La Résurrection de Jésus-Christ

Introduction

Ajoutez à votre foi et la la vertu la science.

2 Pierre 1.5

Dans une scène justement célèbre, un grand poète a dépeint admirablement la puissance de la foi en Jésus ressuscité.

Il est nuit. Faust est dans son cabinet de travail, il vient de sentir avec accablement tout le néant de ses longues études en philosophie, en jurisprudence, en médecine. Désespérant d’arriver par ces différentes voies à la vérité, et cependant brûlant d’y atteindre et de satisfaire ainsi l’orgueil de la science le plus effréné, il s’adresse à l’alchimie que lui recommandait le souvenir de son père. C’est là qu’il espère saisir enfin le sublime objet de son ardente poursuite. Un moment il se croit au terme de ses désirs. Mais la lumière, qui avait soudainement brillé devant lui, l’enivrant de ses rayons, disparaît aussitôt pour faire place à de nouvelles et plus profondes ténèbres. Faust est plus désespéré que jamais, mais il veut encore arriver à la vérité, qui est pour lui le bonheur, et c’est alors que dans l’excès de son égarement, il conçoit un terrible projet : il veut essayer si la mort elle-même ne serait pas la révélation du grand mystère. Déjà la coupe fatale est préparée, Faust l’approche de ses lèvres, quand tout à coup retentit un son matinal de cloches et de pieux cantiques :

« Christ est ressuscité, chantent les anges ! Qu’il se réjouisse, le mortel enchaîné par le péché ! »

Faust s’arrête interdit, il reconnaît les chants de Pâques. Bientôt il distingue un second chœur : celui des saintes femmes venues pour embaumer le corps de leur Maître et exprimant leur douleur de trouver le sépulcre vide. Mais après elles, les anges reprennent : « Christ est ressuscité ! Heureux celui qui aime, qui a surmonté l’épreuve douloureuse et salutaire ! » — « Célestes accents, puissants et doux, se demande Faust, pourquoi me cherchez-vous dans la poussière ? » Au nom de son incrédulité, il proteste contre l’attendrissement qui le gagne, il n’ose aspirer à ces sphères, d’où la bonne nouvelle retentit … Et pourtant il se sent irrésistiblement rappelé à la vie. Il se souvient de son enfance et de ses pieux dimanches et de ses belles fêtes de Pâques :

« Oh ! retentissez encore, doux chants du ciel ! finit-il par s’écrier. Les larmes coulent, la terre m’a reconquis ! »

Que cette scène d’une poésie si belle, si profonde, si vraie, soit pour nous un symbole ! O puissance de la foi en la résurrection de Jésus-Christ ! Qu’elle peut être grande déjà sur l’homme en qui cette foi semble éteinte ! Et combien plus grande encore, sur celui qui croit pleinement, du cœur et de l’esprit, — qui croit parce qu’il veut croire, et qui veut croire, parce qu’il sent bien qu’en croyant, il ne fait qu’accomplir son devoir et que rendre hommage à la vérité ! L’Apôtre Pierre ne pouvait-il pas dire en toute simplicité de cœur et au nom de tous les chrétiens de l’Église primitive :

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître, en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, une vivante espérance (1 Pierre 1.3) ?

Et si la foi en la résurrection de Jésus-Christ est d’une telle importance pour une vie d’homme, combien n’est-il pas souhaitable qu’elle pénètre et vivifie toute vie humaine collective, la vie de famille tout d’abord, mais aussi la vie nationale et même celle de l’humanité ? Que n’a-t-elle pas déjà fait pour le renouvellement spirituel de notre race, et que ne ferait-elle pas encore et toujours plus, à la gloire de Dieu et pour le bien des hommes, si elle était vivante dans tous les cœurs ?

Pénétré, comme tant d’autres, de cette conviction et douloureusement affecté de voir dans ces derniers temps la résurrection de Christ ouvertement méconnue dans son importance ou même niée dans sa réalité, je me sentis pressé de répondre selon mes forces à l’appel que fit entendre une de nos sociétés religieuses, lorsqu’au mois d’octobre 1866 elle ouvrit un concours sur la question de la résurrection de notre divin Maître.

Je me mis aussitôt à étudier la question dans son ensemble, afin d’arriver d’abord à un plan d’études qui répondît aux exigences du sujet tel qu’il se présentait à mon esprit. Cette recherche préalable me convainquit de plus en plus et de l’immensité de la tâche qui s’imposait à quiconque essayait de l’entreprendre, et de l’impossibilité de s’en acquitter sans avoir du temps devant soi, sans entrer dans de vastes développements. Après plusieurs mois de travail et de méditation, j’arrivai au plan suivant, auquel dès lors je me suis arrêté et que l’on me permettra d’exposer sommairement.

Etudier d’abord le fait même de la résurrection de Christ, tel qu’il est exposé dans nos saints Livres, afin de bien définir la thèse à prouver, — puis passer aux preuves qui établissent la réalité du fait, — et enfin aux conséquences qui en découlent. De là trois grandes parties : l’étude du fait lui-même, celle des preuves et celle des conséquences.

Première partie : le fait Lui-même.

Le fait, c’est-à-dire non seulement le moment où Jésus revint à la vie et sortit de son tombeau, mais toute l’histoire du Seigneur depuis ce glorieux moment jusqu’à celui, plus glorieux encore, où il s’éleva dans le ciel en présence de ses disciples. Ainsi toutes les apparitions de Christ ressuscité pendant les quarante jours qui précédèrent son ascension. Et même encore le complément essentiel de ces apparitions : l’apparition du Seigneur glorifié, qui fut le point de départ de la carrière apostolique de St. Paul.

Pour étudier ce fait, ainsi défini, examiner et comparer toutes les données qui s’y rapportent dans les Évangiles, les Actes et les Épîtres ; — préciser l’enseignement qui en ressort sur les deux grandes phases de la résurrection et de la glorification du Sauveur ; — montrer par là que les diverses données bibliques, loin de se contredire, s’unissent et se complètent admirablement, en formant un ensemble dont la profonde et merveilleuse unité rend elle-même témoignage à la réalité de l’événement.

Seconde partie : les preuves.

D’abord les preuves positives indirectes, puis les preuves positives directes et enfin les preuves négatives.

I. Preuves positives indirectes.

1° Toutes les preuves de la divinité du christianisme, — puisque la foi en la résurrection de Christ, comme il faudrait le faire sentir, est une partie essentielle et centrale de la foi chrétienne, même de la foi chrétienne prise dans son sens le plus large, comme embrassant l’ancienne et la nouvelle Alliance, l’histoire de la préparation et de la fondation du Royaume de Dieu, ainsi que les prophéties relatives aux destinées ultérieures de ce Royaume.

2° Toutes les preuves de la crédibilité du Nouveau Testament, puisque l’enseignement de la résurrection de Jésus occupe manifestement une place plus considérable encore dans ce livre que dans le domaine général de la foi chrétienne.

Chacune de ces catégories de preuves positives indirectes devrait se terminer par l’exposé de la preuve intime fournie par l’expérience individuelle : preuve également accessible à tous et pouvant s’appliquer soit à la foi chrétienne elle-même, soit à l’autorité morale et religieuse du Nouveau Testament.

II. Comme preuves positives directes, il faudrait rappeler :

1° que le sépulcre où le corps de Jésus avait été déposé le vendredi soir, fut trouvé vide le dimanche matin, et que rien ne peut expliquer d’une manière plausible la disparition de ce corps, si ce n’est la résurrection de Jésus ;

2° ce que suppose la foi des Apôtres en cette résurrection, surtout si l’on tient compte de la difficulté qu’ils eurent à croire, et de la transformation qu’opéra cette foi chez un Simon Pierre, un Jacques, frère du Seigneur, et un Saul de Tarse ;

3° l’événement si considérable et si extraordinaire de la fondation de l’Église chrétienne, fondation reposant, de l’aveu de tous, sur la foi en la résurrection du divin Crucifié ;

4° l’institution si antique du dimanche, comme solennisation de l’anniversaire hebdomadaire de la résurrection de Jésus ;

5° l’expérience personnelle que font tous les vrais chrétiens depuis plus de dix-huit siècles dans un cercle toujours plus étendu, toujours plus immense : la régénération, la résurrection spirituelle qui s’opère dès ici-bas dans la personne du croyant et qui est pour lui à la fois une conséquence et une preuve intime de la résurrection du Rédempteur.

III. Quant aux preuves négatives ou à la contre-épreuve, il n’y aurait pas à revenir sur l’objection tirée de prétendues contradictions entre les différentes données de nos saints Livres, mais à faire ressortir plus ou moins brièvement :

1° l’inanité des objections générales tirées de la soi-disant impossibilité du miracle ou de sa constatation ;

2° l’inanité des hypothèses par lesquelles l’incrédulité a cherché jusqu’à ce jour à expliquer l’existence de la foi de l’Église primitive à la résurrection de Jésus.

Troisième partie : les conséquences.

Il s’agirait ici de mettre en relief quelques-unes des conséquences qui découlent de la réalité de la résurrection de Christ, et de montrer en particulier que, si la divinité du Christianisme prouve la réalité de cette résurrection, cette réalité confirme à son tour, et de la manière la plus éclatante, la céleste origine de l’Évangile.

La première partie du travail devrait donc être surtout exégétique et historique. Le caractère prédominant de la seconde serait successivement dogmatique, critique, apologétique, polémique ; elle se partagerait en quatre divisions qu’on pourrait ainsi désigner : la doctrine, les Évangiles, la preuve directe, la contre-épreuve. La troisième partie enfin serait essentiellement apologétique.

Tel est le plan d’études que nous nous sommes proposé. Il est assurément très vaste, mais il nous semble juste et complet. Nous devions le faire connaître d’avance pour expliquer la présente publication. Bien qu’elle puisse être regardée comme formant un vrai tout, il importe qu’elle soit aussi envisagée comme première partie d’un ensemble assez considérable. Elle-même, du reste, s’est développée au delà de nos prévisions.

D’abord, nous avons été conduit à la faire précéder de recherches, qui nous ont coûté parfois beaucoup de travail, soit sur les prédictions que Jésus a faites de sa résurrection d’après les Évangiles, soit sur la date et le lieu de sa mort et par conséquent de sa résurrection, soit sur sa sépulture. Ces recherches nous semblaient indispensables pour éclairer les textes relatifs à la résurrection de Christ et faire comprendre en particulier comment les disciples furent préparés à y croire.

En outre, il nous a paru de la plus haute importance d’étudier aussi complètement et aussi exactement que possible ce que relatent les documents sacrés sur la résurrection du Seigneur. Comme on l’a dit récemment et de plusieurs côtés, il s’en faut de beaucoup que cet incomparable événement, si vénérable et si essentiel qu’il soit pour les chrétiens, ait été déjà étudié comme il aurait dû l’être. Il y a là des champs de vérité qui sont encore en friche, et à certains égards il règne, même entre les théologiens croyants, une grande diversité de points de vue. Nous avons reconnu que plusieurs objections s’évanouissent devant un examen soigneux des textes et qu’à la place de ces objections, il s’élève même une preuve de sentiment, d’une haute valeur, dès qu’on arrive à contempler la réalité magnifique, vraiment digne de Dieu, que l’étude finit par dévoiler.

Cette première partie doit donc avoir déjà en elle-même une grande portée apologétique. A nos yeux, elle doit en avoir plus encore, puisqu’elle posera maints fondements sur lesquels s’appuieront les preuves proprement dites. Si Dieu nous permet de continuer notre œuvre, nous serons souvent appelé dans la tractation de la seconde partie à nous en référer aux résultats constatés dans la première

Sans doute dans cette première partie nous n’avons pas eu constamment pour but de réfuter l’erreur, de combattre en détail les assertions de Strauss ou de Renan. Nous avons plutôt cherché à exposer la vérité. Après avoir consciencieusement étudié, nous nous sommes efforcé de dire ce que nous avons reconnu, et de montrer comment nous y sommes arrivé. Nous n’avons pas craint même de procéder avec une certaine longueur, de mettre sous les yeux la traduction des textes ou les textes eux-mêmes, d’entrer dans des développements qui peuvent paraître excessifs, afin de faciliter la tâche de nos lecteurs et de prouver l’exactitude de nos recherches.

En fait, les lecteurs que nous avons eus surtout en vue, ce ne sont pas proprement ceux qui ne croient point à l’Évangile, mais ceux qui croient un peu et qui voudraient croire davantage, — ceux qui croient davantage et qu’inquiètent cependant certaines objections, — et aussi ceux qui croient pleinement et qui désirent joindre toujours plus à leur foi la science, soit pour leur propre développement spirituel (2 Pierre 1.5), soit pour pouvoir mieux édifier leur prochain.

Nous espérons cependant que notre ouvrage sera le bienvenu pour tous ceux qui ont loyalement à cœur le progrès des études bibliques, quel que soit leur point de vue théologique. Nous avons émis en effet quelques idées un peu nouvelles. Le Maître n’a-t-il pas dit que tout scribe qui a été instruit pour le royaume des cieux est semblable à un père de famille, qui tire de son trésor des choses neuves et des choses vieilles (Matthieu 13.52) ?

Mais quel désir n’avons-nous pas de rencontrer des lecteurs patients, sondant avec nous les Saintes Écritures, ne se laissant point arrêter par la simplicité des formes de notre travail, par la longueur de certains développements, par la minutie de certains détails, lisant toujours, relisant, s’il le faut, et surtout lisant jusqu’à la fin ! Nous osons penser que ceux qui auront persévéré, n’auront point à le regretter.

La foi ne vient pas, il est vrai, de la science. La foi est tout d’abord un don de la grâce de Dieu et, au point de vue humain, elle est un fruit de la conscience et de la bonne volonté plus encore que de la science ou même de la vue immédiate de la réalité, pour ceux à qui cette vue fut accordée. En principe, telle est notre conviction, bien que nous pensions aussi que le jugement des cœurs doit être toujours laissé à Dieu, et que nous devons être nous-mêmes extrêmement humbles, charitables et prudents dans l’appréciation de nos frères. Il y a le même rapport entre la sainteté et la foi, qu’entre la vertu et le bonheur : en définitive, il y aura pour chacun la correspondance la plus intime entre le bien qu’il aura fait et le bonheur dont il jouira ; mais on ne saurait dire qu’à tel moment donné, chacun soit exactement heureux ou malheureux, selon le degré de sa valeur morale. En principe donc et d’une manière générale, pour croire, pour croire véritablement, d’une foi personnelle, profonde, vivante, il faut vouloir croire sous le puissant aiguillon des besoins spirituels, il faut mieux aimer la lumière que les ténèbres, dans le grand sens moral et religieux que Jésus attachait à ces mots (Jean 3.18-21), — il faut vouloir faire la volonté de Dieu, comme Il le disait en prononçant une parole dont l’intelligence semble une des plus nobles conquêtes de notre âge, d’un Pascal et d’un Kant, d’un Schleiermacher, d’un Maine de Biran, d’un Vinet : Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de mon chef (Jean 7.17).

Cependant, bien que la foi ne vienne pas de la science, ne méconnaissons pas que la science peut et doit conduire à la foi, et la foi, engendrer à son tour une véritable science, en parfaite harmonie avec toute autre. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, une foule d’objections sont occasionnées par une connaissance incomplète de la vérité, et les disciples de Jésus peuvent redire sans crainte ce qu’Il répondait lui-même aux Sadducéens, en le leur démontrant d’une si admirable façon : Vous êtes dans l’erreur, parce que vous n’entendez pas les Écritures, ni quelle est la puissance de Dieu (Math.22.29). Entendre les Écritures comme elles doivent être entendues, se faire quelque juste idée de la puissance de Dieu et non seulement de sa puissance, mais encore de sa sagesse, de sa sainteté, de son amour, de sa miséricorde, n’est-ce pas voir s’aplanir, comme par enchantement, de rudes et difficiles sentiers, qui menaçaient de devenir toujours plus impraticables ? N’est-ce pas être transporté sur un de ces hardis sommets, où la vue du voyageur n’est plus, comme dans le fond de la vallée, gênée et bornée de toute part par une multitude d’obstacles ? Sur le sommet de la montagne, le voyageur règne en quelque sorte par la puissance de son regard : il contemple tour à tour et avec la même liberté l’azur du ciel, les hautes cimes du voisinage, les lointaines perspectives d’un horizon sans limites, et aussi les hameaux du fond de la vallée : splendide spectacle, qui est tout empreint de majesté, de grâce et d’harmonie, et qui remplit le cœur de reconnaissance et d’adoration !

Quelque incomplète que soit notre œuvre en regard de notre plan, quelque vif que soit le sentiment que nous ayons nous-même de ses imperfections, nous n’hésitons point à la publier. Tandis que les uns y trouveront des longueurs, d’autres au contraire nous reprocheront de donner trop souvent de simples résumés de nos recherches, de ne point entrer assez profondément dans le cours des discussions. Nous l’avouons, c’est avec ces derniers que nous sympathiserions le plus volontiers, et nous eussions peut-être préféré nous concentrer dans quelque étude de détail, d’une importance évidente. Mais nous savons, d’autre part, que les études d’ensemble sont encore plus importantes que celles de détail, et que le détail lui-même ne saurait être expliqué sans la considération de l’ensemble. Nous savons aussi que le temps est court (1 Corinthiens 7.29), et nous avons hâte de sortir de cette première partie de notre travail pour pouvoir entrer dans la rédaction de la seconde. Puisse la voie moyenne que nous avons suivie, répondre aux besoins d’un certain nombre de lecteurs !

Que Celui dont nous avons souvent imploré le secours, veuille accompagner de sa bénédiction nos faibles efforts pour le service de la plus grande et de la meilleure des causes !

Cologny, près Genève, 20 novembre 1869.

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