Le Réveil dans l’Église Réformée

1.1.5 L’Église du Bourg-de-Four.

Organisation des cultes. — Célébration de la sainte Cène. — Nomination des pasteurs Pyt, Gonthier, Méjanel. — Appel adressé à Empaytaz. — Expulsion de Méjanel. — Départ de Pyt pour la France. — Nomination de Guers. — Violentes attaques. — L’Apologie de l’Église indépendante. — Publications diverses. — Consécration des pasteurs. — Maladie et mort de Gonthier. — Nouvelle lutte avec la Compagnie. — Procès de Bost. — Missions continentales. — Fondation d’un Institut. — Les irvingiens à Genève. — Chapelle de la Pélisserie. — Difficultés intérieures. — Schisme. — Dernières années de l’Église.

C’était le 18 mai 1817, par conséquent quinze jours après la promulgation du Règlement que Pyt, Porchat, Guers, Gonthier, Privat et Coulin s’étaient réunis, s’étaient examinés mutuellement sur leur foi, et avaient décidé de fonder une Église indépendante, composée, autant que possible, de vrais croyants.

Drummond, avons nous dit, les avait vivement poussés dans cette voie, et, après avoir, à deux reprises, le 15 août et le 23, examiné de nouveau la question et prié Dieu de les diriger dans une affaire aussi sérieuse, ils avaient constitué définitivement leur Église.

Le 18 août était arrivé à Genève Méjanel, jeune pasteur français, qui avait déjà exercé le ministère à Montauban, où il avait même été président du consistoire ; il revenait alors d’Angleterre. Dès son arrivée à Genève, il avait adressé à la Compagnie des pasteurs, par la voie des journaux, une lettre dans laquelle il témoignait le désir de voir régner dans l’Église la paix et la liberté de conscience la plus

entière (il faisait allusion à l’interdiction de la chaire prononcée contre Malan). Cette lettre était accompagnée d’une lettre de Drummond, qui valut à son auteur la visite d’un conseiller d’État, lequel lui déclara que le gouvernement ne tolérerait pas de secte à Genève.

Méjanel ne fit pas, cette fois, un long séjour à Genève. Il avait des affaires particulières qui l’appelaient à Paris ; les membres de la nouvelle Église ne voulurent pas d’ailleurs le retenir : ils préférèrent même qu’il partît, pour que le gouvernement ne rejetât pas sur un étranger le blâme de leur rupture avec l’Église nationale. A son retour, l’Église serait déjà organisée, et il pourrait, sans soulever aucune objection, travailler avec ses amis.

Les réunions continuèrent donc ; Malan y venait quelquefois, y prenait la parole, mais sans se rattacher à la nouvelle organisation et en devenir un membre actif.

Les assemblées se tenaient dans la salle d’école de Privat, à la Tête-Noire, rue Basse de la Croix d’Or ; il y avait trois cultes le dimanche et un tous les soirs de la semaine.

Le 21 septembre, on célébra la sainte Cène ; c’était chez Drummond, Malan, Méjanel alors de retour, y assistaient, ainsi que Burckhardt, missionnaire de Bâle, de passage à Genève. Ce fut Malan qui la distribua : c’était la première fois que l’on prenait la communion à Genève en dehors de l’Église nationale depuis la Réformation.

Vint ensuite la question des pasteurs. L’élection eut lieu le 22 septembre ; elle devait se faire au scrutin de liste : Malan, désigné le premier, n’accepta pas ; Méjanel, Gonthier et Pyt, dont les noms venaient après le sien, furent alors nommés.

Le dimanche 5 octobre, la sainte Cène fut célébrée dans le local de la Tête-Noire, en présence de l’Église indépendante toute entière. Pyt, quoique non consacré, présida cette cérémonie.

Puis, ce local de la Tête-Noire devenant insuffisant à cause de l’augmentation du nombre des membres de l’Église, on loua, dans le centre de la ville, près de l’Écu de France, un appartement qui fut arrangé en salle de culte.

Peu après on adressa un appel à Empaytaz, qui voyageait alors avec Mme de Krüdener. Les membres de la « petite Église » (comme on l’a appelée longtemps) le prièrent de venir se joindre à eux, pour renforcer la prédication de Méjanel, qui, paraît-il, laissait beaucoup à désirer ; Empaytaz revint donc à Genève et, après quelques mois de mutuelle observation, pendant lesquels il étudiait la marche de l’Église, et l’Église de son côté recherchait s’il n’avait pas adopté certaines idées mystiques de Mme de Krüdener, il entra à son service et en devint l’un des pasteurs.

Le 28 décembre, on ouvrit une École du dimanche. On s’occupait aussi d’une petite assemblée qui se tenait à Saint-Gervais et qui était le reste de celle qu’Empaytaz y avait établie autrefois ; enfin Méjanel proposait d’établir à Ferney une assemblée dans laquelle tous iraient prêcher tour à tour le dimanche.

L’année 1818 s’ouvrit pour eux par une épreuve qu’ils ressentirent bien vivement. Méjanel, comme Français, ne séjournait à Genève qu’avec l’autorisation de la police. A la requête de la Compagnie, on lui enjoignit de quitter le canton dans le délai de vingt-quatre heures (16 janvier 1818).

Cependant, il resta quelques semaines encore à Genève, put échapper à la surveillance de la police et présider plusieurs cultes. L’Église s’accroissait de jour en jour, et bientôt elle compta quatre lieux de réunion, situés pour ainsi dire aux quatre coins de la ville.

Une autre forme de l’activité de ses membres était les publications religieuses : notons la traduction du traité d’Haldane : Emmanuel ou Vues scripturaires sur Jésus-Christ, destiné à mettre en lumière la divinité du Sauveur ; — celle d’un autre traité, qui insistait sur l’unité de Christ et de l’Église, intitulé : Le Vieillard d’Ellacombe. Malan le distribua largement à ses élèves (il était alors régent au Collège). Ce traité excita la mauvaise humeur et la verve sarcastique de Chenevière, qui en parodia le titre ; il en fit : « Le vieux Lacombe. » C’était le nom d’un voiturier, alors connu de tout Genèvea. Drummond, aidé de Marc Dejoux, fit réimprimer, outre la Bible de Martin, l’Institution chrétienne de Calvin.

a – Guers, op. cit., p. 222.

Méjanel et Guers traduisirent de l’anglais le récit de la conversion du théologien Thomas Scott, récit intitulé : La Force de la Vérité.

Tous ces écrits, parus en 1817, formaient, pour ainsi dire, la contre-partie des attaques de la Compagnie, quoiqu’ils ne fussent pas, à proprement parler, polémiques. Des circonstances nouvelles allaient obliger l’Église indépendante à agir directement sur l’opinion publique.

Méjanel avait quitté Genève le 4 mars 1818. Il alla d’abord à Nyon, puis en France, où il entra au service de la Société continentale de Londres.

Pyt, collègue de Méjanel, tourna aussi les yeux vers la France et partit pour Saverdun. Tous deux furent remplacés en avril 1818 par Guers et Empaytaz. Le mouvement d’accroissement de l’Église ne se ralentissait pas. La salle, louée près, de l’hôtel de l’Écu de France ne suffit plus : on offrit alors aux dissidents un local plus spacieux et d’un abord plus facile, dans le quartier de Rive ; il fut accepté avec empressement.

Mais à peine installés dans cette nouvelle salle (juillet 1818), les membres de l’Église furent l’objet d’une violente agression : des enfants, puis des jeunes gens, enfin des hommes faits, attroupés devant le lieu des assemblées, troublèrent le culte par des huées et des clameurs injurieuses, au milieu des quelles on distinguait : « A bas Jésus-Christ ! à bas les Moraves ! à mort, à la lanterne ! … » Il y eut des coups de pierre, des poursuites dans les rues, etc. Les réunions furent interrompues, et la personne chez qui on s’assemblait dut momentanément abandonner sa demeure pour la nuit.

Devant de pareils faits, la nouvelle Église crut qu’il était de son devoir d’éclairer l’opinion publique à son sujet. Guers publia d’abord une brochure anonyme où, sous la forme d’un dialogue entre un jeune homme faisant partie des agresseurs et un illuminé (c’était le nom qu’on leur donnait), il cherchait à dissiper les préventions du public à leur égard et à calmer son irritation.

Mais un écrit beaucoup plus important fut l’Apologie de l’Église indépendante, publiée dans le même but et ayant un caractère vraiment officiel.

Elle portait ce titre : « Les membres de l’Église nouvellement formée à Genève, à ceux d’entre leurs concitoyens qui ont pris une part directe ou indirecte aux actes de violence exercés contre euxb. » Elle avait pour épigraphe : Notre loi condamne-t-elle un homme sans l’avoir ouï auparavant et sans s’être informé de ses actions (Jean.7.51).

b – Genève, 1818. Guers, op. cit., p. 140 et suiv.

Après avoir exposé les violences matérielles qui ont succédé aux attaques par le ridicule, et avoir invoqué la liberté de conscience et la liberté de culte, l’Apologie examine les diverses accusations portées contre la nouvelle Église.

On lui reproche : de renier Dieu pour ne croire qu’en Jésus-Christ ; il est inutile de discuter une pareille accusation.

On lui reproche : de n’avoir formé ces réunions que par l’appât du gain, et d’avoir employé ce moyen ou celui de la contrainte pour y entraîner quelques personnes. C’est une pure calomnie : les pasteurs de la nouvelle Église ne sont pas payés : ils n’ont jamais employé ce moyen, ni celui de la contrainte, ni aucun autre semblable pour attirer personne : les pauvres ne sont soutenus que par ce que les faibles ressources des autres membres permettent de leur donner. Il est donc impossible d’alléguer un seul fait pour prouver cette accusation.

On reproche à la nouvelle Église : de s’occuper de visions, de songes, de révélations, et d’autres choses semblables. La plus légère enquête suffira pour prouver qu’on l’a confondue gratuitement avec une assemblée de visionnaires qui se tient ou s’est tenue à Genève.

On lui reproche : de haïr les hommes, de tramer des complots contre le repos public, etc. Inutile de répondre.

On lui reproche : de ne pas mettre assez de décence dans le culte.

[Voici, en effet, ce qu’on disait entre autres choses : il paraît que nos puritains enchérissent sur les méthodistes de la Grande-Bretagne en donnant beaucoup plus qu’eux dans leur culte à l’imagination et aux sens. Quelques-uns d’entre eux font usage du magnétisme qui, comme on le sait, dispose les âmes à recevoir des impressions vives. D’autres ne dédaignent pas d’appeler à leur aide les pratiques de la fantasmagorie et les accords d’une musique profane. Une lampe qui s’éteint inopinément, au moment où l’orateur parle de la fin du monde, ou qui s’éteint par degrés pour représenter l’agonie du pécheur, un tuyau d’orgue qui mugit pour figurer les angoisses des damnés, sont des artifices familiers aux entrepreneurs de ces lugubres mômeries. — On racontait aussi des choses vraiment scandaleuses. (Revue genevoise, II, 184, novembre 1819.)]

A toutes ces sottises, l’Apologie ne répond qu’un mot : Venez et voyez. Il est en effet très facile de se former sur ce point une opinion d’après les faits. Les magistrats eux-mêmes, fort bien instruits de ce qui se passe dans ces assemblées, ont déclaré plusieurs fois qu’il ne s’y faisait et ne s’y disait rien que de bon.

On reproche encore à la nouvelle Église : d’être la cause de divers troubles qui ont agité la ville entière, et plusieurs familles en particulier. A cela elle répond, en déclarant catégoriquement qu’elle n’a pris aucune part, ni directe, ni indirecte, à la composition ou à la publication des brochures hostiles dirigées contre la Compagnie des pasteurs, qu’elle leur est absolument étrangère ; — que si elle est l’occasion, le prétexte de ces troubles, elle n’en est pas la cause ; — que la responsabilité en retombe bien plutôt sur les personnes qui veulent s’arroger sur la conscience de leurs semblables un droit qui ne leur appartient pas, et les astreindre à se conformer à leur règle, employant, pour y parvenir, les moyens combinés de la violence et de l’intrigue ; — que si on peut prouver qu’il y a dans la doctrine et la constitution de l’Église indépendante, des choses nécessairement contraires au repos de la société et aux intérêts de la religion et des mœurs, elle fermera immédiatement le lieu de ses réunions.

On reproche enfin à l’Église indépendante : d’innover en matière de doctrine, et un grand nombre de gens s’écrient : Voilà des orgueilleux qui veulent faire une religion nouvelle ! Mais l’Apologie fait remarquer que, d’autre part, on accuse l’Église nouvelle de ne pas marcher avec le siècle, de croire les vieilles chimères du temps passé : de fait, voici quelle est sa foi : elle reçoit et croit tous les points que les confessions de foi, faites et reçues par nos pères, et respectées encore de toutes les communions protestantes, établissent comme fondamentaux et comme indispensables au salut, entre autres le péché originel, la Trinité, le salut par grâce, fruit de la parfaite satisfaction de Jésus-Christ, la justification devant Dieu par la foi seule en ce Dieu sauveur, et la régénération ou renaissance spirituelle par le Saint-Esprit : par conséquent, elle adore et sert un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; et tout en reconnaissant la nécessité des bonnes œuvres, les membres de cette Église ne veulent cependant, créatures déchues et coupables, fonder leur espoir de salut que sur les mérites parfaits de Jésus-Christ, à qui ils désirent consacrer leur vie en reconnaissance de ce qu’il a fait et souffert pour eux.

On leur demande alors pourquoi ils se sont séparés de l’Église nationale ? Parce que, disent-ils, quoique cette déclaration soit pénible à faire, parce que les pasteurs de Genève ne sont pas d’accord entre eux sur des points du christianisme que toutes les Églises protestantes, et toutes les confessions de foi faites et reçues par nos ancêtres, signalent comme fondamentaux et comme indispensables au salut. C’est parce que la plupart même d’entre eux professent et enseignent, sur les points ci-dessus énoncés, une doctrine directement opposée à celle que nos réformateurs, nos docteurs et nos pères ont puisée dans les sources sacrées de la Révélation, continuel objet de leurs études. C’est enfin parce que de leur doctrine relâchée sont résultées aussi une morale et une discipline relâchées et contraires à l’Évangile ; et qu’en particulier l’accès à la table sacrée est ouvert aux incrédules avoués et aux pécheurs endurcis, qui n’en sont écartés que par une interdiction le plus souvent purement verbale, et, par conséquent illusoire.

On demande enfin à la nouvelle Église de quel droit elle s’est constituée en Église à part, prêchant la Parole, etc. Elle répond : du droit que réclamèrent nos pères à l’époque de la Réformation ; du droit que lui donne l’Écriture qui commande aux chrétiens de se séparer de ceux dont la doctrine et la vie sont contraires aux enseignements de Jésus-Christ et de ses apôtres (1 Corinthiens 5.11 ; 2 Timothée 3.1-5 ; 2 Corinthiens 6.14-18 ; 1 Timothée 6.3-5 ; Tite 3.10 ; Romains 16.17 ; 2 Jean.1.9-10 ; 2 Thessaloniciens 3.6, etc.) ; du droit enfin que donne l’exemple des premiers chrétiens.

Mais, quoique séparés de la communion de Genève, les membres de la nouvelle Église ne sont point séparés de ceux qui professent encore la saine doctrine, qui sont ouvertement convertis au Sauveur et qui gémissent aussi du dépérissement de la foi : ils vont entendre leurs prédications et sont en communion d’idées avec eux. Si les véritables novateurs ont cru au dix-huitième siècle que le progrès des lumières les appelait à faire subir des modifications essentielles à la religion primordiale, s’ils pensèrent qu’ils étaient libres de le faire, les membres de la nouvelle Église se croient libres aussi de rejeter ces modifications, persuadés que le Christianisme est éternel et immuable comme son auteur ; qu’il est au dix-neuvième siècle ce qu’il était au seizième, ce qu’il était au premier ; et qu’il serait indigne de Dieu s’il était assujetti aux éternelles fluctuations de l’esprit humain.

L’Apologie se termine, comme elle avait commencé, par un appel à la liberté des cultes, par la déclaration que les membres de l’Église indépendante agissent selon leur conscience et dans le but d’annoncer aux âmes le salut, et par l’expression du vœu que tous les chrétiens de Genève se tendent la main d’association pour travailler à cette œuvre de relèvement.

L’Apologie fut imprimée et répandue dans la population ; elle ne laissa pas d’avoir un bon effet sur plusieurs ; mais les esprits étaient très excités, et on dut prendre, pour protéger la nouvelle Église, des mesures énergiques. Plusieurs compagnies de la milice et le corps d’artillerie de la garde soldée furent mobilisés.

Et ici se place un fait curieux : Félix Neff était au nombre de ces soldats et avait le grade de sergent. Au moment où sa compagnie allait se rendre sur le théâtre du désordre, plongeant son sabre dans le sol du rempart près duquel était bâtie la caserne qu’elle occupait, il s’écria, hors de lui-même, qu’il le plongerait ainsi dans le cœur du premier qui oserait prendre la défense de ces « misérables » (c’est ainsi qu’il qualifiait alors les partisans du Réveil). Il fallut bien cependant que bon gré, mal gré, il marchât à leur secours. Cela se passait le 7 juillet. Un mois après, jour pour jour, le 7 août, il était avec Gonthier et Guers, et leur disait : « Messieurs, je vous avais méconnus, maintenant je suis des vôtres ! » Il est vrai de dire que, déjà auparavant, il avait manifesté de bonnes dispositions religieuses ; mais il se méprenait sur le compte de la nouvelle Église et la confondait avec les visionnairesc.

c – Guers, op. cit., p. 149.

La situation des membres de l’Église indépendante et surtout des pasteurs était si grave que pendant quelque temps trois agents secrets furent chargés de surveiller et de protéger au besoin Empaytaz, Gonthier et Guers, et de suivre chacun d’eux pas à pas.

Jusqu’en septembre les assemblées générales furent interrompues : on tint quelques petites réunions dans des maisons particulières. Enfin un local fut mis à la disposition de l’Église à la place du Bourg-de-Four ; de là le nom d’Église du Bourg-de-Four qui désignera jusqu’en 1839 l’Église indépendante et servira à la distinguer de l’Église de César Malan.

Les assemblées générales reprirent donc en septembre 1818. Quelques troubles extérieurs vinrent bien encore les agiter ; mais jusqu’en 1825 elles jouirent d’une tranquillité relative.

Le 7 mars 1819, deux des pasteurs, qui n’avaient pas encore été consacrés, Guers et Gonthier, reçurent l’imposition des mains : ce fut Bost qui présida la cérémonie. Le troisième pasteur, Empaytaz, avait été consacré par Oberlin, au Ban-de-la-Roche, pendant le séjour qu’il y avait fait avec Mme de Krüdener.

Les membres de l’Église eurent, peu de temps après, un précieux encouragement. L’un d’eux, Privat, qui faisait aussi partie du troupeau morave, lequel d’ailleurs conservait de fréquents rapports avec l’Église indépendante, avait écrit, en 1818, aux Anciens d’Herrnhut pour leur raconter le Réveil de Genève, l’existence et les principes de la petite Église, les bonnes relations qu’elle soutenait avec la diaspora de cette ville, en un mot pour leur communiquer tout ce qui serait de nature à les intéresser. Le 5 avril 1819, la réponse arriva : elle était très affectueuse, fort encourageante et fortifia beaucoup ceux à qui elle était adressée. Le petit troupeau morave subsista distinctement jusqu’en 1820 : alors il se fondit en entier dans l’Église du Bourg-de-Four.

La même année 1819, l’Église reçut la visite du quaker William Allen.

Ce fut aussi en 1819 que Guers fonda le Magasin évangélique, journal mensuel (dont chaque livraison comptait environ soixante à quatre-vingts pages), qui donnait sur les missions et la Société Biblique des détails qu’on ne trouvait guère ailleurs ; ils étaient puisés surtout dans le Magasin des missions de Bâle et traduits par Bost qui les envoyait régulièrement à Guers à Genève. Outre les nouvelles missionnaires, il donnait à ses lecteurs des essais, des instructions sur divers points de doctrine et de pratique évangélique, des fragments de l’histoire ecclésiastique, des articles de biographie, de nécrologie, des mélanges. Journal de pure édification, il s’interdisait habituellement toute polémique, comme le fit plus tard la Feuille religieuse du canton de Vaud. Le nombre d’abonnés allait croissant d’année en année, lorsqu’en 1822, le rédacteur se vit obligé d’en suspendre la publication : la France, alors en pleine Restauration, fut fermée, par le ministère de de Villèle, et sous une influence cléricale, à cette publication. Au Magasin évangélique, succéda plus tard le Conservateur chrétien, rédigé de même par Guers et par Perrot-Droz. Il en parut deux volumes.

1819 vit aussi la publication de Genève religieux de Bost, dont nous avons déjà parlé et dont la violence fut trouvée excessive par les membres eux-mêmes de l’Eglise indépendante.

L’activité de cette Eglise se développait de plus en plus ; elle ne se bornait pas à prêcher la Parole à Genève, mais encore plusieurs de ses membres, Porchat, Neff et d’autres allaient dans les environs

porter la connaissance de l’Evangile ; à Avully, où Diodati était pasteur, à Carouge, dans d’autres localités du canton, des réunions d’appel eurent lieu et furent bénies. Guers raconte la conversion remarquable à Carouge, en 1820, d’un homme accusé d’assassinat et condamné à mortd.

d – Guers, op. cit., p. 232-233.

L’année suivante eut lieu un événement important dans la vie de deux des pasteurs. Tous les trois, Empaytaz, Guers et Gonthier, avaient atteint l’âge du service militaire. Comme ils n’avaient pas été

consacrés dans l’Eglise nationale, ils ne pouvaient être dispensés de cette obligation. Leurs adversaires ne l’oubliaient pas et chantaient à leur intention ce refrain, que Guers qualifie d’ignoble :

Messieurs les mômiers
Enfants de la sottise,
Pour le bien de l’Eglise,
Faites-vous grenadiers.

Empaytaz, qui avait mauvaise santé, se fit exempter. Guers et Gonthier, qui n’avaient pas cette excuse, allèrent en Angleterre pour y recevoir l’imposition des mains (par conséquent, la seconde fois) et se procurer ainsi un caractère officiel qui les mit désormais à l’abri de tout désagrément de ce genre. Neff les remplaça pendant leur absence dans leurs fonctions pastorales. Ils furent très bien accueillis à Londres, reçurent l’imposition des mains en présence d’une nombreuse assemblée dans Poultry-Chapel. Huit pasteurs, presbytériens, congrégationalistes ou baptistes, les consacrèrent, après leur avoir posé cinq questions, relatives aux motifs pour lesquels ils embrassaient le ministère évangélique, à leur foi, et à la manière dont ils comptaient paître le troupeau qui leur serait confié. Puis, après un voyage à Bristol, à Bath, à Paris, Colmar, Bâle, Berne, Montmirail, Neuchâtel, Fribourg, etc., ils rentrèrent à Genève ; plusieurs pasteurs ou professeurs leur avaient facilité cette démarche en leur donnant, pour les pasteurs anglais, des certificats d’études et des lettres de recommandation : Peschier, Gaussen, Moulinié, Galland, Coulin, Bonnard (professeur à Montauban), Marzials (pasteur à Montauban), etc.

Du reste, cette précaution allait être, hélas ! inutile à l’un d’eux. Le 10 janvier 1822, Gonthier tombait malade d’une affection de poitrine dont son voyage en Angleterre avait sans doute hâté le développement et qui, après une année de souffrances, l’enleva, le 14 janvier 1823 ; il avait trente ans. C’était le premier deuil qui atteignait l’Église indépendante ; ce fut un des plus douloureux et des plus grands. Gonthier emportait les regrets, l’estime de tous ceux qui l’avaient connu, la considération particulière des pasteurs Peschier, Gaussen, Coulin, et ce beau témoignage du pasteur Moulinié : « En quatre ans de ministère, Gonthier a fait peut-être autant de bien qu’un autre en eût pu faire en quatre-vingts anse. » Il était un parent éloigné de l’ancien pasteur Gonthier, de Nîmes, puis de Nyon, qui a laissé tant d’écrits d’édification, et qui témoignait au pasteur de l’Église du Bourg-de-Four un cordial et sympathique intérêt.

e – Guers, op. cit., p. 196, 197.

L’Église était encore sous le coup de la mort de Gonthier, lorsque survinrent, pendant les années 1823 et 1824, des controverses sur le Baptême et la sainte Cène, qui la divisèrent profondément. Ce fut une véritable crise : Empaytaz donna sa démission de pasteur, pour ne conserver que les fonctions de prédicateur ; Bost le remplaça et Lhuilier prit la place de Gonthier. Puis Guers et Bost se retirèrent aussi : Lhuilier resta seul. Plus tard, Guers et Empaytaz reprirent leur charge et les choses revinrent en l’état primitiff.

f – Entre temps avait été publiée, par les pasteurs de l’Église, l’Histoire de la vie et de la conversion du pasteur rationaliste Guillaume Köllner, écrite par lui-même (1823).

Une nouvelle et violente secousse allait atteindre l’Église. Pendant qu’intérieurement elle se développait et que le nombre de ses membres s’élevait jusqu’à trois cents (il resta à peu près stationnaire à ce chiffre), l’Église nationale subissait le contre-coup du Réveil. Les orthodoxes, Gaussen, Cellérier, Peschier, conservaient leur attitude ; Gaussen ne partageait pas les opinions de l’Église indépendante relativement à la séparation d’avec l’État et d’avec l’Église nationale tant que la libre prédication de l’Évangile ne serait pas entravée, et dans sa paroisse, à Satigny, personne ne le gênait dans la profession de ses convictions et dans la prédication des vérités bibliques ; il croyait pouvoir être plus utile en demeurant fidèle au poste où Dieu lui-même l’avait placé. Il avait ouvert à Satigny, à côté du catéchisme public, une École du dimanche dans laquelle la Bible était l’unique base de son enseignement. Grâce au talent extraordinaire qu’il possédait pour l’instruction des enfants, cette École était très suivie.

Cellérier se retirait de la vie publique ; Peschier se rattachait de plus près et avec plus de décision au parti orthodoxe. Celui-ci fut renforcé par l’adhésion du chapelain de l’hôpital, Coulin, qui, pendant quelque temps, avait exercé son ministère à Fridéricia, en Danemark, et par celle de Diodati. En 1821, ils fondèrent, en relation avec Bâle, une Société des missions, qui compta bientôt de nombreux amis dans Genève.

Peu à peu, la majorité libérale subit l’influence de ce courant d’idées ; l’Église nationale, si vivement attaquée, ne pouvait retomber dans la torpeur à laquelle elle s’était abandonnée jusque-là. Au fond, elle sentait qu’il y avait du vrai dans les accusations dont on l’avait poursuivie. On avait dit, par exemple, que les études bibliques spéciales n’avaient aucune place dans le cours d’enseignement de l’Académie : on créa alors, en 1824, une chaire de professeur honoraire de critique biblique : elle fut confiée d’abord au pasteur Munier, puis à Cellérier fils. La vie commençait à réapparaître chez les étudiants ; mais, comme d’autre part les sentiments de la Compagnie à l’égard de l’Église indépendante n’avaient pas changé, la lutte contre le méthodisme reprit avec une intensité nouvelle.

Cette lutte devenait d’autant plus sérieuse que les préjugés du public contre le Réveil se dissipaient progressivement. Les conversions se multipliaient. Les divisions dans les familles, prédites par Jésus-Christ lui-même, en étaient souvent la conséquence. On voyait se troubler, par exemple, des relations entre époux, des jeunes filles refuser de répondre, dans leur toilette ou en allant au bal, aux désirs de vanité de leurs parents, des jeunes gens fréquenter les assemblées contre la volonté expresse de leurs pères, des maisons, unies de tout temps par des liens de parenté ou d’amitié, se diviser subitement. Tous ces troubles étaient mis à la charge des adhérents au Réveil.

La Compagnie, voyant que l’État ne voulait pas agir, comme elle l’avait espéré, et arrêter le schisme, se mit à faire usage de tous les moyens qui étaient à sa portée pour mettre ses partisans en garde contre le méthodisme.

Elle fit donc prêcher, dans toutes les églises de la ville et dans celles de la campagne, un sermon contre les « sectaires. » Le pasteur français, Cheyssière, de Ferney, qui lui-même s’était senti personnellement froissé par des tentatives de prosélytisme qui avaient eu lieu dans sa paroisse de la part des hommes du Réveil, se chargea de ce soin.

Le résultat fut que l’Église de Bourg-de-Four, voulant ouvrir un nouveau lieu de culte dans le quartier de Saint-Gervais, fut assaillie comme en 1818, et qu’il fallut la protection des milices pour la défendre contre la populace. La Compagnie ne blâma pas ces attaques, sans approuver évidemment la forme violente que le bas peuple leur avait donnée, mais elle montra si peu qu’elle en déclinait la responsabilité, qu’elle fit imprimer coup sur coup deux éditions du sermon de Cheyssière. Ce sermon, sur Tite.3.10-11, avait pour titre : Sur l’esprit de secte.

[Sermon sur l’esprit de secte, ayant pour texte ces paroles de saint Paul : « Evitez celui qui forme des sectes, après l’avoir averti une et deux fois : sachant qu’un tel homme est perverti et qu’il pèche, quoique sa propre conscience le condamne » (Epître à Tite, ch. III, v. 10-11), par F. Cheyssière, ancien pasteur de l’Église protestante de Bordeaux, et actuellement pasteur provisoire de celle de Ferney-Voltaire. Genève, 1825.]

Il commence par représenter que la libre diversité des opinions dans l’Église est un fait aussi nécessaire que la diversité des œuvres de Dieu dans la nature. A côté de cela cependant, « quiconque se révolte contre l’autorité de l’Église, qui est sa mère, » est un dangereux novateur, un véritable factieux qui pèche contre ses propres lumières et travaille à la ruine de l’Église. Puis vient, à l’adresse de l’esprit de secte, le reproche d’orgueil et de manque de bienveillance. Jésus n’a pas voulu diviser, mais unir. Il a commandé l’amour, tandis que l’esprit de secte le détruit. Les sectaires, au lieu de se disputer sur des questions obscures de théologie, devraient s’occuper de venir au secours des pauvres et des malades. L’orateur termine par le tableau du bouleversement que la séparation produit dans l’Église.

L’Église du Bourg-de-Four resta fidèle à son principe de ne se mêler d’aucune dispute publique. Si Bost, qui était alors un de ses pasteurs, répondit à ce sermon, ce fut de sa part une démarche absolument personnelle, à laquelle il se décida sur les instances de Gaussen.

Sa réplique ne se distingue pas par la douceur et la modération. Elle a pour titre : Défense de ceux des fidèles de Genève, qui se sont constitués en Églises indépendantes, contre les sectaires de cette ville, en réponse au sermon « sur l’esprit de secte. » Elle fut imprimée à Lyon, à cause d’un décret de 1823, par lequel le conseil d’État avait interdit que l’on imprimât à Genève, sans sa permission expresse, aucun écrit de polémique religieuse.

Après une esquisse des premiers temps du Réveil, Bost montre que le mot de secte est appliqué à tort à l’Église du Bourg-de-Four. Qu’est-ce, en effet, qu’une secte et qu’est-ce que l’Église ? L’Église, c’est la communauté de ceux qui croient à l’Évangile ; une secte, c’est la réunion d’hommes qui ont abandonné la vérité évangélique, quels que soient, du reste, leur nombre et les noms qu’ils se donnent. La secte actuelle, ce n’est donc pas l’Église indépendante, mais la Compagnie, puisque, d’après son propre aveu et le témoignage d’autrui, elle a abandonné les doctrines de l’Évangile. Peu à peu, le ton devient violent et passionné. Bost répond à diverses accusations portées par Cheyssière et invite ses adversaires à des conférences publiques sur les questions débattues, ajoutant que refuser de semblables conférences serait, par le fait, avouer qu’on se sent incapable de défendre sa cause.

Bost envoya des exemplaires de cet écrit aux premières autorités de Genève : il fut aussitôt décrété d’accusation sous la prévention de calomnie. Refusant le secours d’un avocat, il se décida à présenter lui-même sa défense et se mit à la préparer. Personne, du reste, ni parmi ses amis, ni parmi ses ennemis, ne mettait en doute qu’il ne fût condamné. Pour Bost lui-même, cette éventualité le laissait indifférent : le maximum de la peine, et ce que l’accusateur public réclamait contre lui, comportait 2000 francs d’amende, six mois de prison, et l’interdiction des droits civils pendant cinq ans, c’est-à-dire une flétrissure. L’amende, il ne s’en mettait pas en peine ; il n’avait pas d’argent, il ne la payerait pas, on s’arrangerait comme on voudrait. L’interdiction des droits civils ? il ne savait pas ce que cela signifiait : plus tard, mieux instruit, il dit que cela ne l’effraierait pas beaucoup ; à chacun sa tâche, il s’occupe d’autre chose ! Reste la prison ; mais c’est une perspective délicieuse : « Ayant vécu, dit-il, depuis plusieurs années dans un état de fatigue et de surexcitation nerveuse, ayant d’ailleurs toujours aspiré après la vie paisible du couvent, je voyais dans la prison la réalisation du vœu le plus cher à mon cœur ! Oh ! l’imagination produit quelquefois de grandes puérilités ! Oui, je me voyais déjà distinctement entrer gaiement en prison, un petit paquet à la main, dans un mouchoir blanc : comme si un homme qu’on met en prison y portait lui-même son bagageg ! »

gMémoires, t. I, p. 412-413.

On ne pouvait trouver un prévenu plus accommodant ! aussi ne voulait-il pas se défendre. Ce fut Gaussen, qui l’avait engagé à écrire sa brochure, qui le poussa aussi à plaider. « Vous compromettez la cause, lui dit-il, en le refusant. »

Le procès commença en janvier 1826. Bost se défendit brillamment : il parla des « ordonnances ecclésiastiques » qui étaient encore pleinement subsistantes en droit, et montra que s’il voulait se mettre sur le terrain de la loi, il pourrait lui-même poursuivre ses accusateurs et les faire condamner à l’exil. Il revint sur sa brochure, prouva qu’elle était conforme à la vérité, et exprima plusieurs fois le regret que le débat, purement religieux, eût été porté devant les tribunaux civils.

Après divers ajournements, Bost fut acquitté quant à l’accusation de calomnie. Mais le procureur général en ayant appelé à la Cour suprême, les débats durent être repris de nouveau.

L’arrêt de la Cour suprême fut identique à celui des premiers juges : Bost fut acquitté de l’accusation de calomnie, on le condamna seulement à une amende pour avoir employé des expressions injurieuses à l’égard d’une corporation officielle. Le fonds même de la brochure était par là reconnu vrai, et la forme seule était désapprouvée. Les juges répondirent, du reste, aux reproches amers que leur firent leurs amis, que les lois leur avaient rendu toute autre décision impossibleh.

h – De Goltz, op. cit., p. 349. Voy. Le procès du ministre Bost et son acquittement par deux tribunaux. Paris, Lyon et Genève, 1826.

On dut faire escorter Bost par les gendarmes afin de le protéger contre la foule tumultueuse qui encombrait les abords du tribunal. Ce triomphe déconcertait évidemment les ennemis du Réveil et redoublait leur hostilité ; en tous cas il leur enlevait tout espoir d’une autre persécution officielle contre les dissidents. D’ailleurs cette décision de deux cours ne pouvait manquer de faire réfléchir les hommes sensés, et la brillante défense de Bost fit que l’on commença à voir d’un autre œil ces « mômiers » qui jusque-là n’avaient excité que la pitié et le méprisi.

i – L’amende de 500 francs fut payée par une souscription ouverte entre les chrétiens évangéliques de Genève, sans distinction d’églises, souscription qui atteignit, en trois jours, la somme de 1500 francs.

Les années 1827 et 1828 furent marquées surtout par l’intérêt qui se développa en faveur des missions continentales.

En 1829, se réunit à Lyon une conférence fraternelle entre pasteurs et évangélistes du Vivarais et du Dauphiné en vue d’indiquer les moyens les plus propres à avancer le règne de Dieu dans ces contrées et dans les lieux voisins. Elle se tint les 16, 17 et 18 septembre : le nombre des assistants était de vingt : Adolphe Monod, chez qui on se réunit ; André Blanc, de Mens ; Soulier, de Nîmes ; Bonifas, de Grenoble ; Cadoret, de Saint-Etienne ; Elie Charlier ; Vernier ; Masson ; Magnin, de la Drôme ; Edouard Petitpierre, de Tullins ; Dentan, de Saint-Agrève ; Louis Moureton de Lyon (ces sept derniers employés par la Société Continentale de Londres) ; Vigier, de Saint-Voy ; Gustave Petitpierre, d’Annonay ; Helfenbein, Lhuillier et Guers, de Genève. Henri Lutteroth, de Paris, y assistait aussi. Un des résultats de cette conférence fut l’établissement à Genève (octobre 1829) d’un Institut destiné à la formation d’instituteurs-évangélistes. Il s’ouvrit au commencement de 1830, et put préparer plusieurs évangélistes et instituteurs populaires qui annoncèrent l’Évangile, principalement en France.

Pendant les années suivantes, ce furent surtout des questions ecclésiastiques qui troublèrent cette communauté. En 1834, une entente avait eu lieu entre les Églises indépendantes de France et de Suisse en vue de l’évangélisation ; mais, en mai 1840, l’Église du Bourg-de-Four, sous l’influence d’un congrégationalisme exagéré et ombrageux, rompit ses relations officielles avec l’Association des Églises ; elle annonça, toutefois, qu’elle continuerait à prendre part, dans la mesure de ses ressources, à toute œuvre d’évangélisation que la commission de l’Association lui indiquerait, mais directement et d’une manière tout à fait indépendante ; en même temps, elle exprimait son désir de soutenir, avec les Églises associées, les mêmes relations fraternelles que par le passé.

L’arrivée des Irvingiens à Genève, en 1835, agita encore l’Église.

Un peu plus tard, en 1837, de nouveaux conflits s’élevèrent. Quelques esprits mécontents reprochaient aux pasteurs une espèce de domination. Le malaise allait croissant dans l’Église. Il fallait y porter remède. Le 11 octobre, une assemblée de frères fut convoquée : les pasteurs y assistaient. Guers y déclara devant tous que l’expérience du congrégationalisme, jointe à une étude plus approfondie de la Parole sur la question importante de l’administration d’une Église, l’avait conduit peu à peu à désirer, pour l’Église du Bourg-de-Four, un gouvernement qui se rapprochât davantage du presbytérianisme.

Plusieurs réunions et conférences furent tenues pour discuter cette question, et le radicalisme religieux remporta la victoire en faisant adopter cette double décision : 1° l’Église fait ses propres affaires ; 2° en conséquence, dans les choses d’administration, les pasteurs s’abstiendront, à l’avenir, de tout préavis et ne donneront leur opinion que les derniersj.

j – Guers, op. cit., p. 332.

Le 24 mars 1839, un nouveau lieu de culte fut inauguré, la chapelle de la Pélisserie, d’où le nom par lequel sera désormais désignée la communauté, l’Église de la Pélisserie.

Le changement de local n’amena pas un changement dans les préoccupations et la conduite de l’Église. En 1842, nous la voyons encore agitée par l’esprit égalitaire : le darbysme, qui s’était introduit à Genève, provoqua une scission dans son sein, et ce schisme entraîna la chute de l’Institut : il fut fermé en 1842.

Depuis lors et jusqu’en 1849, cette Église continua sa marche dans la faiblesse, diminuée, humiliée, éprouvée, à peine semblable au lumignon qui fume encore, mais que, dans sa miséricorde, le Seigneur n’éteint pas.

On peut dire cependant que tout ce qui, plus tard, a été accompli dans de grandes proportions à Genève, soit par l’Église nationale, soit par la Société évangélique, avait eu ses commencements et avait fait ses essais dans l’Église du Bourg-de-Four.

Son évangélisation parmi les protestants et les catholiques, ainsi que son colportage, passa plus tard aux mains de la Société évangélique. L’Institut du Bourg-de-Four fut la préparation de l’École de théologie de l’Oratoire. L’introduction du cantique dans l’Église, les réunions de prières, la part accordée aux laïques dans le gouvernement ecclésiastique et dans l’exercice du culte public, tout cela avait d’abord été mis en œuvre dans le sein des Églises séparées. Les écoles du dimanche, les journaux religieux, les Traités, la nouvelle traduction des Écritures, y ont eu aussi leur premier point de départ.

Voilà pourquoi nous avons insisté avec tant de détails sur cette histoire, voulant rendre à chacun à la fois l’honneur et la responsabilité qui lui sont dus et ne pas « mépriser le jour des petits commencements » (Zacharie 4.10).

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