Histoire des Dogmes II — De saint Athanase à saint Augustin

9.8 — Les sacrements. — Le baptême. — La confirmation.

L’Église latine du ive siècle connaissait — nous le verrons en détail — tous les rites producteurs de la grâce que nous appelons des sacrements. Ce nom néanmoins — ou celui emprunté aux Grecs de mystères — était plus spécialement réservé aux trois rites de l’initiation chrétienne, le baptême, la confirmation et l’eucharistie. C’est d’eux uniquement qu’ont parlé saint Ambroise dans son De mysteriis, et l’auteur du De sacramentis ; et c’est en en traitant qu’ils ont émis les quelques idées générales, pouvant s’appliquer à tous les sacrements, que nous recueillons dans leurs œuvres.

Ces deux auteurs distinguent d’abord fort bien le rite lui-même de la grâce qu’il produit dans celui auquel on l’appliqueb ; bien plus, l’idée de symbole efficace ne leur est pas étrangère ; le rite — dans l’espèce l’eau ou l’ablution — est la figure de la purification intérieure qui est le résultat du baptême ; dans l’eucharistie, ce que l’on voit après la consécration n’est qu’un signe de ce qui est en réalité. Mais, où leur conception devient confuse, c’est dans la détermination de ce qui constitue le sacrement proprement dit. Par le même procédé que les Grecs, ils veulent établir un parallélisme entre l’eucharistie et le baptême : l’eucharistie, sacrement fixe, se trouve réalisée par la prononciation des paroles de l’institution sur le pain et le vin : dès lors le sacrement existe ; il faut seulement l’appliquer. De même nos auteurs veulent que la bénédiction des eaux baptismales, bénédiction qui a pour effet de les sanctifier par la descente en elles du Saint-Esprit, en fasse un principe sanctificateur que l’administration du sacrement ne fera pour ainsi dire qu’appliquer. La formule de bénédiction de l’eau est à celle-ci, toute proportion gardée, ce que la formule de la consécration est au pain et au vin eucharistiques. Sans elle on aurait de l’eau ordinaire, vide de l’Esprit-Saint, impropre par conséquent à produire aucun effet de salut. Le sacrement de baptême se compose donc de cette formule, de l’eau, et de l’invocation trinitaire :

b – V. P. Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1907.

« Aqua enim sine praedicatione dominicae crucis ad nullos usus futurae salutis est : cum vero salutaris fuerit crucis mysterio consecrata, tune ad usum spiritualis lavacri et salutaris poculi temperaturc ». « Tres testes in baptismate unum sunt aqua sanguis et Spiritus ; quia si in unum horum detrahas, non stat baptismatis sacramentum. Quid est enim aqua sine cruce Christi ? Elementum commune sine ullo sacramenti effectu. Nec iterum sine aqua regenerationis mysterium est… Sed nisi (catechumenus) baptizatus fuerit in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, remissionem non potest accipere peccatorum, nec spiritualis gratiae munus haurire ».

c – La bénédiction de l’eau se faisait par une prière accompagnée de signes de croix. V. Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 299 suiv.

Cependant une question plus pressante appelait, en Afrique surtout, l’attention des théologiens. Le donatisme, renouvelant l’erreur des rebaptisants, affirmait que les sacrements ne sauraient être validement conférés en dehors de la vraie Église, et par un ministre notoirement indigne. C’était faire dépendre l’existence du sacrement et la production de la grâce de la valeur morale de celui qui appliquait le rite sacramentel. La question fut examinée ex professo par saint Optat.

Il la traite plus spécialement en s’occupant du baptême, mais il étend lui-même ses conclusions à la confirmation (vii, 4), et du reste il parle d’une façon générale. Remarquons seulement que, nulle part, saint Optat, pas plus que saint Cyprien, ne fait la distinction de la validité et de l’efficacité du sacrement, et qu’il en résulte parfois un peu de confusion dans son langage. Ceci posé, il y a, dit-il, trois facteurs (species) à distinguer dans le baptême : la formule trinitaire avec laquelle on le confère ; le croyant qui le reçoit ; celui qui l’administre ; mais ces trois facteurs n’ont pas la même importance : deux sont nécessaires ; le troisième est seulement quasi nécessaire. L’invocation trinitaire occupe le premier rang : rien ne peut se faire sans elle ; vient ensuite la foi du sujet qui reçoit le baptême ; quant à la personne du ministre, « vicina est, quae simili auctoritate esse non potest ». Le baptême est comme un corps qui a des membres, des éléments déterminés, invariables, qui ne sauraient changer. Or la personne du ministre ne fait point partie de ces éléments immuables : ils sont donc indépendants de lui. D’autre part, les sacrements sont saints par eux-mêmes, non par les hommes qui les donnent (sacramenta per se esse sancta, non per homines). Et pourquoi ? Parce que ces hommes ne sont que les ouvriers et les ministres de Dieu, les instruments de Jésus-Christ, ministre principal du baptême ; ils ne sont pas les maîtres du sacrement qui est chose divine, ils ne font qu’en poser le rite. C’est Dieu qui purifie l’âme, qui la sanctifie, et non pas l’homme.

Et dès lors tombe l’objection répétée par les donatistes : « Qui non habet quod det, quomodo dat ? » ; car ce n’est pas l’homme qui donne, mais Dieu lui-même dont il tient la place. « Omnes qui baptizant operarios esse non dominos… Concedite Deo praestare quae sua sunt. Non enim potest id munus ab homine dari quod divinum est… Deus lavat, non homo… Dei est mundare, non hominis… Ipse est ergo qui dat ; ipsius est quod datur » (v, 4 ; cf. v, 7). « Promissum erat temporibus nostris, ut ipse (Christus) daret quod hodie datur… baptizabat quidem, sed per manus apostolorum quibus leges baptismatis dederat… In hac re omnes discipuli eius sumus, ut nos operemur, ut ille det qui se daturum esse promisit » (v, 5). « Si, ut vultis, homo dat, Deus vacat, et si Deus vacat et apud vos est omne quod dandum est, ad vos sit conversio : quos baptizatis in nomine vestro tingantur » (v, 6).

L’action du sacrement vient donc principalement de la Trinité qui y est invoquée : « Nomen est quod sanctificat, non opus » (v, 7). La foi du sujet y joue cependant un rôle capital, elle aussi, au moins en ce qui regarde l’efficacité du sacrement, car elle est une condition de l’intervention de Dieu. On a pu même se demander si saint Optat ne rejetait pas d’une manière générale comme invalide le baptême des hérétiques, faute de vraie foi dans le sujet ou le ministre, et quelques passages de son ouvrage paraissent en effet l’insinuer. Quoi qu’il en soit, il n’hésite pas en ce qui regarde le baptême des simples schismatiques et pécheurs manifestes. Le baptême conféré par eux est valable, et ne doit point se renouveler (v, 3). Comme ils ne dispensent point eux-mêmes la grâce, ils ne sauraient non plus empêcher Dieu de la donner.

C’est à l’occasion du baptême surtout, nous l’avons dit, que saint Optat développe cette doctrine. Au moment où nous sommes, s’il reste encore à propos de ce sacrement des incertitudes que nous signalerons, on peut dire cependant qu’en général on est fixé, dans l’Église latine, sur les conditions dans lesquelles on doit l’administrer et sur ses effets. Saint Hilaire distingue, outre le baptême d’eau, quatre autres baptêmes, celui du Saint-Esprit (quae nos Sancti Spiritus sanctificet adventu), celui du feu lors du jugement (quae iudicii igni nos decoquat), celui de la mort (quae per mortis iniuriam a labe morticinae et societate purgabit), et celui du sang (quae martyrii passione devota ac fideli sanguine abluet) ; le tout d’après Luc 3.16 ; 12.50. Saint Ambroise en distinguera un cinquième, le baptême de désir, pouvant suppléer le baptême d’eaud. Pour nous en tenir à ce dernier, on en a les rites décrits et expliqués dans le De mysteriis de saint Ambroise (5-28), et dans le De sacramentis (ii, 14-24). Ils consistent essentiellement dans l’immersion du baptisé dans l’eau préalablement bénite, immersion accompagnée de la formule trinitaire. Saint Ambroise cependant paraît bien admettre dans le De Spiritu Sancto (i, 42-45), et ce conformément avec saint Basile, qu’il suffirait à la rigueur, pour la validité et l’efficacité du baptême, de baptiser au nom de Jésus, ou au nom d’une des trois personnes divines, pourvu d’ailleurs que la foi fût saine, « quia qui unum dixerit Trinitatem signavit ».

dDe obitu Vatentiniani, 51-53.

Notons seulement qu’à Milan et en Gaule, la cérémonie du baptême était suivie du lavement des pieds, rite auquel on attribuait la remise des haereditaria peccata, c’est-à-dire vraisemblablement une certaine purification et diminution de la concupiscence.

En dehors du martyre et — saint Ambroise le croit et l’espère — du désir sincère du baptême, le baptême d’eau était regardé comme absolument nécessaire pour le salut. Les enfants eux-mêmes — qui d’après Zénon reçoivent aussi bien que les adultes ses effets de grâce — ne peuvent sans lui entrer dans le royaume des cieux. Ce baptême est d’ailleurs unique ; validement conféré, il ne saurait se renouveler. Or le concile d’Arles de 314 avait décidé contre les Africains que, même conféré par des hérétiques, le baptême ne devait pas se réitérer s’il avait été donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le texte du canon cependant ne levait pas toute difficulté, et l’on pouvait se demander encore si une foi saine en cette Trinité invoquée, soit de la part du ministre, soit surtout de la part du sujet, n’était pas requise pour l’existence et l’efficacité du sacrement. Qu’elle fût requise pour son efficacité, de la part du sujet, la chose n’était pas douteuse, et c’est au moins dans ce sens qu’il faut interpréter le passage de saint Ambroise, De Spiritu Sancto, i, 42, où il déclare « vide » toute la cérémonie du baptême, si, tout en les nommant, on diminue dans sa pensée la dignité du Père, du Fils ou du Saint Esprit. Mais il est possible que l’évêque de Milan aille plus loin, et qu’influencé ici par saint Basile, à qui il emprunte les éléments de son traité, il nie, au cas d’hérésie trinitaire du sujet ou du ministre, même la validité du sacrement. N’oublions pas que validité et efficacité n’étaient pas encore nettement distinguées l’une de l’autre.

Le baptême est régulièrement administré par l’évêque, mais souvent aussi, dans les églises de campagne, par de simples prêtres ou des diacres. Les plus petits enfants peuvent le recevoir. Nos auteurs s’étendent surtout sur les effets qu’il produit. Ce baptême efface nos péchés, nous dépouille du vieil homme, nous revêt de Jésus-Christ et nous régénère ; il nous rend les temples et les enfants de Dieu, nous communique le Saint-Esprit, donne à notre corps l’immortalité et nous met en possession de l’héritage céleste.

La collation du Saint-Esprit cependant était plus spécialement attribuée au rite de l’imposition de la main et de l’onction d’huile parfumée qui la suivait, et que nous appelons confirmation. Son existence est affirmée par presque tous nos auteurs. En sortant de la piscine baptismale, le baptisé recevait d’abord une onction d’huile sur la tête (onction verticale), puis se présentait à l’évêque qui lui imposait la main en invoquant l’Esprit septiforme. Au ive siècle, l’usage s’introduisit à Rome — plus tard dans les Églises de rite gallican — d’ajouter à cette imposition de la main un signe de croix fait au front avec le pouce trempé dans le saint chrême. Le résultat de cette cérémonie était de parfaire le chrétien « quia post fontem superest ut perfectio fiat », de faire descendre en lui l’Esprit-Saint, de lui imprimer une marque, un caractère, « spiritale signaculum », « signaculum quo fides pleno fulgeat sacramento ». Mais précisément, parce que ces effets se rapprochaient sensiblement de ceux du baptême, saint Jérôme trouvait difficile de justifier la nécessité et l’existence même de la confirmation. Car le Saint-Esprit était certainement conféré par le baptême, puisque les péchés ne pouvaient, dans le baptême, être remis que par le Saint-Esprit. Dès lors, pourquoi cette nouvelle invocation du Saint-Esprit par l’évêque ? Saint Jérôme ne savait trop que répondre. Il alléguait que cette cérémonie devait rappeler la descente du Saint-Esprit sur les apôtres après l’ascension, et que l’utilité de mettre en relief l’épiscopat plus que sa nécessité en autorisait l’usage (ad honorem potius sacerdotii quam ad legem necessitatis). Mais au fond ses idées étaient confuses : il ne distinguait pas l’action sanctificatrice générale des sacrements, œuvre rapportée au Saint-Esprit, de la communication spéciale de la personne divine, fruit de la confirmation.

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