Histoire des Dogmes II — De saint Athanase à saint Augustin

4.2 — Condamnation de l’apollinarisme.

L’histoire de l’apollinarisme est intimement liée avec celle de la dernière période de la controverse arienne, et les mêmes assemblées conciliaires ont souvent condamné les deux hérésies. M. Lietzmann fixe à l’an 352 le commencement du mouvement apollinariste ; mais on n’en saisit la première manifestation qu’en 362, au concile d’Alexandrie. Là, au milieu des discussions sur l’arianisme, un débat s’élève entre quelques membres du concile qui s’accusent mutuellement, les uns de séparer en Jésus l’homme du Verbe, les autres de n’admettre en lui qu’un corps sans âme et sans intelligence. On finit cependant par s’entendre, et, sous la pression du concile, les deux partis, repoussant d’ailleurs ce qui sera plus tard le nestorianisme, professèrent que « le Seigneur n’avait pas eu un corps sans âme, sans sentiment et sans intelligence (ἄψυχον, ουδ᾽ ἀναίσϑητον ουδ᾽ ἀνόητον) : car il n’était pas possible que le Seigneur s’étant fait homme pour nous, son corps fût sans esprit (ἀνόητον), et ce n’est pas seulement le salut du corps, mais aussi celui de l’âme (ψυχή) que le Verbe a opéré en lui ».

Ces deux partis qui s’accusent ainsi mutuellement sont évidemment des représentants de l’école d’Antioche et des disciples d’Apollinaire. Mais d’Apollinaire lui-même il n’est pas question. Même silence dans la lettre d’Athanase à Epictète, vers 371, et dans les deux livres Contra Apollinarium de 373-377. Malgré les écrits d’Apollinaire, comme sa Lettre à Jovien (vers 363) ou sa Lettre à Sérapion (vers 371), qui ont dû révéler ses sentiments, on ignore ou l’on veut ignorer qu’il professe, à l’endroit de l’incarnation, des doctrines erronées. Le grand crédit dont il jouit, sa grande réputation de vertu et de science détournent de lui les accusations. Cependant, en 375, des bruits fâcheux circulent sur son disciple Vitalis, prêtre d’Antioche, qui désire entrer dans la communion de l’évêque Paulin. Vitalis vient à Rome pour se justifier auprès de Damase, et présente à celui-ci une profession de foi qui condamne les tendances extrêmes de l’apollinarisme, mais dissimule encore l’essentiel de l’erreur. Damase y est trompé d’abord, puis, mieux informé, exige, par l’intermédiaire de Paulin, que Vitalis confesse que le Fils de Dieu a pris « corpus, animam, sensum, id est integrum Adam, et, ut expressius dicam, totum veterem nostrum sine peccato hominem ». Vitalis s’y refuse, et est sacré par Apollinaire évêque d’Antioche pour ses partisans (376). Timothée, un autre disciple d’Apollinaire, est peu après élevé de même au siège de Béryte. C’est la rupture complète.

A partir de ce moment, Apollinaire ne dissimule plus. Il est dénoncé comme hérétique, en 377, par saint Épiphane avec douleur dans son ouvrage sur les hérésies (lxxvii), par saint Basile avec sévérité dans sa lettre cclxiii aux occidentaux. La condamnation ne se fit pas attendre. En 377, un concile se tint à Rome sous Damase : Apollinaire et Timothée furent déposés et leur doctrine fut réprouvée. Le décret de Damase formulait déjà l’argument fondamental que l’on devait opposer à cette doctrine : « Quod si utique imperfectus homo susceptus est, imperfectum Dei munus est, imperfecta nostra salus, quia non est totus homo salvatus. »

La sentence du pape fut reçue et confirmée en 378 par un concile d’Alexandrie, et en 379 par un concile d’Antioche. Le concile œcuménique de Constantinople la ratifia en 381. Parmi les hérétiques condamnés par son premier canon, on trouve les apollinaristes. En 382, nouveau concile à Rome : il fut suivi presque immédiatement de l’envoi par Damase à Paulin de la célèbre Confessio fidei catholicae dont le septième anathématisme était dirigé contre les erreurs d’Apollinaire.

En même temps, l’autorité séculière — elle se nommait alors Théodose — intervint pour réprimer les hérésies en général, et en particulier celle des apollinaristes. Une série de décrets (383, 384, 388) interdit à ceux-ci de s’assembler au dedans ou en dehors des villes, chassa leurs évêques, prêtres et ministres de Constantinople, leur défendit d’ordonner des évêques, et déposa ceux qu’ils possédaient déjà. Ces rigueurs n’empêchèrent pas la secte de subsister. Dans le courant du ve siècle cependant, elle perdit son existence distincte. Une partie, composée surtout des modérés, revint à l’Église catholique, tout en conservant des sentiments peu orthodoxes ; les autres se fondirent dans la grande hérésie eutychienne et monophysite dont Apollinaire avait été le précurseur.

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