Histoire des Dogmes II — De saint Athanase à saint Augustin

6.2 — Anthropologie.

C’est contre le manichéisme surtout que les Pères grecs du ive siècle ont traité de la nature de l’homme et de son état présent. A voir la place que la réfutation du manichéisme occupe dans leurs œuvres, notamment chez ceux qui visent à l’instruction du peuple, il est bien évident qu’ils considéraient cette hérésie comme l’une des plus attirantes pour la faiblesse humaine, des plus dangereuses pour la morale évangélique.

On a vu qu’Apollinaire distinguait réellement dans l’homme l’âme raisonnable (νοῦς) de l’âme animale (ψυχή). Ce sentiment a été suivi par Didyme l’aveugle, qui l’avait vraisemblablement pris d’Origène : les autres Pères ou l’ont combattu, ou ont été simplement dichotomistes. De l’union du corps et de l’âme résulte un λόγικον ζῶον résumant en lui les deux mondes supérieur et inférieur. Quelle-est l’origine de cette âme ? Didyme, suivant encore ici les traces d’Origène, regarde les âmes comme créées, mais comme préexistantes aux corps dans lesquels elles ont été enfermées en punition de leurs fautes. C’est une erreur que saint Grégoire de Nysse, malgré ses tendances origénistes, condamne formellement. Lui-même toutefois incline au traducianisme, s’il ne le professe pas en termes clairs. Il affirme, avec raison, que l’âme est formée en même temps que le corps, puisque, dès le premier instant, elle le fait vivre ; mais ailleurs, il ajoute que la semence humaine, pour se développer en fœtus et en enfant, ne reçoit rien du dehors (ἔξωϑεν). Saint Epiphane, qui admet que l’âme d’Adam a été créée, est assez embarrassé pour concilier son opinion avec le texte de la Genèse ; car il y est dit que cette âme a été insufflée par Dieu. Elle n’est pas cependant une partie de Dieu (μέρος ϑεοῦ) ; elle ne lui est pas d’ailleurs étrangère (ἀλλότριον τοῦ ἐνφυσήματος) ; dès lors, comment résoudre la contradiction ?

[Ancoratus, 55. Saint Epiphane n’est pas moins embarrassé pour dire au juste en quoi consiste en l’homme l’image de Dieu dont parle Genèse.1.26 ; elle n’est exclusivement, dit-il, ni dans le corps ni dans l’âme ; elle ne consiste exclusivement ni dans la vertu ni dans la grâce du baptême (Ibid., 55-56).]

Un autre problème, plus important, était celui de l’état dans lequel ont été créés ou mis nos premiers parents, et de la part, dans cet état, de ce qui était dû à la nature et de ce qui la dépassait. Nos auteurs s’en sont occupés, mais de leurs affirmations on a bien de la peine à dégager une théorie une et précise.

Saint Athanase en a traité surtout dans ses deux ouvrages de jeunesse, le Contra gentes et l’Oratio de incarnatione, dans lesquels l’inspiration platonicienne est manifeste. L’homme, dit-il, fut créé d’abord à l’image de Dieu et du Verbe : la connaissance et la pensée de sa propre éternité furent imprimées dans son âme ; moyennant quoi sa destinée était de se souvenir continuellement de Dieu, de conserver en soi son image, la grâce et la vertu du Verbe, et de vivre heureux et immortel dans la familiarité de son créateur. Car l’âme pure et dégagée des sens contemple le Verbe, et dans le Verbe le Père, et cette vue, qui la ravit, augmente naturellement ses désirs et son amour. Tel était l’état de nos premiers parents.

De cet état — qui comprenait, ainsi qu’on le voit, la ressemblance avec Dieu, la rectitude de la volonté, l’illumination de l’intelligence, l’exemption des maux et de la mort — l’homme est déchu. Saint Athanase rattache clairement cette déchéance à la faute d’Adam. Son résultat a été de réduire l’homme à ce qu’il était par nature : Ἡ γὰρ παράβασις τῆς ἐντολῆς εἰς τὸ κατὰ φύσιν αὐτοὺς ἐπέστρεφεν. Ainsi l’homme a perdu l’intégrité et l’immortalité du corps ; il a été soumis à la φϑορά, puisque, par nature, il est mortel ; mais — et ici apparaît la confusion — non seulement il est resté, dans son âme, intelligent et immortel, mais il n’a perdu que progressivement, et à mesure qu’il s’est enfoncé dans les plaisirs sensuels, la connaissance de Dieu et la contemplation du Verbe : ce n’est que peu à peu que sa ressemblance avec Dieu s’est oblitérée. Bien plus, cette ressemblance avec Dieu, cette contemplation du Verbe (τοῦ λόγου ϑεωρία), l’âme peut d’elle-même la recouvrer en rejetant le péché et en s’affranchissant des liens de la sensualité, car elle est à elle-même sa propre voie, et elle ne reçoit point du dehors la connaissance et la compréhension du Dieu-Verbe.

Dans ces derniers passages, saint Athanase semble clairement supposer que la ressemblance avec Dieu et la connaissance du Verbe sont choses naturelles à l’homme. Ailleurs, il s’exprime autrement : non seulement il les appelle une grâce (χάρις), mais il regarde la ressemblance avec Dieu comme perdue par le péché et ne pouvant être rétablie que par l’incarnation. Celui-là seul qui est l’image par excellence de Dieu, Jésus-Christ, pouvait restaurer en l’homme la ressemblance divine et lui faire ainsi connaître Dieu.

Plus tard le langage de notre auteur acquerra encore plus de fermeté. Distinguant l’acte créateur de l’acte par lequel Dieu nous adopte, il remarquera que l’effet du premier est de nous donner notre nature, tandis que celui du second est de nous constituer dans la grâce ; que cette grâce de filiation résulte en nous seulement de ce fait que nous sommes la demeure du Verbe, vrai Fils de Dieu et son image, et de son Saint-Esprit. Saint Athanase cependant n’a pas effacé ce qu’il avait écrit d’abord : il s’est corrigé sans se rétracter.

L’idée des Cappadociens ne diffère pas sensiblement, sur le sujet qui nous occupe, de celle de saint Athanase. Ils représentent l’état primitif de l’homme comme un état de béatitude caractérisé, d’un côté, par l’absence des souffrances et de la mort, de l’autre, par l’amour de Dieu et un commerce intime avec lui : ce sont les données scripturaires. Cet état était naturel (κατὰ φύσιν), mais il est difficile de déterminer la portée exacte de cette expression sous leur plume, et de dire s’ils entendaient par là un état strictement dû à l’homme, ou un état seulement convenable à sa nature, ou nécessaire hypothétiquement, et étant donnée sa destinée plus haute. Mentionnons cependant une spéculation bien platonicienne de saint Grégoire de Nysse. Il voit, dans l’image de Dieu imprimée en l’homme, le cumul de toute sagesse et de toute vertu et, pardessus tout, la liberté. Cette image n’a pas été imprimée d’abord dans un individu particulier, mais dans la nature humaine générique, dans l’homme type réellement existant (réalisme). Cet homme type n’avait point de sexe déterminé, et, dans le plan primitif de Dieu, les individus formés sur lui devaient se propager et se multiplier, comme les anges, par des voies inconnues. La distinction des sexes n’a été décrétée par Dieu qu’en prévision de la chuteb.

bDe hominis opificio, 16 (col. 133), 17. Il est bon de remarquer que l’auteur ne propose généralement ces explications que comme des essais (διὰ στοχασμῶν τινων).

On ne trouve, sur ce sujet de l’état de l’homme avant la déchéance, rien de particulier dans saint Cyrille de Jérusalem ni dans saint Epiphane. Saint Chrysostome dépeint nos premiers parents comme immortels, impassibles, heureux, remplis de sagesse et environnés d’une gloire qui leur cachait leur nudité. Il explique l’image de Dieu imprimée en eux de la domination et de la royauté de l’homme sur la création.

De cette félicité primitive Adam et Ève sont déchus par leur péché ; car c’est la liberté qui a introduit le mal dans le monde. Le mal n’est rien de positif ni de substantiel en soi : il n’est que la déviation de la volonté "s’écartant du but qu’elle doit atteindre. En conséquence de cette première faute, l’homme immortel est devenu mortel ; impassible, il a été soumis aux misères et à la maladie ; son intelligence s’est obscurcie ; sa volonté s’est affaiblie : il a ressenti les entraînements de la concupiscence ; il a perdu la vue de Dieu et s’est adonné à l’idolâtrie ; les rapports sociaux eux-mêmes ont été troublés ; la pauvreté et l’esclavage ont apparu comme des fruits de la violence et de l’inégalité des conditions. Ce sont les principaux traits de la déchéance telle que la dépeignent les Pères grecs du ive siècle. Maintenant vont-ils plus loin, et pensent-ils qu’Adam nous a transmis non seulement les misères, peines de son péché, mais son péché lui-même ? Croient-ils que, descendant de lui, nous ne naissons pas seulement malheureux, mais coupables ? Admettent-ils, en un mot, le péché originel proprement dit ? On sait comment Julien d’Eclane opposait plus tard à saint Augustin leur silence ou leur doctrine contraire sur cette question, et comment saint Augustin s’efforçait à son tour de démontrer qu’ils témoignaient en sa faveur. Ni l’un ni l’autre, à vrai dire, n’avait complètement raison. Saint Athanase affirme que, « comme d’Adam pécheur le péché a passé dans tous les hommes (εἰς πάντας ἀνϑρώπους ἔφϑασεν ἡ ἁμαρτία), aussi, après que le Seigneur s’est fait homme et a vaincu le serpent, sa force s’est répandue dans tous les hommes ». Didyme considère la chute comme l’ancien péché (παλαὶα ἁμαρτία) dont Jésus-Christ nous lavait par son baptême dans le Jourdain. Tous les enfants d’Adam le contractent par transmission (κατὰ διαδοχήν) : l’union charnelle des parents en est la condition ; et c’est pourquoi Jésus, né d’une vierge, n’en a pas été atteint. Comme Didyme émet, au même endroit, l’idée que le mariage, dans l’Ancien Testament, n’allait pas sans faute (τὸν γάμον ἁμαρτητικῶς εἶχον), on peut supposer qu’il regardait, ainsi que le fera plus tard saint Augustin, la concupiscence comme étant de soi un péché chez les païens.

Saint Augustin a cité de saint Basile l’homélie première sur le jeûne, où il est dit que, si Ève avait su jeûner, nous n’aurions pas à le faire. Plus concluant est le texte de l’Homilia dicta tempore famis et siccitatis, : « Payez pour le premier péché (τὴν πρωτότυπον) en faisant largesse de nourriture ; car de même qu’Adam, en mangeant à tort, a transmis le péché (τὴν ἁμαρτίαν παρέπεμψεν), ainsi nous abolissons [les effets] de la perfide nourriture en secourant la nécessité et la faim de notre frère. »

Saint Augustin a de même cité plusieurs fois saint Grégoire de Nazianze comme témoin de la doctrine du péché originel, notamment ses discours xvi, 15 ; xxxviii, 4, 17, et un autre passage que l’on ne trouve plus dans les œuvres conservées de saint Grégoire. Mais, si l’on excepte peut-être ce dernier texte et une expression du discours xix, 13, où l’auteur appelle nôtre le premier péché (τῆς πρώτης ἡμῶν τῆς ἁμαρτίας), saint Grégoire ne paraît pas avoir enseigné que notre âme ait été, au sens strict, souillée par le péché d’Adam. Il déclare que les enfants qui meurent avant le baptême sont sans péché (ἀπονήρους), et ne seront ni récompensés ni châtiés par le juste juge. Même doctrine dans saint Grégoire de Nysse : lui aussi parle de déchéance, mais pas de souillure. Dans son traité De infantibus qui praemature moriuntur, il écrit que les âmes de ces enfants n’ont point de maladie dès le principe, qu’elles n’ont pas besoin de la santé qui vient de la purification (μὴ δεόμενον τῆς ἐκ τοῦ καταρϑῆναι ὑγιείας), et qu’elles commenceront à jouir, dans la mesure de leur pouvoir, de la connaissance et de la participation de Dieu, vie naturelle de l’âme, jusqu’à ce que, par l’usage progressif de leur liberté, elles deviennent capables de connaître Dieu davantage et d’en être participantes dans une plus large mesure.

On peut négliger les brèves indications de saint Cyrille de Jérusalem sur notre sujet. Mais saint Chrysostome mérite d’autant mieux de retenir notre attention que son autorité a été plus disputée entre Julien d’Eclane et saint Augustin, et qu’il appartient à l’école d’Antioche dont les tendances pélagiennes ne sont pas douteuses, Julien invoquait, pour nier que saint Chrysostome eût admis le péché d’origine, le texte d’une homélie Ad neophytos où le saint docteur disait que « nous baptisons les enfants eux-mêmes, bien qu’ils n’aient point de péché qui les souille ». A quoi l’évêque d’Hippone répondait qu’il s’agissait ici de péché actuel. On peut encore remarquer que saint Chrysostome déclare que les âmes des enfants ne sont pas pécheresses (πονηραί) ; et il est singulier surtout que lui, si littéral dans son exégèse, explique le peccatores du texte de saint Paul, Romains.5.19, non dans le sens de coupables, mais dans le sens d’hommes condamnés au supplice et à la mort. D’autre part cependant, il est bien vrai que notre auteur établit un parallèle entre Adam et Jésus-Christ, et paraît ailleurs nous identifier avec Adam transgresseur. Saint Augustin a même cité de lui le passage d’une homélie (perdue) où il aurait été question d’une « obligation paternelle écrite par Adam », d’un « commencement de dette que nous aurions augmenté par nos péchés postérieurs ». Mais il faut avouer que tout ceci est fort peu explicite. En somme, si la croyance en une déchéance de l’humanité par suite de la faute d’Adam est incontestable chez tous nos écrivains grecs du ive siècle, l’idée qu’ils se font de cette déchéance reste en deçà de la conception que l’on s’en fait à la même époque en Occident : elle est moins complète et moins précise. Il faut peut-être excepter le disciple d’Origène, Didyme, et expliquer que l’influence d’Origène ne se soit pas en effet exercée plus fortement dans le même sens sur les Cappadociens par cette considération que ses affirmations sur la souillure originelle se trouvaient mêlées à son système de la préexistence des âmes.

Il y a donc eu déchéance. A-t-elle atteint la nature libre de l’homme et sa capacité de bien faire, au point de les anéantir ? L’affirmer serait aller à l’encontre directe de tous nos auteurs : car il n’est rien sur quoi ils insistent plus, contre le manichéisme, que la persistance en l’homme, même déchu, de la liberté, et de la responsabilité de ses actes. On l’a déjà vu pour saint Athanase. Les autres ne parlent pas autrement ; mais saint Chrysostome, en particulier, y revient constamment comme à un point capital de la morale chrétienne. La liberté de l’homme est restée entière après la chute : le corps n’est pas devenu mauvais, ni contraire et opposé à l’âme en principe ; la concupiscence n’est pas, en soi, une faute ni un péché (In epist. ad Rom., hom. XIII, 1, 2).

Est-ce à dire que l’homme, pour faire le bien, n’a pas besoin du secours de Dieu, qu’il peut se sauver lui-même ? Cette difficile et délicate question — question de la nécessité de la grâce — n’avait pas encore été posée en Orient, et il ne faut pas, dès lors, s’attendre à en trouver, dans les écrivains grecs du ive siècle, une solution précise et de tout point irréprochable. On ne saurait cependant négliger les solutions même incomplètes qu’ils présentent.

Nous les tenons surtout des Cappadociens et de saint Chrysostome. Sans nier que nous puissions de nous-mêmes faire quelque bienc, saint Basile affirme que du Saint-Esprit viennent aux âmes tous les secours dont elles ont besoin ; que, sans lui, nul ne saurait prononcer une parole pour la défense de Jésus-Christ. Dieu, ajoute-t-il, nous aide dans le bien comme un sauveteur aide un enfant à se maintenir sur l’eau. Que personne ne pense s’être sauvé de soi-même, car le salut ne vient pas de la puissance de l’homme, mais de la science et de la grâce de Dieu. Saint Grégoire de Nysse parle à peu près de même, mais avec cette nuance importante qu’il semble requérir la grâce seulement pour l’action, non pour l’inclination au bien et le désir du bien. Saint Grégoire de Nazianze offre une doctrine plus ample. C’est surtout dans l’Oratio xxxvii, 13 et suiv. qu’il s’est occupé de fixer la part de la grâce et de l’activité humaine dans l’œuvre du salut. On en peut dégager ce qui suit : 1° Nous devons coopérer à la grâce : elle ne fait pas seule tout en nous : « Il faut que notre salut vienne de nous et de Dieu » (13). 2° La volonté libre a au moins une part dans le commencement de l’œuvre du salut. Dieu donne à ceux qui sont dignes, et qui le sont devenus non seulement par le don du Père, mais par eux-mêmes (15). 3° L’auteur paraît même aller plus loin et attribuer parfois à la seule volonté libre le commencement de l’œuvre salutaire (21 ; cf. Or. xl, 27). Cependant, 4° la grâce de Dieu est toujours nécessaire pour faire le bien. 5° Bien plus, la bonne volonté elle-même (τὸ βούλεσϑαι καλῶς) vient de Dieu, et c’est pourquoi l’apôtre attribue à celui-ci le tout de la bonne œuvre : « Non volentis nec currentis sed etiam miserentis Dei » (13).

c – Remarquons ici qu’il ne faut pas toujours chercher dans ces auteurs la distinction du bien moral naturel et du bien surnaturel. Ils n’ont pas poussé aussi loin la précision.

L’enseignement de saint Chrysostome n’est pas, comme celui de saint Grégoire de Nazianze, concentré en un seul endroit de ses œuvres, mais il est plus étendu et plus riche. Il se ressent d’ailleurs naturellement des préoccupations de l’auteur, avant tout prédicateur et moraliste, dont le rôle est de pousser ses auditeurs à l’effort personnel. Voici en quoi il se résume : 1° L’homme est capable, sans la grâce, d’accomplir des actes bons d’une bonté naturelle : c’est la conséquence de la préservation intégrale de la liberté après la chute. 2° Il ne peut, sans la grâce, bien agir (κατορϑῶσαι), accomplir des œuvres salutaires. Si Dieu ne nous avait appelés et attirés à lui, nous étions impuissants (In Genesim, hom.25.7 ; 68.5 ; In epist. ad Eph., hom.1.2). 3° Cette grâce d’action paraît tellement nécessaire à saint Chrysostome qu’il lui attribue la principale part dans nos bonnes œuvres et dans notre sanctification (In epist. ad Rom., hom.19.1 ; In epist. ad Hebr., hom.12.3). 4° Mais cette grâce ne paralyse pas notre libre arbitre : elle coopère (συμπράττει), mais elle ne fait pas tout en nous ; elle a dans nos œuvres la part principale, mais nous y sommes aussi pour quelque chose (In epist. ad Rom., hom.19.1 ; 14.7). 5° Maintenant, ce secours de Dieu, nécessaire quand nous voulons parfaire l’action, nous est-il aussi nécessaire pour désirer seulement de faire la bonne œuvre, pour nous y porter, pour la commencer ? — Bien que notre auteur affirme, avec saint Paul, que Dieu opère en nous le vouloir et le parfaire et nous donne la propension de la volonté (In epist. ad Philipp., hom.8.1-2), cependant sa pensée d’ensemble est plutôt que nous commençons de nous-mêmes à désirer le bien, à nous y incliner, à le vouloir, et que Dieu fortifie cette volonté, ce désir, et nous donne de réaliser effectivement le bien (In Genesim, hom.25.7 ; In epist. ad Hebr., hom.12.3 ; Cf. In epist. ad Philipp., hom.8.1-2). 6° Mais d’ailleurs la grâce est offerte à tous. Si les uns sont des vases de colère, d’autres des vases de miséricorde, cela vient de leur libre choix : ἀπὸ προαιρέσεως οἰκείας (In epist. ad Rom., hom.16.9 ; 15.1 ; 18.5). 7° La prédestination est consécutive à la prescience. Il y a en Dieu deux volontés : une première, qui est de sauver tous les hommes, même ceux qui pèchent ; une seconde — qui résulte des prévisions divines — qui est de punir les pécheurs (In epist. ad Ephes., hom.1.2). Voilà pour la volonté de punir ; mais, en d’autres passages, saint Chrysostome suppose également que les justes n’ont été prédestinés à la gloire, et même aux grâces spéciales dont Dieu les a favorisés, que conséquemment aux bonnes dispositions et au bon vouloir que Dieu a prévus en eux (In epist. ad Rom., hom.16.5-8).

Ces aperçus de saint Grégoire de Nazianze et de saint Chrysostome diffèrent, en somme, assez notablement des conclusions auxquelles s’arrêtera saint Augustin, et les semi-pélagiens pourront s’autoriser en particulier de tel ou tel détail qu’ils présentent. Dans l’ensemble pourtant, nos deux auteurs maintiennent l’homme dans la dépendance de l’action divine, et font très large la part de la grâce dans le bien qu’il accomplit.

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