospérité, et qui s’éteint dans l’affliction. Car le faux amour est celui qui tire son origine de l’intérêt temporel de l’homme, et qui est dépendant et soumis à l’amour déréglé que nous nous portons à nous-mêmes. Mais le véritable amour regarde la gloire de Dieu, et notre propre salut ; deux choses qu’il ne faut jamais séparer, parce que Dieu les a jointes dans l’essence même de la religion. Quand donc il arrive que Dieu nous visite de ses châtiments, ces deux grands intérêts, je veux dire sa gloire et notre salut se présentent devant nos yeux, et soit que nous les regardions comme ayant été choqués par les péchés que nous avons commis, et qui ont attiré sur nous la colère de Dieu, soit que nous les considérions comme devant être rétablis par le remède de la verge paternelle, ils ne font que ranimer notre amour. A quoi j’ajoute que quand un fidèle voit la face de son Dieu irrité, il ne peut s’empêcher d’appréhender en quelque sorte que cette colère n’aille plus avant, et qu’elle n’éteigne entièrement l’amour que Dieu lui porte, et que Dieu ne l’abandonne. C’est de là que venaient ces beaux mouvements de David au Psaumes 38 : Éternel, ne m’abandonne point ! Mon Dieu ne t’éloigne point de moi. Et au Psaumes 22 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, t’éloignant de ma délivrance et des paroles de mon rugissement ? Et ailleurs Psaumes 77.8 : Le Seigneur a-t-il rejeté pour toujours et ne poursuivra-t-il plus à m’avoir pour agréable. Sa gratuité est-elle épuisée pour moi et sa promesse a-t-elle pris fin ?

On dit que les Tyriens étant assiégés par l’armée d’Alexandre s’imaginèrent de voir par quelque extraordinaire mouvement que l’image d’Apollon en qui ils mettaient toute l’espérance de leur protection avait dessein de s’enfuir et de les quitter ; de sorte que pour empêcher ce malheur, ils l’enchaînèrent avec des chaînes d’or. J’avoue que ce fut dans le peuple une folle superstition ; mais elle nous fait concevoir pourtant à peu près ce que fait un vrai fidèle, quand il s’imagine que Dieu le veut abandonner. Il l’enchaîne, si j’ose ainsi dire par des chaînes d’amour, il lui jette les bras tendres de sa piété, il pleure dans son sein, et pour me servir d’un meilleur exemple que celui des Tyriens, il le force et lui dit comme les disciples lorsqu’ils étaient à Emmaüs : Demeure avec moi car le soir commence à venir et le jour est décliné.

10. Le véritable amour n’est point superstitieux. Les superstitions naissent d’ordinaire de l’un de ces quatre principes :

  1. De la crainte servile qui fait qu’on s’imagine que la Divinité est toujours en colère. Ce qui fait qu’on cherche sans cesse de l’apaiser, et qu’on emploie pour cela des choses ridicules qui ne serait pas même digne de la sagesse d’un homme.
  2. D’une inclination naturelle que nous avons tous à l’idolâtrie, qui fait qu’on croit toujours voir quelques rayons de divinité dans les créatures qui ont quelque chose d’extraordinaire, et qu’on leur transporte une partie de son culte ou de sa dévotion.
  3. D’un principe d’hypocrisie qui fait que nous voulons payer Dieu de mines et de grimaces, et réduire la piété à des actions extérieures. Et pour cet effet en assembler un grand nombre de quelque nature qu’ils soient.
  4. D’un principe de présomption qui fait que nous voulons servir Dieu à notre fantaisie, et établir un culte qui nous plaise et qui nous flatte, sans trop nous informer s’il est agréable à Dieu, ou s’il ne l’est pas.

Ce que je dis paraît dans les superstitions romaines, dont la plupart ont pris naissance de la peur du feu du purgatoire ; comme les macérations, les messes, les jubilés, et les indulgences, les satisfactions pénales, et autres de cette sorte. Il est évident aussi que quelques-unes sont venues de cette inclination funeste de tous les peuples, de diviniser à quelque prix que ce soit les créatures. Car c’est à cela qu’il faut rapporter le culte des images ; l’invocation des anges et des saints, la coutume de jurer par les créatures, l’adoration des reliques, les pèlerinages, l’adoration de l’hostie et de telles choses de cette nature. Il n’est pas moins vrai qu’il y en a d’autres qui ont été produites par l’hypocrisie ; comme les grains bénis, les rosaires les chapelets, les prières par compte, la fréquence des jeûnes, la visite des lieux saints. Et enfin il y en a qui sont nées de la vanité et de la présomption humaine, comme les fêtes, les processions la magnificence des temples, et en général la pompe des cérémonies dans le service divin. Tout cela est contraire au véritable amour de Dieu qui est libre, dégagé de toute crainte servile, et accompagné de la persuasion que Dieu est bon et qu’il nous aime. Il ne regarde pour objet que Dieu seul, reconnaissant entre lui et les créatures, quelques admirables qu’elles soient, une distance infinie, et par conséquent se donnant bien garde de leur communiquer aucune partie de son culte ou de sa religion. Il est sincère et solide, plus attaché au dedans qu’au dehors, ayant son principal siège dans le cœur, dont il rectifie les sentiments afin que les bonnes œuvres en sortent d’elles-mêmes, comme d’une divine source. Il est enfin humilié et soumis à la volonté de Dieu, qu’il regarde comme la règle de son service, sans avoir égard ni à la vanité des sens, ni aux caprices de l’esprit humain.

11. Le véritable amour est tranquille et paisible, acquiesçant aux voies de la providence sans murmurer, et se possédant soi-même en repos, sans inquiétude et sans chagrin, fuyant aussi les querelles et les divisions humaines, facile et débonnaire en toutes choses, et ne tenant presque ferme sur rien, que sur le service et l’obéissance de Dieu et sur le grand intérêt du salut, sur quoi il est inflexible et incapable d’accommodement.

12. Le véritable amour est toujours agissant. Sa tranquillité n’est pas une tranquillité de négligence, il est vif et efficace, toujours en paix ; mais toujours en action, de la nature des cieux dont il est descendu, lesquels sans bruit et dans un silence profond sont dans un perpétuel mouvement, et ne cessent jamais de répandre leurs influences. Il ne se contente pas d’aller chercher Dieu dans les temples, il le trouve dans les maisons, et dans les chambres et dans les cabinets ; il s’élève vers lui jusque dans le ciel ; mais il le sent aussi dans le cœur du fidèle où il l’entretient et l’adore ; et après s’être acquitté de ses devoirs, il le va chercher encore dans ses membres, dans les autres fidèles, et surtout dans les pauvres dont il pénètre les plus secrètes nécessités et tâche d’y subvenir.

13. Enfin, un des plus grands caractères du véritable amour de Dieu est, que quand nous avons péché, et principalement quand nous sommes tombés dans quelque faute énorme et qui trouble l’état de notre justice, il n’attend point que Dieu lui-même vienne nous réveiller par ses châtiments, il nous excite de bonne heure à la repentance, et en ce mouvement nous émeut de telle sorte, que la conversion prévient l’affliction. En effet, ces repentances tardives qui ne viennent qu’après avoir épuisé la patience de Dieu, et attiré sur nous les coups de sa verge, sont pour le moins autant un effet de la nature, qu’un fruit de l’amour que nous avons pour Dieu. L’amour de nous-mêmes y a beaucoup de part, et si les intérêts ne s’en doivent pas attribuer toute la gloire, il faut pourtant avouer qu’ils y contribuent beaucoup. Cependant il est certain que quand une repentance n’est point toute de l’amour de Dieu, elle n’est point toute céleste ni toute de l’Esprit. C’est un composé de ciel et de terre, de foi et de prudence humaine ; et autant qu’il se doit au sentiment de la nature et à nos propres intérêts, autant perd-il de son prix et de son excellence. Le véritable amour n’attend donc pas que la chair nous sollicite, ni que l’affliction nous donne de l’intelligence, il vient lui-même à notre secours et nous fait retourner à Dieu, avant même que nous sentions les effets de son indignation.

Divers caractères de l’attente du Seigneur.

Pour ce qui regarde les mouvements qui sont renfermés dans le terme d’attente, on peut remarquer : 1° que s’agissant ici d’un bien, à savoir, de la venue de Jésus-Christ, l’attente du fidèle est une véritable espérance directement opposée à l’attente des méchants, qui est une crainte. Car les uns attendent ce grand et dernier jour qui les jugera. Mais les méchants regardent dans cette occasion Jésus-Christ comme leur Juge et leur Ennemi, qui se vengera sur eux de tous les outrages qu’ils ont fait, et qui viendra pour les abîmer en sa colère. Au lieu que les fidèles le regardent comme leur Chef, leur Époux et leur Sauveur, qui viendra les tirer de la poudre et de la misère, et les élever dans la gloire de son royaume. Les méchants dans cette pensée suivent les mouvements des démons qui au premier avènement de Jésus-Christ criaient : Qu’y a-t-il entre toi et nous, Jésus Nazaréen ? Es-tu venu pour nous détruire ? Mais les fidèles imitent la voix de ceux qui le suivirent le jour de son entrée dans Jérusalem : Hosanna au fils de David ! béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

2° Cette attente est accompagnée d’un saint et ardent désir, comme étant l’attente du plus grand de tous nos biens. Viens, Seigneur Jésus, dit l’Église, Seigneur Jésus, viens ! Tel était l’attente de David lorsqu’il était parmi les Philistins, et hors d’état d’aller prier Dieu dans le tabernacle : Comme le cerf brame, dit-il, après des cours d’eaux, ainsi mon âme brame après toi, ô Dieu ! (Psaumes 42.1) Le désir du fidèle n’est pas moins grand, ou pour mieux dire, il est encore davantage, puisqu’il s’agit d’entrer dans le tabernacle du ciel, dans la Jérusalem d’en-haut où nous n’aurons plus ni faim ni soif, parce que l’Agneau nous paîtra et nous conduira aux vives fontaines de ces eaux. La même proportion qu’avait l’Église ancienne au premier avènement du Messie, la même avons-nous à sa seconde manifestation ; avec cette différence, qu’alors il devait venir en grâce ; au lieu que maintenant nous l’attendons en gloire. Alors il devait paraître en forme de chair de péché, en forme de serviteur ; au lieu que nous l’attendons en forme de Dieu, et comme ne réputant point rapine d’être égal à Dieu. Puisque donc qu’alors il était le Désiré des nations (Aggée 2.7), comment ne serait-il pas aujourd’hui le désir des fidèles ?

3° Ce désir est accompagné d’une sainte inquiétude, à peu près de la manière que nous la sentons lorsque nous attendons un intime ami. Nous savons avec certitude qu’il viendra, sans pourtant savoir précisément l’heure de son arrivée ; ou si vous voulez telle que la sent un peuple esclave et abandonné qui attend son libérateur, ou une femme délaissée qui attend la venue de son époux. Dans ces occasions on se plaint de la longueur des jours et des heures, on anticipe les temps, on s’élance dans l’avenir, et on prévient par la pensée la joie qu’on espère d’avoir. C’est cette sainte inquiétude que saint Paul, Romains 8.19-21, attribue en général aux créatures, disant qu’elles gémissent et qu’elles soupirent ensemble, attendant la rédemption et la gloire des enfants de Dieu. Combien plus donc la faut-il reconnaître dans les fidèles.

4° Mais cette inquiétude n’empêche pas que nous ne nous possédions avec patience. Car elle ne va pas jusqu’au murmure ; mais elle se soumet à la volonté de Dieu, sachant qu’il a les temps et les saisons en sa propre puissance. Si le Seigneur tarde, dit saint Paul après le prophète Habakuk, attends-le, c’est-à-dire, ne t’impatiente point, ne murmure point ; car il viendra et ne tardera pas. Il n’appartient qu’aux profanes de dire : Où est la promesse de son avènement ? Depuis que les pères se sont endormis, toutes choses persévèrent ainsi qu’elles étaient au commencement. Nous avons donc une inquiétude, mais une inquiétude tempérée par une résignation de nos désirs, à la volonté de Dieu. Mon âme, dit le fidèle, pourquoi t’abats-tu, et pourquoi frémis-tu au-dedans de moi ? Attends-toi à Dieu ; car je le célébrerai encore ; il est la délivrance de mon regard, et mon Dieu. (Psaumes 42.11)

5° Cette attente enferme nécessairement une sainte préparation, et une préparation qui ait du rapport, et à la majesté de celui que nous attendons, et à la grandeur du jugement qu’il viendra faire, et aux biens éternels que nous en espérons. Il ne faut pas imiter ce méchant serviteur dont le Seigneur parle dans une de ces paraboles, qui dit : Mon maître demeure longtemps à venir… et sous ce prétexte il outrageait ses collègues. Lorsqu’Esther eut à comparaître devant Assuérus, elle s’y disposa durant plusieurs jours, et se para de ses plus précieux vêtements, afin de se trouver devant lui dans un état convenable. Tel est l’attente du fidèle, il emploie le temps qu’il a à se disposer à une si grande heure, de laquelle dépendra toute l’éternité.

Divers caractères de l’avarice.

Bien que sur ces exemples on puisse facilement donner les caractères des vices, aussi bien que des vertus, je ne laisserai pourtant pas de donner ici ceux de l’avarice, en prenant pour sujet ce passage Hébreux 13.5 : Que vos mœurs soient sans avarice étant contents de ce que vous avez présentement. Je dirai donc :

1. Que l’avarice est une passion si noire qu’elle obscurcit l’esprit et la raison, jusqu’à nous faire quelquefois concevoir du profit, où il n’y a que de la perte, et du ménagement ou en effet il y a de la ruine. N’est-ce pas de cette sorte qu’un avare, au lieu de prévenir les maladies par une dépense honnête et médiocre, se les attire au contraire par une vie sordide et mesquine, et se jette par ce moyen dans une inévitable nécessité de consumer une partie de ses biens, pour rétablir une santé qu’il a perdu par une épargne excessive. Il y en a même qui s’attirent une mort inévitable, par la crainte qu’ils ont de dépenser quelque chose en se servant des remèdes nécessaires, et sont assez impertinents pour s’imaginer, qu’il vaut mieux que les richesses demeurent sans possesseur, que le possesseur demeure sans richesse, comme si l’homme était fait pour les biens, et non les biens pour l’homme.

2. Mais ce serait peu de choses si les effets de l’avarice ne regardaient que l’avare même ; ils vont bien plus avant, car ce vice rend un homme inutile dans la société ; et au lieu que nous sommes faits pour nous aider les uns les autres dans le commerce, on peut dire que l’avare est un homme inutile au monde. Il est semblable à cette terre dont parle saint Paul Hébreux 6.7-8 qui boit souvent la pluie, mais qui ne produit que des épines et des chardons. C’est un arbre infertile, un gouffre qui appelle les eaux de toutes parts, mais dont il ne coule nul ruisseau. Ou si vous voulez, un avare est semblable à la mort qui dévore tout et ne rend rien de ce qu’elle dévore. De là vient qu’il n’y a point d’homme dont d’ordinaire on méprise plus la vie et dont on désire davantage la mort, que d’un avare qui n’ouvre jamais ces trésors que quand il est sur le point de sortir du monde, et qui n’est jamais en état de recevoir les fruits de la reconnaissance, parce qu’il ne fait du bien que lorsqu’il cesse de vivre.

3. Il y a plus, car ce vice ne rend pas seulement l’homme inutile dans la société, il le rend injuste et pernicieux. Il n’y a point de droit si inviolable, ni de loi si sainte qui soit à couvert de cette avidité d’amasser des richesses, ou du désir de les conserver. Combien de crimes et d’attentats ! combien de desseins violents, combien de trahisons et de sourdes pratiques ! combien d’infamies et de méchancetés sont procédées de cette perverse inclination ! Si l’avare est stérile en bienfaits, il est abondant en péchés et en injustices. Il n’y a point de bornes qu’il ne passe, ni de barrière qu’il ne franchisse aisément pour satisfaire à sa passion.

4. Par là l’on peut déjà reconnaître, combien ce vice est incompatible avec la véritable foi et l’esprit du christianisme. Car l’esprit du christianisme est un esprit de charité, toujours bienfaisant, toujours prêt à subvenir aux nécessités de ses frères, secourable et plein de compassion, qui entre dans les besoins d’autrui, et qui cherche de soi-même les moyens d’y subvenir. Mais l’avarice au contraire, fait un homme dur, cruel, impitoyable, qui ne se laisse toucher, ni par des plaintes, ni par des larmes ; un homme non seulement jaloux de la prospérité de son prochain, mais qui regarde encore ce peu qui reste au plus malheureux, comme un objet de sa convoitise.

5. Ce n’est pas sans raison que saint Paul appelle l’avarice, une idolâtrie. Car un des principaux caractères de cette maudite inclination est de faire de son or et de son argent, son dieu. C’est en effet ce que l’avare adore, c’est ce qu’il aime souverainement, c’est ce qu’il préfère à toutes choses, sa dernière fin, sa vie, sa confiance et sa félicité. Celui qui craint un dieu, lui consacre les plus chères de ses pensées, donne à sa gloire et à son service les premiers de ses soins, a ses intérêts à cœur, et au reste se remet à la garde de sa providence. Il en est de même d’un avare à l’égard de ses trésors, il ne songe qu’à eux, il ne travaille que pour les conserver et pour les accroître, il n’est sensible que pour eux, et n’a ni repos, ni espérance que celle qui est fondée sur ses richesses, près à leur encenser s’il le pouvait faire sans qu’il lui en coûtât quelque chose.

6. C’est une chose surprenante, et quelquefois même assez divertissante, de voir de quelle manière toutes les autres inclinations d’un avare, bonnes ou mauvaises, ses vertus et ses vices, son amour et sa haine, sa joie et sa douleur ont du respect et de l’obéissance pour son avarice. Elles se meuvent ou s’arrêtent, agissent ou n’agissent pas, suivant les ordres que cette passion criminelle leur en donne. Si naturellement il est civil, doux et agréable dans ses conversations, il ne manque pas d’épuiser le fonds de ces civilités et de son humeur enjouée, lorsque son avarice lui dicte qu’il y a quelque profit à faire ; et si d’autre part il a reçu quelqu’injure ou quelque outrage qui pouvait lui donner un juste sujet de ressentiment, vous voyez en un instant sa colère qui se radoucit, et toute sa véhémence qui se dissipe, sur l’espérance d’un peu d’argent qu’on lui offre pour l’apaiser, ou sur la crainte de s’engager dans quelque dépense pour satisfaire son ressentiment. Si un objet de joie de tristesse publique s’offre à ses yeux, simplement dans son idée générale, il s’en réjouit où s’en attriste selon la nature de la chose dont il s’agit. Mais dès que cette joie publique intéresse tant soit peu ses biens, ou qu’elle fait brèche, de quelque façon que ce soit, à ses prétentions, vous la voyez tout d’un coup se convertir en douleur. De même lorsque l’affliction publique lui fournit l’occasion de gagner quelque chose, vous voyez sa douleur se convertir en joie. S’il aime ardemment quelqu’un, il ne l’aime plus lorsqu’il faut qu’il lui en coûte un peu d’argent ; l’avarice change son amour en froideur, et en indifférence. Si la raison et l’honnêteté publique l’oblige d’être d’un parti qui aura la justice de son côté, il en sera, il en exagérera les droits, il en défendra la justice, pendant que sa bourse ne s’y trouve pas engagée ; mais dès que sa bourse y sera engagée, ce ne sera plus la même chose. Ce qui était juste, lui deviendra injuste ; il y aura incontinent des mais aussi, et des pourquoi, dans sa bouche ; mais aussi nous avons tort en cela ; pourquoi s’opiniâtrer à une telle ou à une telle chose ? Enfin c’est son avarice qui donne la couleur et la teinture à tous les objets ; elle en est la règle et la mesure ; elle les fait bons ou mauvais, justes ou injustes, raisonnables ou sans raison, selon qu’il lui plaît. Les crimes ne sont plus des crimes dès qu’ils sont d’accord avec elle ; et les vertus ne sont plus vertueux desquels le la choc. Elle règne sur les mouvements de l’esprit, et sur les idées de l’imagination. Elle est l’arbitre des jugements de l’âme, elle préside dans les consultations du cœur, elle domine sur ses passions. Et on pourrait fort bien lui appliquer la définition qu’Aristote a donnée de la nature, savoir quel est le principe du mouvement et du repos. Car d’un côté elle fait ce que faisait le centenier de l’Évangile, qui disait à l’un de ses gens va, et il allait, et à l’autre vient, et il venait et à son serviteur fait cela et il le faisait. Mais de l’autre elle va plus loin que le centenier, car elle dit, arrête-toi, on s’arrête ; demeure immobile, on y demeure.

IV. Source de l’invention : Considérer les relations d’une chose à une autre.

Si la chose dont il s’agit est relative à quelque autre, par exemple, toutes les fois que dans l’Écriture nous trouvons que Dieu est appelé notre Père, la relation de ce terme à celui d’enfants est évidente ; et elle nous oblige à marquer, non seulement les inclinations paternelles qui sont en Dieu, et les avantages qui nous en reviennent ; mais aussi les devoirs auxquels nous somment obligés par la qualité d’enfants. Il en est de même de toutes ces expressions de l’Écriture : que Dieu est notre Dieu ; que nous sommes son peuple ; qu’il est notre portion, comme nous sommes son héritage ; qu’il est notre Maître ; que nous sommes ses serviteurs ; et qu’il est notre Roi, que nous sommes les sujets de son empire ; qu’il est notre Prophète ou notre Docteur, que nous sommes ses disciples, et autres semblables. Car quand on les trouve seules et séparées, il faut les traiter avec le rapport qu’elles ont de l’une à l’autre ; et faire de ce rapport une considération.

Il en est de même quand il s’agit de du règne de Dieu ou de Jésus-Christ ; car quand on traite cette matière, on peut avoir égard à toutes les choses qui sont relatives à ce règne ; comme les lois, les armes, le trône, la couronne, les sujets, l’étendue de sa domination, le palais où il réside etc. Ainsi quand il s’agit de traiter notre mariage mystique avec Jésus-Christ, soit lorsqu’il est appelé l’Époux de l’Église, soit lorsque l’Église est appelée son Épouse, on peut après avoir donné l’explication essentielle de ces expressions, jeter les yeux sur les choses relatives ; comme sont l’amour que Jésus-Christ nous a porté, qui l’a fait consentir à ce mariage mystique ; la dot que nous lui avons apportée, qui sont nos misères et nos péchés ; la communication qu’il nous fait, et de son Nom et de ses biens ; la demeure qu’il nous accorde dans sa maison, en nous faisant changer de domicile ; le banquet de ses noces divines ; la fidélité inviolable qu’il exige de nous ; le droit et la puissance qu’il s’acquiert sur nous ; la défense ou la protection qu’il s’engage de nous donner. Mais il faut bien quand on traite ces choses relatives, se donner garde de trop insister, ni de descendre jusqu’aux idées basses, ni même de les traiter l’une après l’autre en forme de parallèle ; car il n’y a rien de plus ennuyeux que chacune de ces choses traitées à part, et l’une après l’autre. Il faut donc les rassembler, et en faire comme un corps composé de plusieurs images, en les assaisonnant toujours de quelque chose de fin et de spirituel. Ainsi je crois qu’on doit se contenter d’en faire une seule observation ; ou tout au plus deux, si ces choses relatives sont en trop grand nombre pour n’en faire qu’un seul corps ; auquel cas il faut tâcher de les réduire en deux ordres ; mais en deux ordres différents, et toujours en faire sentir la différence, afin qu’on ne dise pas que vous avez fait deux observations de ce qui naturellement n’en était qu’une.

V. Source de l’invention : Voir s’il n’y a pas des suppositions non exprimées.

Cette voie d’observations est différente de la précédente. Car la précédente s’arrête simplement aux choses relatives, et celle-ci parle en général de toutes les choses supposées qui ne sont pas relatives. Par exemple quand il s’agit d’un changement, ce qu’on appelle le terminus a quo suppose nécessairement le terminus ad quema. Et réciproquement le terminus ad quem suppose le terminus a quo. Le sujet ou la faculté, qu’on appelle la puissance, suppose son objet, et l’objet, la puissance. Une alliance suppose deux parties, qui traitent ensemble. Une paix ou une réconciliation faite, suppose une guerre et une inimitié. Une victoire suppose des ennemis, des armes, un combat. Une vie suppose son contraire qui est la mort, et la mort, la vie. Le jour suppose la nuit, et la nuit le jour.

a – C’est à dire, respectivement, les limites chronologiques inférieure et supérieure, entre lesquelles un événement a dû se passer.

Quelquefois il y a des propositions qui en supposent nécessairement d’autres, soit parce que ce sont des conséquences qui dépendent de leurs principes, soit parce que ce sont des vérités liées avec d’autres. De quelque manière que cela se fasse, il est toujours d’un grand usage, quand on traite un texte ou quelque partie d’un texte, de prendre garde à ces choses supposées ; car on en peut tirer quelquefois plusieurs considérations, et quelquefois même l’on peut marquer sensiblement combien il y a de parties enfermées dans les expressions du texte. Par exemple, si on avait à traiter ces paroles de saint Paul : Ne rendez à personne mal pour mal, on pourrait fort bien prendre garde aux vérités qui sont supposées ou enfermées dans ces paroles.

La première est que dans le désordre ou la corruption du péché a mis le genre humain, les hommes sont exposés à recevoir des injures et des outrages les uns des autres. Car la société des pécheurs n’est qu’une société en ombre, qui ne laisse pas de former entre eux une véritable guerre ; ils sont comme l’armée des Madianites, où chacun tourne l’épée contre son compagnon. L’esprit du monde est un esprit qui disperse, au lieu d’assembler. La différence des intérêts, la diversité des sentiments, la contrariété des passions font une perpétuelle division ; et le fruit de cette division est l’injure et l’outrage ; chacun y est comme Ismaël dont l’oracle disait que : Sa main serait contre tous, et la main de tous contre lui (Genèse 16.12).

La deuxième vérité est qu’il ne faut pas s’imaginer que la foi et la dignité de la vocation chrétienne mette les fidèles hors de l’atteinte des injures et des outrages ; au contraire, elle les expose quelquefois plus que les autres n’y sont exposés ; tant parce que Dieu lui-même veut que notre foi soit soumise à ces épreuves, et que nous parvenions, comme dit l’Écriture à son Royaume par plusieurs tribulations, que parce que la profession chrétienne fait une entière division entre les infidèles et nous. Le monde et le péché mettent les pécheurs et les mondains en quelque espèce de communion, et fait naître entre eux quelque amitié et quelque support mutuel ; mais il ne peut y avoir nulle communion entre le fidèle et l’infidèle, non plus qu’entre la lumière et les ténèbres, Christ et Bélial. C’est de là que viennent toutes les persécutions que l’Église a souffertes, et qu’elle souffrira jusqu’à la fin des siècles, de la part des incrédules et des méchants. Jésus-Christ en envoyant ses apôtres, n’a pas manqué de les avertir de cette contradiction. Voici, dit-il Matthieu 10.16, je vous envoie comme brebis au milieu des des loups. Et ailleurs, Jean 15.19 : Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait sien, et parce que vous n’êtes point du monde, pour cette raison le monde vous a en haine. On peut faire une observation de chacune de ces deux vérités supposées. Ensuite, après avoir établi le précepte de l’apôtre, de ne rendre à personne mal pour mal, et fait voir que la vengeance particulière est contraire aux lois du christianisme et incompatible avec la vraie piété, on peut montrer une troisième vérité supposée, qui est que non seulement l’Évangile nous défend le ressentiment et la vengeance, et nous ordonne de pardonner les offenses que nous recevons ; mais aussi qui nous oblige de faire du bien à nos ennemis, et à prier Dieu pour ceux qui nous persécutent, selon le précepte de Jésus-Christ : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, et priez pour ceux qui vous persécutent (Matthieu 5.44) ; et selon la doctrine même de saint Paul, (Romains 12.20), que si notre ennemi a faim, nous lui devons donner à manger, et s’il a soif nous lui devons donner à boire.

Au reste il faut bien prendre garde, quand on traitera ces vérités supposées ; premièrement, de ne les tirer pas de trop loin, ni par un grand circuit de raisonnements, pour deux raisons. L’une, parce que vous rendriez votre discours obscur ; car tout le monde n’est pas capable de voir dans un texte des vérités éloignées ; l’autre, parce que par ce moyen, on pourrait faire venir toute la théologie dans un texte, ce qui est vicieux et contraire aux règles du bon sens. Il faut donc entre des vérités supposées choisir les plus prochaines, et celles qui y viennent plus naturellement. En second lieu, de ne les pas trop exagérer, parce que ce sont des vérités supposées qu’il est bon de remettre devant les yeux des auditeurs et de les en faire ressouvenir, mais qui ne sont pas le principal. En troisième lieu, il faut prendre garde aussi que ces vérités supposées soient de quelque importance, ou pour l’instruction, et le dénouement du texte, ou pour la consolation, ou pour la correction des mœurs, ou pour la pratique de la piété ; car autrement ce serait dire des bagatelles, sous prétexte des vérités supposées.

VI. Source de l’invention : Faire des réflexions sur la personne qui parle ou qui agit.

Pour donner un exemple de ceci, il ne faut que reprendre le même texte de saint Paul dont nous venons de parler : Ne rendez à personne mal pour mal. Car on peut fort bien remarquer :

1° Qu’il est beau de voir ce précepte en la personne de saint Paul, et qu’il a bien plus d’efficace dans sa bouche, qu’il n’aurait dans celle d’un autre. La raison de cela est, que de tous les hommes il n’y en a jamais eu aucun qui selon les principes de la chair et du sang, et par les mouvements de la nature dût être plus porté au ressentiment que lui ; car il n’y en a jamais eu ni de plus persécuté, ni de plus injustement persécuté. Il a été outragé par ceux de sa nation ; outragé par les gentils ; outragé par les faux frères ; outragé par les faux apôtres ; outragé lorsqu’il prêchait l’Évangile ; outragé par ceux-là même à qui il faisait du bien, et dont il procurait le salut ; outragé jusqu’aux prisons, jusqu’au bannissement, jusqu’au fer, jusqu’à l’effusion de sang. Que cette parole donc est forte dans la bouche d’un tel homme, puisqu’elle se retrouve soutenue par un des plus grands exemples que l’on puisse concevoir ; par l’exemple d’un homme qui avait en apparence intérêt de dire, de soutenir, et de pratiquer tout le contraire. Quand on donne de semblables préceptes au monde, il ne manque pas de vous dire, vous parlez à votre aise, vous n’avez jamais été outragé, si vous l’aviez été, vous chanteriez autrement. Mais il n’y a pas moyen de dire cela de saint Paul, non plus que de Jésus-Christ son Maître, qui est l’auteur de cette divine morale ; car qui est-ce qui a été plus persécuté que notre Seigneur Jésus-Christ ? Et après lui, qui est-ce qui a le plus souffert que saint Paul ?

2° On peut aussi fort bien remarquer, qu’à prendre la chose dans un autre sens, il n’y a point d’homme qui ne fut plus obligé d’enseigner une telle doctrine et d’aimer une telle morale, que saint Paul. Pourquoi ? Parce que de tout ceux que Dieu avait appelé à la connaissance de la vérité par une miséricorde ineffable, celui-ci particulièrement avait été pris dans les plus cruels efforts de sa rage contre Dieu et contre son Église, lorsque enflammé de furie il s’en allait de Jérusalem à Damas pour ravager les troupeaux de Jésus-Christ. Dans cet accès violent de sa haine, Dieu lui fit sentir son amour, il lui pardonna ses péchés, il ramollit son cœur, et Jésus lui cria du ciel : Saul ! Saul ! Pourquoi me persécutes-tu ? Qui pouvait donc avoir plus d’intérêt à être prédicateur de miséricorde, que celui à qui Dieu avait fait tant de grâce ? Et ne pouvait-il pas dire, quand il donnait les règles de sa morale, ce qu’il disait sur un autre sujet ? J’ai reçu du Seigneur ce que je vous donne. (1 Corinthiens 1.23) J’ai reçu la même miséricorde que je vous enseigne. A quoi il faut ajouter, non seulement qu’il avait senti les effets de cette grâce et de cet amour envers ses ennemis, de la part de Dieu ; mais il les avait aussi sentis de la part de l’Église même ; laquelle, bien loin de lui rendre mal pour mal, et d’avoir du ressentiment des persécutions qu’il lui avait faites, lui avait au contraire, tendu les bras de sa charité, l’avait reçu dans sa communion, et l’avait agrégé au nombre des apôtres de Jésus-Christ.

VII. Source de l’invention : Réfléchir sur l’état de celui qui parle ou qui agit.

Ainsi si l’on expliquait ce passage 1 Thessaloniciens 5.16 : Soyez toujours joyeux, il ne faudrait pas manquer de considérer l’état auquel se trouvait saint Paul quand il écrivit cette épître ; car il était à Athènes, engagé dans cette ville superstitieuse, où, comme il est dit au chapitre 17 des Actes que son esprit ne pouvait s’empêcher de s’aigrir en soi-même, voyant une ville si adonnée à l’idolâtrie, où il était traité de babillard et d’annonciateur de dieux étranges, et où enfin il était l’objet de la risée et de la moquerie des Athéniens. Cependant au milieu de tant de sujets d’une juste douleur, il ne laisse pas d’exhorter les Thessaloniciens à conserver toujours leur joie spirituelle. Non qu’il les voulût rendre insensibles aux maux qu’ils souffraient, et aux afflictions de l’Église naissante ; mais parce que nos afflictions spirituelles, je veux dire celles que nous avons pour l’intérêt de la gloire de Dieu, et du bien de son Église, ne sont pas incompatibles avec la paix et la joie de la conscience. Au contraire, c’est particulièrement dans ces afflictions, que Dieu nous donne un plus vif sentiment de sa joie ; parce qu’alors il donne à ses enfants une plus grande abondante mesure de son Esprit, et qu’il serre plus étroitement le nœud de notre communion avec lui ; et parce qu’aussi c’est dans ces tristes occasions que nous élevons plus notre pensée vers la providence de Dieu, assurés que rien n’arrive sans son ordre, et que quoi qu’il arrive, il fera réussir toutes choses au bien et à l’avancement de ses fidèles. Ce qui nous donne un véritable repos, une joie que rien n’est capable de troubler.

VIII. Source de l’invention : Prendre garde s’il n’y a point quelque considération à faire sur le temps.

Par exemple, saint Paul dans sa première épître à Timothée ordonne qu’on fasse dans le service public des églises, des prières, en général pour tous les hommes, et principalement pour les rois, et pour ceux qui sont élevés en dignité. Là il est fort naturel de remarquer la circonstance du temps, à savoir lorsque l’Église et les apôtres étaient persécutés en tous lieux, et que les fidèles étaient l’objet de la calomnie et de la haine de tous les hommes, et en particulier de la cruauté des tyrans. Cependant de si rudes traitements n’arrêtaient pas le cours de la charité chrétienne. saint Paul veut non seulement que chaque fidèle prie pour tous les hommes ; mais il veut aussi que cela se fasse en public, afin que tout le monde sache quelles sont les maximes chrétiennes, toujours douces, patientes et charitables. Les fidèles font toujours leur devoir envers les hommes, encore que les hommes ne les y obligent pas. Je veux croire que des malicieux et des calomniateurs ne manquaient pas de donner à cette conduite un sens de prudence humaine et de politique, en disant que les chrétiens voulaient par ce moyen encenser aux grands et au peuple, et se les rendre favorables. Mais cette calomnie elle-même n’empêche pas saint Paul d’ordonner qu’on fasse ces prières ; car il faut toujours s’acquitter de son devoir, et au reste souffrir les mauvaises explications que l’on peut donner à notre conduite.

IX. Source de l’invention : Considérer la circonstance du lieu.

Saint Paul dit Philippiens 3.14 : J’oublie les choses qui sont en arrière, et m’avançant aux choses qui sont devant moi, je tire vers le but, savoir au prix de la vocation d’en haut, qui est de Dieu par Jésus-Christ. Le lieu d’où il écrivait nous fournit une assez belle considération. Il était dans les prisons de Rome, accablé de fers, dépouillé de toute sa liberté ; cependant il ne laisse pas, comme s’il eût été le plus libre du monde, et le plus en état d’agir et de disposer de soi-même, de dire qu’il est entré dans la carrière, qu’il court, qu’il laisse les choses qui sont derrière, qu’il s’avance vers celles qui sont devant lui, qu’il se propose et qu’il espère de remporter le prix, qui sont toutes actions d’un homme qui jouit de sa pleine liberté. Comment peut-il être dans une carrière, étant dans un cachot ? Comment peut-il courir étant arrêté dans les fers ? Comment peut-il espérer de remporter le prix de la victoire, lui qui n’attend tous les jours que l’arrêt de sa condamnation et de sa mort ? Mais cela n’est pas difficile à accorder. Sa prison et ses fers n’empêchent pas la course mystique de sa foi et de sa piété. Sa prison peut-être elle-même convertie en une belle carrière ; et la mort pour l’Évangile de Dieu peut être fort bien conçue sous l’image d’une belle victoire et d’une riche couronne, que l’on remporte pour le prix de ses travaux.

X. Source de l’invention : Considérer les personnes à qui l’on parle ou envers qui l’on agit.

Reprenons, par exemple, le texte sur lequel nous avons déjà parlé : Ne rendez à personne mal pour mal. Ceux à qui saint Paul parle sont des Romains, de qui la maxime perpétuelle était de venger fortement les injures publiques qu’ils avaient reçues, et de détruire sans rémission ceux qui les avait voulu détruire, et qui leur avait fait quelque outrage, témoins les Carthaginois et les Corinthiens ; car ils renversèrent Carthage de fond en comble, parce que cette ville avait porté ses armes dans l’Italie, par la main d’Hannibal, et avait été sur le point de ruiner Rome. Ils saccagèrent aussi et brûlèrent la ville de Corinthe, pour avoir maltraité leurs ambassadeurs. L’apôtre condamne cette maxime, comme une politique que le christianisme n’approuve point. On peut aussi remarquer cette circonstance particulière, que quoi que les Romains eussent presque toujours extraordinairement bien réussi, lorsqu’ils avaient vengé leurs injures, comme l’agrandissement de leur empire fut pour la plupart venu de ce qu’ils avaient poussé le ressentiment jusqu’au bout ; ces bons succès n’empêchent pourtant pas que l’apôtre ne leur dise, ne rendez point mal pour mal ; parce que en effet, ni les exemples, ni les succès ne doivent point être la règle de notre conduite, mais la seule volonté de Dieu, et la loi de son christianisme.

XI. Source de l’invention : Considérer les états particuliers.

Donnons encore un exemple de ceci sur le même texte. Saint Paul écrit à des Romains, mais à des Romains chrétiens qui se voyaient haïs et persécutés de leurs concitoyens, et en général maltraités de tout le monde ; cependant quelque juste que leur ressentiment pû paraître d’abord, il ne veut pas qu’ils le suivent, ni qu’ils obéissent à des mouvements violents, que la lumière de la raison, l’instinct de la nature, et le désir de leur propre conservation semblaient leur inspirer. Il veut qu’ils laissent cette vengeance à Dieu, et que quant à eux, ils ne suivent que les mouvements de la charité. Les plus grands persécuteurs des premiers chrétiens étaient les Juifs, à qui les Romains pouvaient facilement rendre de mauvais offices, et se venger d’eux en se servant d’autres prétextes ; parce que cette nation était assez généralement haïe et méprisée des autres peuples, et il n’y avait rien de si facile, que de se servir contre eux de cette haine publique que la différence de religion leur attirait ; néanmoins saint Paul ne dit pas seulement en général, ne rendez point mal pour mal, mais en particulier, ne rendez à personne mal pour mal, comme s’il eût dit : non pas même à ceux de qui vous pouvez facilement vous venger, et venger les injures continuelles qu’ils font à votre religion ; non pas même aux plus ardents ennemis du nom de Jésus-Christ, et de la profession du christianisme ; à ceux qui ont crucifié votre sauveur, et qui tâchent encore tous les jours d’éteindre son Évangile.

XII. Source de l’invention : Considérer les principes d’une parole ou d’une action.

Prenez pour exemple Jean 5.14, où il est parlé d’un paralytique que Jésus-Christ avait miraculeusement guéri, et il est dit que quelque temps après Jésus le trouva au temple, et lui dit : Voici, tu as été rendu sain, ne pèche plus désormais, de peur que pis ne t’advienne. Il ne faut pas s’imaginer que cette rencontre, que Jésus-Christ fit de cet homme au temple fut fortuite et imprévue au Fils de Dieu, qui par sa providence conduisant les pas de cet homme, le fit trouver au temple, et l’y alla chercher lui-même. Examinez sur cela les principes par lesquels Jésus-Christ chercha ce misérable pécheur, et vous trouverez :

1. Que c’est par une grande charité qu’il a pour lui. Par cette même charité qui lui faisait faire du bien à tous ceux qui en avaient besoin, et dans tous les lieux qu’il honorait de sa présence, Jésus a été comme une source publique de biens ; ses mains ont répandu partout des faveurs, et il en a recherché les occasions, lorsque d’elles-mêmes elles ne se sont pas présentées.

2. C’est par l’engagement d’une première bonté, qu’il avait eue pour ce paralytique ; sa première grâce attire la seconde, et il ne veut pas laisser son ouvrage imparfait. Ainsi, il est dit à l’égard de ses disciples, qu’après les avoir aimés du commencement, il les aima jusqu’à la fin. La bonté de Jésus-Christ imite celle de son Père éternel qui appelle, justifie, et enfin glorifie ceux qu’il a une fois prédestinés. Et un des principaux fondements sur lesquels Paul établit notre espérance pour l’avenir est celui-ci que Dieu a déjà commencé de nous aimer et de nous faire du bien. Dieu, dit-il, est fidèle qui vous a appelé à la communion de son Fils. Celui, dit-il encore, qui a commencé cette bonne œuvre en vous, l’achèvera jusqu’à la journée de Jésus-Christ. (1 Corinthiens 1.9 ; Philippiens 1.6)

3. C’est par un principe de sagesse et de prévoyance, que Jésus-Christ cherche son paralytique dans le temple, afin de lui remettre devant les yeux son devoir, de lui fournir les moyens de s’en acquitter et de lui donner une plus particulière connaissance de celui qui l’avait guéri. Car il n’ignorait pas qu’une foi naissante telle qu’était celle de cet homme a besoin d’aide et de secours, comme une jeune plante qui a besoin d’appui pour s’affermir contre le vent et l’orageb.

b – Ces trois principes développés par Claude sont fort encourageants ; cependant le texte biblique ne dit pas que Jésus était allé dans le temple avec la volonté expresse d’y retrouver le paralytique qu’il avait guéri. Comme la plupart des réformés de son époque, l’auteur bâtit sur une conception spéculative et irréaliste de l’humanité du Fils de Dieu.

De même si l’on avait à examiner ces paroles de Jésus-Christ à la Samaritaine : Va-t’en, et appelle le ton mari, il faudrait examiner les principes par lesquelles Jésus-Christ lui parle de cette sorte ; car ce n’est pas qu’il ignora la vie que cette femme menait, laquelle à proprement parler n’avait point de mari. C’est donc 1° une parole d’épreuve ; car le Seigneur lui disait cela pour donner lieu à cette franche confession qu’elle fit ensuite, en disant, je n’ai point de mari. 2° C’est aussi une parole de censure charitable, car il voulut lui remettre devant les yeux l’état de péché où elle se trouvait alors. 3° C’est aussi une parole de grâce, car la censure aboutissait à la consolation de cette femme. 4° C’est encore une parole de sagesse, car notre Seigneur voulu par la rencontre de la Samaritaine, se découvrir plus clairement à elle, et de lui faire comprendre qu’il avait une claire connaissance de tous les secrets de sa vie, comme il lui témoigna immédiatement après, en lui disant : Tu as bien dit, je n’ai point de mari, car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est point ton mari.

Si l’on avait à expliquer Actes 1.9, où il est dit que quand Jésus fut élevé, ses disciples le regardèrent, il faudrait nécessairement pénétrer dans les sentiments intérieurs des disciples en ce moment, et voir de quel principe procédait cette vue attentive et attachée qu’ils avaient de leur divin Maître montant au ciel.

XIII. Source de l’invention : Considérer les conséquences,
bonnes ou mauvaises, qu’on peut tirer des choses.

Ainsi lorsque l’on explique que la doctrine de la miséricorde de Dieu, il est expédient, ou au moins quelquefois, de remarquer quel est le bon et légitime usage que nous en devons faire : qui est de renoncer à nous-mêmes, et de nous sentir infiniment obligés à Dieu qui nous pardonne tant de péchés, avec tant de bonté ; de nous consacrer entièrement à son service, comme des personnes sur lesquelles il s’est acquis un nouveau droit ; et de travailler incessamment à sa gloire, en reconnaissance de ce qu’il a fait pour notre salut. En même temps l’on peut remarquer les fausses et pernicieuses conséquences, que les ingrats et les méchants tirent de cette doctrine, qui sont qu’il faut pécher afin que la grâce abonde, qu’il ne faut plus considérer la justice, puisque nous sommes sous la grâce ; que plus nous assemblerons de péchés, et plus la miséricorde sera glorifiée en nous pardonnant ; que cette miséricorde dure tout le temps de notre vie, et qu’ainsi il suffit d’y avoir recours à l’heure de la mort ; et telles autres fausses conséquences qu’il faut non seulement proposer, mais réfuter soigneusement.

Il en est de même de la doctrine de notre conversion par la grâce efficace du Saint Esprit ; car les bonnes et légitimes conséquences qui se tirent de là sont :

  1. La connaissance de la grandeur de notre corruption, qui ne peut être vaincue que par une force toute puissante.
  2. Notre humilité, puisqu’il n’y a rien de bon en nous.
  3. Qu’il faut rapporter toute la gloire de notre salut à Dieu, qui en est l’unique auteur.
  4. Qu’il faut adorer les profondeurs de sa grande miséricorde, qui nous a donné son Saint Esprit par lequel nous sommes convertis.

Et en même temps on peut aussi remarquer les mauvais usages et les fausses conséquences que les sophistes et les impies tirent de cette doctrine ; comme que puisque Dieu par sa toute-puissance convertit les hommes, c’est inutilement qu’il leur fait prêcher sa parole, et qu’il leur propose ses exhortations, ses promesses, et ses menaces ; que c’est en vain qu’on dit à un pécheur, que son devoir est de se convertir, puisque sans cette grâce efficace qui ne dépend nullement de lui, il ne peut le faire ; que c’est un motif pour porter les hommes à la négligence de leur salut, puisqu’il ne dépend point d’eux ; et telles autres choses qu’il faut en les proposant réfuter solidement.

On peut encore en user de cette sorte sur la matière de l’élection et de la réprobation, et sur celle de la propitiation que Jésus-Christ a faite de nos péchés par son sang ; et en général presque sur toutes les matières de religion car il n’y en a point qui ne soit sujette à un bon et à un mauvais usage. Cependant il faut prendre garde que quand on proposera ces bonnes et ces mauvaises conséquences, cela se fasse bien à propos, et que l’occasion s’en présente comme naturellement. Car si cela se fait avec quelque espèce d’affectation et de contrainte, cela ne peut plus être agréable. Ainsi donc en général ce lieu des bonnes et des mauvaises conséquences doit avoir son usage, lorsqu’on voit que les mauvaises conséquences sont à craindre, et qu’elles semblent naître d’elles-mêmes du texte que vous expliquez ; car en ce cas, il faut les prévenir, les réfuter, et leur opposer des conséquences contraires.

XIV. Source de l’invention : Réfléchir sur le but de l’auteur sacré.

Le lieu de la fin n’est pas fort différent de celui des principes, dont nous avons déjà parlé. Cependant on peut le traiter avec quelque diversité. Par exemple, quand on traite la matière de la justification selon que saint Paul l’a enseignée, on peut prendre garde aux fins que l’apôtre s’est proposées, qui sont :

1° De mettre une juste différence entre Jésus-Christ et Moïse, l’Évangile et la loi ; et d’en faire voir l’incompatibilité contre ceux qui les veulent confondre, et les mêler dans un même corps.

2° De retirer les hommes de cet orgueil pharisaïque qui régnait parmi les Juifs, lesquels cherchent, comme saint Paul le dit lui-même, leur propre justice, et non la justice de Dieu.

3° De les éloigner de ces faux et faibles remède que la loi donnait pour les péchés, à savoir, les sacrifices, les purifications ; et de ce que la superstition païenne suggérait, comme de se laver dans l’eau des fontaines, d’immoler des victimes aux dieux, etc.

4° De les amener au véritable et unique remède pour les péchés, qui est le sang de Jésus-Christ.

XV. Source de l’invention : Considérer ce qu’il y a de remarquable dans les manières de parler ou d’agir.

Par exemple, Romains 8.36 : En toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. On peut remarquer qu’il y a une force plus qu’ordinaire dans ces termes, qui expriment un mouvement de confiance héroïque. Car il ne dit pas simplement : nous soutenons ce combat des afflictions par notre patience ; il ne dit pas seulement : nous sommes vainqueurs dans ce combat, mais il dit : nous sommes plus vainqueurs. C’est beaucoup, que la foi lutte contre les afflictions, sans être opprimée. C’est plus qu’elle vainque les afflictions après un rude combat ; mais que le fidèle en soit plus que vainqueur, cela veut dire qu’il en triomphe sans combat et sans résistance de la nature. Cela veut dire qu’il en fait la matière de sa joie et de sa gloire, selon que l’apôtre le disait ailleurs, nous nous glorifions en nos tribulations ; et il les considère non comme des afflictions et des douleurs mais comme des grâces et des faveurs divines. Car c’est aussi la pensée qu’il avait en écrivant Philippiens 1.29 : Il vous a été donné gratuitement, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. Il regarde les souffrances comme des présents de la libéralité divine, pour lesquels les fidèles sont obligés de rendre grâce.

De même dans le passage suivant, Romains 8.38-39 : Je suis assuré que ni mort, ni vie, ni ange, ni principauté, ni puissance, ni choses présentes, ni choses à venir, ni hautesse, ni profondeur, ni aucune autre créature, ne nous pourra séparer de la dilection de Dieu, qu’il nous a montrée en Jésus-Christ notre Seigneur. Il faut encore remarquer cette grandeur d’âme et ce mouvement héroïque de la foi de saint Paul, qui semble défier toutes les puissances de la nature, et qui les assemblent toutes, la mort, la vie, les anges, etc. pour en triompher, et pour exulter sur leur défaite ; ce qui marque une persuasion très forte de la grâce de Dieu, et une confiance inébranlable en son amour. L’on peut faire de semblables remarques sur plusieurs discours de Jésus-Christ, où l’on découvre un caractère de grandeur et de majesté, qui ne peut convenir à aucune simple créature, comme quand il dit, Jean 8.58 : Avant qu’Abraham fût, je suis. Jean 12.35 : Pendant que je suis au monde, je suis la lumière du monde. Jean 17.10, parlant à son Père : Tout ce qui est mien, est tien ; et tout ce qui est tien, est mien. Jean 14.1 : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Jean 14.13 : Quoi que vous demandiez en mon nom je le ferai. Et mille textes semblables.

XVI. Source de l’invention : Il faut comparer la parole ou l’action avec d’autres semblables.

Comme par exemple, quand il est parlé Actes 1.1, des choses que Jésus s’est mis à faire et à enseigner. Or cela même est dit de Moïse Actes 7.22 qu’il était puissant en paroles et en faits. Sur quoi l’on peut remarquer que ces deux choses jointes ensemble, faire et enseigner, sont le caractère d’un véritable prophète, qui ne sépare jamais l’action d’avec la parole. Et ensuite on peut faire une élégante comparaison entre Moïse et Jésus-Christ. L’un et l’autre ont fait et enseigné, mais il y a bien de la différence entre les enseignements de l’un, et ceux de l’autre. Car l’un enseigne la justice, et l’autre la miséricorde ; l’un abat, et l’autre relève ; l’un épouvante et l’autre console. Il y a de même bien de la différence entre les faits de l’un et ceux de l’autre. Car les miracles de Moïse étaient des miracles de destruction, les insectes, les grenouilles, la grêle d’Égypte, et les autres plaies dont il châtie les Égyptiens. Mais les miracles de Jésus Christ ont toujours été des miracles bienfaisants, la résurrection des morts, l’illumination des aveugles, etc.

Ainsi quand on traite la matière de l’incrédulité des Juifs qui rejettent le Messie, on peut examiner leurs préjugés et leurs maximes, selon qu’on les peut recueillir de l’histoire de l’Évangile, et les comparer avec ceux de l’Église romaine lorsqu’ils ont rejeté la Réformation ; car ce sont à peu près les mêmes.

Ainsi encore, quand on est sur le sujet des réponses que saint Paul apportait aux objections des Juifs, lesquels mettaient en avant qu’ils étaient le peuple de Dieu, et que son alliance était attachée à la postérité d’Abraham, l’on peut remarquer que ces réponses sont à peu près semblables à celles que nous faisons à ceux de l’Église romaine, quand ils nous objectent qu’ils sont l’Église. Car comme l’apôtre distingue deux Israëls, l’un selon la chair, l’autre selon l’esprit, nous de même, nous distinguons deux Églises ; l’une qui n’est Église qu’aux yeux des hommes, par une profession extérieure du christianisme, par la possession des chaires, des temples et des écoles. Et l’autre qui est Église aux yeux de Dieu par une saine doctrine et une véritable foi ; ce qui est précisément l’Israël selon la chair, et l’Israël selon l’Esprit, de l’apôtre. Comme l’apôtre applique les promesses de Dieu et leur accomplissement, non dans les Israélites selon la chair mais dans les Israélites selon l’Esprit, nous de même nous appliquons les promesses que Dieu a faites à l’Église, non à ceux qui occupent les chaires, les temples et les écoles, mais à ceux qui persévèrent en la saine doctrine. Comme saint Paul définit le véritable peuple de Dieu, par l’élection éternelle et gratuite que Dieu a faite des hommes ; nous de même nous définissons la véritable Église par l’élection, soutenant qu’à l’égard de Dieu, il n’y en a point d’autres à qui il ait fait ces admirables promesses qui se trouvent dans l’Écriture, qu’à ses élus, et que ses élus, sont ceux qu’il a choisi selon son bon plaisir, sans aucun attachement, ni à un lieu particulier, ni aux charges et aux conditions des hommes.

XVII. Source de l’invention : Considérer les différences de parler et d’agir en de différentes occasions.

Ainsi quand il ne s’agit que d’un scrupule d’infirmité et d’une tendresse de conscience qui faisait que quelques fidèles ne voulaient manger que des herbes ; saint Paul en Romains ch. 14 veut que ceux qui sont plus forts supportent ces infirmes. Celui qui mange, dit-il, qu’il ne méprise point celui qui mange pas, et que celui qui ne mange pas, ne juge point celui qui mange. Mais quand il s’agit des faux docteurs qui voulaient imposer un jour de nécessité, et qui sous prétexte des viandes et des jours allaient à joindre Moïse avec Jésus-Christ, comme si les chrétiens étaient encore obligés à l’observation de la loi cérémonielle, alors saint Paul ne les supporte point, mais au contraire il les condamne et prononce anathème contre eux, comme contre des gens qui prêchaient un autre Évangile, et il exhorte les fidèles à se tenir fermer en la liberté de laquelle Christ les affranchis, et qu’ils ne soient point derechef retenus du jour de servitude.

Encore l’on trouve dans l’Évangile, que Jésus-Christ a quelquefois défendu à ses disciples de publier les miracles qu’il faisait, et de déclarer la vérité de sa condition divine. Ailleurs au contraire, il leur ordonne de prêcher à toutes nations les mystères de son Royaume et de publier ce qui leur avait été dit en secret et comme à l’oreille. Il faut remarquer que cette différence vient de la diversité des temps. Car pendant que Jésus-Christ était encore sur terre, les mystères de son Royaume étaient encore couverts du voile de son abaissement, devant en quelque manière être tenus cachés ; au lieu qu’après son élévation, ils devaient être manifestés et publiés à toute la terre. Cette même diversité doit être remarquée dans tout ce qu’il dit à la Cananéenne, qu’il n’était envoyé que vers les brebis de la maison d’Israël ; et qu’il n’était pas convenable de donner le pain des enfants aux chiens. Ce qui semble contraire à un nombre presque infini de textes de l’Écriture qui portent que Jésus-Christ est la lumière des nations, qu’à lui appartient l’assemblée des peuples, et qu’il est venu au monde pour le salut des Gentils, lesquels doivent mettre leur espérance en lui. Or cela s’accorde fort bien ensemble, si vous distinguez les temps ; car pendant que Jésus-Christ a été sur la terre, il n’a été que ministre de la circoncision, comme parle saint Paul, c’est-à-dire qu’il n’a été envoyé que vers les Juifs, mais quand il a été élevé en gloire, son ministère a été étendu par toute la terre.

XVIII. Source de l’invention : Considérer comment les paroles ou les actions s’opposent à d’autres.

Ainsi l’on peut opposer les angoisses et les épouvantements dont Jésus-Christ fut saisi à l’approche de la mort, à la constance et à la joie des martyrs qui sont allés au supplice comme à un triomphe. Cette contrariété de mouvement vient de la différence des personnes. Jésus-Christ était le médiateur des hommes envers Dieu, qui portait leurs péchés, et qui luttait avec la justice éternelle de son père ; et les martyrs sont des fidèles réconciliés à Dieu, qui combattent sous ses enseignes, comme des soldats mystiques pour soutenir sa querelle. L’un était rempli du sentiment de la colère de Dieu contre les hommes ; les autres étaient remplis du sentiment de son amour. L’un regardait la mort comme un ennemi armé, et qui jusque-là était en possession de triompher des hommes ; et les autres la regardaient comme un ennemi vaincu, ou pour mieux dire comme un ennemi réconcilié qui avait changé d’espèce et de nature, étant favorable aux hommes. En un mot Jésus-Christ était en guerre contre la mort, au lieu que la mort était en paix et en bonne intelligence avec les martyrs. En général on peut dire que l’opposition est un des plus beaux lieux de la rhétorique chrétienne, et qui lui fournit les plus belles méditations ; il faut seulement prendre garde que les oppositions soient naturelles et faciles à comprendre, et qu’on les mette bien dans leur jour.

XIX. Source de l’invention : Examiner les fondements d’une action ou d’une parole pour en faire voir la vérité ou la justice.

Ainsi quand il s’agira de l’incarnation de Jésus-Christ, par exemple, en expliquant ce texte : La parole a été faite chair, on peut recourir au fondement de cette vérité que nous avons dans l’Écriture, pour faire voir qu’en effet une personne divine a pris une véritable nature humaine, non en ombre ou en fantôme, comme quelques hérétiques anciens se le sont imaginé, mais réellement. Et pour cet effet on peut chercher dans les oracles anciens, ceux qui marquent les deux natures, l’humaine et la divine dans la personne du Messie. On peut aussi y appliquer les textes du Nouveau Testament qui marquent la même chose, et l’on peut encore découvrir les raisons de cette admirable économie, que la théologie fournit, et qui sont prises du dessein de notre salut. Il en est de même quand il s’agira de la résurrection de Jésus-Christ ou de son ascension ; car on peut en faire voir la vérité en faisant voir la fidélité et la solidité du témoignage des apôtres. Ce qu’on peut encore établir par les suites de cette résurrection qui en marquent la vérité ; comme l’effusion des grâces du Saint Esprit, l’abolition de l’empire du démon et de ses idoles, la conversion des peuples à l’adoration d’un seul vrai Dieu, les miracles etc. La même chose a lieu quand il s’agit de quelques prédictions, touchant la ruine de Jérusalem et la réjection des Juifs ; car alors on peut recourir, ou à l’histoire pour en faire voir l’exécution, ou au raisonnement pour faire voir combien dans toute cette dispensation la sagesse divine a été admirable ; et tout cela en marque la vérité.

J’ai dit aussi qu’on peut recourir aux fondements d’une action ou d’une parole pour en faire voir la justice et la vérité. Ce qui a lieu principalement lorsqu’il s’agit d’une chose surprenante, qui d’abord semble choquer l’esprit des auditeurs ; ou lorsqu’il s’agit d’une exhortation, et d’une chose qu’il faut faire, et laquelle pourtant on ne fait qu’avec répugnance et difficulté. Par exemple, les pharisiens se plaignent dans l’Évangile de ce que les disciples de Jésus-Christ ne gardaient pas les traditions des pères. Il faut pour les justifier recourir aux fondements de la liberté chrétienne, et faire voir que le véritable culte ne consiste point en l’observation des choses extérieures, moins en l’observation des commandements ou des coutumes humaines, mais en une véritable piété, et en une véritable sainteté intérieure, et en l’observation des commandements de Dieu.

Par exemple encore, quand Jésus-Christ après avoir guéri le paralytique lui ordonne de ne pécher plus désormais de peur que pis ne lui advint, il faut recourir aux fondements de cette condition qu’on lui impose, pour en faire voir la justice. Or ces fondements sont, que plusieurs péchés avaient attiré la colère de Dieu sur lui, et que s’il y eût persévéré cette colère n’eût pas manqué de revenir, et que les grâces que nous recevons de Dieu nous engagent à le glorifier par nos bonnes œuvres etc. Cette observation est d’un grand usage dans l’explication des commandements de la loi, dont il faut faire voir la justice en montrant qu’ils sont tous fondés dans le droit naturel, et qu’ils sont d’une équité inviolable. Il en est de même, comme j’ai dit, de toutes les exhortations à la piété, à la charité etc. qui se trouvent dans l’Écriture. Pour les bien persuader, il en faut faire voir la justice, en découvrant ce qui fonde et établit l’obligation que nous avons à pratiquer ces vertus.

XX. Source de l’invention : Remarquer ce qu’il y a de bon et de mauvais dans une action, ou dans une parole.

Ce lieu est d’un très grand usage dans l’explication des histoires de l’Évangile, ou vous trouvez souvent des actions ou des paroles qu’on peut appeler mêlées, parce qu’en général elles procèdent de quelques bons principes ; et en particulier elles ont beaucoup de faiblesse et d’infirmité. Ainsi si l’on avait à expliquer Matthieu 16.22 : Alors Pierre ayant pris Jésus à part, se mit à le tancer, disant : Seigneur aie pitié de toi, ceci ne t’adviendra point. On peut remarquer ce qu’il y a de bon, et ce qu’il y a de mauvais dans ce mouvement de saint Pierre.

1° Vous y voyez de l’amour pour son Maître. Car ce qu’il ne peut souffrir le discours de Jésus touchant ses souffrances à Jérusalem, ne pouvait procéder que de l’affection ardente qu’il avait pour sa personne.

2° On y voit, non une de ces affections froides ou tièdes, que la plupart des hommes ont les uns pour les autres, mais une affection intéressée pour son Maître, une affection pleine de tendresse, qui ne peut pas même souffrir le discours ou la pensée de la mort de Jésus-Christ.

3° Vous y voyez une honnête hardiesse, qui fait qu’il s’adresse librement à Jésus-Christ même, en usant de l’accès familier qu’il donnait à ses disciples auprès de lui, sans être retenu par une basse et honteuse timidité.

4° Vous y voyez enfin une assez grande foi en la puissance de son Maître ; puisqu’il s’adresse à lui-même, persuadé qu’il ne dépendait que de lui de ne pas souffrir. Seigneur, dit-il, aie pitié de toi : ceci ne t’adviendra point.

Mais s’il y a quelque chose de bon dans son mouvement, il y a bien aussi des excès et des choses condamnables.

1° Vous y voyez une ignorance assez grande des voies de la sagesse divine, dans l’envoi de Jésus-Christ au monde, puisqu’il ne savait pas encore que le Christ devait nécessairement souffrir, et c’est aussi ce que Jésus-Christ lui reproche dans le verset suivant : Tu ne comprends point les choses qui sont de Dieu, mais celles qui sont des hommes.

2° L’amour qu’il avait pour son Maître n’avait-t-il point quelque chose de charnel et d’humain, puisqu’il ne regardait que la conservation de sa vie temporelle, et ne s’intéressait que pour les douleurs du corps ; au lieu de s’élever jusqu’à la véritable gloire de Jésus-Christ, qui devait réussir de ses souffrances ; et de s’intéresser pour la grande œuvre du salut des hommes, pour laquelle il était venu au monde ?

3° N’y remarquez-vous pas aussi une hardiesse importune et criminelle, par laquelle il veut être plus sage que Jésus-Christ ? Il se prit, dit l’évangéliste, à le tancer et à dire : Seigneur, aie pitié de toi, ceci ne t’adviendra point. Mouvement téméraire ! comme si Pierre eut été appelé pour entrer dans le conseil de Dieu, et dans celui de Jésus-Christ son Fils, pour dire sur cette grande affaire son sentiment.

4° Il semblait même que saint Pierre entendant parler Jésus-Christ de ses souffrances, se soit imaginé que ce discours ne procédât que de la crainte qu’il avait de la mort, et d’une basse timidité ; car c’est pour cela qu’il le veut rassurer, comme l’on fait des personnes effrayées, et qui portent la peur au-delà des bornes de la raison. Seigneur, dit-il, aie pitié de toi : ceci ne t’adviendra point, comme s’il lui eût dit, ne t’afflige point, ces appréhensions que tu as de la mort sont mal fondées, rien de semblable ne t’arrivera.

XXI. Source de l’invention : Faire des suppositions qui ne sont point, pour éclaircir le sujet.

Ce lieu a principalement son usage dans la controverse. Par exemple, dans la matière du mérite des œuvres, on peut fort bien prendre cette voie de supposition, et dire : Supposons que Jésus-Christ et ses apôtres aient été dans les sentiments de l’Église romaine, et qu’ils aient cru qu’en effet l’homme peut mériter la vie éternelle par ses bonnes œuvres. Supposons qu’il aient eu le dessein de nous enseigner cette doctrine dans les Évangiles et dans les Épîtres. Dites-moi, je vous prie, si sur cette supposition, qui est précisément ce que nos adversaires prétendent, ils ont dû naturellement s’expliquer de la manière qu’ils ont fait ? Dites-moi, je vous prie si vous vous croirez bien et légitimement instruit et imbu du dogme du mérite des œuvres, quand on vous dira : Lorsque vous aurez fait toutes ces choses, dites, nous sommes serviteurs inutiles ? Et quand on vous proposera l’exemple d’un misérable péager qui crie : O Dieu ! soit propice à moi qui suis pécheur… qui se bat la poitrine, et qui n’ose regarder vers le ciel ; en le mettant en opposition avec un pharisien qui se glorifie de ses œuvres, et disant que le premier descendit justifié en sa maison plutôt que le dernier. Quand on vous dira, Romains 11.6 : Si c’est par grâce, ce n’est plus par œuvre, autrement grâce n’est plus grâce, et si c’est pas œuvre, ce n’est plus par grâce, autrement œuvre n’est plus œuvre. Quand on vous dira, Éphésiens 2.8 : Vous êtes sauvés par grâce, par la foi ; et cela non point de vous, mais de Dieu ; non point par œuvre, afin que nul ne se glorifie. Quand on vous dira Romains 3.2-3 : Vous êtes justifiés gratuitement, par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. Quand on vous dira, Romains 4.5 : A celui qui ne fait point d’œuvre, mais qui croit en celui qui justifie le méchant, sa foi lui est allouée à justice. Quand on vous dira, Romains 6.22 : Le gage du péché, c’est la mort, mais le don de Dieu, c’est la vie éternelle. Dites-moi, je vous supplie encore une fois, si par ce moyen et par tout ces discours vous serez bien persuadé, que Jésus-Christ et ses apôtres ont voulu vous enseigner que l’homme acquiert la justification et le droit à la vie éternelle par le mérite des œuvres ? On peut aussi faire de telles suppositions, non seulement dans la controverse, mais aussi dans la morale, afin de donner plus d’efficace aux exhortations.

XXII. Source de l’invention : Prendre garde aux objections possibles contre votre texte, et les réfuter solidement.

Il y a peu de texte dans l’Écriture, où l’on ne puisse mettre ce lieu en usage, et il est inutile d’en rapporter ici des exemples, puisque chacun peut les trouver de soi-même sans beaucoup de peine. Seulement faut-il remarquer, que les objections que vous ferez doivent être naturelles et populaires, non trop éloignées ou tirées par les cheveux, ni trop philosophiques ; en un mot elles doivent être telles, qu’il soit nécessaire de les faire et de les éclaircir. Il les faut proposer d’un style clair et simple, sans les exagérer par des mouvements de rhétorique, mais aussi sans leur faire rien perdre de leur force. Il ne faut pas en renvoyer la solution à une autre fois, mais tout sur-le-champ il faut y répondre, et y répondre fortement et solidement.

On peut ici demander, si lorsqu’on a quelques objections à faire, il faut les proposer toutes ensemble, et ensuite venir aux réponses ; ou bien s’il est plus à propos de proposer la première, et ensuite la seconde avec sa réponse et ainsi des autres. Je réponds qu’il faut que le jugement et le bon sens serve de règle et de guide sur ce sujet. Car si trois ou quatre objections ne regardent qu’une seule et même partie du texte, que chacune se puisse proposer en peu de mots, et qu’on les puisse aussi résoudre en peu de mots, il n’y a point de mal de proposer les objections toutes ensemble, et aussi les réponses toutes ensemble, en les distinguant néanmoins par 1, 2, 3. Cela même se peut faire avec beaucoup de grâce. Mais si les objections regardent diverses parties du texte, ou diverses matières, si elles ne se peuvent proposer qu’avec quelque longueur, si elles ne se peuvent aussi résoudre, qu’on y emploie beaucoup de temps ; ce serait une impertinence que de les proposer toutes ensemble. Il faut en tous ces cas, les proposer et les résoudre, chacune à part.

XXIII. Source de l’invention : Considérer les marques de grandeur, de majesté, de bassesse, d’infirmité, de nécessité, d’utilité, d’évidence, qui sont dans le texte.

Par exemple, il y a dans ces paroles de Jésus-Christ à ses disciples, Jean 14.1 : Que votre cœur ne soit point troublé, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, un caractère de majesté et de grandeur, qui relève Jésus-Christ au-dessus de tous les prophètes et de tous les pasteurs ordinaires. Car quel autre que le Fils de Dieu peut parler de la sorte : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ? Parole qui égale Jésus-Christ au Père éternel, et qui le font l’objet de notre foi et de notre confiance, de même que le Père ; supposons que l’âme et la conscience des fidèles doit jouir d’un parfait repos dans sa communion, et sous sa protection et sa conduite ; et que l’ombre de ses ailes dissipe le trouble des cœurs, et ne laisse plus de lieu à la crainte.

Vous y voyez aussi un caractère de tendresse et d’amour infini envers les disciples, lequel paraît dans l’assurance qu’il leur inspire, et dans la promesse tacite qu’il leur fait de les secourir toujours puissamment, et de ne les abandonner point. On peut observer les mêmes caractères ou d’autres semblables dans tout ce discours du sauveur, qui dure jusqu’à la fin du chapitre 16, comme dans ces paroles : Je suis le chemin, la vérité et la vie, et dans ces autres : Philippe, qui m’a vu, il a vu mon Père. Et dans ces autres : Quoi que vous demandiez en mon nom, je le ferai. Et encore dans celles-ci : Je ne vous laisserai point orphelins, je viendrai vers vous.

Et en général presque dans chaque verset, on voit reluire la majesté, la tendresse, l’amour de la sainteté, la confiance de la la victoire, et autres semblables qu’il est important de remarquer. D’autre part, vous voyez paraître très souvent dans les paroles ou dans les actions des disciples de Jésus-Christ, des caractères de bassesse et d’infirmité, comme quand qu’ils l’interrogèrent disant : Sera-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le royaume à Israël ? Car vous voyez que même après la résurrection de Jésus-Christ, ils étaient encore occupés de cette basse et charnelle idée d’un Messie temporel. Vous y voyez aussi un mouvement de curiosité téméraire, pour savoir les temps et les moments des œuvres de Dieu. De même dans la vision que saint Pierre eut, d’un grand linceul rempli de toutes sortes d’animaux, la voix lui ayant dit : Pierre, lève-toi tue et mange. Il répondit, ainsi n’advienne Seigneur, car jamais je ne mangeai aucune chose polluée ou souillée. Vous voyez dans cette réponse une conscience encore embarrassée des cérémonies légales, et une connaissance fort infirme de la liberté évangélique. Il y a un nombre presque infini de textes dans le Nouveau Testament, où ces infirmités paraissent ; et il ne faut pas manquer de les remarquer, pour faire voir 1° que la grâce compatit encore avec quelques restes des faiblesses humaines. 2° Que la lumière céleste vient peu à peu, et qu’il en est du nouvel homme, comme de l’homme de la nature, qui naît enfant, bégaie dans son enfance, et qui ne parvient à la perfection, que peu à peu et insensiblement. 3° Que les plus forts et les plus avancés doivent supporter charitablement les infirmes ; puisque Dieu lui-même n’éteint point le lumignon fumant, et ne brise point le roseau cassé, et qu’il nous en a voulu donner un exemple illustre dans la personne des disciples de Jésus-Christ.

Quant à la nécessité, on la peut très souvent remarquer dans l’explication des mystères de la religion. Comme lorsqu’il s’agit de l’envoi de Jésus-Christ au monde, de sa conversation familière avec les hommes, de sa mort, de sa résurrection, de son ascension au ciel etc. Car on peut non seulement en considérer la vérité, mais aussi la nécessité, et ouvrir par ce moyen un beau champ au raisonnement théologique. Je dis la même chose de l’envoi du consolateur, c’est-à-dire, du Saint Esprit au monde : en traitant ces paroles : Je prierai le père, et il vous donnera un autre consolateur. On peut fort bien faire une considération de la nécessité de ce consolateur ; soit parce que sans sa lumière et sa force nous ne saurions de nous-mêmes sortir des liens du diable ; soit aussi que sans lui, tout ce que Jésus-Christ a fait dans son économie, demeurerait entièrement inutile. On peut aussi faire voir la nécessité de sa demeure éternelle avec nous ; parce qu’il ne suffit pas d’avoir été une fois converti par l’effort de sa puissance, il faut que sa présence et son efficace continuelle achève l’œuvre de notre régénération jusqu’à la fin ; autrement nous retomberions bientôt dans notre première condition.

Où la nécessité ne paraît pas si entière, il faut remarquer l’utilité ; comme dans les miracles particuliers de Jésus-Christ ; dans les afflictions particulières des fidèles ; dans la manière dont saint Paul fut converti ; et dans un nombre infini d’autres choses, qui se présentent au prédicateur pour être traitées.

Quant à l’évidence, il la faut particulièrement presser dans les choses qui peuvent recevoir quelque contestation, ou qui en reçoivent en effet. Comme par exemple, si on avait à traiter le deuxième commandement par opposition à l’usage et à la pratique de l’Église romaine, on pourrait presser l’évidence des paroles de Dieu qui a voulu :

1. Mettre ce commandement, non dans quelque endroit reculé de ses Écritures, mais dans sa loi morale, dans cette loi dont il fit sortir les paroles du milieu des flammes.

2. En ce qu’il se sert non seulement du terme d’image, mais aussi de celui de ressemblance ; il spécifie même les ressemblances de toutes les choses du monde, de celles qui sont au ciel, de celles qui se font sur la terre, de celles qui sont sous la terre. Pour prévenir les exceptions frivoles de l’esprit humain, il va plus avant, ne défendant pas seulement de se prosterner devant elle, mais aussi de les servir de quelque manière que ce soit ; et qui plus est, de s’en faire aucune. Tu ne te prosterneras point, dit-il, devant elles, tu ne les serviras point, tu ne t’en feras point. On peut outre cela remarquer qu’il ne s’est pas arrêté là, qu’il a voulu sur ce sujet intéresser sa majesté souveraine, l’honneur de son alliance avec nous, et sa puissance infinie. Car, dit-il, je suis l’Éternel ton Dieu, le Dieu fort. Il va plus loin, il y intéresse sa jalousie, c’est-à-dire cette justice inexorable, qui venge les outrages qui sont faits à son amour. Et enfin que nous soyons plus sensiblement touchés, il va jusqu’à intéresser nos enfants, nous menaçant de cette terrible colère qui ne s’arrête pas sur leur père mais qui passe jusqu’à leur postérité. Que se peut-il dire de plus fort et de plus évident, pour faire voir que Dieu ne peut souffrir aucune image dans la religion, et que c’est une témérité criminelle, que d’entreprendre après cela de distinguer et d’éluder la force du commandement ? On peut si on veut ajouter encore à cela, l’explication que Moïse donne de ce commandement au chapitre quatre du Deutéronome. Voyez le lieu.

On se peut servir du même caractère d’évidence quand on explique des passages dont les adversaires abusent, comme ces paroles : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous ; et celle de Jean ch. 6, de manger la chair du Fils de l’homme, et de boire son sang. Et celles de saint Jacques, où il est parlé de la justification par les œuvres ; car en traitant ces passages, par opposition au sens faux que l’Église romaine leur donne, il faut rassembler beaucoup de circonstances et les mettre chacune dans leur jour, afin que toutes ensemble répandent une grande lumière sur le texte, et en fasse voir le véritable sens

XXIV. Source de l’invention : Remarquer les degrés de plus ou de moins, s’il y en a.

Par exemple, dans ces paroles de l’apôtre : Quand nous-mêmes, ou un ange du ciel, vous évangélisait outre ce que nous vous avons évangélisé, qu’ils soit exécration ! Après avoir remarqué cette force extrême qui paraît, jusqu’à prononcer anathème par deux fois, jusqu’à le prononcer contre soi-même, si le cas dont il s’agit arrivait ; jusqu’à le prononcer contre un ange du ciel, au même cas, il faut faire prendre garde que l’apôtre ne se sert pas de toute cette force dans toutes sortes d’occasion, où il s’agit de mensonges et d’erreur. Dans l’épître aux Romains chapitre 14, il se contente d’appeler faibles et infirmes en la foi, ceux qui ne voulait manger que des herbes ; et au reste il veut qu’on les supporte. Au ch. 3 de la première aux Corinthiens il proteste à ceux qui bâtissent du bois, du foin, du chaume, sur le fondement de Jésus-Christ, que leur ouvrage brûlera ; et que quant à eux, ils seront sauvés comme par le feu. Au ch. 17 des Actes, il dit que son esprit s’aigrissait, voyant les idolâtries et les superstitions des Athéniens. Ailleurs, il dit que si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Il y a de la force en tout cela, mais il n’y en n’a point qui approche celle-ci qui paraît dans ses paroles réitérées : Quand bien nous-mêmes, ou un ange du ciel vous évangélisait outre ce que nous vous avons évangélisé, qu’il soit exécration ! Ainsi que nous avons déjà dit, maintenant aussi je le dis derechef, si quelqu’un vous évangélise outre ce que vous avez reçu, qu’il soit exécration. Pourquoi cela ? Parce qu’il s’agit ici d’une corruption essentielle de l’Évangile, que les faux apôtres faisaient dans les églises de Galatie. Il s’agit de l’anéantissement de la grâce de Jésus-Christ, par l’association du joug de Moïse. Il s’agit de la ruine entière de l’Évangile de l’Église, par l’altération de la pureté de l’Évangile. En ce cas, la conscience d’un homme de bien ne garde plus de mesure, elle pousse son feu et sa véhémence jusqu’où elle peut aller ; elle est inexorable et prononce des anathèmes, elle n’est arrêtée, ni par l’autorité de ce qu’il y a de plus grand entre les hommes, ni par celle des anges mêmes. si nous-mêmes, dit-il, ou un ange du ciel vous évangélisait outre ce que nous vous avons évangélisé, qu’il soit exécration !

XXV. Source de l’invention : Prendre garde aux différents intérêts, qui s’y peuvent rencontrer.

Ainsi, si l’on expliquait ce miracle que Jésus-Christ fit, un jour de Sabbat dans la synagogue, en guérissant un homme qui avait la main sèche, en présence des Pharisiens et des Hérodiens ; on peut remarquer les différents intérêts que plusieurs avaient dans cette action de Jésus-Christ. Car d’un côté il semble que Moïse et la religion y étaient intéressés, en deux manières. L’une, en ce que ce miracle se faisait alors un jour, auquel Moïse avait défendu de rien faire ; et ensuite en ce que cette guérison se faisait en une synagogue consacrée à la religion mosaïque, de sorte que c’était par manière de dire, aller insulter à Moïse dans sa propre maison. D’ailleurs, les Hérodiens qui étaient des gens particulièrement attachés à la personne d’Hérode, soit par des raisons de politique, ou autrement, se trouvaient obligés de s’offenser de cette action, parce qu’elle aboutissait à faire reconnaître Jésus-Christ pour le vrai roi d’Israël, et par conséquent à noircir la mémoire d’Hérode, qui avait voulu éteindre le Messie dans son berceau.

Les pharisiens n’y étaient pas moins intéressés, car ils regardaient Jésus-Christ, comme leurs censeur et leur ennemi ; et ne pouvaient qu’ils ne fussent fort affligés toutes les fois qu’il lui voyaient faire des miracles.

Quant à Jésus-Christ, son véritable intérêt était de faire du bien partout où il se trouvait, et de glorifier Dieu son Père en confirmant la parole de son Évangile, par ses actions de puissance infinie. Et pour ce qui qui regarde ce pauvre malheureux qui sert de sujet, ou de matière à la puissance de Jésus-Christ, qui ne voit qu’il y a un double intérêt, celui de sa guérison temporelle, et celui de sa guérison spirituelle. Ainsi cette action de Jésus-Christ ayant, comme elle a, diverses relations, était par manière de dire, comme un point d’où se tiraient diverses lignes qui allaient, l’une d’un côté et l’autre de l’autre ; et c’est ce qu’il fait naître différents égards, sous lesquels on la peut considérer.

XXVI. Source de l’invention : Distinguer, définir, diviser.

On distingue à proprement parler, quand on considère une chose dans de différentes vues. Comme, par exemple, la foi se considère, ou dans la vue de son objet, ou dans la vue de son sujet. Si dans la vue de son objet, la foi est l’œuvre de Jésus-Christ, c’est la parole et la croix qui l’ont produite ; car ôtez la croix de Jésus-Christ, il n’y a point de foi. C’est aussi sa résurrection qui en est la mère. Si Jésus-Christ, dit saint Paul 1 Corinthiens 15.14, n’est point ressuscité, notre foi est vaine. Mais si vous la considérez dans la vue de son sujet, ou pour mieux dire, de la cause efficiente qui la produit dans le sujet, elle est l’œuvre du Saint Esprit. Ainsi sans quitter ce même exemple, la foi peut être considérée, ou dans la vue de la justification, ou dans la vue de la sanctification. Au premier égard la foi est opposée aux œuvres. Au second, elle est le principe et la racine des bonnes œuvres, qui les contient en sommaire et en abrégé. Ainsi l’homme peut être considéré, ou dans la vue de la société politique, et à cet égard il est obligé à tels et à tels devoirs, il a tels avantages ; ou dans la vue de la société ecclésiastique. Quant à cet égard, il est soumis à d’autres lois, et jouit d’autres privilèges. Cet usage de la distinction des différentes vues, ou des différents égards, est très fréquent dans la prédication.

Pour ce qui est de la définition, elle est quelquefois d’usage, quand il s’agit d’une action de Dieu. Par exemple, du pardon de nos péchés, et de la justification ; ou quand il s’agit d’une vertu, ou d’un vice ; car alors il n’y a point de mal d’en donner la définition.

Quant à la division, elle regarde, ou les diverses espèces d’un genre, ou les différentes parties d’un tout. Et l’on peut quelquefois s’en servir utilement. Comme par exemple si l’on traitait de la providence de Dieu en général, on pourrait par la voie de la division faire une considération sur l’étendue de cette providence à laquelle sont soumises :

  1. les causes naturelles ;
  2. les contingentes ;
  3. les libres ;
  4. les bonnes et mauvaises ;
  5. les grandes et les petites.

XXVII. Source de l’invention : Comparer les diverses parties du texte, entre elles.

Ce lieu et d’un assez grand usage, et il peut fournir souvent de belles considérations si on en sait bien user. Par exemple, Romains 8.1 : Il n’y a point de condamnation à ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne cheminent point selon la chair, mais selon l’Esprit. On peut faire comparaison de cette dernière partie, qui ne cheminent point selon la chair, mais selon l’Esprit, avec les premières paroles, à savoir, qui n’ont point de condamnation ; et remarquer que dans l’une, l’apôtre exprime ce que Dieu fait en faveur de ses fidèles, et dans l’autre ce que les fidèles font pour sa gloire. Quant à lui, il les absout. Et pour eux, ils vivent saintement et s’adonnent aux bonnes œuvres. La sainteté est la condition que Dieu nous impose en nous justifiant. Et la justification est la mère de la sainteté. Ôtez la justification, il n’y saurait y avoir de bonnes œuvres. Ôtez les bonnes œuvres, il n’y a plus de justification. Vous pouvez aussi comparer cette dernière partie, avec la qualité sous laquelle le fidèle est ici considéré, qui est d’être en Jésus-Christ, et remarquer que ces deux choses sont fort bien jointes ensemble ; parce que Jésus-Christ est le véritable principe de la justification ; et que la sanctification est le principal fruit de notre communion avec Jésus-Christ.

Ainsi dans ce beau passage, Éphésiens 2.5 : Du temps que nous étions morts en nos fautes, Dieu qui est riche en miséricorde, nous a vivifiés ensemble avec Christ, par la grâce duquel vous êtes sauvés. On peut opposer ces deux choses ; morts en nos fautes, et riche en miséricorde, comme tenant les extrémités. L’une l’extrémité du crime ; et l’autre l’extrémité de la grâce. L’une en nous, et l’autre en Dieu. La grandeur de nos fautes relève la richesse de la miséricorde, et la richesse de la miséricorde engloutit la grandeur de nos fautes. Si nos péchés eussent été d’un moindre degré, c’eût toujours été une miséricorde, que de nous la pardonner ; mais ce n’eût pas été une richesse de miséricorde. S’il n’y eût eu en Dieu qu’une légère inclination à la miséricorde, elle eût pû nous pardonner de petites fautes ; mais elle ne se fût jamais étendue jusque sur des personnes mortes en leurs péchés ; cela n’appartient qu’à une grande et admirable miséricorde.

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