Histoire des Dogmes I — La Théologie Anténicéenne

4.6 — Tatien et les encratites.

[Sources : S. Irénée, Adv. haer., I, 28, 1. Clément d’Alex., Stromates iii.13. Philosophoumena, viii, 16, 20 ; x, 18. Pseudo-Terttullien, 20, Philastrius, 48, 72, 84. S. Épiphane, Haer. xlvi, xlvii. Eusèbe, H. E., 4.28 ; 29. — Travaux : M. Ledermann, Examen des hérésies de Tatien, Strasbourg, 1845. Hilgenfeld, Die Keizergeschichte des Urchrislantums, Leipzig, 1884.]

Au marcionisme il faut rattacher Tatien et les encratites. Bien que saint Irénée parle de Tatien à propos des encratites, et ajoute qu’il a enseigné une doctrine d’un caractère propre (ἴδιον χαρακτῆρα διδασκαλείου συνεστήσατο), il ne dit cependant pas explicitement qu’il ait fondé la secte : il l’accuse seulement d’avoir nié le salut d’Adam, condamné le mariage comme une fornication et admis, à l’instar de Valentin, des séries d’éons. Clément d’Alexandrie parle aussi de sa répudiation du mariage et rappelle son livre (perdu) Περὶ τοῦ κατὰ τὸν σωτῆρα καταρτισμοῦ. Les héréséologues postérieurs ont reproduit à peu près les renseignements de saint Irénée, et il est donc possible qu’Eusèbe (H. E., 4.28) et saint Épiphane (Haer. 46.1) aient donné à ces renseignements plus de précision que de droit, quand ils ont affirmé que Tatien passait pour le fondateur des encratites ou même l’était certainement, d’autant plus que saint Irénée, au même endroit, rattache les encratites à Saturnin et à Marcion.

Il est en effet plus probable que les hérétiques connus sous le nom d’encratites ou continents n’ont jamais formé une secte séparée et indépendante. Ce nom, semble-t-il, a été donné à l’ensemble des chrétiens dont l’austérité était fondée non seulement sur le désir de pratiquer une vie plus parfaite, mais sur des théories relatives au caractère plus ou moins essentiellement mauvais de la matière, comme œuvre d’un Dieu imparfait ou méchant. Clément d’Alexandrie a rapporté, dans ses Stromates (iii, 13, 14), plusieurs passages d’un livre de Julius Cassianus περὶ ἐγκρατείας, ἢ περὶ εὐνουχίας qui prohibait absolument le mariage. Saint Irénée qui, comme nous l’avons dit, fait descendre les encratites de Saturnin et de Marcion, les accuse d’enseigner la damnation d’Adam et l’abstention du mariage et de la chair des animaux. Les Philosophoumena (viii, 20) ajoutent que, sur Dieu et Jésus-Christ, ils étaient d’accord avec l’Église, preuve qu’il s’agissait, pour beaucoup d’entre eux, d’une question purement pratique. Philastrius (72) leur donne pour chef Aerius, mais caractérise de même leur doctrine. Quant aux abstinents dont il parle au chapitre 84, ils doivent évidemment être rapprochés des encratites dont ils partagent les erreurs. Eusèbe, après avoir reproduit la notice de saint Irénée, mentionne une secte de sévériens, issus d’un certain. Sévère qui aurait renchéri encore sur l’hérésie de Tatien (H. E., 4.29.4-5). Mais c’est bien plutôt aux judéo-chrétiens, d’après les détails qu’il fournit, qu’il les faudrait rattacher. Par contre, la description de saint Epiphane (Haer. xlvii, 1) fait penser que les encratites dont il s’occupe avaient fusionné avec des restes de gnostiques et de manichéens.

Ainsi, pendant que certains esprits, attirés par les questions spéculatives de la nature de Dieu, de l’origine du monde et du mal, se jetaient dans les rêves de la gnose, d’autres, s’appliquant à la question du salut de l’homme, en cherchaient la solution exclusivement dans l’attitude de la vie morale, mais tombaient eux aussi dans des exagérations évidentes. Ce n’était pas, à leur avis, la science qui nous sauve : Marcion et les encratites la reléguaient au second plan et Apelles n’avait cure de l’orthodoxie : le salut vient des œuvres, et, entre les œuvres, les plus difficiles s’imposent comme de rigueur. Contre cette dernière assertion l’Église dut préciser en quoi consiste l’austérité légitime et en quoi l’encratisme défendu. Dans la lettre des Églises de Lyon et de Vienne sur les martyrs de 177, nous voyons un des confesseurs, Alcibiade, qui ne vivait ordinairement que de pain et d’eau, être repris par Attale à la suite d’une révélation, et se soumettre à ses avertissements (H.E. 5.3.2-3).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant