La Résurrection de Jésus-Christ

1.7 — Apparition à l’apôtre Paul.

Actes 9.3-19

Et comme il était en chemin, il arriva qu’il approchait de Damas et tout à coup une lumière venue du ciel l’enveloppa comme un éclair, et étant tombé à terre, il entendit une voix qui lui dit : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Et il dit : Qui es-tu, Seigneur ? Et lui : C’est moi qui suis Jésus que tu persécutes. Mais lève-toi et entre dans la ville et il te sera dit ce qu’il faut que tu fasses. Les hommes qui faisaient route avec lui se tenaient muets, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Cependant Saul se releva de terre, mais, les yeux ouverts, il ne voyait rien, et, le conduisant par la main, ils le menèrent à Damas. Et il fut trois jours ne voyant pas et il ne mangeait ni ne buvait.

Or il y avait à Damas un disciple qui s’appelait Ananias, et le Seigneur lui dit dans une vision : Ananias ! Et il dit : Me voici, Seigneur. Et le Seigneur lui dit : Lève-toi et va dans la rue appelée droite, et cherche, dans la maison de Judas, un nommé Saul, de Tarse, car voici il est en prière et il a vu en vision un homme nommé Ananias qui entrait et lui imposait les mains, afin qu’il recouvrât la vue. Mais Ananias répliqua : Seigneur, j’ai ouï parler à bien des gens de tous les maux que cet homme a fait souffrir à tes saints dans Jérusalem, et il apporte ici de la part des grands-prêtres le pouvoir de lier tous ceux qui invoquent ton nom. Mais le Seigneur lui dit : Va parce que cet homme est pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les Gentils et devant les rois et devant les enfants d’Israël ; car moi, je lui montrerai tout ce qu’il faut qu’il souffre pour mon nom.

Là-dessus Ananias s’en alla et entra dans la maison et lui ayant imposé les mains, lui dit : Saul, mon frère, le Seigneur, — Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais, — m’a envoyé, afin que tu recouvres la vue et que tu sois rempli du St-Esprit. Et aussitôt il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue ; s’étant levé, il fut baptisé, et ayant pris de la nourriture, il se fortifia…

Actes 22.6-16

Mais il arriva que pendant que j’étais en route et que j’approchais de Damas, vers midi, tout à coup une grande lumière rayonna du ciel tout autour de moi. Et je tombai sur le sol et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Et je répliquai : Qui es-tu, Seigneur ? Et il me dit : C’est moi qui suis Jésus le Nazaréen, que tu persécutes. Or ceux qui étaient avec moi, virent bien la lumière et furent effrayés, mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Et je dis : Que ferai-je, Seigneur ? Et le Seigneur me dit : Lève-toi et te rends à Damas, et là il te sera parlé au sujet de tout ce qu’il t’est ordonné de faire. Or comme je ne voyais pas à cause de l’éclat de cette lumière, ce fut en étant conduit par la main de ceux qui étaient avec moi, que j’allai à Damas.

Cependant un certain Ananias, homme pieux selon la loi, auquel tous les Juifs de l’endroit rendaient un bon témoignage, vint auprès de moi et s’étant approché me dit : Saul, mon frère, recouvre la vue. Et à ce moment même je recouvrai la vue en le voyant. Puis il me dit : Le Dieu de nos pères t’a élu d’avance pour connaître sa volonté, pour voir le juste et entendre la parole de sa bouche, parce que tu lui serviras auprès de tous les hommes, de témoin des choses que tu as vues et entendues. Et maintenant que tardes-tu ? Lève-toi pour être baptisé et être lavé de tes péchés, après avoir invoqué son nom.

Actes 26.12-20

C’est dans ces circonstances que, me rendant à Damas avec un pouvoir et une autorisation données par les grands-prêtres, au milieu du jour, je vis sur la route, ô roi, une lumière venant du ciel, d’un éclat plus vif que celui du soleil, et qui m’enveloppa, ainsi que ceux qui voyageaient avec moi. Et étant tombé à terre, j’entendis une voix qui me disait en hébreu : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il te serait dur de regimber contre des aiguillons. Mais je dis : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : C’est moi, qui suis Jésus que tu persécutes. Mais lève-toi et te tiens sur tes pieds : car je te suis apparu afin de te choisir pour serviteur et pour témoin tant de ce que tu as vu que de ce que je te ferai voir, en te protégeant contre le peuple et contre les Gentils, vers lesquels je t’envoie pour leur ouvrir les yeux afin qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, afin qu’ils reçoivent par la foi en moi la rémission des péchés et une part entre les sanctifiés. En conséquence, roi Agrippa, je ne fus pas désobéissant à la vision céleste, mais m’adressant à ceux qui étaient à Damas d’abord et à Jérusalem et dans tout le pays de la Judée, puis aux Gentils, je les exhortai à se repentir et à se convertir à Dieu, en faisant des œuvres dignes de la repentance…

Avant d’étudier en elle-même l’apparition de Jésus à St. Paul, remontons un peu plus haut pour rappeler les événements auxquels elle se rattachait, et faire pressentir ceux qui ne devaient pas tarder à la suivre, pour la placer ainsi dans le cadre historique sans lequel elle ne saurait être comprise. Nous verrons en même temps ce que devinrent les disciples après l’Ascension.

Après cet événement, nous les voyons se prosterner avec adoration, puis, le cœur rempli de joie, retourner à Jérusalem (Luc 24.53), où ils demeurèrent, suivant l’ordre du Seigneur, particulièrement assidus à la prière (Actes 1.4) et occupés dans le Temple à bénir Dieu (Luc 24.53).

Dans une assemblée d’environ cent vingt disciples (Actes 1.15), le successeur de Judas Iscariot fut nommé, pour devenir avec les onze un témoin de la résurrection de Jésus : il fut choisi parmi ceux qui avaient été avec le Seigneur depuis son baptême jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel (Actes 1.21-22).

Dix jours après l’Ascension, la fête de Pentecôte étant arrivée, la grande promesse allait s’accomplir, de même que le Seigneur était mort et était ressuscité pendant la fête de Pâques. Les disciples étaient tous réunis dans un même lieu, lorsqu’il survint tout à coup du ciel un bruit semblable à celui d’un violent coup de vent et il y eut comme des langues de feu qui se posèrent sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit saint et ils commencèrent à parler selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.

Or il se trouvait alors à Jérusalem des Israélites venus d’un grand nombre de pays. A l’ouïe du bruit semblable à celui d’un vent impétueux, la multitude accourut et elle était confondue, chacun entendant parler les disciples dans son propre idiome. « Tous ces gens qui parlent, disait-on, ne sont-ils pas Galiléens ? Comment donc les entendons-nous parler dans nos propres langues des hauts faits de Dieu ? Que veut dire ceci ? » (Actes 2.1-12)

Alors Pierre, dans un discours rempli de hardiesse, de force, de tact, et d’intelligence des Saintes Écritures, expliqua qu’ainsi s’accomplissaient d’antiques prophéties et que Celui qui les accomplissait était ce Jésus qui venait d’être crucifié. C’est ce Jésus, dit-il, que Dieu a ressuscité, ce dont nous sommes tous témoins. Ayant donc été élevé à la droite de Dieu et ayant reçu l’Esprit saint qui avait été promis, il l’a répandu comme vous le voyez et l’entendez. (Actes 2.32-36)

Dès ce jour les Apôtres étaient capables d’exercer leur sublime ministère ; dès ce jour aussi l’Église fut largement fondée au sein du peuple juif, car environ trois mille personnes reçurent le baptême. Peu après, à la suite d’une miraculeuse guérison et d’un nouveau discours de Pierre, il y eut encore un grand nombre de croyants ajoutés à l’Église.

Mais la persécution avait déjà commencé : tandis que Pierre et Jean parlaient au peuple, ils virent arriver contre eux les grands-prêtres et le chef des gardes du Temple, ainsi que les sadducéens, irrités de ce qu’on annonçait en la personne de Jésus la résurrection des morts (Actes 4.1-2). Le lendemain, les deux Apôtres comparurent devant le sanhédrin et là, comme devant la foule, ils déclarèrent que c’était au nom de Jésus ressuscité que l’impotent avait été miraculeusement guéri. Les membres du sanhédrin, voyant leur assurance et ayant appris que c’étaient des hommes sans instruction, étaient dans l’étonnement ; ils les reconnaissaient pour avoir été avec Jésus et, comme ils voyaient debout à côté d’eux l’homme qui avait été guéri, ils n’avaient rien à objecter (Actes 4.13-14). Aussi se bornèrent-ils à interdire absolument aux deux Galiléens de parler et d’enseigner au nom de Jésus. Mais Pierre et Jean leur répliquèrent : « Jugez s’il est juste devant Dieu de vous écouter plutôt que Dieu, car nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous savons (Actes 4.19- 20). »

Or la multitude de ceux qui avaient cru, était un seul cœur et nul d’entre eux ne disait que ce qu’il possédait lui appartînt en propre. Les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection de Jésus avec une grande puissance (Actes 4.32-33). Ils faisaient de nombreux miracles et tous les disciples se tenaient ensemble dans le portique de Salomon. Le peuple faisait leur éloge et la multitude de ceux qui croyaient au Seigneur, tant hommes que femmes, s’augmentait de plus en plus (Actes 5.12-14). On accourait aussi des villes voisines avec des malades et des gens tourmentés par des esprits impurs, et tous étaient guéris (Actes 5.16).

La prison s’ouvrit de nouveau pour les disciples et cette fois ce fut pour tous les Apôtres. Mais un ange du Seigneur ouvrit de nuit les portes de la prison et, ayant fait sortir les Apôtres, il leur commanda de retourner dans le Temple et d’y enseigner. Au point du jour, ils entrèrent donc dans le Temple et ils y enseignaient (Actes 5.19-21).

Le sanhédrin, les ayant fait ressaisir, voulait les mettre à mort, mais ils furent épargnés sur le conseil de Gamaliel et, malgré une nouvelle défense de parler au nom de Jésus, ils ne cessaient d’annoncer la bonne nouvelle dans le Temple et dans les maisons (Actes 5.42).

Bientôt il y eut un premier martyr : ce fut le diacre Etienne, qui annonçait le Seigneur avec une irrésistible puissance et qui était accusé d’avoir dit que Jésus détruirait le Temple et changerait les ordonnances de Moïse (Actes 6.14). Après avoir comparu devant le sanhédrin, il fut entraîné hors de la ville et lapidé. Les témoins qui avaient jeté les premières pierres, avaient déposé leurs manteaux aux pieds d’un jeune pharisien, originaire de Tarse en Cilicie, et nommé Saul, qui devait bientôt paraître au premier rang des persécuteurs (Actes 7.58). Une grande persécution sévit en effet contre l’Église aussitôt après le martyre d’Etienne. La plupart des disciples se dispersèrent dans la Judée et dans la Samarie. Saul entrait dans les maisons, et il arrachait les hommes et les femmes pour les jeter en prison (Actes 8.1-3). Mais cette persécution elle-même devait contribuer à l’extension de l’Église. Ceux qui s’étaient dispersés, s’en allèrent de côté et d’autre, annonçant la bonne nouvelle (Actes 8.4).

Le diacre Philippe, entre autres, évangélisa la ville de Samarie, y accomplit plusieurs miracles et y baptisa un grand nombre de personnes. Les Apôtres, demeurés à Jérusalem, déléguèrent à Samarie Pierre et Jean, qui imposèrent les mains aux nouveaux convertis, et leur communiquèrent le Saint-Esprit.

Philippe, conduit par le Saint-Esprit, se rendit de Samarie sur la route qui descendait de Jérusalem à Gaza, et il y rencontra le principal, eunuque de la reine des Ethiopiens, venu à Jérusalem vraisemblablement comme prosélyte et comme prosélyte de la portea. Cet homme retournait dans son pays et il lisait le 53e chapitre d’Esaïe, quand Philippe l’aborda et lui annonça l’accomplissement de ces prophéties. L’Ethiopien ayant demandé le baptême, fut aussitôt baptisé. D’Azot ou Asdod, Philippe se dirigea vers Césarée, sans cesser d’évangéliser toutes les villes qui se trouvaient sur son passage (Actes 8.40).

a – Non comme prosélyte de la justice, c’est-à-dire sans avoir été admis dans la communauté israélite. Les eunuques étaient exclus de cette communauté, d’après Deutéronome 23.1.

L’Église entrait dans une nouvelle phase : d’abord circonscrite à Jérusalem, elle commençait à rayonner tout autour ; d’abord restreinte aux seuls Juifs, elle commençait à se recruter dans le monde païen. Bientôt il pourra être dit qu’elle était répandue dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie (Actes 9.31) — Pierre sera poussé par l’Esprit à entrer chez un centenier romain établi à Césarée, homme pieux et craignant Dieu, mais à peine prosélyte de la porte, et il le baptisera, lui et les siens, le St-Esprit ayant été visiblement répandu sur eux. Les chrétiens de Jérusalem, apprenant de la bouche de Pierre ce qui venait de se passer, glorifieront Dieu en disant : Ainsi donc Dieu a aussi donné aux Gentils la repentance pour avoir la vie ! (Actes 11.18) — Bientôt l’Évangile sera annoncé à Antioche, un grand nombre de Grecs s’y convertiront (Actes 11.20) et c’est dans cette ville que les disciples commenceront à prendre le nom de chrétiens, affirmant ainsi publiquement leur indépendance de la synagogue (Actes 11.26).

L’heure de l’évangélisation des Gentils sonnait, mais il devait surgir un homme, qui serait tout spécialement chargé d’inaugurer pour tous les siècles cette grande œuvre, soit par ses voyages missionnaires, soit en affranchissant complètement l’Église des langes du judaïsme et en faisant briller l’idée chrétienne dans toute sa pureté, dans toute sa spiritualité, dans toute son universalité. Cet homme, c’était précisément Saul de Tarse.

Après avoir persécuté les chrétiens de Jérusalem, respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, il vint trouver le grand-prêtre et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que s’il y trouvait quelques adhérents de la nouvelle doctrine, hommes et femmes, il les ramenât liés à Jérusalem (Actes 9.1-2). Mais tandis qu’il se rendait à Damas, il se passa un événement tout extraordinaire qui transforma le fanatique persécuteur en Apôtre et qui en fit même le grand Apôtre des Gentils. Fixons maintenant toute notre attention sur cet événement qui devait être d’une incalculable portée pour l’histoire de l’Église et de l’humanité.

[A quelle époque se passa cet événement ? Il semble encore impossible de le déterminer avec précision, et en fait les opinions sont très partagées. Cependant il est des limites assez étroites entre lesquelles il doit être placé, et il n’est pas difficile de les poser.

Une première limite peut être déduite de la mort d’Hérode-Agrippa Ier, qui arriva l’an 44 de notre ère et qui est racontée (Actes 12.23) comme ayant coïncidé avec le voyage que firent Paul et Barnabas d’Antioche à Jérusalem, pour porter secours aux chrétiens de la Judée, lors d’une famine (Actes 11.28-30 ; 12.25) : famine qui fut prédite par Agabus et qui est mentionnée par Josèphe (Antiq. XX, 2.6). Nous savons que Paul venait de passer une année entière à Antioche avant de faire ce voyage (Actes 11.26) ; qu’avant d’aller à Antioche, il était à Tarse, où Barnabas alla le chercher (Actes 11.25) et où il avait été envoyé de Jérusalem lorsque les Juifs de cette ville cherchaient une première fois à le faire périr (Actes 9.29-30). Nous savons de plus qu’il s’était écoulé un intervalle de trois ans entre sa conversion et son retour à Jérusalem (Galates 1.18 ; comp. Actes 9.23). Si donc nous retranchons de 44 l’année entière passée à Antioche, puis les trois ans passés à Damas ou en Arabie, nous arrivons à conclure que la conversion de Paul doit être placée avant l’an 40. Pour préciser davantage, il nous faudrait connaître la durée du séjour que Paul fit à Tarse avant de se rendre à Antioche, séjour au sujet duquel nous pouvons seulement conjecturer qu’il ne fut pas long.

Nous pouvons heureusement fixer une autre limite : nous voyons en effet que lorsque Paul dut s’enfuir de Damas avant de retourner à Jérusalem (2 Corinthiens 11.32-33 ; comp. Actes 9.24-25), cette ville était sous la domination d’Arétas, roi d’Arabie, beau-père d’Hérode-Agrippa Ier. Or on ne peut pas admettre que cette ville, qui précédemment était romaine et le redevint plus tard, ait passé sous la domination de ce roi avant 37 ou 38. Car ou elle passa sous sa domination par voie de conquête et ce dut être après la mort de Tibère, arrivée le 16 mars 37, lorsque Vitellius, préfet de Syrie, cessa de marcher contre Arétas, à la nouvelle de celle mort (ainsi que le suppose, entre autres, Neander), — ou elle passa sous la domination d’Arétas par voie de présent ou d’échange, lorsque Caligula régularisa les affaires d’Orient en 38 (ainsi que le conjecture Wieseler). Si maintenant nous tenons compte des trois ans que Paul passa à Damas ou en Arabie, nous reconnaîtrons que sa conversion n’a pas pu avoir lieu avant 34 ou 35. Elle n’a donc pu avoir lieu ni après l’an 40, ni avant l’an 34 ou 35.

Quant à la question de la durée de l’intervalle qui s’écoula entre la mort de Jésus et la conversion de Paul, elle se complique encore de la difficulté qu’on éprouve à déterminer la date de cette mort. Mais ici aussi le champ de l’incertitude est assez restreint : les divergences ne peuvent être que de quelques années et la mort de Jésus est généralement placée entre l’an 29 et l’an 33. On peut donc affirmer qu’entre l’ascension de Jésus et la conversion du grand Apôtre des Gentils, il s’écoula onze ans au plus, et c’est bien ce qui correspond à l’impression générale qu’on éprouve en lisant les évènements racontés dans les huit premiers chapitres du livre des Actes.]

Cet événement est raconté trois fois dans le livre des Actes : Actes 9.3-19, où l’auteur raconte directement, — Actes 22.6-16 ; 26.12-20, où le récit est mis dans la bouche de Paul lui-même : — d’abord dans un discours adressé aux Juifs de Jérusalem, au moment où l’Apôtre venait d’échapper à la mort, grâce à l’intervention de la cohorte romaine ; — et ensuite, lorsque le gouverneur Festus le faisait comparaître devant Hérode-Agrippa II, en passage à Césarée. — Dans le chapitre qui précède et dans celui qui accompagne ces deux discours, l’historien des Actes raconte à la première personne plurielle, donnant ainsi à entendre qu’il était alors le compagnon de Paul (Actes 21.15-17 ; 27.1-4).

Ces trois récits sont inégalement développés, cependant chacun d’eux est seul à nous transmettre certains détails. Même en faisant abstraction de toute idée d’inspiration, dans un livre dont la rédaction est aussi soignée et auquel nous pouvons appliquer ce que l’auteur dit en tête de son Évangile sur l’exactitude de ses recherches et la certitude des résultats auxquels elles l’ont conduit (Luc 1.1-4), — dans un livre dont l’auteur a été lui-même témoin et acteur pour plusieurs des faits qu’il relate, — dans ce livre et plus particulièrement encore dans la partie de ce livre qui concerne les faits dont l’auteur a été témoin, — d’emblée nous ne saurions admettre que s’il y a des différences dans la manière dont le même événement est raconté à plusieurs reprises, ces différences puissent constituer de véritables contradictions, et en fait nous verrons que les différences qui s’y trouvent, ne sont pas difficiles à expliquer. Elles ne seront donc pour nous qu’une nouvelle preuve de l’aisance avec laquelle S. Luc racontait les choses qu’il connaissait si bien. Après avoir déjà constaté cette aisance dans l’Évangile lui-même, puis en comparant l’Évangile et les Actes, nous la constaterons aussi d’après les seules données du livre des Actes.

Saul se rendait donc à Damas pour y continuer son œuvre de persécution. Il avait avec lui plusieurs compagnons de voyage, quand, approchant de la ville, au milieu du jour, — tout à coup une lumière venue du ciel — et plus éclatante que le soleil, l’enveloppa comme un éclair, — lui et ses compagnons. Tous aussitôt tombant à terre, il entendit une voix qui lui dit — en hébreu : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? — Il te serait dur de regimber contre des aiguillons — Il répliqua : Qui es-tu, Seigneur ? — Et la voix répondit : C’est moi qui suis Jésus — le Nazaréen, que tu persécutes. — Et Saul dit : Que ferai-je, Seigneur ? — Et le Seigneur lui dit : Lève-toi et te rends à Damas, et là il te sera dit ce qu’il faut que tu fasses.

Ici se place la seule divergence un peu saillante. Nous lisons dans Actes 9.7 : Mais les hommes qui faisaient route avec lui se tenaient muets, entendant bien la voix, mais ne voyant personne — et dans Actes 22.9 : Or ceux qui étaient avec moi virent bien la lumière, mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait. — En fait il n’y a aucune contradiction quelconque au sujet de ce que virent ou ne virent pas les compagnons de l’Apôtre, car ils ont pu voir la lumière tout en ne voyant personne, en ne distinguant pas Celui qui parlait, qui était au centre de la lumière et qui était lui-même lumière. Il n’en est pas précisément de même au sujet de ce qu’ils entendirent : il est dit, d’un côté, qu’ils entendirent la voix, et de l’autre, qu’ils n’entendirent pas la voix de celui qui parlait. Il est cependant possible de concilier les deux indications en donnant successivement au mot entendre les deux sens dont il est susceptible, en admettant qu’ils ouïrent une voix, sans comprendre ce qu’elle disait. Et les textes eux-mêmes semblent indiquer cette conciliation, puisque dans le premier il est simplement question de la voix et dans le second, de la voix de celui qui parlait. Il se serait alors passé quelque chose d’analogue à ce qui est raconté Jean 12.28-30, lorsqu’en réponse à la prière de Jésus : Père, glorifie ton nom ! une voix se fit entendre du ciel, disant : Déjà je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore, et que parmi la foule qui était présente, les uns disaient : C’est un tonnerre, et les autres : Un ange lui a parlé. Pour la vue comme pour l’ouïe, Saul et ses compagnons auraient également éprouvé une vive impression, mais elle n’aurait été nette et distincte que pour le disciple de Gamaliel ; il aurait seul distingué dans la lumière la personne qui parlait, et dans la voix, les paroles qui lui étaient adressées.

Ce qui nous prouve, du reste, d’après les Actes que Saul lui-même vit. Jésus, ce n’est pas seulement Actes 9.7 qui ne le fait qu’indirectement : Mais les hommes qui faisaient route avec Saul, se tenaient muets, entendant bien la voix, mais ne voyant personne, — c’est, de la manière la plus positive, la parole adressée par Ananias à Saul (Actes 9.17) : Saul, mon frère, le Seigneur qui m’a envoyé, Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais ; — c’est encore Actes 9.27 : Mais Barnabas le conduisit auprès des Apôtres et il leur raconta comment sur la route il avait vu le Seigneur et que celui-ci lui avait parlé ; — c’est encore Actes 22.14-15 : Puis Ananias me dit : Le Dieu de nos pères t’a élu d’avance pour voir le juste et entendre les paroles de sa bouche, parce que tu lui serviras de témoin auprès de tous les hommes au sujet des choses que tu as vues et entendues ; — c’est enfin Actes 26.16 : Mais lève-toi et te tiens sur tes pieds, car je te suis apparu, afin de te choisir pour serviteur et pour témoin tant de ce que tu as vu que de ce que je te ferai voir.

Mais reprenons notre récit. Quand Saul se releva de terre, il ne voyait rien, quoique ses yeux fussent ouverts, et c’était l’éclat de la lumière apparue qui l’avait aveuglé. Ceux qui étaient avec lui, l’ayant pris par la main, le conduisirent à Damas. Pendant les trois premiers jours qui suivirent son arrivée dans cette ville, il continua de ne pas voir et il ne mangeait ni ne buvait.

Alors le Seigneur apparut en vision à un chrétien, nommé Ananias, qui se trouvait à Damas et auquel tous les Juifs de la ville rendaient un bon témoignage. Il lui dit : Ananias ! Et il répondit : Me voici, Seigneur. Et le Seigneur lui dit : Lève-toi et va dans la rue appelée droite, et cherche, dans la maison de Judas, un nommé Saul, de Tarse, car voici il est en prière et il a vu en vision un homme nommé Ananias, qui entrait et lui imposait les mains afin qu’il recouvrât la vue. Mais Ananias répliqua : Seigneur, j’ai ouï parler à bien des gens de tous les maux que cet homme a fait souffrir à tes saints dans Jérusalem, et il apporte ici de la part des grands-prêtres le pouvoir de lier tous ceux qui invoquent ton nom. Mais le Seigneur lui dit : Va, parce que cet homme est pour moi un instrument de choix pour porter mon nom devant les Gentils et devant les rois et devant les enfants d’Israël, car moi, je lui montrerai tout ce qu’il faut qu’il souffre pour mon nom.

Là-dessus Ananias s’en alla et entra dans la maison et lui ayant imposé les mains, lui dit : Saul, mon frère, le Seigneur, — Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais, — m’a envoyé afin que tu recouvres la vue et que tu sois rempli du Saint-Esprit. Et aussitôt il tomba de ses yeux comme des écailles et il recouvra la vue ; s’étant levé, il fut baptisé et, ayant pris de la nourriture, il se fortifia (Actes 9.10-19).

Dans le discours de Paul aux Juifs de Jérusalem, les paroles d’Ananias à Saul sont rapportées avec plus de détail, et on ne saurait s’en étonner, puisque l’Apôtre n’avait point parlé, comme Luc dans son récit, de la conversation qui avait eu lieu d’abord entre le Seigneur et Ananias. Ananias, dit Paul, vint auprès de moi et s’étant approché me dit : Saul, mon frère, recouvre la vue ! Et à ce moment, je recouvrai la vue, en le voyant. Puis il me dit : Le Dieu de nos pères t’a élu d’avance pour connaître sa volonté, pour voir le juste et entendre la parole de sa bouche, parce que tu lui serviras de témoin auprès de tous les hommes au sujet des choses que tu as vues et entendues. Et maintenant que tardes-tu ? Lève-toi pour être baptisé et être lavé de tes péchés, après avoir invoqué son nom (Actes 22.13-16).

Dans le discours de Paul devant Festus et Agrippa, il n’est pas même question d’Ananias, et Paul peut ainsi réunir en une seule masse tout ce que le Seigneur lui avait dit lui-même ou par le moyen d’Ananias. Et le Seigneur lui dit : C’est moi, qui suis Jésus que lu persécutes. Mais lève-toi et te liens sur tes pieds ; car je te suis apparu afin de te choisir pour serviteur et pour témoin tant de ce que tu as vu que de ce que je te ferai voir, en te protégeant contre le peuple et contre les Gentils, vers lesquels je t’envoie, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de l’autorité de Satan, à Dieu, afin qu’ils reçoivent par la foi en moi la rémission des péchés et une part entre les sanctifiés (Actes 26.15-18).

Si nous considérons l’ensemble de l’événement tel que nous venons de le raconter, nous y distinguerons trois phases successives :

  1. L’apparition de Jésus à Saul sur le chemin de Damas ;
  2. Ce qui suivit cette apparition jusqu’au moment où Ananias vint vers Saul ;
  3. Ce qui se passa lorsqu’Ananias rendit visite à Saul.

Dans la première de ces phases, qui fut essentiellement objective, Saul vit et entendit le Seigneur. Depuis ce moment c’en était fait de lui comme persécuteur des chrétiens et comme pharisien, il croyait en Jésus et il était décidé à faire sa volonté ; mais il ne savait pas encore précisément quelle était cette volonté, il devait attendre qu’elle lui fût communiquée. De plus, la cécité et la prostration qui lui étaient survenues en son corps, étaient une fidèle image de l’état de son âme. Au physique et au moral, la lumière si vive et si inattendue qui lui était apparue, l’avait comme aveuglé, comme anéanti.

Dans la seconde phase, qui fut toute subjective et qui dura trois jours, nous voyons le prolongement de cet état d’accablement, de défaillance ; cependant il y a du repos, de la réflexion, du recueillement. Saul prie (Actes 9.11), il se prépare peu à peu à apprendre ce que le Seigneur demandera de lui, et à s’y conformer.

Dans la troisième phase, à la fois objective et subjective, le Seigneur agit de nouveau, mais dans une harmonie toujours plus complète avec la volonté même de Saul. Le Seigneur, par le moyen de l’humble Ananias, rend la vue à l’ancien persécuteur, il lui accorde le Saint-Esprit et lui annonce qu’il doit devenir Apôtre, en particulier parmi les Gentils. Saul invoque le nom du Seigneur, il est baptisé et lavé de ses péchés, il est déjà tout autre. II reprend de la nourriture et retrouve la santé du corps. Dans son corps et dans son âme, il n’est plus comme aveuglé et anéanti devant le Seigneur, il voit, il sent, il agit, il est prêt à agir, non seulement comme chrétien, mais encore comme Apôtre. Il est soumis, mais librement. C’est une nouvelle créature (2 Corinthiens 5.17) : — Or il demeura quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas et aussitôt après il annonçait Jésus dans les synagogues, en disant : C’est lui qui est le Fils de Dieu. Mais tous ceux qui l’entendaient étaient hors d’eux-mêmes et ils disaient : N’est-ce pas cet homme qui maltraitait dans Jérusalem ceux qui invoquent ce nom, et qui était venu ici dans le but de les amener liés devant les grands-prêtres ? Quant à Saul, il acquérait toujours plus de puissance et il confondait les Juifs qui habitaient Damas, en démontrant que Jésus est le Christ (Actes 9.19-22) — Dans Saul, de Tarse, on entrevoit déjà St. Paul et St. Paul pouvant dire : Christ est ma vie (Philippiens 1.21).

Avant de revenir sur la première phase qui appelle surtout notre attention, recherchons ce que les écrits de Paul pourraient nous apprendre sur sa conversion. Au fond, on retrouve l’influence marquée de cette extraordinaire conversion dans tout l’apostolat, dans tout l’enseignement de l’Apôtre, et plus tard peut-être nous aurons à le rappeler, mais ce ne sont pas ces conséquences que nous devons ici faire ressortir.

Nous ne trouvons dans les Épîtres de Paul aucun récit détaillé de ce qui se passa sur le chemin de Damas, et nous ne saurions nous en étonner, puisqu’il écrivait à des disciples qui devaient avoir connaissance de l’événement et à qui, du reste, il avait tout autre chose à écrire que ce qu’il devait dire pour son apologie devant les Juifs de Jérusalem ou devant Festus et Agrippa, — mais nous pouvons recueillir dans les Épîtres de l’Apôtre plusieurs allusions directes à sa conversion et ce sont ces allusions que nous allons brièvement énumérer et expliquer : nous les trouverons en pleine harmonie avec le récit fourni par les Actes. Sans doute, à elles seules, elles ne nous permettraient point de le construire, mais il les explique admirablement, il en est réellement la clef.

C’est surtout la première phase qui nous paraît indiquée Philippiens 3.12 : Non que j’aie déjà remporté le prix, ou que je sois déjà arrivé à la perfection, mais je m’efforce de le saisir, car c’est pour cela que j’ai été saisi par Christ,1 Corinthiens 9.1 : Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas Apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur ?1 Corinthiens 15.8-9 : Enfin après eux tous, il a été vu aussi par moi.

D’autre part, c’est bien surtout la dernière phase que nous retrouvons dans un très beau passage, parfois mal traduit, que nous lisons dans 2 Corinthiens 4.3-6 : Or si notre Évangile est encore voilé, c’est dans ceux qui périssent qu’il est voilé, dans les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé les entendements, afin que pour eux ne resplendît point l’éclat de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. Car ce n’est pas nous-mêmes que nous vous annonçons comme Seigneur, mais c’est Christ Jésus, et nous ne nous annonçons nous-mêmes que comme vos serviteurs à cause de Jésus, parce que Dieu qui a dit que la lumière brillât du sein des ténèbres, est Celui qui a brillé dans nos cœurs pour éclairer la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage de Christ. Nous paraphraserions ainsi ce dernier verset : Dieu, qui a créé au commencement les cieux et la terre, et qui a dit : Que la lumière soit ! est aussi Celui qui a brillé dans nos cœurs et il l’a fait, afin d’éclairer la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage de Christ, c’est-à-dire afin que cette lumière répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, nous fit connaître la gloire de Dieu sur le visage ou en la personne de Christ, et nous donnât ainsi les moyens de répandre cette connaissance parmi nos semblables. — Pour voir la lumière, il ne suffit pas que la lumière soit devant nous, il faut encore que nos yeux soient ouverts et qu’ouverts, ils puissent voir. Or il en est de même de la lumière spirituelle qui est en Christ, et c’est le Saint-Esprit qui nous fait ouvrir les yeux de l’âme et les rend capables de voir, de manière que nous puissions être réellement éclairés par cette lumière.

Nous retrouvons enfin la première et la troisième phases réunies dans le chap. Ier de l’Épître aux Galates : v. 1. Paul, Apôtre, non par le fait des hommes ou par l’entremise d’un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père, qui l’a ressuscité des morts… car je vous déclare, frères, que l’Évangile qui a été prêché par moi, n’est pas selon l’homme, car moi non plus, ce n’est pas de l’homme que je l’ai reçu et ce n’est pas par lui que j’en ai été instruit, mais par le moyen d’une révélation de Christ. Vous avez, en effet, ouï parler de la conduite que j’ai tenue jadis dans le judaïsme, comment je poursuivais à outrance l’Église de Dieu… mais quand Celui qui m’a mis à part dès le sein de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce, jugea bon de me révéler intérieurement son Fils, afin que j’en annonçasse la bonne nouvelle parmi les Gentils, aussitôt je ne pris point conseil de la chair et du sang, et je ne me rendis pas non plus à Jérusalem… — Si l’on peut voir la première et la troisième phases fondues ensemble et résumées dans le v. 1 et dans le v. 12, elles apparaissent dans les v. 15 et 16 à la fois distinguées et rapprochées, la première dans ces mots : Qui m’a appelé par sa grâce, et la troisième dans ceux-ci : Jugea bon de me révéler intérieurement son Fils.

Revenons maintenant à l’apparition de Jésus à Saul, pour chercher à nous en rendre compte.

Nous constaterons en premier lieu que cette apparition ne fut pas purement subjective, qu’elle ne fut pas une simple vision, qu’elle fut au contraire objective et objective-sensible, si l’on, nous permet cette expression. Cela ressort également de chacun des récits des Actes : la lumière enveloppe à la fois Saul et ses compagnons, et certes nous ne pouvons pas supposer que ses compagnons fussent mieux disposés que lui à l’égard de Jésus, — tous tombent aussitôt à terre, — tous entendent la voix, — cette lumière est plus vive que le soleil et c’est son éclat qui aveugle Saul ; — elle produit sur lui une telle impression qu’on est obligé de le conduire par la main à Damas ; — ce n’est que trois jours après qu’il recouvre la vue, et encore à la suite d’une guérison miraculeuse ; — quand il recouvre la vue, il tombe de ses yeux comme des écailles.

Il est vrai que les compagnons de Saul ne voient pas le Seigneur et ne comprennent pas ses paroles, mais ils voient la lumière, ils entendent une voix. Et ce qui nous aide à comprendre pourquoi Saul voyait et entendait mieux qu’eux, c’est que le phénomène était tout extraordinaire, d’un caractère éminemment religieux, et que Saul, tout adversaire qu’il était de Jésus, devait être mieux disposé que d’autres à percevoir ce phénomène et d’abord à regarder et à écouter. La droiture et l’énergie de son âme ne se révèlent-elles pas dans les deux questions qu’il adressa tout aussitôt : Qui es-tu, Seigneur ? et : Que ferai-je, Seigneur ? En fait de droiture, n’était-il pas un de ces Nathanaël, dont Jésus pouvait dire : Voilà vraiment un Israélite, dans lequel il n’y a pas de fraude (Jean 1.47) ? Et lui-même n’a-t-il pas écrit que s’il avait été persécuteur, il était alors dans l’ignorance provenant de son incrédulité ? (1 Timothée 1.13 : ὅτι ἀγνοῦν ἐποίησα ἐν ἀπιστίᾳ)

Il est vrai aussi que Paul, dans son discours à Agrippa, parle d’une vision : En conséquence, dit-il, je ne fus pas incrédule à la vision céleste (ὀπτασίᾳ, Actes 26.19). Mais il est évident qu’il faut interpréter ce mot d’après tout le récit qui précède, et par conséquent ne pas lui donner le sens d’une vision proprement dite, purement subjective, — de la même manière qu’à propos de Matthieu 17.9, nous avons vu, en citant Bleek, que τὸ ὃραμα se rapporte parfois à des apparitions miraculeuses objectives, bien que d’ordinaire il doive être traduit par vision.

Nous sommes d’autant plus autorisé à maintenir le caractère objectif évidemment assigné par Luc à l’apparition de Jésus à Saul, que nous savons que le compagnon de l’Apôtre distinguait très bien entre une vision purement subjective et la vue d’un événement objectif extraordinaire. Immédiatement après avoir raconté l’apparition sur le chemin de Damas, Luc parle d’une vision proprement dite, celle dont Ananias fut honoré, et il a soin de dire que ce fut une vision. — Avant d’exposer la vision qui détermina Pierre à se rendre chez Corneille, il dit que Pierre tomba en extase et qu’il eut alors cette vision. — Lorsque Pierre sortit miraculeusement de la prison où il avait été enfermé par Hérode-Agrippa Ier, l’historien des Actes dit nettement : Il ignorait que ce qui s’était fait par l’ange fût vrai, mais il s’imaginait avoir une vision… Et Pierre étant revenu à lui, dit : Maintenant je sais certainement que le Seigneur a envoyé son ange et qu’il m’a délivré des mains d’Hérode (Actes 12.9-11).

Luc mentionne deux autres occasions où le Seigneur se montra ou parla à Paul, mais il donne clairement à entendre que ce furent de pures visions : Actes 18.9 : Or le Seigneur, dans une vision nocturne, dit à Paul : Ne crains point, mais parle… ; Actes 22.17-18 : Or lorsque je fus retourné à Jérusalem, il m’arriva, comme je priais dans le temple, de tomber en extase et de le voir, me disant : Hâte-toi et sors en hâte de Jérusalem…

St. Paul parle lui-même de visions et de révélations du Seigneur qu’il a eues, et il raconte une de ces révélations, mais en avouant qu’il ne savait comment elle avait eu lieu : Je connais un homme en Christ, dit-il, qui, il y a quatorze ans, — si ce fut en corps, je ne sais, ou hors du corps, je ne sais, Dieu le sait, — fut enlevé jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme, — si ce fut en corps ou hors du corps, je ne sais, Dieu le sait, — fut enlevé dans le paradis et y entendit d’ineffables paroles… (2 Corinthiens 12.1-4) — Cette incertitude même fait ressortir la fermeté avec laquelle Paul affirmait avoir vu le Seigneur ressuscité et se plaçait sous ce rapport sur la même ligne que les autres Apôtres. 1 Corinthiens 9.1 : Ne suis-je pas Apôtre ? N’ai-je pas vu notre Seigneur ? 1 Corinthiens 15.8 : Enfin, après eux tous, il a été vu aussi par moi. On a observé avec raison que ce dernier passage est d’autant plus significatif dans le sens d’une apparition réelle, corporelle, du Seigneur, qu’il est en tête d’un chapitre où Paul combattait l’erreur de ceux qui niaient la résurrection des corps, et rappelait dans ce but qu’un des fondements de la prédication de tous les Apôtres, de lui Paul, comme des autres, était l’apparition de Christ ressuscité, à lui Paul, comme aux autres. Pour que le raisonnement fût juste, il fallait évidemment que Paul parlât de Jésus comme lui étant corporellement apparu.

Remarquons aussi quelle importance extrême et toute exceptionnelle est attachée dans les paroles d’Ananias à cette vue du Seigneur par Saul : Le Dieu de nos pères t’a élu d’avance pour connaître sa volonté, pour voir le juste et entendre la parole de sa bouche, parce que tu lui serviras auprès de tous les hommes, de témoin des choses que tu as vues et entendues (Actes 22.14-15. Comp. Actes 26.16).

Nous apprenons par nos Saints Livres qu’après son Ascension, Jésus apparut plusieurs fois à des disciples : ainsi à Etienne mourant (Actes 7.55-56), — à Paul lui-même, après l’apparition sur le chemin de Damas (Actes 18.9 ; 22.17-21), — enfin à Jean (Apocalypse 1.12-17). Mais de toutes ces apparitions, une seule semble avoir été objective-sensible, celle qui fut le point de départ de la conversion du grand Apôtre des Gentils. Toutes les autres semblent avoir été de véritables visions, objectives en ce sens qu’elles étaient bien voulues de Dieu et qu’elles transmettaient fidèlement la révélation qu’elles devaient transmettre, — mais non dans le sens d’une objectivité sensible, matérielle, tombant sous le sens au moins jusqu’à un certain point. Nous avons déjà rappelé que dans Actes 18.9 ; 22.17-21, il est parlé d’extase et de vision. Dans Actes 7.55, il est dit qu’Etienne était rempli du Saint-Esprit, lorsque fixant ses regards au ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Quant à Apocalypse 1.12-17, avant de raconter l’apparition du Seigneur dont il fut alors honoré, Jean rapporte qu’il était sous une influence extraordinaire de l’Esprit de Dieu, le récit de cette apparition porte à un haut degré le caractère symbolique et elle fut suivie de toute une série d’incontestables visions.

L’apparition de Jésus à Saul fut donc objective sensible comme celles qui eurent lieu avant l’Ascension pour les anciens Apôtres, mais il y eut cependant une grande différence entre celles-ci et celle-là : les anciens Apôtres virent Jésus après sa résurrection tel qu’il était avant l’Ascension, tandis que Saul fut appelé à contempler Jésus glorifié, tel qu’il est depuis l’Ascension, et c’est ici le second caractère de cette apparition, que nous relèverons.

Les récits des Actes indiquent déjà ce caractère, quand ils parlent de cette lumière, plus resplendissante que le soleil, dont l’aspect fit tomber à terre Saul et ses compagnons, et même frappa Saul de cécité, — lumière au sein de laquelle Saul vit le Seigneur.

Mais nous pouvons mieux encore nous représenter ce qu’il vit alors, si nous nous souvenons de ce qu’avaient vu Pierre, Jacques et Jean sur la montagne de la Transfiguration : Et il fut transfiguré devant eux, raconte Matthieu 17.2, et son visage brilla comme le soleil, tandis que ses vêtements devinrent blancs comme la neige ; — Matthieu 17.4 : Mais Pierre prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je ferai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ; — Marc 9.6 : … Il ne savait pas en effet ce qu’il disait, car ils avaient été saisis d’effroi.

Ce n’est pas tout. Rapprochons encore de la lumière que vit Saul, la description du Seigneur de gloire, tel qu’il apparut en vision à St. Jean, sans oublier toutefois que plusieurs traits de cette description sont évidemment symboliques : Et je me retournai pour voir la voix qui me parlait, et, m’étant retourné, je vis sept candélabres d’or et au milieu des candélabres, un être semblable à un fils de l’homme, revêtu d’une longue robe et ceint sur ses mamelles d’une ceinture d’or. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine aussi blanche que neige, et ses yeux étaient comme une flamme de feu, et ses pieds étaient semblables à de l’airain dans une fournaise et sa voix était comme un bruit de grandes eaux, et il y avait dans sa main droite sept étoiles, et de sa bouche sortait un glaive acéré à deux tranchants, et son visage était comme le soleil brillant dans sa puissance. — Et lorsque je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, et il posa sa main droite sur moi, disant : Ne crains pas, c’est moi qui suis le premier et le dernier et le vivant ; j’ai été mort et voici, je suis vivant aux siècles des siècles (Apocalypse 1.12-18).

Ce n’est pas tout encore. Revenons aux fragments de 1 Corinthiens 15, dont nous avions ajourné l’étude. Le moment est venu d’y puiser de précieux enseignements.

v. 20 à 49 : Maintenant, Christ est ressuscité des morts, comme prémices de ceux qui sont morts. En effet, comme la mort vient d’un homme, c’est aussi d’un homme que vient la résurrection des morts. Car de même que tous meurent en Adam, de même aussi tous reprendront vie en Christ… Mais quelqu’un dira : Comment ressuscitent les morts ? Dans quels corps viennent-ils ? Insensé, ce que tu sèmes, ne reprend vie, s’il ne meurt ; et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui deviendra, mais un simple grain, de blé peut-être ou de toute autre semence, et c’est Dieu qui lui donne un corps selon qu’il l’a voulu, à chaque semence un corps qui lui est propre. Toute chair n’est pas la même chair… Il en est de même pour la résurrection des morts : il est semé en corruption, il ressuscite en incorruptibilité ; il est semé en déshonneur, il ressuscite en gloire ; il est semé en faiblesse, il ressuscite en puissance ; il est semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel, car c’est ainsi qu’il est écrit : le premier Adam fut fait pour être une âme vivante ; le dernier Adam, pour être un esprit vivifiant. Ce qui est spirituel ne précède pas, mais vient après. Le premier homme est de la terre, terrestre ; le deuxième homme est du ciel ; tel qu’est le terrestre, tels sont aussi les terrestres ; et tel qu’est le céleste, tels aussi sont les célestes ; et de même que nous avons porté l’image du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste. Comp. Philippiens 3.21 : Christ transformera le corps de notre humiliation à la ressemblance du corps de sa gloire…

Le Christ ressuscité dont parle ici St. Paul, n’est pas proprement le Christ ressuscité, tel que, d’après les Évangiles, il était avant l’Ascension, ce n’est pas le Christ ressuscité transitoire, pour ainsi dire, mais le définitif, car il a un corps semblable à celui que nous aurons nous-mêmes lorsque nous aurons été ressuscités pour partager sa gloire. Il a un corps transformé, transfiguré ; non plus semé en corruption, mais incorruptible ; non plus semé en déshonneur, mais semé en gloire ; non plus semé en faiblesse, mais ressuscité en puissance ; non plus semé corps psychique, mais ressuscité corps spirituel. Ce n’est plus seulement une âme vivante, comme le premier Adam, c’est l’esprit vivifiant du second Adam. Il n’est plus de la terre et terrestre, il est du ciel, il est céleste. En un mot, c’est le Christ glorifié, tel que nous le connaissons depuis l’Ascension. Voilà bien le Christ, tel qu’il est apparu à Saul sur le chemin de Damas.

Continuons l’étude de ce remarquable chapitre, elle éclairera d’un nouveau jour la mystérieuse scène de l’Ascension. v. 51 : Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés, en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette, car la trompette sonnera et les morts ressusciteront et nous, nous serons changés. Car il faut que ce corruptible revête l’incorruptibilité et ce mortel, l’immortalité. Comp. 1Thes.4.15-17 : Nous vous déclarons en effet, selon une parole du Seigneur, que nous, les vivants, les réservés pour l’avènement de Jésus, nous ne devancerons certainement pas ceux qui sont morts, car le Seigneur lui-même, à un cri de commandement, à la voix d’un archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts qui sont en Christ, ressusciteront d’abord ; ensuite, nous les vivants, les réservés, nous serons tous enlevés avec eux sur des nuées, à la rencontre du Seigneur, dans l’air, et nous serons ainsi toujours avec le Seigneur.

La transformation corporelle qui doit un jour s’opérer en tous les vrais chrétiens ne se fera donc pas pour tous de la même manière : la plupart auront dû préalablement passer par la mort et ressusciteront ; pour ceux qui seront vivants lors du retour de Christ, il n’y aura ni mort, ni résurrection ; la transformation sera immédiate ; ce qui était corruptible revêtira aussitôt l’incorruptibilité et ce qui était mortel, l’immortalité — Christ ressuscité, mais ressuscité avec un corps tel que celui qu’il avait avant sa mort, ne devait pas mourir une seconde fois (Romains 6.9-10), il devait être transformé de la seconde manière — et comment ne reconnaîtrions-nous pas, même avec certitude, que le moment où cette transformation s’opéra fut celui où nous savons que Jésus fut glorifié, monta vers son Père et s’assit à la droite de Dieu, c’est-à-dire le moment de l’Ascension ? Cette transformation glorieuse n’était-elle pas en réalité une partie essentielle de sa glorification, à savoir la glorification de son corps ? Il y a donc une profonde analogie entre ce qui s’est passé en son corps lors de l’Ascension, et ce qui se passera dans le corps des croyants que le retour de Christ trouvera vivants. Ce qui le prouve encore, c’est que St. Paul dit qu’il y aura ascension pour ces croyants : ils seront tous enlevés sur des nuées, dit-il, à la rencontre du Seigneur (1 Thessaloniciens 4.17).

Nous espérons revenir sur ces considérations en étudiant au point de vue dogmatique la résurrection de Christ. Disons encore cependant que nous avons été heureux de retrouver l’opinion que nous venons d’exprimer, dans le beau livre de Julius Müller sur le Péché : « Nous ne pouvons pas douter, dit-il, que Christ, tel qu’il apparut après sa résurrection, n’ait eu un corps terrestre (σῶμα χοϊκὸν). Si Paul désigne le second Adam comme le céleste (ἐπουρὰνιος), en tant qu’il l’oppose au premier Adam, le terrestre, et qu’il le représente comme celui dont nous devons porter l’image lors de la Résurrection, il indique par là que ce n’est qu’avec l’Ascension que le corps de Christ est devenu le corps de gloire, auquel notre corps doit devenir semblable (Philippiens 3.21)… La résurrection et l’ascension de Christ ne peuvent être séparées : la résurrection commence d’une manière décisive un développement qui s’accomplit lors de l’ascension. Aussi quand Paul parle de la signification de la mort de Christ pour la résurrection des siens en vue non d’une vie terrestre, mais d’une vie céleste, toujours il suppose implicitement le fait de l’ascension de Christ » (Die christl. Lehre von der Sünde.).

[Telle était déjà, semble-t-il, l’opinion de Cyrille d’Alexandrie. Il dit en effet qu’avant que Christ fût monté au ciel, il n’avait pas voulu déployer la gloire ineffable de son saint corps (ἐξαπλοῦν τὴν ἀῤῥητον δόξαν τοῦ ἀγίου σώματος) ou transformer le temple qu’il habitait, dans la gloire qui lui était due et qui lui convenait (τόν οἰκεῖον ναὸν μεταστοιχειοῦν πρὸς δόξαν τὴν αὐτῷ χρεωστουμένην καὶ πρέπουσαν). Comment. in Joh. liv. XII ad XX,19, d’après C.-L. Müller.]

Remarquons enfin que si Paul ne raconte pas l’Ascension, comme du reste il n’y était point appelé, il fait allusion à ce fait dans plusieurs passages : 1 Timothée 3.16 : Il a été enlevé en gloire (ἀνλήφϑη ἐν δόξῃ) — Éphésiens 4.10 : Celui qui est descendu, c’est lui aussi qui est monté (ὁ ἀναβὰς) au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toute chose…Philippiens 2.9 : Dieu l’a souverainement élevé (ὑπερύψωσεν) et lui a donné un nom au-dessus de tout autre nom. Comp. Hébreux 4.14 ; 7.26 ; 9.24.

Paul parle aussi plusieurs fois de la conséquence immédiate de l’Ascension, de la séance de Christ à la droite de Dieu, et il distingue nettement entre cette séance et la résurrection. Romains 8.34 : C’est Christ qui est mort, bien plus qui est ressuscité, c’est lui qui est aussi à la droite de Dieu… Éphésiens 1.20 : Il a déployé sa force en Christ, en le ressuscitant des morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les cieux. Colossiens 3.1 : Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, là où Christ est assis à la droite de Dieu. — Comp. Marc 16.19 ; Actes 2.32-33 ; 5.30-31 ; 1 Pierre 3.21-22 ; Hébreux 1.3 ; 8.1 ; 10.12, etc.

Ailleurs enfin Paul établit catégoriquement qu’une fois ressuscité, Christ ne pouvait mourir une seconde fois : Romains 6.9-10 : Sachant que Christ, étant ressuscité des morts, ne meurt plus : la mort n’a plus de puissance sur lui : car la mort qu’il a soufferte, c’est pour le péché qu’il l’a soufferte une fois pour toutes… — Dans son discours aux Juifs d’Antioche de Pisidie, il rattache même à cette impossibilité une prophétie de l’Ancien Testament : Actes 13.34-37 : Mais que Dieu ait ressuscité Jésus sans qu’il dût retomber encore dans la corruption, c’est ce qu’il dit en ces termes : Je vous donnerai les choses saintes de David, qui sont certaines. C’est pourquoi Il dit encore ailleurs : Tu ne permettras pas que ton saint sente la corruption. En effet quant à David, après avoir, par la volonté de Dieu, servi sa propre génération, il est mort et a été réuni à ses pères et il a vu la corruption, tandis que Celui que Dieu a ressuscité n’a pas vu la corruption. Comp. Actes 2.24-31 ; Hébreux 7.27 ; 9.26-28.

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