Traité de la composition d’un sermon

IX
De l’Exorde

C’est ce que nous avions à dire touchant la tractation, qui est, comme chacun voit, la plus importante et la plus longue partie d’un sermon. Il faut maintenant dire quelque chose de l’exorde, qui est cette partie par laquelle on prépare l’esprit des auditeurs, et l’on s’ouvre un passage naturel et facile pour entrer dans la tractation.

Mais d’abord il se présente une question, sur laquelle les sentiments se trouvent en quelque manière partagés, qui est de savoir, si les exordes sont nécessaires, et si même ils sont utiles ; ou s’il ne serait pas mieux de s’en abstenir entièrement, et de commencer d’abord par la connexion du texte avec les versets précédents, et après avoir fait la division, passer à la tractation. Il y a plusieurs personnes qui sont dans cette dernière opinion ; et leurs raisons en sont :

Arguments allégués contre les exordes.

1. Qu’il paraît trop d’artifices dans un exorde, ce qui est plus capable de rebuter l’attention de l’auditeur, que de la concilier, car on voit que par un exorde vous avait dessein de venir insensiblement, et par quelque espèce de circuit à votre matière, et d’y conduire d’une manière presque imperceptible vos auditeurs. Or cela même semble être une finesse indigne de la sincérité, de la candeur, de la gravité et de la simplicité qui doivent régner sur la chaire évangélique. En effet, dès que l’auditeur habile connaît que vous songez à le tromper, vous lui donnez un mauvais préjugé contre vous. Et ce préjugé nuit sans doute à la suite du discours.

2. Les exordes, disent-ils, sont des pièces extrêmement difficiles, ce qui fait qu’on les peut justement appeler la croix des prédicateurs. Quand il y aurait quelques fruits à recueillir, cela ne serait pas d’une considération assez grande, pour nous obliger à en faire, et à consumer en cela une partie de notre temps et de nos forces, que nous pouvons employer beaucoup plus utilement ailleurs.

3. Ils disent encore que le principal but qu’on se propose en un exorde est, ou de se concilier la bienveillance de l’auditeur, ou d’exciter son attention, ou de le préparer aux matières que l’on a à traiter. Mais pour ce qui regarde la bienveillance, les pasteurs qui prêchent à leurs brebis ne la doivent pas révoquer en doute. Nous parlons à des chrétiens et à des personnes qui nous regardent comme des ministres de Jésus-Christ, pour lesquels par conséquent ils ont du respect et de l’amour. Quant à l’attention, on la doit aussi supposer toute entière, non seulement quand les choses que l’on traite dans la chair sont divines, et qu’elles sont salutaires à l’homme, mais aussi parce que les auditeurs ne viennent dans les lieux publics qu’avec cette disposition d’écouter la parole de Dieu. Et si les auditeurs n’ont pas d’eux-mêmes cette disposition, on ne la leur donnera pas par un exorde, puisque cette disposition est un effet de la foi et de la piété de l’homme. Or un exorde, qui d’ordinaire n’est composé que de huit ou dix périodes, n’est pas capable de donner la foi et la piété à ceux qui n’en n’ont pas, ni de convertir des profanes et des mondains. Et pour ce qui regarde la préparation aux matières qui se doivent traiter, la simple lecture du texte la donne suffisamment, puisque, selon la manière de prêcher la plus commune, les prédicateurs s’attachent à l’explication de leur sujet, sans s’en écarter que fort peu. Il semble donc que l’auditeur est assez préparé par la lecture du texte, et si il y reste encore quelque chose à faire, on la doit attendre de la connexion et de la division.

4. Enfin, ils disent que l’exorde est un temps mal employé, qui ne fait que dissiper inutilement une partie de l’esprit des auditeurs, lesquels souvent, après l’avoir attentivement écouté, s’endorment fort paisiblement lorsque vous entrez dans la tractation. Ne serait-il donc pas mieux de les engager d’abord dans la matière, afin que leur engagement leur servit dans la suite à soutenir l’attention, selon l’inclination naturelle que les hommes ont à achever ce qu’ils ont une fois commencé ?

Réfutation de ces raisons.

Mais toutes ces raisons ne sont pas assez fortes pour nous devoir faire, ni rejeter, ni négliger les exordes. Car pour ce qui regarde la première, l’art qui se trouve dans un exorde bien loin d’être une chose odieuse et qui rebute l’esprit de l’auditeur, elle lui est, au contraire, tout à fait naturelle. On n’aime point à entrer brusquement dans des matières théologiques sans quelque préparation ; cela ne serait point nécessaire, si nous avions toutes les idées théologiques présentes à notre esprit. Mais comme d’ordinaire elles en sont assez éloignées, il est bon que l’on nous y conduise sans nous faire de contraintes, et qu’on les excite au-dedans de nous d’une manière douce et insensible. Ce n’est point une finesse et une tromperie, puisqu’on ne fait en cela que s’accommoder à la faiblesse de l’esprit de l’homme, et à ce qu’il désire lui-même. Or cela est d’autant plus vrai, que les auditeurs sont aujourd’hui si accoutumés aux exordes, que s’ils voyaient un prédicateur entrer attentivement en matière, ils en seraient extrêmement choqués, et ils s’imagineraient que cet homme veut faire d’eux ce que l’ange fit d’Ézéchiela, lequel il prit par les cheveux, et le transporta presque en un instant de la Judée dans Babylone. Il faut donc employer quelque temps, pour conduire sans violence l’esprit aux matières que vous avez à traiter, et ne supposer pas que votre auditeur y soit déjà, ni qu’il ait dans la pensée tout ce que vous avez médité, ni qu’on l’y puisse appliquer tout d’un coup, sans aucune préparation.

aÉzéchiel 8.3 ; par inadvertance, l’édition originale de 1688 fait du prophète Habacuc le voyageur au bénéfice de ce mode de transport inédit.

La seconde raison est bonne pour des paresseux, et non pour des sages et habiles prédicateurs. Et après tout les exordes ne sont pas si difficiles, que quand on s’y est exercé avec soin, on s’en puisse bien et fidèlement acquitter, comme l’expérience le justifie tous les jours.

La troisième raison n’est pas plus considérable. J’avoue que les prédicateurs doivent supposer l’amour et la bienveillance de leurs auditeurs ; mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’ils ne la doivent exciter, lorsqu’ils ont à leur parler. Car cette bienveillance n’est pas toujours en action ; elle est même souvent balancée, et combattue par des sentiments contraires, comme par le mépris et l’indifférence, par quelques passions de haine ou d’envie, etc. Soit que cela vienne des défauts humains qui sont dans les pasteurs, quel qu’habile qu’il soit, soit que cela procède du vice même des auditeurs. Je dis la même chose de l’attention, encore qu’on la doive avoir tout entière pour les choses divines, dont les prédicateurs ont à traiter, on ne l’a pourtant pas ; et tout ce qu’un prédicateur peut désirer, est que son auditeur se trouve dans une disposition générale à entendre parler des mystères de l’Évangile. Il faut donc tâcher de lui donner une attention particulière, à telles matières qui se doivent traiter. Au reste il ne faut pas croire, que ni la simple lecture du texte, ni la connexion, ni la division seule et à part puissent faire cet effet. Il faut prendre plus de tour, pour remuer l’esprit humain et pour l’appliquer. Et c’est ce qu’on peut dire aussi à l’égard de la préparation, pour laquelle principalement un exorde est destiné. La lecture du texte y peut faire quelque chose ; la connexion et la division y contribuent aussi ; mais sans un exorde, tout cela serait assez inutile.

Il n’est pas difficile aussi de répondre à la quatrième raison. Car outre le fruit que l’on retire d’un exorde, et qui est assez grand pour ne pas dire que ce soit un temps perdu, ses parties sont d’ordinaire si courtes, qu’on ne saurait les accuser de dissiper les forces de l’auditeur, ni de le fatiguer. A quoi j’ajoute, que l’exorde même, s’il est bien pris, contient toujours quelque matière qui plaît et qui instruit agréablement ; de sorte qu’à le considérer en lui-même, on y apprend toujours quelque chose de bon.

Nous ne saurions donc approuver la coutume de ces prédicateurs anglais, qui entrent d’abord dans l’explication littérale du texte et la font servir d’exorde. Après quoi ils divisent leur discours en quelques parties qu’ils traitent ensuite. Certainement l’auditeur n’est pas si tôt en état de bien comprendre l’explication qu’on lui donne, puisqu’il n’a encore, ni mouvement, ni activité. Il vaut mieux ce me semble, l’exciter et l’ébranler doucement, et le mettre en train par quelque chose qui ne lui donne point de peine ; que de l’accabler tout d’un coup par une explication, qu’il ne peut, ni bien comprendre, ni bien écouter. Moins pouvons-nous approuver la coutume de quelques-uns des nôtres, qui ayant à expliquer leurs textes dans tout le corps de l’action, ou à y faire des considérations, entrent incontinent en matière sans aucun exorde. Je suis persuadé que ce qui les a obligés à prendre ce parti, n’est autre chose que la difficulté qu’ils trouvent à composer un exorde ; c’est-à-dire en un mot, leur paresse et leur négligence.

Bénéfices attendus d’un exorde.

En supposant donc comme une chose constante qu’il faut user d’un exorde, on peut demander, quels sont les principaux fruits que l’on doit se proposer d’en tirer ? et dans quelles vues générales on le doit faire ? Pour répondre à cette seconde question il faut se souvenir que déjà nous avons marqué les trois fins principales de l’exorde, qui sont d’attirer ou d’exciter la bienveillance des auditeurs, et d’appliquer leur attention, et les préparer aux matières particulières qu’on doit traiter. Mais pour ce qui regarde ces deux premières choses, il ne les faut proposer qu’indirectement. Un prédicateur se rendrait ridicule, si dans ces actions ordinaires et hors d’un cas d’extrême nécessité, il s’empressait à s’acquérir l’estime et la bienveillance de son troupeau ; et cette manière serait plus propre à le faire mépriser et haïr qu’à le faire estimer et aimer. Il ne faut donc point, ni faire des compliments à un peuple, ni lui donner des louanges, ni parler de soi-même, de quelque manière que ce puisse être. Ce sont des affectations qui ne réussissent jamais bien, et dans lesquelles néanmoins il y a des personnes habiles qui tombent. Surtout quand ils prêchent dans d’autres églises que les leurs, et dans des églises qui sont considérables. Car ils ne manquent jamais de mettre dans leur exorde un petit lieu commun de louanges ; ou de parler de la joie qu’ils ont de se voir appelés à remplir leur chaireb ; ou à se mépriser eux-mêmes et à confesser leurs grands défauts ou quelque chose semblable. Pour en dire naïvement mon sentiment, je crois que ce sont des manières pédantesques qui font un très méchant effet. Car les auditeurs n’aiment nullement entendre toutes ces sottes cajoleries, qui non seulement sont indignes de la gravité de la chaire, mais indignes même de celle d’un honnête homme. Comment donc, direz-vous, s’attirer la bienveillance de l’auditeur ? Je dis qu’il le faut faire indirectement par un exorde bien pris et bien fait, et c’est le plus sûr moyen de réussir.

b – Les je-me-réjouis-d’être-parmi-vous-ce-matin en prennent ici pour leur grade…

Pour l’attention, il est certain qu’on la réveille et qu’on l’applique de la même manière, c’est-à-dire, par quelque chose de beau et de digne d’être écouté, où il y ait de la grâce et du bon sens naturel. Je ne désapprouve pourtant pas que dans un exorde on ne demande quelquefois l’attention : soit à cause de l’importance de la matière ; soit pour la solennité du jour ; soit pour l’état où se trouve alors l’Église ; soit enfin par quelque considération particulière ; mais il ne faut pas faire de cela un ordinaire, et il ne s’y faut même arrêter que peu.

Le principal usage de l’exorde, c’est celui de préparer l’esprit de l’auditeur aux matières particulières que vous avez à traiter, et de les conduire insensiblement. Si on s’éloigne de ce but, ou qu’on le néglige, un exorde ne peut être qu’impertinent ; et au contraire pourvu que l’on y parvienne, un exorde ne peut être que bon. Cependant quand nous disons qu’il faut préparer l’auditeur à la matière, et l’y conduire, il faut prendre garde que ce sont deux choses différentes. Vous préparerez l’esprit de l’auditeur à votre matière, quand vous lui donnez les dispositions qu’il faut qu’il ait, pour la bien entendre et pour en bien profiter. Vous conduisez insensiblement votre auditeur à la matière, lorsque par la liaison naturelle que les choses ont les unes avec les autres, vous le faites passer de l’une à l’autre, et le faites entrer dans le sujet dont il s’agit.

Mais pour dire quelque chose de chacun de ces desseins, la préparation se doit régler selon le genre de la matière que l’on traite. Car si c’est une matière affligeante et triste, vous avez dessein d’exciter la compassion ou la douleur, et d’arracher des larmes des yeux de vos auditeurs, il faut commencer dès l’exorde à donner cette disposition. Si vous avez à traiter d’un mystère profond et difficile, il faut penser à donner de l’élévation et de l’admiration. S’il s’agit de quelque jugement terrible de la justice divine, il faut songer à donner de la frayeur. S’il est question de quelque crime énorme, il faut préparer l’esprit à l’horreur et à la méditation de la grandeur de la corruption humaine. Si vous avez à traiter de la repentance et à y intéresser les auditeurs d’une manière extraordinaire, il faut aussi commencer de les y disposer, par les idées générales de la colère de Dieu que nous avons méritée, du peu de fruit que Dieu tire de sa culture à notre égard, ou quelque chose de semblable. Si au lieu de cela la matière que vous avez à traiter et tranquille et ordinaire, il faut que l’exorde laisse l’esprit dans son assiette naturelle, et qu’il tâche seulement d’exciter en lui les sentiments honnêtes et chrétiens que nous devons tous avoir. En un mot il faut que l’exorde prenne la teinture des choses qui doivent être traitées, afin d’y disposer les auditeurs. N’en user pas de cette manière, ce serait perdre tout l’effet d’un exorde, et en user d’une manière contraire, ce serait renoncer au bon sens, et agir en homme fort malhabile.

Quant à la seconde chose, qui est de conduire insensiblement l’auditeur aux matières que l’on a à traiter, cela dépend, je viens de le dire, de la liaison qu’ont les choses dont l’exorde est composé, et entre elles, et avec les matières du texte. Je dis premièrement entre elles, car il faut qu’elles se tiennent par la main, et qu’elles aient de la dépendance et de la subordination ; autrement l’auditeur serait surpris de se sentir brusquement transporté d’un lieu à un autre. Je dis avec les matières du texte, car c’est principalement pour y entrer que l’exorde est employé.

1. Un exorde doit être court.

La première qualité que doit avoir un exorde, c’est d’être court. Il faut pourtant garder mesure dans cette brièveté. Car comme d’un côté, une excessive longueur est un vice, une trop grande brièveté l’est aussi ; de sorte qu’il faut tenir un milieu. Le plus long exorde ne doit pas avoir plus de dix ou douze périodesc ; et le plus court en doit toujours avoir six ou sept, pourvu que les périodes elles-mêmes ne soient pas trop longues. La raison de tout cela est qu’il faut donner un juste temps à l’auditeur pour se préparer à vous écouter avec attention, et à vous suivre dans la tractation de votre matière ; et que d’autre part, en lui donnant un temps suffisant pour cela, il ne faut pas le faire égarer de votre sujet, ni lui donner lieu de s’ennuyer et de s’impatienter. Une trop grande brièveté péche contre la première partie de ce précepte ; car elle fait entrer trop tôt l’auditeur dans la matière, et ne lui donne pas assez de préparation. Une excessive longueur pèche contre la seconde. Il est certain qu’il en est d’un auditeur comme d’un homme qui visite une belle maison et qui n’aime point qu’on le fasse demeurer trop longtemps dans la cour ou dans les premières avenues. Il ne veut que passer légèrement sans s’y arrêter, afin de satisfaire le plus tôt qu’il se pourra sa principale curiosité.

c – Au sens oratoire, la période est une longue phrase, bien complète et bien équilibrée.

2. Un exorde doit être clair.

Un exorde doit être clair, et par conséquent dégagé de toutes sortes de questions abstruses ou de pensées métaphysiques, conçu en des termes naturels et populaires, et non chargé de trop de matière. En effet, comme l’esprit de l’auditeur n’est encore ni échauffé, ni ému, il ne faut pas exiger de lui, ni une grande pénétration, ni une grande élévation, ni même un grand effort, encore qu’il en fut capable ; puisqu’il n’est pas en cet état là. Ainsi il faut éviter dans un exorde, tout ce qui peut faire de la peine à l’esprit, comme sont les questions physiques, et les expressions de ces matières de l’École, les longues suites de raisonnements, et telles choses semblables. Il ne faut pourtant pas, sous prétexte d’une trop grande clarté, s’imaginer qu’un exorde ne doive contenir aucune matière théologique, et qu’il doive plutôt consister en des paroles, qu’en des choses ; ce serait se jeter dans une autre extrémité. Il faut donc qu’un exorde contienne des choses capables de nourrir ou de satisfaire l’esprit ; mais il faut qu’elles soient claires, faciles à comprendre, et exprimées d’une manière fort naturelle.

3. Un exorde doit être modéré et grave.

Un exorde doit être froid et grave, et par conséquent on en doit bannir toutes les grandes figures, comme les apostrophes, les exclamations violentes, les interrogations réitérées, et en un mot tout ce qui aboutit à donner de grands mouvements à l’auditeur. Car puisque dans ce commencement de discours il faut s’accommoder à l’état de l’auditeur, lui étant encore froid et sans agitation, celui qui parle le doit être aussi. Nul homme sage n’approuvera ses exordes qui contiennent, des enthousiasmes et des fureurs poétiques, ou des mouvements de colère et d’impétuosité ; ou des interrogations fières et hardies, ou des paradoxes surprenants pour exciter l’admiration. Il faut donc dans cette première partie parler humainement, et se souvenir que les auditeurs ne sont encore ni dans le ciel, ni dans l’air, ni transportés dans des lieux éloignés, mais qu’ils sont sur la terre et dans un temple.

4. Un exorde doit être attachant et agréable.

Un exorde ne doit pourtant pas être ni si froid, ni si grave qu’il ne soit en même temps attachant et agréable. Il y a trois fins principale qu’un prédicateur se doit proposer, à savoir, d’instruire, de plaire, et de toucher ; mais de ces trois fins celle qui doit régner dans l’exorde, est de plaire. J’avoue qu’il doit aussi se proposer d’instruire, et de toucher ; mais beaucoup moins d’instruire que de plaire, et beaucoup moins encore de toucher que d’instruire. Ce n’est pas que si l’on peut judicieusement et bien à propos faire entrer dans l’exorde quelque chose de tendre, surtout dans des actions extraordinaires, cela ne fasse très bon effet ; mais quoi qu’il en soit, il faut toujours que l’agréable règne dans cette partie. Par là vous voyez bien qu’il faut bannir de l’exorde toutes les censures aigres, les menaces terribles, les reproches sanglants, et en général tout ce qui peut sentir ou la haine, ou le mépris, ou l’indifférence, ou vous faire une querelle avec l’auditeur. Car non seulement il faut exciter son attention, ce que l’on pourrait assez faire par des censures et des reproches, mais il faut s’insinuer doucement dans son esprit, afin qu’il ne s’oppose pas à ce que vous lui direz, mais au contraire que vous lui puissiez plaire, comme un homme docile et bien intentionné.

5. L’exorde doit avoir une connexité naturelle avec la matière du texte.

Il faut que tout le corps de l’exorde ait une connexité fort naturelle avec toute la matière du texte. Je dis premièrement tout le corps de l’exorde, car il faut bien se donner de garde d’y rien mettre, qui soit trop éloigné de votre sujet. Pour cet effet les meilleurs exordes sont ceux qui sont composés de deux propositions, dont la première se joint naturellement immédiatement avec la seconde, et la seconde se joint naturellement et immédiatement avec le texte. Chacune de ces propositions peut être ou prouvée, ou amplifiée ; mais il faut toujours que la dernière vous conduise sans peine au sujet dont il s’agit, et que la première n’en soit pas extrêmement éloignée. Selon cette maxime l’on doit condamner tous ces exordes, qui au lieu de vous faire entrer dans le texte, vous y font tomber comme de haut en bas. Cela choque extrêmement le bon sens. On doit aussi condamner ceux qui vous conduisent au texte par beaucoup de circuits, c’est-à-dire par plusieurs propositions enchaînées l’une avec l’autre ; cela est sans doute vicieux, et ne peut que fatiguer l’auditeur. Je dis en second lieu que l’exorde doit avoir de la connexion avec toute la matière du texte, c’est-à-dire, qu’il ne se doit pas simplement se rapporter, ni à une seule de ses parties, ni à un seul de ses égards, si l’on a dessein de le considérer sous plusieurs égards, mais qu’il se doit rapporter à tout. La raison est que l’un des principaux usages de l’exorde, comme nous l’avons dit ci-dessus, est de préparer l’esprit de l’auditeur à la matière qui doit être traitée. Or si l’exorde n’a du rapport qu’à une seule de ses parties, ou à un seul des égards, on ne préparera l’auditeur qu’à cette partie et à cet égard, et non aux autres.

6. Un exorde doit être simple.

L’exorde doit être simple. Ce n’est pas que nous voulions en bannir entièrement les figures, car au contraire on y doit toujours employer celles qui rendent le discours doux et agréable, mais notre pensée est qu’il faut éviter la pompe et les magnificences des expressions, autant que les choses qu’on dira le pourront permettre. On n’y doit point employer un style trop élevé, et qui aille jusqu’à l’enflure, ni les périodes trop nombreuses, ni des allégories trop poussées, ni même des métaphores trop fréquentes ou trop hardies. Car en effet l’esprit de l’auditeur qui est encore froid et dans son assiette naturelle, ne saurait souffrir tout cela.

7. Un exorde ne doit pas être banal et passe-partout.

Un exorde ne doit point être commun. Mais comme c’est une règle dont plusieurs personnes abusent, il est bon de l’éclaircir ici. Je dis que par un exorde commun, il ne faut pas entendre un exorde qui puisse convenir à plusieurs textes ; car si les textes sont parallèles, si la matière y est traitée dans les mêmes vues et dans les mêmes circonstances, quel moyen y a-t-il de trouver des exordes singuliers ? On entend donc par un exorde commun, premièrement, celui qui est pris de choses triviales, et qui ont été dites et redites, que par conséquent le peuple sait déjà et dont il sera infailliblement rebuté. Tels sont ces exordes pris de la comparaison du soleil, ou de celle des rois et des conquérants, des anciens Romains etc., ou de quelques histoires du Vieux Testament qui ont été souvent rebattues, ou de quelques types forts connus, comme sont le passage des Israélites par la mer Rouge, et autres semblables, etc. En second lieu, on entend un exorde qui pourra s’appliquer également à deux textes de matière différente, ou à deux contraires interprétations que l’on peut donner d’un même texte. C’est dans ce sens que les exordes communs sont vicieux et dégoûtants.

8. Un exorde ne doit pas surenchérir la métaphore.

Quand un texte est conçu en des termes métaphoriques ou figurés, c’est une chose assez puérile que de faire un exorde qui se joigne au texte par la métaphore. Et bien qu’il semble qu’il y ait en cela de l’esprit, il est certain pourtant que ce n’est pas du bon esprit, et il y a trop de jeu en cela. Cela est bon dans des déclamations de collège, mais cela ne vaut rien pour la chaire évangélique. Il faut donc lier l’exorde avec le texte par la matière même, c’est-à-dire par la chose entendue sous la figure, et non par la figure. Je ne veux pourtant pas nier qu’on ne puisse le joindre quelquefois par la figure, pourvu que cela se fasse de manière chaste et sage. Comme par exemple, si l’on avait à traiter ces paroles : Qui mange ma chair et qui boit mon sang, a la vie éternelle, on pourrait prendre un exorde de ce que l’Écriture sainte se forme l’idée de notre conversion comme si c’était une nouvelle naissance, et qui nous communiquât et nous destinât à une autre vie. Que pour cet effet elle nous parle d’un nouvel homme, dans le nouveau ciel qui l’éclaire, et d’une nouvelle terre qui le soutient. Qu’attribuant à ce nouvel homme les mêmes sens que la nature a formés en nous, une vue, une ouïe, un toucher, un odorat, une bouche, elle attribue aussi des objets proportionnés à chacun de ces sens mystiques, et leur donne des effets semblables à ce que nos sens produisent par leurs naturelles opérations. Elle nous dit donc que nos yeux contemplent la lumière céleste qui les éclaire et les conduit dans les voies de la justice. Que nos oreilles entendent la voix de Dieu qui nous appelle et qui nous fait par ce moyen suivre notre vocation. Elle nous dit que l’Évangile nous est une odeur de vie qui nous communique le salut. Et enfin elle nous attribue une bouche pour manger la chair et boire le sang de Jésus-Christ, afin d’en être nourri à vie éternelle. C’est de cette dernière expression dont Jésus-Christ a voulu se servir dans ce sixième chapitre de saint Jean et en parler dans ce texte : Qui mange ma chair et qui boit mon sang, a la vie éternelle. Cet exorde se joint avec la figure employée dans le texte ; mais c’est d’une telle manière qu’il n’y a point de jeu ni d’affectation d’esprit. Car c’est par une réflexion sérieuse sur l’usage que l’Écriture fait de cette figure, la reconnaissant déjà pour figure, et préparant l’auditeur à en rechercher l’explication.

Divers exemples des vices de l’exorde.

1. Il y a des prédicateurs qui se sont figurés, que c’était une belle chose de prendre des exordes, ou de la personne des auditeurs, ou des circonstances du temps, ou de celles du lieu, ou de celle des affaires générales, et des nouvelles du monde. Mais je crois que cette matière est tout à fait vicieuse, et que hors d’un cas extraordinaire il ne s’en faut point servir.

1° Il y a en cela trop d’affectation. Et n’est-ce pas faire l’entendu, que de commencer son discours par ces sortes de choses qui n’ont nul égard à la matière ? C’est donc choquer la pudeur et la modestie de la chaire chrétienne.

2° Ces sortes d’exordes sont d’ordinaire tirés par les cheveux ; et il ne se peut faire autrement ; car les choses dont ils sont composés n’ont qu’une relation fort écartée avec le texte, de sorte que par ce moyen vous perdez le fruit principal de l’exorde, qui est de préparer l’esprit de l’auditeur à la matière qui doit être traitée, et de les conduire insensiblement.

3° Il est fort difficile quand on prend de tels exordes de ne pas dire quelque sottise. Car qu’y a-t-il de plus délicat dans un discours public, que de parler de soi-même, ou des auditeurs, ou du temps et des nouvelles du monde ; mon sentiment est donc il faut entièrement rejeter cette matière d’exorde.

2. Il faut rejeter aussi pour la plupart les exordes pris des histoires profanes, ou de ce qu’on appelle les apophtegmes des hommes illustres ; cela sent trop le collège, et n’est nullement du goût des honnêtes gens. Après tout, Alexandre le Grand, César et Pompée, et tous ces autres grands noms de l’antiquité, n’ont que faire de monter sur notre chaire évangélique ; et si on ne les souffre plus aujourd’hui ni dans les harangues, ni dans les plaidoyers, beaucoup moins les doit-on souffrir dans les sermons. A la bonne heure, quand ils paraîtront quelquefois, ou dans la tractation, ou dans l’application. Et encore faut-il que ce soit si rarement, que dans un an on ne les y voit pas plus d’une fois ; et de venir se présenter à la tête d’un prêche, n’est pas une chose supportable. Je dis à peu près le même des citations des allégations des auteurs profanes. Il s’en faut abstenir, à moins qu’il n’y eût quelque chose de si particulier, de si agréable et de si juste pour le texte qu’on ne pût pas douter qu’il ne fût bien reçu.

C’est dans ce rang que l’on peut mettre l’exorde d’un sermon fait sur ces paroles : Enseigne nous à tellement compter nos jours, que nous en ayons un cœur de sagesse (Psaumes 50.12). Il était pris d’une histoire que Plutarque rapporte, qu’un jour Alcibiade était allé chez Périclès pour le voir, et ses domestiques ayant dit qu’il était occupé à dresser ses comptes pour les rendre à la République, il répondit sur-le-champ, qu’au lieu de travailler à rendre ses comptes, il serait incomparablement mieux de chercher les moyens pour n’en rendre point du tout. On ajouta que c’était là à peu près la pensée des méchants, qui n’ignorant pas que Dieu est leur Juge et sentant d’ailleurs leur conscience chargée de mille crimes, ne songent à autre chose qu’à éluder le jugement divin, et le compte qu’ils ont à rendre au Maître de toutes les créatures. Que s’il n’était question que d’un homme ou de deux hommes, le conseil d’Alcibiade pourrait réussir ; mais quand il est question de Dieu, il faut être plus qu’insensé pour s’imaginer que l’on puisse éviter son tribunal. Qu’il n’y a point d’autre voie à prendre, que celle de se préparer à rendre son compte à Dieu, ni de conseil plus légitime que celui de travailler continuellement à le bien rendre ; et que pour cet effet notre intérêt nous oblige à recourir à Dieu, afin qu’il nous aide pour cela de la lumière de sa grâce. Ce que l’Église fait aujourd’hui par la bouche du plus grand de tous les prophètes : Enseigne nous à bien compter nos jours, afin que nous en ayons un cœur de sagesse.

En général les meilleurs exordes sont ceux qui sont pris de la théologie. Car d’un côté, ils ont toujours plus de rapport à la matière du texte ; et de l’autre, ils y préparent bien mieux l’esprit de l’auditeur. Ils sont même plus graves, et plus détachés des puérilités du Collègea et de la pédanterie.

a – Par les mots École et Collège Claude entend ce que nous appelons aujourd’hui Faculté, Institut de formation théologique.

Pour cet effet après avoir bien considéré le sens d’un texte, et vu quelles sont les matières principales qui doivent entrer dans la tractation, après en avoir fait la division, il faut tâcher de réduire le tout à une idée commune, et ensuite chercher quelque chose ou quelque pensée qui s’y lie naturellement avec cette idée commune, soit qu’elle s’y lie immédiatement, ou médiatement par le moyen d’une autre. Si elle s’y lie immédiatement, il faut tâcher de la réduire en une proposition que l’on éclaircira, ou que l’on prouvera dans la suite ; et si elle a des parties qui méritent d’être expliquées ou prouvées chacune à part, on le fera. Et enfin par la liaison naturelle que cette proposition aura avec la matière que l’on doit traiter, on entrera dans le texte. Si la proposition ne se lie avec le texte que par le moyen d’une autre, après avoir établi la première, il faudra passer à la seconde, et de la seconde au texte.

Les exordes se tirent à peu près des mêmes lieux d’où se tirent les observations, à savoir, ou du genre, ou de l’espèce, ou des contraires etc. Car il y a peu d’exordes que l’on ne puisse faire entrer dans la tractation, sous le titre d’observations générales. Il y a pourtant cette règle à observer, qu’entre plusieurs observations générales, il faut choisir pour l’exorde celle qui est la moins essentielle, ou la moins nécessaire à la tractation, et qui d’ailleurs soit claire, agréable et engageante.

On peut employer quelquefois dans un exorde une comparaison, c’est-à-dire ce qu’on appelle similitude, mais il faut le faire rarement et ne se servir point de comparaisons triviales que tout le monde sait ou qui sont prises d’une matière basse, ni aussi de comparaisons trop embarrassées, prises d’une matière inconnue au peuple, comme sont celles qui sont tirées des mécaniques, de l’astronomie, où les auditeurs n’entendent rien.

On peut y employer aussi les histoires de la Bible, mais il faut que cela se fasse rarement, et que l’application soit juste, agréable, et en quelque manière surprenante. On peut encore y employer les types, mais avec les mêmes précautions, consultant le bon sens et le bon goût.

Le mieux est de chercher plusieurs exordes sur un même texte, de tourner son imagination de divers côtés, en prenant garde à toutes les différentes relations, que la matière qu’on a à traiter peut avoir, car par ce moyen on pourra choisir ce que l’on jugera plus à propos. Mais après les préceptes généraux que l’on doit nécessairement savoir et sur lesquels il se faut régler, il est certain que la facilité de l’invention de l’exorde ne se peut apprendre que par la pratique. C’est pourquoi un jeune prédicateur ne doit point plaindre sa peine, ni se négliger en aucune manière sur ce sujetb.

b – Les j’aimerais-partager-avec-vous-un-petit-verset ont été ici quelque peu étrillés…

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