Précis de Patrologie

9
Les écrivains de l’Asie Mineure et de la Thrace

9.1 — Saint Basile.

Saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse forment le groupe que l’on a appelé des « grands Cappadociens ». Étroitement unis par le sang et l’amitié, ils ont contribué à faire triompher en Orient et surtout en Asie Mineure la foi des conciles de Nicée et de Constantinople. Au point de vue du talent, on peut dire qu’ils se complètent : Basile plus homme de gouvernement et d’action ; Grégoire de Nazianze plus orateur ; Grégoire de Nysse plus philosophe. Des trois le mieux doué était assurément saint Basile.

Saint Basilea est né vers l’an 330, à Césarée de Cappadoce, d’une famille depuis longtemps et profondément chrétienne. Sa grand’mère paternelle, sainte Macrine, avait été la disciple de saint Grégoire le Thaumaturge ; le père de sa mère avait été martyr. Des dix enfants dont saint Basile fut l’aîné trois furent évêques, Basile, Grégoire et Pierre ; l’aînée des filles fut religieuse. C’est dans ce milieu de foi que Basile fut élevé d’abord par son père, rhéteur et avocat distingué. Il fréquenta ensuite les écoles de Césarée, puis celles de Constantinople et enfin, pendant quatre ou cinq ans, celles d’Athènes où il se lia avec Grégoire de Nazianze d’une indissoluble amitié. De retour à Césarée en 356, il se fit baptiser, et, résolu à se faire moine, visita les plus célèbres ascètes de l’Egypte, de la Palestine et de la Mésopotamie. Revenu une seconde fois dans sa patrie, il établit, sur les bords de l’Iris, et à l’imitation d’Eustathe de Sébaste, une colonie de moines qui partageaient leur temps entre la prière, l’étude et le travail des champs.

a – Voir L. Roux, Étude sur la prédication de Basile le Grand, Strasbourg, 1867. E. Fialon, Étude historique et littéraire sur S. Basile, 2e éd., Paris, 1869. A. Bayle, S. Basile, archevêque de Césarée, Avignon, 1878. Vasson, S. Basile le Grand, ses œuvres oratoires et ascétiques, Paris, 1894. P. Allar, S, Basile (Coll. Les saints), Paris, 1889.

En 360, il dut quitter sa solitude pour accompagner à Constantinople l’évêque de Césarée, Dianius. Dianius, mort en 362, reçut pour successeur Eusèbe. Une brouille momentanée sépara d’abord Basile du nouvel évêque. Mais celui-ci reconnut son tort, éleva Basile au sacerdoce et se l’attacha. En 370, après une élection laborieuse, Basile montait à son tour sur le siège de Césarée.

Dès lors, son activité se partagea entre deux occupations : à l’intérieur, instruire son peuple et en soulager les misères par des fondations de bienfaisance ; au dehors, s’opposer aux ariens et aux tentatives de Valens, mais surtout attirer les dissidents à la foi de Nicée, pacifier l’Église d’Antioche divisée, solliciter l’appui de l’Occident et des latins. Ce fut le travail de son épiscopat, dont il ne vit pas malheureusement le succès final. Il mourut le 1er janvier 379.

Au lendemain même de sa mort, saint Basile fut surnommé le Grand. Grand, il le fut vraiment de toute façon, par son intelligence, par sa parole, par son caractère. L’Église a possédé peu d’hommes aussi complets et aussi bien équilibrés. On a dit de lui qu’il était « un romain parmi les grecs » : le mot est juste. L’éloquence de saint Basile est moins savante, moins recherchée que celle de Grégoire de Nazianze ; mais son esprit est plus solide, plus judicieux, plus pratique : son discours est plus familier et plus simple. Par la force de son caractère, par son art de mener les hommes, il a exercé sur ses contemporains une influence décisive. Les difficultés ne l’ont jamais arrêté ; l’insuccès ne l’a pas abattu : jusqu’au bout il a lutté pour la vérité et pour la paix. Aussi l’Église d’Orient, pour qui il s’était tout entier dépensé, l’a-t-elle mis au premier rang de ses grands docteurs œcuméniques : docteur par ses exemples autant que par ses écrits.

On peut distinguer dans l’œuvre littéraire de saint Basile les traités dogmatiques, les discours et les homélies, les ouvrages ascétiques et liturgiques, les lettres.

I. Dogme.

Deux traités de saint Basile se rapportent plus spécialement au dogme :

1° Le traité Contre Eunomius (Ἀνατρεπτικὸς τοῦ ἀπολογητικοῦ τοῦ δυσσεβοῦς Εὐνομίου). L’auteur y réfute l’Apologétique d’Eunomius dont il a été question ci-dessus. Cette réfutation compte actuellement cinq livres ; mais il est avéré que, seuls, les trois premiers sont de saint Basile. Le premier combat l’erreur qui fait de l’innascibilité l’essence de Dieu ; le deuxième prouve que le Fils est consubstantiel au Père ; et le troisième que le Saint-Esprit est Dieu. L’ouvrage date de 363-365.

2° La question de la divinité du Saint-Esprit forme l’objet exclusif du second traité dogmatique de saint Basile, Sur le Saint-Esprit, composé en 375 et adressé à Amphiloque. Il répond aux difficultés que soulevaient les pneumatomaques contre la divinité et la consubstantialité de la troisième personne de la Trinité. On a remarqué que l’auteur, tout en démontrant et supposant cette consubstantialité, évite cependant les formules explicites et trop tranchantes : simple précaution, remarque déjà saint Grégoire de Nazianze, pour ne pas froisser des adversaires qu’il s’agissait de ramener au vrai.

II. Discours et homélies.

Des homélies éditées sous le nom de saint Basile, il faut retenir comme authentiques : 1° les neuf homélies sur l’Hexaemeron, un des ouvrages les plus populaires de l’auteur, explication littérale des œuvres des cinq premiers jours de la création : le sixième jour manque. 2° Treize homélies sur les psaumes 1, 7, 14, 28, 29, 32, 33, 44, 45, 48, 59, 61, 114 (Septante). D’autres ont dû se perdre : l’exégèse est allégorique et vise à l’édification. 3° Vingt et une homélies sur divers sujets (P. G., xxxi), la deuxième et la dix-septième cependant sont à rejeter ; la vingt-deuxième n’est pas une homélie, mais un petit traité fort intéressant, et qui a été très lu, sur la façon d’étudier les classiques païens et sur l’utilité qu’on en peut retirer. — Quant aux sermons donnés au tome xxxi, col. 1429-1514, ils sont à exclure de l’œuvre de saint Basile, sauf peut-être le sermon In sanctam Christi generationem et le sermon Adversus eos qui per calumniam dicunt dici a nobis deos tres.

III. Ascétisme et liturgie.

Si saint Basile n’a pas été le premier fondateur du monachisme en Asie Mineure, il en a été le législateur. Ses écrits ascétiques sont une des parties les plus importantes de son héritage littéraire. Tout sans doute n’y est pas original, et il est probable que, dans bien des cas, l’auteur n’a fait qu’y codifier des prescriptions et des usages déjà existants. Ils n’en ont pas moins servi de règle au seul grand ordre religieux qu’ait possédé l’Orient, et ont exercé sur l’Occident, par l’intermédiaire de saint Benoît, une influence certaine.

Parmi les écrits ascétiques de saint Basile il faut regarder comme sûrement authentiques : 1° Le traité ou sermon De judicio Dei et le traité ou sermon De fide qui précèdent les Moralia et les annoncent. 2° Les Moralia (τὰ ἠϑικά) qui comprennent quatre-vingts règles ne définissant pas spécialement les devoirs des moines, mais ceux généralement des chrétiens et des pasteurs de l’Église. 3° Les Regulae fusius tractatae ou Grandes Règles, ordinairement énoncées sous forme de réponses à des questions. Elles comprennent actuellement cinquante-cinq chapitres : il est possible que le texte en ait reçu des retouches même du vivant de l’auteur et de sa main. On en met la composition en 358-359 ou 362-365. 4° Les Regulae brevius tractatae, ou Règles courtes, au nombre de trois cent treize, aussi par questions et par réponses, mais qui résolvent plutôt des cas de conscience. Elles sont postérieures aux Grandes Règles.

On peut regarder comme assez probable, bien qu’avec des réserves, l’authenticité de la Praevia institutio ascetica, qui présente le moine comme le soldat de Dieu, du Sermo asceticus de renuntiatione saeculi et du Sermo de ascetica disciplina quomodo monachum ornari oporteat, recueil de sentences vives et tranchantes. Les autres pièces sont ou fort douteuses ou sûrement à rejeter.

Quant à l’œuvre liturgique de saint Basile, on en peut trouver la substance dans la liturgie qui porte son nom et dont les Églises d’Orient se servent encore. Mais il est évident que cette liturgie a subi, au cours des siècles, bien des modifications.

IV. Lettres.

Les lettres de saint Basile sont peut-être de tous ses écrits celui où se montrent le mieux la finesse de son esprit, la grandeur sympathique de son caractère et la perfection de son style. L’édition bénédictine de ses œuvres en compte trois cent soixante-cinq, divisées en trois catégories : lettres antérieures à l’épiscopat, de 357 à 370 (i-xlvi) ; lettres de l’épiscopat, de 370 à 373 (xlvii-ccxci) ; lettres de date incertaine, douteuses ou non authentiques (ccxcii-ccclxv). Depuis l’édition des mauristes, deux autres ont été retrouvées. Ces lettres traitent d’ailleurs des sujets les plus divers, depuis les plus humbles jusqu’aux plus relevés et à ceux qui touchent à la vie de l’Église universelle.

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