Précis de Patrologie

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Les écrivains de l’Occident

Pendant que l’Orient était tout occupé des controverses trinitaires et christologiques, l’Occident, sans y rester complètement étranger, tournait son attention vers les questions d’ordre plus pratique soulevées par les hérésies priscillianiste, donatiste et pélagienne. Les écrivains qu’il produisit alors — et dont un au moins, saint Augustin, dépasse en puissance d’esprit les meilleurs des Grecs, — sans se rattacher à des écoles proprement dites, forment cependant des groupes à tendances parfaitement reconnaissables. Hilaire, Rufin, Cassien, Jérôme lui-même se sont largement inspirés des grecs : saint Augustin, saint Léon, saint Ambroise — ce dernier malgré ses emprunts — sont des génies exclusivement latins : de leur côté, les théologiens de Lérins ont un air de famille commun. Tous les genres de littérature religieuse ont d’ailleurs été cultivés parmi eux, et jusque dans la poésie ils peuvent montrer, en Prudence, un véritable maître. L’apologétique elle-même — qui décline naturellement, ou du moins qui change d’objet avec la victoire du christianisme — est encore dignement représentée et, après le curieux écrit De errore profanorum religionum de Firmicus Maternes (346-350), produit le grand ouvrage de saint Augustin Sur la cité de Dieu.

Nous allons, dans ce chapitre, donner un aperçu des principaux écrivains qui ont illustré, à l’époque que nous envisageons, l’Église latine, en le faisant précéder toutefois, comme pour les écrivains grecs, de courtes indications sur les auteurs hétérodoxes de cette même époque.

12.1 — Écrivains hétérodoxes.

Les principales manifestations hérétiques qui se produisirent en Occident au ive et au ve siècle vinrent de l’arianisme, du novatianisme, du donatisme, du manichéisme, du priscillianisme, du pélagianisme ou encore de quelques erreurs isolées. Nous les parcourrons successivement.

I. Si l’on excepte quatre ou cinq évêques plus zélés pour elle, la cause arienne ne compta point, au ive et au ve siècle en Occident et dans le monde romain, de partisans qui lui fussent sérieusement attachés. Les noms de Potamius de Lisbonne (355-357), de Germinius de Sirmium (366), d’Auxence de Dorostorium et de Maximin, l’évêque goth qui se mesura plus tard avec saint Augustin, se lisent seulement en tête de quelques lettres, dissertations et sermons de doctrine arienne plus ou moins prononcée. Un certain Candidus est l’auteur d’un traité Sur la génération divine (P. L., viii) que réfuta Marius Victorinus. D’autres ouvrages ariens sont anonymes. Mais on connaît bien le chorévêque Ulfila († vers 383), le premier traducteur de la Bible en langue gothique et le propagateur de l’hérésie chez les Goths de la Mésie inférieure. On sait qu’il avait écrit des sermons et des commentaires qui sont perdus. Une confession de foi de lui, qui s’est conservée, est peu explicite sur le Fils, mais très nette contre la divinité du Saint-Esprit (Hahn, Biblioth., § 198).

II. De la littérature novatienne nous connaissons surtout l’existence de quatre écrits au moins que le novatien Sympronianus envoya à Pacien de Barcelone, et que celui-ci a réfutés.

III. La rigueur novatienne se retrouvait en partie dans le donatisme qui troubla si longtemps et si profondément l’Église d’Afrique, et qui se rattachait, par sa doctrine sur les sacrements, au parti rebaptisant de saint Cyprien. Le donatisme a été l’occasion d’une littérature énormea et les donatistes que l’on peut qualifier d’écrivains ont été assez nombreux. Il faut nommer : Donat le Grand, successeur de Majorinus sur le siège de Carthage (313-vers 355), qui avait écrit « nombre d’opuscules en faveur de son hérésie » (S. Jérôme, Vir. ill., 93), entre autres une Lettre sur le baptême (vers 336), réfutée par saint Augustin, et un livre Sur le Saint-Esprit (vers 345) entaché de subordinatianisme. — Puis Vitellius (337-350), auteur d’ouvrages apologétiques, polémiques, disciplinaires ou dogmatiques, tous perdus (Gennadius, Vir. ill., 4). — Macrobius (Genn., Vir. ill., 5), auteur d’un livre aux confesseurs et aux vierges que certains critiques identifient avec le De singularitate clericorum (parmi les spuria de saint Cyprien) : les manuscrits lui attribuent aussi la Passion des saints Maximin et Isaac, qui peut être de 366. — Parménien le successeur de Donat à Carthage(355-391 environ), qui écrivit, vers 362, les Cinq traités contre l’Église des traditeurs réfutés par saint Optat, et une Lettre à Tyconius (vers 378) réfutée par saint Augustin. — Tyconius, que saint Augustin qualifie de « acri ingenio praeditum et uberi eloquio ». Tyconius était un esprit indépendant qui se sépara des donatistes sur la question de l’Église et en fut excommunié, sans se rallier cependant aux catholiques. Outre deux ouvrages (perdus) sur la question donatiste, il avait écrit (vers 382) un Liber regularum ou De septem regulis, exposé des principes généraux de l’herméneutique, qui est conservé et que saint Augustin et Cassiodore ont apprécié. De lui également un commentaire sur l’Apocalypse dont on a des citations, et qui rompait définitivement avec l’interprétation littérale de l’œuvre de saint Jean. — Petilianus, auteur de plusieurs lettres réfutées par saint Augustin et d’un livre Sur l’unité du baptême (vers 409). — Cresconius, auteur d’une Lettre à saint Augustin (401). — Emeritus, prédicateur (412-418). — Fulgentius, auteur d’un traité Sur le baptême (412-420). — Et enfin Gaudentius (vers 420), combattu par saint Augustin.

a – Voir le bilan dressé par P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, iv, 487-510.

IV. Cependant le donatisme n’occupait pas seul l’évêque d’Hippone. En même temps que celui-ci réfutait les donatistes, il avait affaire avec les manichéens dont il avait autrefois partagé les erreurs. Nous sommes fort peu renseignés sur la littérature de cette secte à cette époque. Le livre d’Adimantus sur l’opposition de l’Ancien et du Nouveau Testament est peut-être antérieur à cette période ; mais il y faut mettre sûrement celui de Fauste, qui enseignait à Carthage en 383 et 386, et que saint Augustin a longuement réfuté ; ceux de Félix, avec qui saint Augustin a discuté en décembre 404 ; la lettre de Secundinus à l’évêque d’Hippone, que nous avons encore (P. L., xlii, 571-578) et qui donna lieu au Contra Secundinum manichaeum en 405 ; d’autres écrits encore certainement sur lesquels nous ne possédons que des indications générales et imprécises.

V. Du manichéisme on peut rapprocher le priscillianisme qui lui avait emprunté, pensent les anciens auteurs, plusieurs de ses doctrines, et qui agita sérieusement, à la fin du ive siècle, l’Espagne et l’Aquitaine. L’évêque d’Avila, Priscillien (vers 380), qui a donné son nom à la secte, a laissé des Canons sur les épîtres de saint Paul au nombre de quatre-vingt-dix, qui en présentent comme un résumé et qui nous ont été transmis par un certain Pérégrinus. De plus, Orose (Commonitorium) a cité de lui un fragment de lettre d’une couleur manichéenne prononcée. Quant aux onze traités édités par Schepss en 1889, on n’avait point douté qu’ils ne fussent aussi de Priscillien, jusqu’à ce que D. Morin (1913) les eût revendiqués pour un autre priscillianiste, Instantius. Ces traités comprennent une apologie de la secte, une supplique au pape Damase (381-382), un mémoire sur les livres apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament, sept homélies et une prière liturgique. — Puis, après Priscillien et Instantius, il faut nommer, parmi les écrivains priscillianistes, l’évêque d’Astorga, Dictinius, auteur d’un livre intitulé la Balance (Libra) et d’autres œuvres fort lues, et le poète Latronianus (S. Jérôme, Vir. ill, 122). Enfin D. Morin a édité un traité De Trinitate fidei catholicae, anonyme, qui paraît bien venir de la secte, comme on est disposé aussi à en faire venir les Prologues monarchiens sur les Évangiles et une Regula censoria monachorum, qui se trouve à la suite des œuvres de saint Benoît.

VI. Bien plus importante et, en un sens, plus redoutable que le priscillianisme, fut l’hérésie pélagienne, contre laquelle saint Augustin dut déployer toutes les ressources de son génie. Le père de cette hérésie était le moine breton Pélage, dont il reste une Épître à Démétriade écrite vers 412 ou 413, et un Libellus fidei adressé au pape innocent en 417. On sait qu’il avait aussi composé des traités Sur le libre arbitre et Sur la nature qui ne sont connus que par des citations. C’est également par des citations que nous connaissons les ouvrages du moine Celestius, son disciple. Quant à l’évêque Julien d’Éclane, un autre de ses disciples, nous possédons en grande partie, par saint Augustin, le texte des objections qu’il avait formulées contre la doctrine de la grâce dans ses Libri IV et Libri VIII adversus Augustinum ; mais de plus on lui a récemment restitué quatre commentaires sur Osée, Joël, Amos et Job dont il est le véritable auteur. Enfin, l’évêque breton pélagien Fastidius (début du ve siècle) a laissé un traité De la vie chrétienne, un autre Sur les richesses et cinq lettres que nous avons encore. On sait assez que la doctrine pélagienne se résumait dans une négation du péché originel et de la nécessité de la grâce pour l’accomplissement des œuvres surnaturelles méritoires.

Restent les trois hérétiques Helvidius, Jovinien et Vigilanceb que saint Jérôme a si vigoureusement réfutés. Tous trois avaient soutenu leurs erreurs dans des ouvrages que nous n’avons plus ou dont il ne reste que quelques fragments conservés par saint Jérôme. Le premier niait la perpétuelle virginité de Marie et la supériorité du célibat sur l’état du mariage : saint Jérôme le combattit vers l’an 383. Le second, qui était moine, niait aussi que l’état du mariage fût inférieur à celui du célibat, et prêchait, au fond, le salut par la foi seule et l’inutilité des bonnes œuvres : il fut condamné par un synode romain en 390, et mourut avant l’an 406. Le troisième, originaire d’Aquitaine et prêtre, critiquait la vie monastique et le culte des saints. Les écrits de saint Jérôme contre lui sont de 404 et 406.

b – Voir A. Réville, Vigilance de Calagurris, Paris 1902.

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