Histoire des Dogmes II — De saint Athanase à saint Augustin

10.5 — Angélologie.

On avait généralement admis dans l’Église latine avant saint Augustin que les anges avaient un corps plus ou moins subtil. Sans en faire un point de doctrine, l’évêque d’Hippone adopta aussi cette opinion qu’il jugeait plus conforme à l’Écriture. Les démons possédaient avant leur chute un corps céleste ; depuis, ils en ont un d’air humide et épais.

Les anges ne sont pas éternels, ils ont été créés. Le saint docteur examine longuement s’ils l’ont été dans le temps ou avant tous les temps, puisque, ayant peut-être été créés les premiers, le temps n’a commencé qu’avec eux. Mais cette question supposait tranchée celle du moment de la création des anges, et c’est sur quoi notre auteur n’était pas fixé. Il était persuadé que les anges sont quelque part mentionnés dans le récit du premier chapitre de la Genèsea, et il était disposé à les retrouver ou dans le mot caelum du verset 1 ou dans le mot lux du verset 3 ; mais il hésitait entre ces deux passages, c’est-à-dire qu’il ne savait s’il fallait mettre la création des anges avant ou après celle du monde matériel. Au De civitate Dei, xi, 9, il se prononce cependant pour la seconde solution.

aDe civit. Dei, XI, 9. Il ne condamne pas cependant l’opinion de ceux qui pensent que leur création a précédé le moment où commence le récit de Moïse, car l’In principio signifie dans le Verbe (De civit. Dei, XI, 32).

En même temps que les dons de la nature, les anges reçurent, dans leur création, ceux de la grâce : le Saint-Esprit répandit en eux, comme en nous, la charité de Dieub. Malheureusement tous ne persévérèrent pas dans la grâce reçue. Saint Augustin repousse définitivement l’interprétation qui voit des anges dans les « fils de Dieu » du récit Genèse.6.1-2, bien que, sur la foi de témoignages populaires, il ne nie pas la possibilité d’unions monstrueuses entre les femmes et les démons. Le péché des anges a été, selon lui, un péché d’orgueil : ils ont refusé de se soumettre à Dieu et de lui rester fidèles. L’évêque d’Hippone suppose d’ailleurs que l’épreuve n’a été que d’un instant. Satan s’est détourné de Dieu dès le premier moment de son existence ; les bons anges ont contemplé le Verbe le jour même de leur création.

bDe civit. Dei, XII, 9, 2. Saint Augustin se demande s’ils reçurent en même temps l’assurance de leur persévérance. Ceux qui tombèrent, certainement non ; les autres, peut-être (De civit. Dei, XI, 13).

Pour ceux-ci, le résultat de l’épreuve a été la béatitude parfaite. Non seulement ils sont certains de la permanence de leur bonheur, mais ils sont absolument fixés dans le bien. Ils voient Dieu face à face, contemplent l’immuable vérité, perçoivent dans le Verbe les lois et les principes des choses, et participent, au-dessus de l’espace et du temps, à l’éternité divine. Ils ont connu par avance le mystère du royaume de Dieu.

Les mauvais anges, au contraire, « miserrimi effecti sunt ». Ils ne subiront cependant qu’après le jugement dernier, dans sa plénitude, le châtiment qui leur est réservé : « in iudicio puniendos servari ». En attendant, enfermés dans l’atmosphère inférieure et obscure qui est la nôtre, comme dans une prison, ils sont les princes de cet air contre qui nous avons à lutter. Leur science est fort grande : ils peuvent, en s’aidant de leur expérience et d’indications secrètes qui nous échappent, faire sur l’avenir des conjectures probables qui souvent se vérifient. Ils n’ont cependant connu de Jésus-Christ que ce qu’il leur a permis ; mais ils n’ont sûrement pas vu en lui le Verbe de Dieu, et Satan même a douté s’il était le Messie, au moins au moment de la tentation dans le désert.

Sur les différences qui existent entre les anges, leurs ordres, leur hiérarchie, les degrés qui les distinguent, la signification précise des noms de Trônes, Dominations, etc., saint Augustin déclare qu’il ne sait absolument rien : « Dicant qui possunt, si tamen possunt probare quod dicunt : ego me ista ignorare confiteor. » En revanche, il a traité des relations des anges avec les hommes. D’abord, les anges ont apparu quelquefois aux hommes. Comment? Est-ce en épaississant leur propre corps spirituel par l’addition d’éléments étrangers qui les ont rendus visibles, ou bien en donnant à la substance même de leur corps une forme réelle et sensible, le saint docteur ne saurait le dire. De plus, Dieu confie aux bons anges auprès des hommes des missions temporaires. Ils nous annoncent les volontés de Dieu et lui offrent nos prières ; ils veillent sur nous, nous aiment, nous secourent ; ils reçoivent même la garde des nations infidèles.. Nulle part cependant, le saint docteur n’assigne expressément un ange gardien à chaque homme en particulier. Enfin les bons anges sont préposés aux éléments et aux grands corps de l’univers, et ils maintiennent l’ordre de la nature en aidant ces corps et ces éléments à observer et à réaliser leurs lois : « ut hoc de subditis vel cum subditis agant (angeli) quod naturae ordo poscit in omnibus, iubente illo cui subiecta sunt omnia. ». Notre devoir envers eux est non de les adorer comme des dieux, ni de leur offrir des sacrifices, ni de leur élever des temples, mais de les aimer et de les honorer simplement : « Honoramus eos charitate non servitute. »

L’occupation des mauvais anges, au contraire, est de travailler à nous tromper et à nous perdre. De plus, ils interviennent dans les pratiques de divination et de magie. Saint Augustin rapporte quelques faits de divination, et les explique par la subtilité des sens des démons qui leur permet de percevoir dans notre mémoire et de révéler au devin nos souvenirs secrets. Il explique d’une façon analogue l’action diabolique dans les cas de magie. Cette puissance des démons est d’ailleurs limitée. Dieu ne lui permet de s’exercer que dans la mesure où il veut châtier les méchants, punir les bons de leurs fautes ou même simplement les éprouver.

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