Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

3. — Mois et signes zodiacaux en Chaldée.

Lenormant arrive à une conclusion analogue à celle d’Oppert, quand il dit : « Le 1er mois (nisan =  mars-avril) est « le mois de l’autel du démiurge et deux dieux y président : Anou, le dieu primordial analogue à l’Ouranos des Grecs, et Bel, auquel est attribuée tout spécialement la formation de l’univers organisé. Ce mois est donc celui de la création, ou plutôt il en termine la période, il est le sabbat de la semaine cosmique qu’embrasse la durée de l’œuvre créatrice, et l’on doit compter avant lui six jours des dieux ou six époques de 43 200 ans, ce qui coïnciderait avec la donnée rapportée par les Juifs de la captivité de Babylone et exposée dans le traité talmudique Rôsch hàschanâh, que la création avait commencé à l’équinoxe d’automne.

N’y aurait-il pas aussi, peut-être, quelque allusion, vague, lointaine, d’arrière-plan, à la tradition du sabbat génésiaque dans la mystérieuse appellation de Sabatu que les Chaldéens donnaient à leur 11e mois (janvier-février) et que nous retrouvons aussi en hébreu (שׁבט Zacharie 1.7) ? — Lenormant la traduit par « mois de l’arpentage », mais en mettant en note : « Ceci est douteux, et le manque du nom développé ne permet pas de donner une traduction certaine ; les diverses valeurs du signe caractéristique du 11e mois permettraient aussi de proposer les explications de « mois du nombre et de « mois de l’imprécation » ou « de la malédiction ». Ce dernier sens est peut-être celui que l’on doit préférer ». — Il dit ailleurs, en développant une idée de H. Rawlinson, d’après laquelle les 12 tablettes de l’épopée d’izdubar seraient en rapport avec les 12 mois de l’année et les signes du zodiaque : « Non moins probante est la coïncidence qui met le récit du déluge dans la 11e tablette, qui fait de cet épisode le sujet principal du 11e chant du poème ; et sir H. Rawlinson a justement insisté sur ce point. Nous avons dit plus haut qu’il paraît y avoir eu entre les différentes écoles sacerdotales de la Chaldée des divergences d’opinions sur l’époque de l’année où aurait eu lieu le déluge. Un système le plaçait au solstice d’hiver. Mais une autre opinion, plus ancienne peut-être ou du moins très répandue aux époques les plus anciennes, rapportait le déluge au mois suivant, au 11e mois de l’année, à l’époque des grandes pluies qui dans le bassin del’Euphrate et du Tigre marquent la fin de l’hiver ; et c’est indubitablement cette opinion qui a déterminé la figure donnée par les Chaldéens au signe correspondant au 11e mois, au signe du Verseau ou du vase laissant échapper les eaux. En effet, des témoignages formels disent que le Verseau est Deucalion-Sisithrus (Ampelius, Lib. memor., 2). Dans les calendriers des fêtes sacrées, par suite de la même tradition, le 11e mois est consacré à Bin, « l’inondateur », le dieu « qui répand les pluies », le dieu qui dans le récit épique, obéissant aux ordres de Samas, est le principal agent de la production du déluge. Le nom accadien développé du 11e mois n’est malheureusement pas connu jusqu’à présent ; et l’idéogramme affecté à la désignation de ce mois est susceptible de sens fort divers, entre lesquels le manque du nom plus développé ne permet pas de choisir avec certitude. Il peut vouloir dire « le mois de l’arpentage », ce qui se rapporterait à une opération agraire que la religion aurait fixée à cette époque, peut-être en souvenir de la distribution des terres entre les compagnons de Sisithrus quand « ils restituèrent Babylone », suivant les expressions de Bérose ; on pourrait même indiquer en faveur de cette interprétation la présence constante des figures des 4 signes des mois de la saison pluvieuse, le Scorpion, la Flèche, la Chèvre et le Verseau, parmi les symboles astronomiques sculptés sur les bornes des fonds de terre, comme le fameux Caillou Michaux de notre Bibliothèque nationale. Mais il peut également signifier, d’après une autre acception de l’idéogramme, dont les textes magiques nous offrent de fréquents exemples, « le mois de la malédiction », et ceci semblerait plutôt nous ramener au souvenir du cataclysme. »

Il nous importe d’indiquer encore la vue générale et peut-être géniale de Lenormant sur le zodiaque et les mois des Chaldéens. Il dit (p. 78), comme conclusion : « Les Chaldéens et les Babyloniens avaient sur les 12 mois de l’année des mythes appartenant pour la plupart à la série des traditions antérieures à la séparation des grandes races de l’humanité descendues du plateau de Pamir, car ils ont leurs analogues chez les Sémites purs et chez les nations aryennes ; ces mythes ont été localisés par eux dans les différentes époques de l’année, quand ils habitaient déjà les plaines de l’Euphrate et du Tigre, non au point de vue des occupations agricoles, mais en rapport avec les grands phénomènes périodiques de l’atmosphère et les phases de la marche annuelle du soleil, telle qu’elle se manifestait dans cette région ; de là sont venues les figures attribuées aux 12 mansions solaires dans le zodiaque et les noms symboliques donnés aux mois par les Accadiens ».

« La dévastation opérée par les pluies incessantes et les inondations du mois de Tebet (10e mois), lisons-nous dans l’opuscule de Fried. Delitzsch : The hebrew Language viewed in the light of Assyrian research (London 1883), culmine dans le mois de שׁבט, Sabatu, où la furie du mauvais temps atteint son apogée. Cette circonstance justifie le nom de Sabatu, qui caractérise le mois comme étant le t destructeur » (as the « destroying » one). Il est relaté dans les annales d’Assarhaddon, que dans le mois de Schebat, il reçut près de Mélitène la nouvelle de la mort de son père Sennachérib et que son retour précipité ne fut pas arrêté par la « furie de la tempête. » — Le verbe sabatu signifie frapper, battre, tuer. Sibtu signifie à la fois sceptre et massacre ». — Mais Lotz et Dillmann dérivent le mot sabbat du même verbe sabatu, comme signifiant : couper, de là finir, cesser, puis se reposer. Il ne serait donc pas impossible que le nom du mois Sabatu eût pu d’après son étymologie signifier autre chose que : le dévastateur.

Lenormant trouve un rapport, non seulement entre le 1er mois (nisan), « le mois de l’autel de démiurge, » et le sabbat génésiaque, — entre le signe du Verseau et le 11e mois (Sabatu) d’une part, et, de l’autre, le déluge, — mais encore entre le signe des Gémeaux et le 3e mois (Sivan), e le mois de la construction en briques d’une part, et, de l’autre, Caïn et Abel (Prem. civilis. II, p. 80).

Comment aussi ne pas relever un des sens que, selon Lenormant, pourrait avoir l’idéogramme du 11e mois (Sabatu), celui de « mois du nombre » ? Ce mois n’aurait-il pas pu rappeler d’abord le sabbat, puis le déluge ? Dans la distribution typique des planètes entre les 12 signes zodiacaux, rattachée avant tout au thème natal du monde le Verseau n’occupe-t-il pas la 7e place ?

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