Précis de Patrologie

13.6 — Historiens et hagiographes. Evagrius.

Plus que l’exégèse, l’histoire et surtout l’hagiographie trouvèrent à notre époque des auteurs qui s’y exercèrent avec succès. On ne sait presque rien de la personne de Gélase de Cyzique en Propontide, sinon que son père fut prêtre à Cyzique et que lui-même composa en Bithynie, vers 475-476, l’ouvrage dont il va être question. Cet ouvrage est une histoire du concile de Nicée en trois livres, dont Gélase dit avoir puisé les éléments dans « un très vieux livre écrit sur parchemin » que son père lui avait transmis, dans le récit d’un prêtre nommé Jean, « homme ancien et habile écrivain », et dans les écrits d’historiens plus récents. Mais le vieux livre et le récit de Jean sont très probablement des mythes, et l’Histoire de Gélase n’est au fond qu’une compilation « où abondent les erreurs » des travaux d’Eusèbe, de Rufin, de Socrate et de Théodoret. Les deux premiers livres seuls en sont complètement connus.

Un peu plus tard, au commencement du vie siècle, un lecteur de Sainte-Sophie à Constantinople, nommé Théodore, composait d’abord en quatre livres une Histoire tripartite tirée des ouvrages de Socrate, de Sozomène et de Théodoret ; puis y ajoutait un supplément indépendant, également en quatre livres, qui poussait le récit jusqu’au règne de Justin Ier (518). Le premier ouvrage est encore inédit ; du second on ne possède que des fragments.

Le véritable historien digne de ce nom qu’a possédé le vie siècle est Evagrius. Il était né à Epiphanie, en Célésyrie, vers l’an 536, et exerça à Antioche la profession d’avocat, d’où son surnom de Scolastique. Intimement lié avec le patriarche Grégoire, il plaida sa cause, en 588, devant l’empereur Maurice avec tant de succès que celui-ci le combla d’honneurs. On ne sait à quelle date il mourut, mais ce fut sûrement après l’année 594.

Des écrits d’Evagrius il ne subsiste que l’Histoire ecclésiastique, en six livres, son principal titre littéraire. Elle se présente comme une continuation de Socrate, de Sozomène et de Théodoret, et commence au concile d’Éphèse en 431 pour aller jusqu’à la douzième année de l’empereur Maurice, en 594. L’auteur s’est fait une haute idée de son entreprise ; il a sérieusement étudié son sujet, consulté les sources ; il cite les documents originaux, lettres, écrits, rapports officiels ; mais il a conservé pour le merveilleux l’attrait et la crédulité de son temps. Sa narration, bien conduite dans l’ensemble, est parfois défectueuse dans la disposition des détails. Quant au style, on peut lui reprocher une certaine emphase : cependant Photius le trouvait agréable bien qu’un peu diffus. En somme l’Histoire d’Evagrius est la meilleure, que nous possédions dans l’antiquité, des hérésies nestorienne et monophysite.

A côté des histoires proprement dites il faut placer les chroniques. Evagrius a cité une chronique d’Eustathius d’Epiphanie qui s’arrêtait à l’an 502, et une autre de Jean le Rhéteur, d’Antioche probablement, qui atteignait l’an 526. Ces ouvrages sont perdus ; mais nous possédons la Chronique dite pascale, parce qu’elle débute par une longue discussion sur la fixation annuelle de la fête de Pâques. Elle embrasse l’histoire du monde depuis la création jusqu’à la vingtième année d’Héraclius (630), et ajoute aux indications chronographiques des notices historiques importantes surtout pour les premières décades du viie siècle. L’auteur en devait appartenir au clergé de Constantinople, et à dû achever son ouvrage peu après 630.

Avant de passer aux hagiographes, mentionnons ici une œuvre originale de géographie et de cosmographie, la Topographie chrétienne du monde (Χριστιανικὴ τοπογραφία παντὸς κοσμοῦ) de Cosmas surnommé le navigateur des Indes (Ὁ ἰνδικοπλεύστης). Cosmas était un commerçant alexandrin qui, sous Justin et Justinien, visita, dans ses longs voyages, la mer Rouge, le golfe Persique, Ceylan et les côtes de l’Inde ; puis, de retour en Egypte, fatigué de ses pérégrinations, se fit moine et consacra le reste de sa vie à écrire. Des ouvrages d’exégèse et de cosmographie qu’il dit lui-même avoir composés, il ne subsiste que sa Topographie, qui date de 547. C’est, en douze livres, un singulier mélange des hypothèses les moins scientifiques sur la forme de la terre et les principaux phénomènes qui s’y passent — hypothèses données comme des vérités révélées — et des renseignements les plus intéressants sur les choses que l’auteur a vues et les pays qu’il a parcourus. Cosmas a observé avec soin, et ses descriptions sont vivantes et sincères ; mais son style est médiocre.

Les vie et viie siècles ont été par excellence les siècles des hagiographes. A cette époque, les saints personnages, évêques ou moines, trouvèrent aisément, après leur mort, des auteurs qui racontèrent leur vie, et cette forme d’écrits devint encore, entre les mains des factions théologiques, une manière d’apologie pour plaider leur cause et justifier leurs idées. Le meilleur de ces hagiographes au vie siècle est Cyrille de Scythopolis. Il était né, vers 522, à Scythopolis, l’ancienne Bethsan de la Bible, connut saint Sabas en l’an 532, et en 544 entra au monastère de saint Euthyme. De là, il passa dans la Nouvelle Laure près de Jérusalem en 554, et en 557 dans la Grande Laure de saint Sabas où il finit sa vie. Ce qui distingue Cyrille, c’est le souci de l’exactitude, le soin qu’il a pris pour s’informer et n’avancer que des choses certaines. Il est très attentif surtout à l’ordre chronologique. Aussi, malgré son amour du merveilleux qui lui est commun avec tous les auteurs du temps, passe-t-il pour un des hagiographes les plus dignes de foi de l’antiquité. On a de lui une Vie de saint Euthyme, qui est de 555, une Vie de saint Sabas, de 556, et cinq Vies, plus courtes, de saint Jean le Silentiaire (557), de saint Cyriaque l’Anachorète († 556), de saint Théodose le Cénobiarque († 529), de saint Théognius évêque de Béthélie († 522), et de saint Abramius évêque de Cratée et moine au couvent de Scholarios. — La vie de saint Théodose avait été déjà écrite en 547 par un de ses moines nommé Théodore, devenu plus tard évêque de Pétra, et celle de saint Théognius, vers l’an 526, par l’abbé Paul d’Elusa en Idumée.

Après Cyrille, il suffira de nommer, à la fin du vie siècle, le prêtre Eustrate de Constantinople, auteur d’une Vie du patriarche Eutychius (552-582) et, au commencement du viie siècle, le patriarche d’Alexandrie Jean l’Aumônier († 617), auteur d’une Vie de saint Tychon. Jean l’Aumônier lui-même eut un premier biographe dans le célèbre moine Jean Moschus.

Il est difficile de retracer en détail et d’une façon précise la carrière de Moschus. Il entra au cénobium de Théodose vers l’an 575, résida successivement dans diverses laures et, après un séjour aux environs d’Antioche, passa en Egypte vers l’an 605, en compagnie de son ami Sophronius. Il y resta une huitaine d’années, en rapport avec les plus fameux solitaires. L’arrivée des Perses le força d’en partir. Fuyant jusqu’à Rome, il y composa Le Pré (Λειμών), que les Latins ont appelé Le Pré spirituel, et y mourut en 619, laissant à Sophronius le soin de publier son livre.

Jean a écrit, avec l’aide de Sophronius, une Vie de saint Jean l’Aumônier dont il subsiste une partie ; mais son titre littéraire principal est ce Pré spirituel dont on vient de parler. C’est un recueil d’anecdotes, de récits édifiants, de paroles et de discours instructifs et pieux qu’il avait entendus, dont il avait été témoin ou qu’on lui avait rapportés dans les différents monastères qu’il avait visités. L’ouvrage, écrit en style populaire, eut un succès énorme : il est intéressant et fait connaître au mieux la vie monastique de l’époque ; mais le texte en a subi, au cours des âges, des modifications, suppressions ou additions qui en ont altéré l’intégrité première. Au temps de Photius déjà, les manuscrits ne comptaient pas le même nombre de chapitres. Nos éditions actuelles en portent deux cent dix-neuf.

Après Jean Moschus, il ne reste plus, pour épuiser la liste des principaux hagiographes, qu’à signaler un Léonce de Néapolis en Chypre (première moitié du viie siècle), dont il reste une Vie de saint Jean l’Aumônier, une autre du moine Siméon « devenu fou pour le Christ », quelques sermons et des fragments d’un grand ouvrage contre les Juifs, cité au VIIe concile général ; puis un autre Léonce (même époque) abbé du couvent de Saint-Sabas à Rome, auteur d’une Vie de saint Grégoire de Girgenti ; et enfin un Théodore, évêque de Paphos, en Chypre, qui écrivit, en 655, une Vie de saint Spyridion de Trimithus, le saint populaire de l’île.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant