Précis de Patrologie

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La littérature hérétique et apocryphe au IIe siècle

L’Église du deuxième siècle ne dut pas seulement revendiquer, contre les païens, son droit d’exister : elle dut encore, contre les hérétiques, défendre sa foi. A côté des apologistes, elle eut des controversistes et des docteurs. Avant de parler de leurs œuvres, il sera bon de dire un mot des principaux auteurs et écrits qu’ils eurent à combattre et à réfuter. Et nous joindrons à cette première étude un aperçu sur les apocryphes surtout du Nouveau Testament, dont un bon nombre, on le verra, sont en effet sortis de milieux hétérodoxes.

Remarquons seulement, avant de commencer, que, dans bien des cas, nous ne pourrons donner des ouvrages indiqués que le simple titre. Outre que la brièveté s’impose ici à nous, beaucoup de ces ouvrages ne sont, en fait, connus que par leur titre. La littérature hérétique du deuxième siècle a presque entièrement péri, détruite par la guerre que l’Église lui a faite, ou simplement négligée pour son manque d’intérêt. Les sectes une fois mortes, on a laissé mourir aussi leurs productions.

Trois grands mouvements hétérodoxes ont assailli l’Église ou se sont développés dans son sein au iie siècle : le judéo-christianisme, le gnosticisme et le montanisme. On en parlera successivement.

3.1 — La littérature judéo-chrétienne.

Le judéo-christianisme, dont la forme aiguë et franchement hérétique est l’ébionisme, est né d’un attachement excessif de certains chrétiens d’origine juive aux rites et aux prescriptions du mosaïsme. Ces chrétiens regardèrent comme indispensables pour le salut des observances que l’Évangile avait abolies, et ne virent en Jésus qu’un messie humain tel que les juifs l’attendaient. Leur groupe principal se trouvait à Pella, au delà du Jourdain et dans les contrées adjacentes. Parmi les sectes qu’ils formèrent, on distingue les ébionites ordinaires, les ébionites esséniens et les elkasaïtes.

Entre les ouvrages ébionites, il faut mentionner d’abord ceux de Symmaque, le traducteur de l’Ancien Testament en grec (vers 161-211), qui avait de plus composé des commentaires sur un évangile altéré de saint Matthieua ; puis des Voyages de Pierre (περίοδοι Πέτρου) ; puis des Actes des apôtres spéciaux dont se servait la secte et où se trouvaient compris les Degrés de Jacques (οἱ ἀναβαϑμοὶ Ἰακώβου) ; et enfin et surtout les romans clémentins, qui ont été conservés.

aEusèbe, Hist. ecclés., 6.17 ; S. Jérôme, Vir. ill., 54.

On donne à ces écrits le nom de clémentins, parce que le pape Clément de Rome y joue un rôle important et est censé les avoir composés. Ils se présentent à nous sous deux formes : les Homélies grecques et les Récognitions.

Les Homélies, au nombre de vingt, sont précédées d’une lettre de Pierre à Jacques, d’une attestation (διαμαρτυρία) de Jacques et de ses prêtres, enfin d’une lettre de Clément à Jacques, dans laquelle il lui annonce qu’il lui envoie le résumé des prédications de Pierre. Suivent les vingt homélies. Elles sont un mélange d’histoires plus ou moins fantaisistes et de controverses théologiques. Clément y raconte sa propre conversion et ses voyages en compagnie de saint Pierre, à la poursuite de Simon le magicien. Mais il y expose surtout la prétendue doctrine de Pierre, doctrine ébionite qui fait de la révélation chrétienne une simple restauration de la révélation mosaïque, et de celle-ci une restauration de la révélation primitive.

Les Récognitions, que nous n’avons plus que dans une traduction latine assez infidèle de Rufin, offrent un fond analogue à celui des Homélies. Le titre de Récognitions vient de ce que Clément, d’après les récits fictifs qui encadrent dans les deux ouvrages les discussions doctrinales, retrouve dans ses voyages son père, sa mère et ses deux frères qu’il avait perdus.

[Outre ces deux textes principaux, on a des romans clémentins : a) une compilation syriaque qui combine les deux textes ; b) deux épitomes grecs qui résument les Homélies, et c) deux épitomes arabes qui résument les Homélies et les Récognitions.]

D’après les travaux de Waitz et de Harnack, les Homélies et les Récognitions sont deux remaniements, indépendants l’un de l’autre, d’un écrit antérieur qui portait peut-être le titre de Résumé fait par Clément des discours locaux de Pierre (Κλήμεντος τῶν Πέτρου ἐπιδημίων κηρυγμάτων ἐπιτομή) ou de Voyages de Pierre (racontés) par Clément (Περίοδοι Πέτρου διὰ Κλήμεντος, v. supra). Cet écrit lui-même en aurait synthétisé deux autres plus anciens, les Prédications de Pierre (Κηρύγματα Πέτρου) nettement ébionites-gnostiques, et les Actes de Pierre (Πράξεις Πέτρου) antignostiques. Les Homélies et les Récognitions, et même l’écrit qu’elles ont directement remanié seraient l’œuvre d’auteurs orthodoxes, qui ont voulu faire avant tout de l’apologie édifiante, mais qui n’ont pas suffisamment effacé, dans leur rédaction, les traits judéo-chrétiens contenus dans les Κηρύγματα. M. Harnack met la rédaction des Homélies et des Récognitions au ive siècle, à Rome ou en Syrie ; celle de l’écrit qu’elles ont remanié entre 225-300, à Rome ; et enfin la composition des deux ouvrages primitifs vers l’an 200.

A Elkasaï, le fondateur (problématique) de la secte des elkasaïtes, on attribuait un Livre d’Elkasaï qu’un certain Alcibiade apporta à Rome vers 220-230 (Philosophoumena, ix, 13 et suiv.). Saint Épiphane mentionne encore un livre de Jexaï, frère d’Elkasaï, employé par la secte (Haer. xix, 1 ; liii, 1).

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