Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 13
L’étudiant Jean Calvin à l’université d’Orléans

(1527, 1528)

2.13

Un ami de Calvin – Les étudiants à Orléans – Pierre de l’Étoile – Enseignements sur les hérétiques – Calvin reçu dans la nation picarde – Calvin est nommé procurateur – Procession pour la maille de Florence – Ses professeurs le distinguent – Ses amis à Orléans – Daniel et ses dames – Melchior Wolmar – Calvin étudie le grec avec lui – Avantage pour l’Église de Dieu

Calvin, appelé par la volonté de son père et par ses propres convictions à abandonner la carrière du sacerdoce, à laquelle il se préparait, avait quitté Paris dans l’automne 1527, pour aller à Orléans, étudier la jurisprudence que Pierre de l’Etoile y enseignait avec éclat. Reuchlin, Aléandre, Érasme même, disait-on, ont professé dans cette ville ; « mais l’Étoile éclipse tous ces soleils. » On le regardait comme le prince des jurisconsultes françaisl.

l – « … Jurisconsultorum gallorum princeps. » (Bezæ Vito. Calvini.)

Calvin, arrivé dans cette antique cité, à laquelle l’empereur Aurélien avait donné son nom, craintif de son naturel, et repoussé par les cris bruyants des écoliers, se tenait à l’écart. Cependant sa nature aimante soupirait après un ami ; il rencontra, au milieu de la foule, un jeune littérateur nommé Nicolas Duchemin, qui se préparait à devenir professeur dans la faculté des lettresm. Calvin fixa sur lui son regard observateur ; il le trouva modeste, modéré, point susceptible, n’adoptant pas sans examen une opinion quelconquen, d’un jugement équitable, d’une extrême prudence, d’une grande douceur, mais aussi de quelque lenteur dans ses mouvements. Le caractère de Duchemin formait un contraste frappant avec la vivacité, l’ardeur, la sévérité, l’activité, nous dirons même la susceptibilité de Calvin. Pourtant il se sentit attiré vers la douce nature du jeune professeur, et la différence même de leurs tempéraments répandit un charme inexprimable dans tous leurs rapports. Duchemin n’ayant qu’une modique fortune tenait escoliers en pension, comme le faisaient un grand nombre de bourgeois. Calvin lui demanda de le recevoir sous son toit et devint ainsi l’un des membres de la famille. Il l’aima bientôt avec toute l’énergie d’un cœur de vingt ans, et se réjouit d’avoir retrouvé en lui un Mominor, un Olivétan, davantage même. Il voulait tout partager avec Nicolas, le revoir quand il s’était éloigné, et lui parler sans cesse. « O mon Duchemin, lui disait-il, ô mon ami, tu m’es plus cher que la vieo ! » Toutefois cette ardente amitié n’était point aveugle ; fidèle à son caractère, Calvin discernait le faible de son ami, qui manquait, à son gré, d’énergie, et il l’en reprenait.« Prends garde, lui disait-il, que ta grande modestie ne dégénère en indolencep. »

m – « Jam dedisti nomen inter rei litterariæ professores. » (Calvinus Chemino, manuscrit de Berne.) Cette lettre se trouve dans les Letters of John Calvin, publiées en anglais à Philadelphie, par le Dr Jules Bonnet. C’est à ce savant ami que je dois la communication des manuscrits latins.

n – « In ea natus es dexteritate, quæ nihil imprudenter præjudicare soleat. » (Calvinus Chemino.)

o – « Mi Chemine ! amice mi ! inea vita charior ! » (Calvinus Chemino.)

p – « Vide ne desidem tefaciat tuus pudor. » (Ibid.)

L’écolier de Noyon, consolé par cette noble amitié, se mit à examiner de plus près le peuple universitaire qui l’entourait. Il s’étonnait en voyant une foule d’étudiants s’agiter dans les rues, sans se soucier des lettres, à ce qu’il lui semblait. Tantôt il rencontrait un jeune seigneur portant des chausses collantes, un pourpoint richement brodé, un petit manteau à l’espagnole, un bonnet de velours, un poignard magnifique. Ce jeune sire, suivi de son domestique, tenait le haut du pavé, levait fièrement la tête, jetait à droite et à gauche des regards impertinents et voulait que chacun lui cédât le pas. Plus loin, une troupe bruyante s’avançait ; c’étaient des fils de riches bourgeois, qui ne paraissaient pas avoir plus de goût pour les études que les fils des nobles, et qui se rendaient en chantant et en folâtrant dans un de ces jeux de paume fort nombreux dans la ville (il n’y en avait pas moins de quarante). Dix nations, réduites plus tard à quatre, composaient l’université. La germanique joignait à « la beauté vive et ravissante du corps, » celle d’un esprit poli par de continuelles études. Sa bibliothèque était appelée « le domicile des musesq. »

q – Le Maire, Antiquités d'Orléans, I, p. 388. – Theod. Beza, von Baum, I, p. 27.)

Calvin faisait une singulière figure au milieu du monde qui l’entourait. Sa petite taille et sa face blême contrastaient fort avec le visage robuste et la stature imposante des compatriotes de Luther. Une chose pourtant lui plaisait : « Vraiment, disait-il, cette université est une oasis républicaine au sein de la France asservie. » En effet, l’esprit démocratique se faisait sentir même aux jeunes aristocrates qui se trouvaient à la tête de chaque nation, et la seule autorité incontestée dans Orléans était celle de Pierre de l’Étoile.

Cette « étoile du matinr » (comme parlent les registres de la nation picarde) s’était levée au milieu des brumes, et brillait dans l’école comme le soleil. Ce grand docteur joignait à un esprit éminemment juridique, un cœur affectueux ; il était inflexible comme la loi et tendre comme une mère. Sa manière d’enseigner avait un charme inouï. Membre du concile de 1528, il y avait prêché la répression de l’hérésie. Mais à peine eut-il rencontré Calvin à Orléans, qu’attiré par la beauté de son génie et les charmes de son caractère, il l’aima tendrement. Quoique opposé à la doctrine religieuse du jeune homme, il était fier de l’avoir pour élève, et fut jusqu’à la fin son ami, donnant ainsi dès le seizième siècle un touchant exemple de cette noble équité chrétienne, qui sait aimer les hommes, tout en repoussant leurs opinionss.

r – « Ille quasi Stella matutina in medio nebulæ et quasi sol refulgens emicuit. » (Bimbenet, Histoire de l'Université des lois d'Orléans, p. 357.)

s – Bimbenet, Histoire de l'Université des lois d'Orléans, p. 354-5.

Calvin, assis sur l’un des bancs de l’école, écoutait attentivement le grand docteur, et se pénétrait de certains principes, dont nul alors dans toute la chrétienté ne songeait à contester la justesse. « C’est de l’obéissance aux lois, disait Pierre de l’Étoile, que dépend la prospérité des peuples. Si elles punissent les attentats contre les droits de l’homme, à plus forte raison doivent-elles punir les attentats contre le droit de Dieu. Quoi ! la loi protégerait l’homme dans son corps, dans ses biens, et non dans son âme et son plus précieux et éternel héritage ?… Un voleur ne pourrait nous enlever notre bourse, mais un hérétique pourrait nous ravir le ciel ? » Jurisconsultes, étudiants, nobles et peuple, tous étaient alors convaincus que la loi devait également garantir les biens temporels et les biens spirituels. Les hommes insensés et furieux, disait le Code que Pierre de l’Étoile expliquait à ses élèves, ceux qui, proclamant des dogmes hérétiques et infâmes, rejettent la doctrine apostolique et évangélique, du Père, du Fils et du Saint-Esprit en une seule déité et une pieuse trinité, doivent être livrés d’abord à la vindicte divine, mais ensuite frappés d’une peine corporellet. N’est-ce pas là un crime public, ajoutait le Code, et bien que commis contre la religion de Dieu, ne l’est-il pas au préjudice de tousu ?… »

t – « Hæretici divina primum vindicta, post etiam… ultione plectendi. » (Justiniani Codicis, lib. I, tit. 1, De summa Trinitate et ut nemo de ea publice contradire audeat.)

u – « Publicum crimen, quia quod in religionem divinam committitur in omnium fertur injuriam. » (Ibid, tit. v, De Hæreticis.)

Les jeunes gens de vingt et tant d’années, auditeurs de Pierre de l’Étoile, recevaient de ces paroles des impressions profondes, qui, faites au moment où le caractère prend sa direction, devaient durer toute la vie. Il fallait du temps à l’esprit de l’homme pour se dépouiller de ces préjugés juridiques qui depuis plus de mille ans étaient la loi universelle des intelligencesv. Pouvait-on s’attendre à ce qu’un jeune disciple, se levant contre les docteurs les plus vénérés, se mît à distinguer entre la sphère temporelle et la sphère spirituelle, entre l’ancienne et la nouvelle économie, et à insister sur ce que la grâce ayant été proclamée, en vertu du grand sacrifice offert à la justice éternelle, il répugnait à l’Évangile de Christ que l’homme vengeât le droit de Dieu par de sévères jugements ? Non, pendant le seizième siècle, même le dix-septième, presque tous les esprits éclairés devaient, à cet égard, rester plongés dans les plus déplorables errements.

v – Le Code Justinien est de 529, juste mille ans avant l’époque où Calvin étudiait ; mais la plupart des lois qui s’y trouvent étaient plus anciennes.

Calvin, d’abord timide et craintif, s’humanisa peu à peu ; on le recherchait, et il parlait volontiers avec l’un et avec l’autre. Il fut reçu dans la nation picarde. Je jure, dit-il, de garder l’honneur de l’université et de ma nationw. » Cependant il ne se laissa point lier par l’esprit universitaire : il eut un esprit plus large que ses condisciples, et nous le voyons en rapport avec ceux de toutes nations, vers lesquels l’appelait une communauté d’affection et d’étude. C’était dans le monastère de Bonne-Nouvelle, que l’Étoile enseignait. Calvin écoutait silencieusement les paroles du maître, mais on le voyait entre les leçons converser avec ses condisciples ; entrer, sortir, se promener dans la salle, tout comme un autre. Un jour même, s’approchant de l’un des piliers, et tirant son canif, il y grava un C, puis un A, et enfin on lut le nom de Calvin, nous dit l’historien de l’université. Ce fut Cauvin, peut-être, nom de son père, ou bien Calvinus, car les étudiants aimaient à latiniser leurs noms. Ce ne fut que plus tard seulement, que le mot latin étant retraduit en français, le réformateur porta son nom définitif. Ce Calvin subsista longtemps sur le pilier où la main du jeune Picard l’avait gravé ; nom de querelles et de débats, insulté par les dévots, mais respecté de plusieurs. « Ce précieux autographe a disparu, dit l’historien, avec les derniers vestiges de l’édificex. »

w – Bimbenet, Histoire de l'Université des lois d'Ortéans, p. 30.

xIbid., p. 358. C’est la préfecture qui occupe maintenant la place de la Bonne-Nouvelle.

Les Picards, fiers d’un tel condisciple, le portèrent à la plus haute charge de la nation, celle de procurateur. Calvin était ainsi au premier rang dans les processions et dans les assemblées publiques de l’université. Il devait convoquer, rendre compte, examiner, ordonner, conclure, exécuter, signer les diplômes. Au lieu de réunir ses nationaires en un joyeux banquet, Calvin, frappé des désordres qui s’étaient glissés dans ces repas, versa au trésor la somme qu’il aurait dépensée et fit un don de livres à la bibliothèque communey. Bientôt, sa charge l’appela à déployer cette fermeté de caractère qui a signalé toute sa vie. Ce trait inconnu vaut la peine d’être raconté.

yHistoire de l’Université des lois d’Orléans, p. 40, 41, 51, 52, 358.

Tous les ans, le jour de l’Invention du corps de Saint-Firmin, les habitants de la petite ville de Beaugency près d’Orléans, se présentaient à l’église de Saint-Pierre et après le chant de l’épître, ils remettaient au procurateur de la nation picarde une pièce d’or appelée maille de Florence, du poids de deux écus. « Voici, dit-on à Calvin, l’origine de cet ancien usage. L’an 687, le 13 janvier, le corps du martyr saint Firmin, ayant été solennellement exhumé, une transformation merveilleuse s’accomplit dans la nature. Les arbres, reprirent leur parure, se couvrirent de feuilles et de fleurs, et en même temps un parfum surnaturel se répandit dans les airs. Simon, sire de Beaugency, travaillé de la lèpre, s’étant mis à la fenêtre de son château pour voir la cérémonie, fut rendu à la santé par cette odeur suave. Il institua, comme signe de sa gratitude, un revenu annuel d’une maille d’or, payé d’abord au chapitre d’Amiens, puis aux étudiants picards réunis en nation à Orléansz. »

zHistoire de l’Université des lois d’Orléans, p. 161 et 162.

Calvin, qui blâme « les vieilles bêtises et âneries que l’on substitue à la gloire de Jésus-Christ, » n’ajoutait pas grande foi à ce miracle. Toutefois le tribut n’ayant pas été acquitté l’an 1527, il résolut d’aller avec la nation querir la maillea. Il assemble ses compatriotes, il met en tête la musique et les bedeaux ; il ouvre la marche, tous ses nationaires le suivent, allant à la file l’un de l’autre, et la procession bruyante arrive enfin à Beaugency. La maille fut déposée en ses mains. Elle portait à la face l’effigie de Jean-Baptiste et au revers une fleur de lis avec ce mot : Florentiab. Les étudiants picards, satisfaits et ayant leur chef illustre à leur tête, reprirent le chemin d’Orléans, rapportant en triomphe la maille d’or, comme autrefois Jason et les Argonautes avaient rapporté de Colchide la toison d’or. La procession rentra dans la ville aux cris de joie de l’université. Calvin devait un jour enlever au dragon un plus magnifique trésor, et des peuples plus nombreux devaient faire éclater leur joie par de plus grands cris d’allégressec.

a – M. Bimbenet, greffier en chef à la cour impériale d’Orléans, rapporte cette tradition dans son Histoire de l’Université de cette ville, p. 179 et 358.

b – Cette maille était probablement le florin d’or de Florence. Le giglio fiorentino est l’armoirie de cette ville, et Jean-Baptiste en est le patron. « La lega suggellata del Batista, » dit le Dante, Inferno, XXX, 74.

cHistoire de l’Université des lois d’Orleans, p. 173,176, 179.

Calvin, quoiqu’il ne voulût pas se separer de ses condisciples, souffrait souvent au milieu de cette multitude tapageuse et dissolue, et se détournait avec dégoût des duels, des excès de la table et des galanteries qui tenaient une si grande place dans la vie des étudiants. Il préférait l’étude et s’était mis de tout son cœur au droitd. La vivacité de son esprit, la force de sa mémoire, le style remarquable dont il savait revêtir les enseignements de ses maîtres, la facilité avec laquelle il recueillait certains propos, certaines sentences, qui sortaient de leur bouche, « les saillies et boutades d’un bel esprit, qu’à tout coup il faisait paraître, » tout cela, dit un catholique romain, le fit bientôt distinguer par ses professeurse.

d – « Ut patris voluntati obsequerer, fidelem operam impendere conatus sum. » (Calv., in Psalm.)

e – « Singularem ingenii alacritatem… etc. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie, livre VII, chap. 9.)

Mais il devait trouver quelque chose de meilleur sur les bords de la Loire ; l’œuvre commencée à Paris, devait s’affermir et se développer à Orléans. Calvin, toujours aimé de ceux qui le connaissaient, se fit de nombreux amis, surtout parmi certains hommes attaqués par des prêtres, et dont la foi abondait en douceur chrétienne. Chaque jourf, il avait avec Duchemin des conversations sérieuses. Et puis, pour diminuer ses frais, il partageait sa chambre avec un pieux Allemand, ancien franciscain, qui ayant compris, comme le disait Luther, que ce n’était pas le capuchon de Saint-François qui sauve, mais le sang de Jésus-Christ, avait jeté aux orties son sale capuchong et était venu en France. L’étudiant picard parlait avec lui de l’Allemagne, de la Réformation ; et quelques-uns ont cru que ce fut là ce qui premièrement subvertit Calvin de la foih.

f – « Longa consuetudine diuturnoque usu. » (Beza) Vita Calvini.)

g – « Læusige Kappe. »

hRemarques sur la vie de Calvin, hérésiarque, par J. Desmay, vicaire général, p. 43.

Après la maison de Duchemin où soufflait le vent de la vie nouvelle, après la bibliothèque, dont le conservateur, Philippe Laurent, devint son ami, Calvin, aimait surtout à se trouver dans la famille d’un avocat, où trois dames instruites, aimables et pieuses, lui offraient une agréable conversation ; c’était celle de François Daniel, « personnage, dit Bèze, qui, comme Duchemin, avait connaissance de la vérité. » Homme grave, influent, et doué d’un christianisme intérieur, Daniel (peut-être sa qualité de jurisconsulte y était-elle pour quelque chose) avait un esprit très conservateur, et tenait aux formes et aux ordonnances de l’Église. Calvin, au sortir de l’école, de la bibliothèque et du cabinet, venait se délasser dans cette maison. La société de femmes instruites et pieuses put avoir sur son esprit une influence heureuse, qu’il eût vainement cherchée dans le commerce des docteurs. Aussi, quand il était absent, ne manquait-il pas de se rappeler au souvenir de la mère, de la femme de son ami et de Francisca sa sœuri.

i – « Saluta matrem, uxorem, sororem Franciscain. » (Calvinus Danieli, manuscrit de Berne.)

Il rencontrait quelquefois près de ces dames un jeune homme pour lequel il avait peu de sympathie : c’était un étudiant parisien nommé Coiffard, vif, actif, intelligent, mais égoïstej. Combien il lui préférait Daniel, chez lequel il trouvait un esprit si solide, une âme si élevée, et avec lequel il avait de si utiles conversations. Les deux amis étaient d’accord sur un point : une réformation de l’Eglise est nécessaire ; mais ils rencontrèrent bientôt un autre point qui devait créer un jour entre eux un dissentiment profond. « Cette réformation, disait l’avocat, doit s’accomplir dans l’Église ; nous ne devons pas nous séparer de l’Église. » Les rapports de Calvin avec Duchemin devinrent peu à peu moins fréquents ; celui-ci, fort négligent de sa nature, ne répondait pas aux lettres de son amik. Mais l’attachement de Calvin pour Daniel ne fit que s’accroître aussi longtemps que le réformateur demeura en France, et c’est à lui que sont adressées presque toutes les lettres qu’il a écrites de 1529 à 1536.

j – « De Coiffartio quid aliud dicam nisi hominem esse sibi natum ? » (Calvinus Danieli, manuscrit de Genève.)

kCalvin's Letters, Philadelphie, I, p. 32.

Toutes ces amitiés ne suffisaient pas encore à Calvin ; il entendait parler chez Daniel, chez Duchemin, à la bibliothèque, partout, d’un homme qu’il brûla bientôt de connaître, et qui exerça sur lui plus d’influence que tous les autres. Un pauvre jeune Allemand de Rotweil, nommé Melchior Wolmar, était venu à Paris, et obligé de travailler pour vivre, il avait été quelque temps correcteur d’imprimeriel. Avide de connaissances, le jeune prote laissait de temps en temps ses épreuves pour se glisser parmi les étudiants qui se pressaient en foule autour de l’illustre Jean Lascaris, de Budé, de Lefèvre. Il devint, à l’école de celui-ci, un sincère chrétien, à l’école des deux premiers un grand helléniste. Promu maître ès arts avec cent autres, il obtint le premier rang. Devant un jour (c’était en Allemagne) improviser un discours dans sa langue maternelle, Wolmar demanda la permission de parler en grec, parce que, dit-il, cela lui était plus facile. Il avait été appelé à Orléans pour l’enseignement de la littérature grecque. Pauvre encore, malgré sa science, il avait chez lui un petit nombre de jeunes enfants de bonne maison. « Il a été mon fidèle précepteur, dit Théodore de Bèze, l’un d’eux. Avec quelle adresse merveilleuse il enseignait, non seulement dans toutes les bonnes disciplines, mais aussi dans la piétém. » Ses élèves ne l’appelaient pas Melchior, mais Melior (meilleur).

l – Wolmar, Commentaire sur l'Iliade.

m – Théod. de Bèze, Vie de Calvin et Histoire des Églises réformées, I, p. 67.

Calvin, dont l’âme élevée était attirée par tout ce qui est beau, se lia avec ce professeur distingué. Son père l’avait envoyé pour étudier le droit civil ; mais Wolmar « le sollicitait de s’adonner à la connaissance des classiques grecs. » Au premier moment Calvin hésita ; il se rendit enfin. « J’étudierai, dit-il, mais puisque c’est vous qui me donnez l’impulsion, il faut aussi que ce soit vous qui me donniez le secours. » Melchior lui répondit qu’il était prêt à lui consacrer abondamment, non seulement son enseignement, mais encore sa personne, sa vie, lui-mêmen. Dès lors Calvin fit dans la littérature grecque les progrès les plus rapides. Le professeur l’aimait par-dessus tous ses élèveso. C’est ainsi qu’il fut mis en état de devenir le plus illustre commentateur des Écritures. « Cette connaissance de la langue grecque, ajoute Bèze, a servi très grandement à toute l’Église de Dieu. » Ce que Cordier lui avait été pour le latin, Wolmar le fut pour le grec.

n – « Quum liberaliter paratus fueris te mihi officiaque tua impendere. » (Calv., in 2 Ep. aux Cor.)

o – « Præ cæeris discipulis diligere ac magnifacere eum cœpit. » Flor. Réinond, Hist. de l’Hérésie, liv. VII, chap. 9)

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