La Résurrection de Jésus-Christ

1.4 — Les données de l’histoire ecclésiastique.

Nous ne pouvons en rester là au sujet du sépulcre du Seigneur et en effet, en nous occupant de Golgotha, nous avons dit que nous avions lieu de penser que cet emplacement était bien celui où s’élèvent actuellement les bâtiments du Saint-Sépulcre ; nous avions aussi rappelé qu’Eusèbe, en racontant les travaux opérés par Constantin pour la purification de cette localité souillée par des constructions païennes, rapporte que lorsque la terre enlevée eut laissé voir le sol primitif, on découvrit « contre toute espérance, le témoignage très vénérable et très saint de la résurrection de notre Seigneur, » appelé un peu après : une grotte (ἄντρον). Dès lors cette grotte ou son simulacre n’a pas cessé d’exister au milieu des bâtiments de Golgotha, bien qu’elle ait traversé avec eux de nombreuses et redoutables crises. — Sans doute, nous n’avons aucune preuve certaine que la grotte que mirent au jour les déblaiements ordonnés par Constantin, fût précisément celle où le corps du Seigneur avait été déposé. Eusèbe ne nous dit pas un mot sur ce qui décida l’empereur et ses employés à reconnaître aussitôt celle-ci dans celle-là ; mais ne ressort-il pas de son récit, qu’assurés de l’authenticité de la localité de Golgotha et trouvant dans cette localité « contre toute espérance » une grotte qui rappelait à tous égards celle où le Seigneur fut enseveli d’après les Évangiles, ils se virent tout naturellement conduits à conclure l’identité de ces deux grottes ? Et s’il en est ainsi, cette identité ne doit-elle pas nous paraître possible et même probable ?

Recherchons donc ce qu’était la grotte découverte par Constantin et nous verrons que les résultats de cette recherche s’harmoniseront très bien avec les conséquences que nous avons tirées des Évangiles, qu’ils viendront les confirmer, les enrichir, les préciser, en recevant eux-mêmes une confirmation favorable à l’hypothèse traditionnelle.

Les écrits qui nous restent d’Eusèbe nous apprennent seulement que c’était une grotte et qu’en construisant les bâtiments du Saint-Sépulcre, Constantin commença par l’orner comme étant la tête de tout l’édifice. Il la décora de colonnes de choix et de très nombreux ornements, l’embellissant de magnificences de toute espèce. Cette partie de l’édifice formait un hémisphère et le sépulcre y était comme couronné de douze colonnes en souvenir des douze Apôtres. Ces colonnes étaient parées à leur sommet de très grands vases d’argent, splendide offrande de l’empereur à son Dieu.

Le pèlerin de Bordeaux parle simplement de la grotte (crypta) où le corps du Seigneur fut déposé, comme étant située à peu près à un jet de pierre du monticule de Golgotha, et il ajoute que c’était là que Constantin avait fait construire une basilique d’une merveilleuse beauté.

Les catéchèses de Cyrille, évêque de Jérusalem depuis 350, catéchèses qui furent tenues dans l’église même de la Résurrection, sont un peu plus explicites ; il dit que le tombeau de Christ était taillé dans le roc (μνήμα πέτρας). Il dit ailleurs qu’il y avait primitivement une grotte devant l’entrée du monument du Sauveur, grotte faisant partie du rocher même où se trouvait ce monument, et que cette grotte antérieure avait été retranchée par Constantin pour faciliter l’ornementation. Il dit encore qu’on voyait près du monument la pierre qui avait été mise à l’entrée du sépulcre.

Antonin de Plaisance, qui visita Jérusalem environ 250 ans après l’épiscopat de Cyrille (vers l’an 600), dit encore que le sépulcre était taillé dans le roc. Il ajoute que le roc ressemblait à une pierre de meule et qu’il était infiniment orné ; qu’à des verges de fer étaient suspendus des bracelets, des colliers, des anneaux, des couronnes d’or ou de pierres précieuses, etc. : que le monument lui-même, semblable à une église, était couvert d’argent et qu’il y avait devant lui un autel.

Quelques années après la visite d’Antonin, en 614, les Perses, sous le règne de Chosroës II, s’emparèrent de Jérusalem et incendièrent les églises du Saint-Sépulcre. Environ soixante ans après cette invasion, la pierre qui, selon Cyrille, avait autrefois fermé la grotte, apparaît dans la relation d’Arculphe comme divisée en deux fragments, conséquence probable de cette dévastation. Entre 616 et 626, à l’instigation surtout de l’abbé Modestus, de nouvelles constructions sortirent des ruines. C’est postérieurement à cette époque que se place le voyage d’Arculphe (environ l’an 670), qui donne sur l’intérieur de la grotte les plus anciens détails que nous possédions. Comme ces détails sont en pleine harmonie avec nos Évangiles et que tout nous porte à croire que si les Perses endommagèrent le Saint-Sépulcre, il fut restauré tel qu’il était auparavant, c’est avec confiance que nous pouvons y chercher quelque lumière nouvelle sur la forme du sépulcre au temps de Constantin. « Au milieu de la rotonde, écrit Adaman, le narrateur de ce voyage, est taillé dans le roc un petit sanctuaire rond, où neuf hommes debout peuvent prier à la fois, et il y a jusqu’à la voûte la hauteur d’un pied et demi au-dessus de la tête d’un homme de grandeur ordinaire. L’entrée de ce petit sanctuaire regarde l’Orient, à l’extérieur il est couvert de marbres de choix ; le sommet est orné d’or et surmonté d’une grande croix en or. Dans la partie septentrionale de ce sanctuaire est le sépulcre du Seigneur taillé dans le roc, s’élevant au-dessus du sol à une hauteur de trois palmes. L’intérieur du sanctuaire est sans ornement : c’est du roc vif, rouge et blanc, avec les traces des instruments de fer avec lesquels il a été creusé… Il est à propos de noter la différence qui existe entre le tombeau (monumentum) et le sépulcre (sepulchrum). Le sanctuaire rond dont nous avons parlé est ce que les Évangélistes appellent le tombeau, à la porte duquel était cette pierre qui y fut mise, puis qui fut enlevée lors de la résurrection du Seigneur. Le sépulcre est proprement l’endroit du tombeau, situé à la partie nord, où reposa le corps de Christ ; Arculphe en mesura la longueur avec ses mains et la trouva de sept pieds. Ce sépulcre n’est pas, comme on le dit quelquefois, double : la pierre n’est pas taillée de manière à séparer les deux jambes, mais, des pieds à la tête, il est uni, formant un lit où pourrait reposer un homme couché sur le dos. Dans ce tombeau brûlent jour et nuit douze lampes en mémoire des douze Apôtres. Quant à la pierre qui fut roulée à l’entrée du tombeau, Arculphe nous a dit qu’on l’a partagée en deux parties : la plus petite a été taillée au ciseau et forme un autel carré devant la porte du tombeau. » (Voyageurs anciens et modernes, par Ed. Charton.)

Tobler remarque que l’intérieur de la grotte et le sépulcre lui-même demeurèrent pendant des siècles dans le même état qu’Arculphe avait décrit d’une main si ferme. L’évêque Willibald, vers 728, parle du monument comme « taillé dans le roc, carré à sa base et pointu à son sommet. L’entrée est à l’est et, devant elle, est une pierre carrée faite à l’image de celle qui fermait le tombeau. Le lit où était couché le Seigneur est à droite. » En 865, le moine Bernard se dispense d’entrer dans les détails, en disant qu’il ne pourrait que répéter les paroles d’Arculphe.

Arrivés à cette époque de l’histoire du sépulcre, nous pourrions à la rigueur ne plus nous occuper des temps postérieurs, ce que nous avons déjà dit atteignant suffisamment le but que nous poursuivons. Nous signalerons cependant quelques traits plus récents de cette histoire, pour confirmer ce que nous venons d’apprendre et nous diriger dans l’appréciation du monument actuel.

En 1010, le kalife fatimite El-Hakem donna l’ordre de détruire l’église du Saint-Sépulcre et elle le fut de fond en comble. Usque ad solum diruta, dit Adémar. Le même auteur rapporte que le sépulcre fut brisé. Glaber, en revanche, dit seulement qu’on essaya vainement de le faire. En 1244, lorsque Jérusalem fut reprise une dernière fois par les Musulmans, il y eut une nouvelle dévastation, qui, comme la précédente, ne tarda pas à être suivie d’une nouvelle restauration.

Ce n’est que depuis la domination franque qu’il est question d’un premier sanctuaire donnant entrée dans la grotte du sépulcre et renfermant la pierre qui avait été roulée par l’ange, c’est-à-dire de ce qui est appelé maintenant la Chapelle de l’Ange. C’est aussi à l’époque des Croisades qu’apparaît pour la première fois une plaque de marbre sur le lit de pierre du sépulcre. Elle y fut placée pour mettre la pierre à l’abri du zèle indiscret des fidèles qui désiraient en emporter des fragments. Mais trois trous y étaient pratiqués par lesquels on pouvait voir et même baiser la pierre.

Lorsqu’en 1555 la chapelle du Saint-Sépulcre menaçait ruine, elle fut reconstruite à l’instigation de l’empereur Charles-Quint, de son fils Philippe et du pape Jules III. Le franciscain Boniface, qui dirigea cette reconstruction, rapporte qu’on jugea convenable de renverser préalablement tout l’ancien édifice pour mieux asseoir le nouveau, et qu’après cette opération, de nombreux chrétiens de l’occident et de l’orient contemplèrent avec les plus vives émotions le lit creusé dans le roc.

[« On vit en haut dans la grotte deux anges peints. L’un disait : Il est ressuscité, il n’est pas ici. L’autre montrait avec le doigt ces paroles : C’est ici le lieu où ils l’avaient mis. Mais l’entrée de l’air dans la grotte fit disparaître en grande partie ces peintures. Les inscriptions étaient sans doute en latin et elles devaient remonter au règne des Francs. » (Tobler.)]

L’église de la Résurrection, qui avait été plusieurs fois ravagée par l’incendie, le fut d’une manière terrible en 1808 : le dôme qui la surmontait, s’écroula sur la chapelle du sépulcre. Lors de la reconstruction, la plaque de marbre fut soulevée et laissa voir de nouveau le lit de pierre : c’est du moins ce qu’affirmèrent trois témoins paraissant dignes de foi, deux chrétiens grecs, dont l’un fut interrogé par Nicolayson, et un chrétien romain, que questionna Tobler.

Le lit de pierre semble donc toujours exister sous la plaque de marbre qui le recouvre. D’après le Dr Pierotti, qui a pu examiner souvent la chapelle, il y a encore d’autres parties où le roc a été conservé ; il les a indiquées en représentant dans le second volume de Jerusalem explored une section verticale de la chapelle dans le sens de sa longueur.

Rapprochons maintenant des données que vient de nous fournir l’histoire de la grotte découverte par Constantin, celles que nous avons extraites soit des Évangiles, soit de l’étude des anciens tombeaux qui se trouvent autour de Jérusalem, et nous arriverons à conclure :

  1. Comme nous l’avons déjà dit, que le sépulcre du Seigneur était une grotte funéraire creusée de main d’homme et que rien n’indique qu’il fallût descendre pour y entrer, qu’il est probable par conséquent qu’elle avait été creusée sur une pente ;
  2. Que l’entrée dans la chambre sépulcrale se trouvait elle-même au fond d’une espèce de grotte ouverte (d’après Cyrille) ;
  3. Qu’il fallait se baisser pour regarder dans la chambre sépulcrale, en se tenant à l’entrée ;
  4. Que cette entrée se trouvait du côté de l’Orient ;
  5. Que le corps de Jésus fut déposé sur une banquette creusée en forme de couchette ;
  6. Que cette banquette se trouvait à droite en entrant et par conséquent du côté septentrional.

Il est vrai que rien n’indique dans les Évangiles qu’au temps de Jésus, cette grotte fût détachée et isolée du rocher où elle avait été taillée, mais rien aussi ne le contredit, et nous savons qu’il se trouve dans la vallée de Josaphat des tombeaux qui présentent à un haut degré ce même caractère. On peut d’ailleurs supposer que c’est Constantin qui fit opérer l’isolement, d’autant plus que Cyrille nous apprend expressément que cet empereur ne se fit point scrupule de retrancher la partie antérieure de la grotte, pour cause d’embellissement. Rappelons-nous aussi que derrière la chapelle du Sépulcre, à l’extrémité occidentale de la rotonde au milieu de laquelle s’élève cette chapelle, il se trouve encore une grotte où tout est rocher, sauf la paroi adossée contre l’intérieur de l’égliseb.

b – Comp. Bovet, Voyage en Terre Sainte, p. 210, et un passage de Wilde cité par Tobler, p. 225.

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