Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

1.2.2.9 — Conclusion sur ces documents païens.

Y a-t-il eu et y a-t-il encore chez les peuples païens et d’après leurs propres documents, des traces de l’institution du sabbat primitif ? Telle était la question que nous nous étions posée, à laquelle on a fort diversement répondu depuis des siècles dans la chrétienté, comme en dehors, et à laquelle on ne peut encore répondre qu’incomplètement, malgré les progrès considérables qu’ont faits à notre époque les recherches historiques, géographiques, linguistiques et mythologiques.

Nous avons cependant essayé de répondre suivant nos forces, et les principaux résultats auxquels nous sommes parvenu, peuvent être ainsi résumés :

1° Chez les anciens Egyptiens, il y avait un religieux respect pour le septénaire et il semble probable qu’à côté de l’institution officielle de la décade, il s’en était maintenu une autre, plus ancienne, ayant toujours conservé une certaine existence populaire ou sacerdotale, à savoir la semaine.

2° Chez les anciens Chaldéens, on trouve non seulement le septénaire entouré de la plus brillante auréole, mais encore soit l’institution d’une semaine semi-lunaire et semi-sabbatique, soit celle d’un sabbat à la fin de cette semaine. Il semble même que chez eux le septénaire jouait aussi un rôle dans les idées cosmogoniques.

3° Chez les Arabes, on distingue avant Mahomet à la fois l’existence de la semaine et le caractère religieux du septénaire, et ces deux faits ne s’expliquent pas simplement par des influences juives.

4° Chez les anciens Perses, on constate une double semaine exacte ou approximative : l’une, déterminée par des jours consacrés au Dieu suprême ; l’autre, par des jours de repos. En outre, cette dernière semaine est mise en rapport avec une cosmogonie où sont marqués les six actes créateurs.

5° Chez les Grecs, l’institution de la décade a peut-être été précédée par celle de la semaine, et nulle part ailleurs l’importance du septénaire n’a été aussi hautement proclamée, du moins au point de vue cosmologique et philosophique.

6° Chez les Romains, il faut signaler surtout l’institution des nundines ou d’une semaine de 8 jours, institution à la fois antique, prolongée, complètement indépendante du mois, terminée par un jour que caractérisaient la suspension du travail ordinaire et une certaine solennité religieuse.

7° Chez les Chinois, l’institution de la semaine est peut-être fort ancienne et le septénaire est entouré d’une grande considération.

8° Les anciens Péruviens connaissaient la semaine.

9° Chez les noirs de l’Afrique occidentale, on découvre l’existence, non seulement de la semaine, mais encore d’un jour férié hebdomadaire, et il y a des traces d’un caractère exceptionnel du septénaire.

Ces faits ne sont pas les seuls analogues qu’il y aurait à signaler. Ainsi les anciens Germains paraissent avoir eu la semaine avant d’avoir reçu des Romains ses dénominations mythologiques (voir appendice 6) ; les Hindous font usage depuis bien des siècles de la semaine planétaire, et même dans quelques contrées solennisent spécialement un de ses jours (appendice 5). En recherchant les termes par lesquels le nombre 7 est désigné dans de nombreuses langues, on constate de curieux faits philologiques, qui pourraient avoir de l’importance (appendice 7). Nous aimerions aussi revenir sur la liaison remarquable que nous avons déjà relevée entre l’idée de ce nombre et celle du serment, et montrer qu’elle ne se trouve pas seulement où nous l’avons signalée Mais comment traiter encore tous ces points sans abuser de la patience de nos lecteurs ? Ces recherches sont d’ailleurs difficiles, et nous sommes loin d’avoir pu les poursuivre comme nous l’eussions désiré. Nous nous sommes en conséquence borné à insérer, à la fin du volume, de courts appendices ; plusieurs ont entre eux d’intimes rapports et tous pourront faciliter des travaux subséquents.

Les larges développements dans lesquels nous sommes déjà entré, doivent du reste suffire jusqu’à un certain point, car ils embrassent des peuples fort divers, qui ont habité ou habitent fort loin les uns des autres et dont plusieurs remontent à une haute antiquité. En outre, les principaux résultats auxquels nous avons été conduit, semblent plus ou moins assurés et former un ensemble assez saisissant.

Il est vrai qu’on ne peut pas prouver mathématiquement que ces résultats se rattachent nécessairement à l’institution du sabbat primitif, telle qu’elle est racontée dans la Genèse, et d’ailleurs cet ordre de vérités serait-il susceptible d’une telle preuve ? — De plus nous ne saurions oublier que le but que nous poursuivons, n’est pas proprement apologétique, mais comme l’indique le sous-titre de notre ouvrage, dogmatique et historique : historique, en tant que la thèse dogmatique peut être confirmée par l’histoire.

Commençons cependant par une considération d’ensemble, en harmonie avec notre but et avec les études précédentes. Pour un chrétien convaincu, éclairé, conséquent, Dieu a institué au début de l’humanité le repos du 7e jour, et, peu de temps après, une chute morale profonde est survenue dans l’humanité entière représentée d’abord par son premier couple. Dès lors, pour l’institution du sabbat, comme à d’autres égards, nous ne pouvons pas nous attendre à retrouver dans les documents païens autre chose que des débris de la tradition primitive. Or ces débris, ne les retrouvons-nous pas, en constatant chez des peuples aussi divers que les Egyptiens, les Chaldéens, les Arabes, les anciens Perses, les Grecs et les Romains, les Chinois, les Péruviens, les noirs de l’Afrique occidentale, tantôt la semaine de 7 ou de 8 jours, tantôt cette semaine avec la solennisation particulière d’un de ses jours et le plus souvent du dernier, parfois même la semaine de 7 jours, la solennisation du 7e jour et une cosmogonie où le septénaire joue un certain rôle, presque toujours le caractère exceptionnel et religieux du septénaire en général ? Et n’est-il pas bien remarquable que les peuples qui se distinguent le plus sous ce rapport, tels que les Chaldéens, les anciens Perses, les Romains, les noirs de l’Afrique occidentale, figurent aussi parmi ceux chez qui l’on retrouve le plus de traces du monothéisme primitif ou de l’ensemble des traditions génésiaques ?

Ce que Dieu a institué directement au début de l’histoire de l’humanité, c’est le sabbat, et par là même il a aussi, indirectement, fondé la semaine et marqué le septénaire d’un caractère auguste et fort exceptionnel. Le sabbat peut être envisagé comme un véritable centre ; la semaine, comme une circonférence tout autour ; et le caractère auguste et exceptionnel du septénaire en général, comme une 2de circonférence concentrique, beaucoup plus vaste que la 1re. Or ne semble-t-il pas, que dans l’ensemble de l’humanité déchue, ce qui est le moins bien conservé, soit le sabbat ; que la semaine ait laissé plus de traces ; le caractère exceptionnel du septénaire, plus encore ? Et n’est-ce pas, derechef, ce qu’on pouvait attendre du cours naturel des choses sous l’influence de la chute de l’humanité ?

Nous avons vu qu’on avait à tort voulu rattacher l’origine de la semaine et du sabbat chaldéens soit aux diverses phases de la lune et au culte de la divinité lunaire, soit aux 7 planètes et au culte de leurs dieux, en particulier au culte de Saturne, soit au concours de l’importance que le nombre 6 aurait eue dans la vie ordinaire des Chaldéens, et de leur respect pour le nombre 7. Nous avons vu après, que ce respect ne pouvait provenir purement et simplement ni du nombre des planètes, ni de la division du mois synodique en quatre parties de 7 jours chacune, ni d’un sens mystérieux et symbolique du septénaire envisagé seulement en lui-même, mais qu’il devait plutôt s’expliquer par certaines données de la cosmogonie et de la théogonie chaldéennes.

Nous eussions désiré revenir brièvement à tous ces égards sur les diverses études que nous avons ensuite présentées, et montrer qu’elles confirment en gros les conclusions précédentes. Mais devant nous restreindre le plus possible, nous nous bornerons à quelques réflexions plus ou moins générales.

Quant à l’idée même du septénaire et à son importance exceptionnelle, nous rappellerons seulement les résultats constatés au sujet des Grecs, le peuple qui paraît s’être le plus préoccupé de cette idée ou du moins l’avoir le plus élaborée : 1° ils n’ont connu que fort tard les 7 planètes, longtemps après que l’idée du septénaire se fut développée chez eux ; 2° ils considéraient le septénaire comme étant le chiffre d’Apollon, c’est-à-dire du dieu du soleil, et non celui d’Artémis, la déesse de la lune, dont le nombre était 6 ; 3° l’importance religieuse ou mythologique du septénaire comme chiffre d’Apollon, fut chez eux antérieure à son importance philosophique, basée sur des considérations mathématiques, astronomiques ou anthropologiques.

Nous sommes loin de méconnaître le rôle considérable qu’ont joué les 7 planètes dans l’histoire de la semaine et du septénaire, surtout grâce aux Alexandrins. Mais, comme facteur naturel de la semaine, la lune nous paraît avoir exercé dans cette histoire une influence tout autrement plus ancienne et plus universelle que les 7 planètes, et maintenant on semble le reconnaître de plus en plus. Elle mérite sous ce rapport et avant tout, il est vrai, comme mère du mois, si l’on peut s’exprimer ainsi, d’être appelée « le mesureur par excellenceb », le mesureur du temps : aussi a-t-elle été ainsi désignée, comme l’indiquent les noms qu’elle porte, elle ou le mois, ou elle et le mois, dans les langues indo-européennes, noms qui se rattachent pour la plupart à un radical sanscrit , signifiant mesurer. Mais si grande qu’ait été l’influence de la lune dans l’histoire de la semaine et du septénaire, nous ne saurions admettre que cet astre ait été la vraie cause première et suffisante, car la considération des phases lunaires ne conduit point avec assez de netteté, de précision et de régularité à l’idée du septénaire. Comme nous le disions d’après Arago et Guillemin, la durée de la révolution synodique de la lune, ou le temps qu’elle emploie pour réoccuper la même place par rapport au soleil et à la terre, est exactement de 29 jours, 12 h, 44 min ; la durée de la révolution sidérale, ou le temps que la lune met à revenir à la même étoile, de 27 jours, 7 h, 43 min. Or le quart soit de l’une, soit de l’autre de ces révolutions n’est pas exactement 7, mais plus ou moins. — D’autre part, la nouvelle lune qui dans l’antiquité était en général considérée comme le point de départ de la lunaison, n’était pas la nouvelle lune dans le sens astronomique et moderne du mot, c’est-à-dire « le milieu des 4 jours qui s’écoulent entre la disparition de l’astre le matin à l’orient, et sa réapparition à l’occident le soir, un peu après le coucher du soleil, » mais cette réapparition même, comme 1er croissant. Or, avec ce point de départ, on n’arrive point à 4 séries de 7 jours chacune, mais approximativement à une 1re série de 6 jours allant jusqu’au 1er quartier, puis à deux séries de 7 jours chacune, allant l’une à la pleine lune, l’autre au 2d quartier, et enfin à une série de 8 jours allant jusqu’au retour du 1er croissant.

b – Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient.

Ni l’apparence, ni la réalité des phases lunaires ne conduit donc assez rigoureusement à la semaine et au septénaire pour expliquer pleinement soit l’institution de la semaine, soit l’auréole dont le septénaire a été généralement entouré. La considération de ces phases explique moins bien encore la solennisation du jour final de la série hebdomadaire, telle qu’elle apparaît chez les Chaldéens, les Romains, plusieurs peuplades noirs de l’Afrique occidentale et, en 2de ligne, chez les anciens Perses. Le jour saillant, en effet, au point de vue de l’aspect de la lune, n’est pas le dernier de la semaine lunaire, mais au contraire le 1er, surtout celui de la nouvelle ou celui de la pleine lune, et c’est bien pourquoi le 1er jour hebdomadaire est quelquefois solennisé, seul ou conjointement avec celui de la pleine lune.

Pour expliquer réellement l’origine de la semaine, de la solennisation du 7e jour, et de l’importance religieuse du septénaire, il faut donc faire entrer en ligne de compte comme cause première et initiatrice, comme mobile, comme impulsion, tout au moins, un autre élément que l’aspect de la lune, une cause d’une nature plus nette, plus ferme, et cet élément ne saurait être pour nous que l’influence d’une tradition primitive et religieuse se rapportant à la création de notre monde en 6 jours génésiaques et à l’institution du sabbat le 7e.

Ce qui confirme encore cette opinion, c’est que ce n’est pas seulement dans les traditions hébraïques que le repos du dernier jour hebdomadaire est mis en rapport avec la cosmogonie, mais encore dans d’autres traditions nationales, en particulier chez les anciens Perses et peut-être chez les Chaldéens, les Etrusques, les Chinois et les noirs de l’Afrique occidentale.

On nous permettra d’ajouter ici quelques citations de savants justement considérés, qui sont arrivés à la même conclusion que nous.

« C’est avec raison, dit Zöckler, que Bähr, Schubert, Kurtz, Delitzsch et d’autres ont affirmé le caractère primitivement révélé du chiffre 7 comme signature de l’activité divine et créatrice dans le sens biblique. Dieu a achevé en 6 jours son œuvre créatrice au ciel et sur la terre, et au 7e jour il s’est reposé, conformément à une antique Révélation émanée de lui-même : ce fait de l’histoire primitive, qui est sur le seuil de la tradition biblique, a dès le commencement marqué le chiffre 7 du sceau de la sainteté, non seulement dans la théocratie de l’Ancienne Alliance et dans l’ensemble de la conscience chrétienne, mais encore partiellement dans les réminiscences fragmentaires et obscurcies de la Révélation primitive, qui se présentent dans les plus anciennes traditions du paganisme polythéiste.… »

« Le fondement de la dignité symbolique du septénaire, dit aussi Leyrer, un des théologiens allemands qui récemment ont le plus étudié le sujet, ne doit être cherché ni dans les 7 planètes… ou ce qui se rapporte au septénaire dans les autres créatures, comme les 7 tons, les 7 couleurs, etc., ni dans la combinaison d’autres chiffres importants, comme 3 + 4 ou la réduplication des deux premiers nombres (1 + 2 + 4) etc., mais dans les 7 jours de la création du monde arrivant de l’état imparfait du תֹהוּ וָבֹהוּ à l’état parfait du טוֹב מְאֹד, lorsque Dieu se reposa le 7e jour, qu’il bénit et sanctifia aussi pour sa créature, comme jour de saint repos (Gen.2.2 ; comp. Prov.9.1). »

Le vénérable Frantz Delitzsch va même jusqu’à dire : « L’antiquité de la semaine de 7 jours et le commandement mosaïque du sabbat assurent à la septaine des jours cosmogoniques de la Genèse son caractère de tradition primitive ; et ce qui prouve aussi qu’il y a là une idée divine, non d’invention humaine, c’est le parallélisme que présentent avec ces jours le vendredi, le samedi et le dimanche au terme de l’histoire racontée par les Évangiles. C’est aussi peu une invention humaine que ne le sont par exemple, dans la formation des cristaux 3 et 4 comme chiffre des axes et 7 comme chiffre des formes. C’est pour un vrai motif objectif que 2 fois 3 actions créatrices constituent un tout et que 2 fois la 3e accomplit une œuvre double. En général les nombres 3, 7 et 10 sont des formes divines, ayant leur fondement dans la nature même de Dieu. C’est trop peu que de dire avec Kliefoth : « Dieu ayant créé le monde en sept jours, désormais une œuvre qui portera la signature du septénaire se manifestera par cela même comme une œuvre de Dieu. » La sainteté du nombre 7 a son dernier fondement au delà de la création. 3 est le nombre de Dieu dans sa nature, 7 le nombre de Dieu dans sa révélation, 10 le nombre de l’union de la nature divine et de la manifestation divine, par cela même de l’accomplissement définitif. La vie de Dieu ayant le nombre 3 dans son essence, a manifesté son activité créatrice en 2 fois 3 jours, et au 7e jour elle est retournée dans le repos de l’accomplissement : telle est l’esquisse éternellement significative d’une mathématique divine, qui a été dès le commencement empreinte dans le monde et qui est vivante en lui. »

Si belles et si profondes que soient ces paroles de Delitzsch, nous avouons notre incompétence pour le suivre avec conviction jusqu’au bout. Nous avons préféré nous en tenir dans notre étude au simple point de vue de la constatation du fait, sans aborder ce que Delitzsch appelle la mathématique divine et ce qu’on pourrait aussi nommer la métaphysique des nombres.

Mais à ces témoignages de théologiens allemands, joignons enfin quelques lignes d’un tout autre style, insérées en 1877, par un archéologue belge de grande réputation, M. de Witte, en tête d’un article de la Gazette archéologique de France, dans lequel nous avons déjà puisé de précieux renseignements sur l’histoire de la semaine planétaire dans l’empire romain.

« Le nombre 7, dit-il, est un nombre sacré qui se retrouve chez tous les peuples de l’antiquité. Les idées attachées au nombre septénaire et à la composition de l’hebdomade doivent, je crois, être considérées isolément et indépendamment des planètes… Les 7 jours de la semaine ont existé, j’en ai la conviction, avant qu’on eût pensé aux 7 planètes, et ce n’est que postérieurement que l’on a songé à établir des rapports entre le nombre septénaire de la semaine et celui des planètes, ce qui n’empêche pas de reconnaître que les idées astrologiques ont exercé plus tard une influence très prononcées sur les vertus et les pouvoirs des divinités qui présidaient à chaque jour. Je crois qu’on peut résumer de la manière suivante ce qui a été écrit sur la question :

1° La division hebdomadaire ne peut être d’origine indienne, ni égyptienne, ni grecque.

2° Elle est d’origine juive et elle remonte aux origines mêmes du monde, puisque Moïse au début de la Genèse indique les 7 jours de la création.

3° L’attribution des divinités planétaires à chacun des 7 jours de la semaine est très postérieure, elle est d’origine alexandrine et astrologique. »

Nous terminons ici ce qui concerne le sabbat primitif, soit d’après l’Ancien Testament, soit d’après les documents païens. Restent maintenant le sabbat mosaïque et le dimanche.

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