Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 26
François Ier et Clément VII luttent de ruse autour de Catherine

(Hiver 1533)

2.26

Doutes insinués par Charles – Qu’on demande la procuration – Hésitation du roi – La procuration arrive – Nouvelle manœuvre de Charles-Quint – Son chagrin – Charles-Quint demande le concile universel – François Ier propose un concile laïque – Importance de cet acte – Les vrais conciles évangéliques – Charles condamne, François se justifie – Sécularisation de la papauté – Le pape signe la ligue italienne – Chapeaux de cardinal demandés – Dépit de Charles – Projet d’entrevue entre le roi et le pape – Le mariage se fera

L’Empereur, quand il apprit ces choses, commença à froncer les sourcils. Un éclair de lumière lui dévoila les desseins habiles de son rival, et aussitôt il entreprit d’empêcher cette dangereuse union. Charles-Quint, François Ier, Henri VIII, le pape s’agitent à la pensée de ce mariage, et la petite Catherine est la Briséis, autour de laquelle se réunissent et combattent les plus grandes puissances de l’univers.

L’Empereur tâcha d’abord d’insinuer au pape des soupçons sur la mauvaise foi du roi de France. Cela n’était pas difficile. « Clément VII n’osait, dit Du Bellay, se tenir pour assuré que le roi voulût lui faire tant d’honneurq. » « Le mariage d’Orléans serait certes très honorable et très avantageux, disaient Charles-Quint et ses ministres, mais il ne faut pas que Sa Sainteté en fasse fondement ; le roi ne met ce propos en avant que dans l’intention de l’amuser, pour faire son profit de luir. » Et si le pape rappelait les promesses d’Albany, de Gramont, de Tournon, les ministres de Charles gardaient le silence, et ne répondaient que par un léger sourire. Le coup avait porté. Clément VII, qui cherchait toujours à tromper, était naturellement porté à croire que le roi faisait comme lui.

q – Du Bellay, Mémoires, p. 179.

r – Du Bellay, Mémoires, p. 180.

L’Empereur et les diplomates voyant qu’ils avaient fait brèche, entreprirent un nouvel assaut. Charles demanda au pape la main de la jeune personne pour François Sforce, duc de Milan. Ce projet était digne de cette fécondité de génie que Charles montra toujours dans l’invention des moyens propres à assurer le succès de sa politique. En effet cette union aurait le double avantage d’enlever d’un seul coup à la France Catherine et le Milanais. Charles insinuait à l’oncle qu’il ferait bien mieux d’accepter pour sa jeune parente un mariage réel que de courir après une ombre. « Cette offre est grande, dit Clément, et le parti est bon. Mais l’autre est si beau, si honorable pour ma maison, eu égard aux dignités, que je n’aurais jamais osé espérer tant d’honneur… et les progrès en sont si avant, que je ne puis prêter l’oreille, à quelque autre offre, sans offenser le rois. »

sIbid. — Guicciardini, Hist. des guerres d’Italie, II, livre XVI, p. 894-897.

Clément VII était devenu difficile. Si les Médicis étaient issus d’un marchand, les Sforce descendaient d’un paysan, d’un chef de bandes, d’un condottiere. Le pape faisait fi du duc de Milan. D’ailleurs, dit Guicciardini, il brûlait du désir de marier sa nièce au second fils de François Iert. » C’était à cela qu’il revenait toujours. Charles-Quint lui disait que François Ier voulait par son offre faire échouer la ligue italienne, et qu’alors le mariage échouerait de mêmeu. Mais Clément soutenait que l’offre du roi était sincère. Eh bien ! dit l’Empereur au pape, il y a un moyen très simple de vous éclaircir sur ce point ; demandez aux deux cardinaux de faire venir immédiatement de France la procuration nécessaire pour stipuler cette union. Vous verrez si cette proposition est autre chose qu’une fausse monnaie que l’on a fabriquée pour vous tromperv. »

t – Guicciardini, Hist. des guerres d’Italie, II, livre XVI, p. 894-897.

u – « Cæsar arbitratus illud conjugium quasi per simulationem a rege oblatum. » (Pallavicini, Hist. Concil. Trid., III, cap. 2, p. 274.)

v – « Adulterinam esse monetam qua Rex ipsum commercari studebat. » (Ibid.)

Ces discours de l’Empereur n’étaient pas sans effet sur Clément VII ; il était pensif, inquiet. Les ambassadeurs français lui prodiguaient force paroles ; mais il n’avait rien d’écrit : Verba volant. Le pape saisit l’idée que l’Empereur lui suggérait. Si les pleins pouvoirs n’arrivent pas, la fraude du roi est dévoilée ; s’ils arrivent, la partie est gagnée. Clément les demanda. Rien de plus aisé ! s’écrièrent Tournon et Gramont, et ils écrivirent en toute hâte à leur maîtrew.

w – Du Bellay, Mémoires, p. 180. — Pallavicini, Hist. Concil. Trid., 1, p. 274. — Guicciardini, Hist. des guerres d’Italie, II, p. 898.

François Ier fut saisi, quand il reçut cette dépêche. Sa proposition était sincère, car il la croyait nécessaire à sa politique ; mais les discours de Charles-Quint, de Henri VIII sur la fille des marchands de Florence, l’étonnement de l’Europe, unanime à se récrier sur « une si grande disparité de degré et de conditionx, » lui allaient au cœur. Lui, si fier de son sang, de sa couronne…, se mésallier ! Il hésitait ; il voulait ne procéder que lentement… pas à pas… et mettre entre chaque pas un long intervalley. Si Charles-Quint, qui était impatient de se rendre en Espagne, quittait l’Italie sans l’avoir liguée contre la France… alors… nouveaux faits, nouveaux conseils… on verrait. Mais maintenant, le voilà mis au pied du mur ; la question doit être résolue. Catherine de Médicis viendra-t-elle s’asseoir sur les marches du trône de saint Louis, ou demeurera-t-elle en Italie ? Continuera-t-elle à prendre d’abominables leçons de son parent Alexandre de Médicis, détestable prince, qui exilait, confisquait, emprisonnait jusqu’aux membres de sa famille, et s’adonnait aux plus honteuses débauches ?… ou bien viendra-t-elle en France commencer à mettre en pratique ces enseignements au milieu du peuple de son adoption ? Il fallait se résoudre ; le courrier attendait. Une chose décida le roi. Son ancien geôlier, l’Empereur, disait que cette proposition de mariage était une tromperie. Si François refusait ce que le pape demandait, Charles triompherait, et tournerait contre lui le pape et toute l’Italie… L’ambition de François fut plus forte que sa vanité, et prenant une résolution désespérée, il fit rédiger les pleins pouvoirs, les signa et les envoyaz.

x – « Guicciardini, But. des guerres d'Italie, II, p, 898.

y – « Quo fortasse magis dubitanter ac pedetentim processisset. » (Pallavicini, Hist. Concil. Trid., I, p. 274.)

z – « Gallus explorato æmuli consilio ut ipsum eluderet, eo statim properavit. » (Pallavicini, Hist. Concil. Trid., I, p. 274. — Du Bellay, Mémoires. — Guicciardini, Hist. des guerres d'Italie.)

On était à la mi-février quand ils arrivèrent à Bologne. D’Albany, Gramont, Tournon triomphants, les portèrent au pape, et le pape les communiqua immédiatement à l’Empereur. Celui-ci lut cette procuration qui contenait « la clause expresse de conclure le mariage du duc d’Orléans avec la duchesse d’Urbin, » et se trouva moult ébahia. — Vous le voyez, lui dit Clément, il n’y a aucune porte cachée par où l’on puisse s’échapper. » Charles ne pouvait le croire. Le roi, dit-il au pape, n’a envoyé ce papier que pour mine ; si vous pressez les ambassadeurs de tirer avant, et de conclure le traité, ils n’y voudront aucunement entendreb. » On n’avait eu jusqu’à présent que des paroles ; on n’avait maintenant que du papier… Les nouveaux propos furent communiqués au duc d’Albany et aux deux cardinaux. « Nous nous offrons, répondirent-ils, de stipuler immédiatement toutes les clauses, conditions et conventions qui doivent entrer dans le contratc. »

a – Du Bellay, Mémoires, p. 182.

bIbid.

cIbid. — Guicciardini. — Pallavicini.

Clément VII respira. Il croyait à l’étoile des Médicis. Si elle avait mis ses ancêtres les marchands florentins à la tête de leur peuple, elle pourrait bien faire monter Catherine, nièce de deux papes, fille, petite-fille de ducs, sur le trône de France. Il apprit à l’Empereur que tout était arrangé, et que l’on s’occupait à stipuler le contrat. Clément rayonnait de joie. L’Empereur commença à croire l’affaire sérieuse, « et fut étonné, dit Du Bellay, et surtout désolé de se voir frustré de son intention qui était d’entraîner le saint-père contre le roi. » Charles comprit que l’impétuosité de François Ier avait vaincu ses propres lenteurs. Il sut pourtant encore se retourner, et la fécondité de son génie lui suggéra un dernier moyen pour « rompre cette détestable pratique. » « Puisqu’il en est ainsi, dit-il, je requiers au moins Votre Sainteté de faire comprendre dans les conditions du contrat qui se rédige les quatre articles dont nous convînmes, la première fois que vous me parlâtes de ce mariage. » Clément parut surpris, et demanda lesquels. « Vous m’avez promis, dit Charles, que le roi s’engagerait premièrement à ne rien changer en Italie ; secondement à confirmer les traités de Cambrai et de Madrid ; troisièmement à consentir au concile ; quatrièmement, à faire promettre au roi d’Angleterre de ne rien innover dans son pays avant que l’affaire de son divorce fût réglée à Rome. » Jamais le roi de France n’eût consenti à de telles conditions ; le pape s’effraya ; échouerait-il au port ? « Je n’ai rien promis de semblable ! s’écria-t-il avec vivacité. » Le saint-père, dit Du Bellay, niait formellement avoir jamais ouï parler de ces chosesd. L’altercation menaçait d’être vive entre les deux chefs de la chrétienté ? Lequel des deux était menteur ? Il est probable que le pape avait dit quelque chose de ce genre, mais seulement pour la forme, afin d’adoucir Charles et sans vouloir le tenir. Ce fut lui qui s’apaisa le premier ; il détestait l’Empereur, mais il le ménageait. « Vous comprenez, Sire, dit-il à Charles, que le bien et l’honneur accordés par le roi à ma maison, en acceptant mon alliance, sont tels et si grands, que c’est audit seigneur et non à a moi, d’y apposer les conditionse. » Il offrit toutefois de s’employer à ce que toutes choses demeurassent en bonne paix. L’Empereur, maître en dissimulation, voulut cacher son chagrin, mais sans y parvenir ; ce malheureux mariage déjouait tous ses projets. François avait été plus fin que lui… Qui l’eût jamais pensé ?… Le roi de France avait sacrifié l’honneur de sa maison, mais il avait vaincu son rival. Décontenancé, ennuyé, abattu, Charles promenait çà et là sa figure sombre et allongée, quand une circonstance inattendue vint lui rendre l’espoir de brouiller de nouveau et complètement le pape et le roi de France.

d – Du Bellay, Mémoires, p. 181.

e – Du Bellay, Mémoires, p. 182, 183

Nous avons vu les pourparlers qui avaient eu lieu entre Clément et Charles à l’occasion du concile universel. L’Empereur le demandait au pape pour réduire les hérétiques à l’union de la sainte foi, et il remarquait que si on ne le faisait, il était à craindre que les dits hérétiques s’unissent avec le Turc, qu’ils se crussent permis de s’emparer des biens de l’Église, et parvinssent à vivre en la liberté, qu’ils disent évangélique, mais qui plutôt, ajoutait Charles-Quint, est mahométique, et causerait la ruine chrétiennef. » Le pape, qui se préoccupait beaucoup plus de lui et de sa famille, que de l’Église, s’était refusé à cette demande. Il avait souri en voyant le zèle du grand potentat, pour la question religieuse, évangélique… Clément VII, lui, ne s’occupait jamais de l’Évangile. L’évangile des Médicis, c’était Machiavel. Ils le chérissaient, ils le méditaient nuit et jour ; ils le savaient par cœur ; surtout ils le mettaient admirablement en pratique. Clément et Catherine furent ses plus dévoués sectateurs et ses plus illustres héros.

f – Du Bellay, Mémoires, p. 186.

Le roi de France avait une politique tout aussi intéressée, mais plus franche, plus honnête. Tout en s’unissant politiquement au pape, il n’entendait pas se mettre ecclésiastiquement sous sa tutelle. Il avait, comme Henri VIII, l’intention d’émanciper les rois de la suzeraineté pontificale, et voulait à la place de l’élément papal, faire prévaloir dans la société chrétienne l’élément séculier. La puissance hiérarchique avait eu, pendant un si grand nombre de siècles, le premier pas en Europe : il était temps qu’elle le cédât à la puissance politique. François Ier, ayant eu connaissance des sentiments opposés du pape et de l’Empereur touchant le concile, se glissa finement entre leurs deux avis et en établit un troisième dont l’énonciation remplit l’Empereur d’étonnement, et le pontife d’effroi. C’était l’une des conceptions les plus grandes, les plus originales, les plus hardies des temps modernes ; on y reconnaît le génie de Du Bellay et toutes les aspirations d’une ère nouvelle. « Il est vrai, dit le roi de France, comme l’affirme le saint-père, la convocation d’un concile a ses dangers. D’autre part, les raisons de l’Empereur, pour en convoquer un sont fort à considérer, car les affaires de la religion sont réduites à de tels termes, que sans le concile, elles tomberont dans une immense confusion, d’où il résultera de grands malheurs et un grand blâme pour le saint-père et pour tous princes chrétiens. Le pape a raison, mais l’Empereur n’a pas tort ; voici le moyen de satisfaire en même temps à leurs désirs, et de prévenir tous les périls qui nous menacentg. Que tous les potentats chrétiens, quelle que soit leur doctrine particulière (le roi d’Angleterre, les princes protestants de l’Allemagne et autres États évangéliques y étaient donc compris), communiquent préalablement ensemble sur cette affaire, et puis envoient chacun le plus tôt possible, à Rome, des ambassadeurs munis d’amples pouvoirs, pour discuter et rédiger d’un commun accord, tous les points dont il faut parler au concile. Ils auront pleine liberté de mettre en avant tout ce qui leur viendra en fantaisie, pour l’union, le bien, le repos de la chrétienté, le service de Dieu, la répression des vices, l’extirpation des hérésies, la conformation de notre foi. Il ne sera point fait mention des remontrances de notre saint-père, ni des décisions des conciles antérieurs ; ce qui donnerait à plusieursh, une occasion ou une excuse pour ne pas s’y trouver. Des articles étant ainsi rédigés par les représentants des divers États de la chrétienté, chaque ambassadeur en apportera un double à la cour, et tous iront au concile, au temps et au lieu fixés par eux, en étant ainsi bien instruits de ce qu’ils ont à dire. Si ceux qui se sont séparés de l’Église romaine s’accordent avec les autres, ils prendront ainsi le chemin du salut. S’ils ne s’accordent pas, ils ne pourront du moins nier qu’ils se soient refusés à la raison et au concile qu’ils ont tant demandéi. »

g – Du Bellay, Mémoires, p. 185.

h – Les protestants.

i – Du Bellay, Mémoires, p.186, 187.

Cet acte est l’un des plus remarquables de ceux que nous rencontrons dans les rapports de la France avec Rome ; on ne l’a pas suffisamment signalé. François Ier faisait alors un pas immense. Persuadé que les temps nouveaux devaient marcher dans de nouvelles voies, il inaugurait une grande révolution. Il émancipait même, quant aux choses religieuses, la puissance politique, et voulait qu’elle primât en tout la puissance pontificale. Si sa pensée se réalisait, ce ne serait plus au Vatican que se décideraient les grandes questions ecclésiastiques, mais dans les cabinets des princes. Certes ce système n’était pas le vrai. Et pourtant un grand pas était fait dans le sens du progrès. Un principe nouveau allait influer sur les destinées de l’Église. Jusqu’à présent l’élément clérical y avait seul régné ; maintenant l’élément laïque réclamait sa place. La société nouvelle ne voulait pas que les prêtres seuls gouvernassent les chrétiens, comme les bergers seuls mènent les moutons. Mais, je le répète, ce système n’était pas encore le véritable. Les questions chrétiennes ne doivent être décidées ni par le pape ni par le prince, mais par les ministres de l’Église et par ses membres, comme autrefois à Jérusalem par les apôtres, les anciens et les frères (Actes.15.23). Nous avons pour cela l’autorité de la Parole divine. Cette voie évangélique est interdite à l’Eglise catholique-romaine ; elle a peur de toute assemblée chrétienne, où l’on tient compte de l’avis des fidèles, et se trouve misérablement prédestinée à osciller sans cesse entre les deux grands pouvoirs, le pape et le roi.

Ce fut peu avant la fin de février que l’Empereur reçut à Bologne l’étrange avis du roi de France. Ayant échoué dans ses efforts pour empêcher le mariage d’Orléans, il était alors occupé à former la ligue italienne et se préparait à partir pour l’Espagne. Charles sentit instinctivement dans ce projet de Du Bellay l’invasion des temps modernes. Oter au pape, au clergé leur autorité exclusive, absolue, ne serait-ce pas, pensa-t-il, l’enlever aussi aux rois ? Il lui semblait que la papauté rendait impossible la liberté non seulement dans l’Église, mais encore dans le peuple. François Ier, ou plutôt Du Bellay, avait cru que Charles-Quint dirait (comme l’a dit un de ses successeursj) : « Mon métier, c’est d’être roi, » et qu’il donnerait la main à l’institution d’une papauté diplomatique. Mais soit que Charles voulût profiter de cette occasion pour repêcher le pape qui s’était jeté dans les eaux de la France, soit qu’il obéit simplement à sa nature catholique espagnole, et au besoin qu’il avait d’une puissance illimitée, il repoussa la proposition de François. Quoi ! dit-il, les ambassadeurs des princes et potentats chrétiens projetteront préalablement les points dont il sera traité au concile !… Mais ce serait de plein saut diminuer son autorité. Tout ce qui se traitera au concile doit entièrement dépendre de l’inspiration du Saint-Esprit et non de l’appétitk des hommes… »

j – L’empereur Joseph II.

k – Du Bellay, Mémoires, p. 189.

Cette réponse contraria fort François. Sa proposition échouant, elle devenait une arme dans les mains de son rival pour le perdre. Aussi cherchat-il aussitôt à se justifier : « Je ne puis assez m’émerveiller, dit-il, de ce que dans le but de me calomnier, on a déguisé mon avis à l’Empereur ; faire traiter cette affaire par des ambassadeurs qui peuvent arriver promptement à Rome, n’est-il pas plus raisonnable que d’attendre un concile, qui s’assemblera au plutôt dans un an ?… Et quant à ce que tout doit dépendre du Saint-Esprit, certes ma réponse a été malignement, sinistrement interprétée ; car puisque nous enverrons des ambassadeurs mus d’une sincère affection pour l’Église, n’est-il pas évident que leur assemblée ne pourra être sans le Saint-Espritl ? » Ainsi le roi pour se défendre, s’abritait sous l’inspiration de ses diplomates. On peut bien admettre que le Saint-Esprit fût moins avec le pape qu’avec le roi ; mais il n’était en réalité ni avec l’un ni avec avec l’autre.

lIbid., p. 187.

Ainsi échoua pour le moment l’idée de François Ier ; elle était prématurée, et ne devait commencer à se réaliser que plus tard, amenée par la force des choses et dans l’ordre du temps. Ce fut en 1562, quand le concile dont il était tant question, et qui commença à Trente en 1545, se réunit pour la troisième fois, que cette nouvelle manière d’être, fut introduite dans la catholicité romaine. On ne pouvait alors s’entendre, les députés italiens voulant tout maintenir, et les députés allemands et français demandant des concessions importantes dans le but de concilier les protestants et leurs cours. Il y avait des luttes, des plaisanteries, des querelles ; on en venait aux mains dans les rues. La majorité du concile était irritée de ce que les légats romains attendaient régulièrement pour se prononcer que le courrier de Rome fût arrivé. « Le Saint-Esprit, disaient les Français, qui déjà alors aimaient à plaisanter, le Saint-Esprit vient à Trente en valise. » L’assemblée allait se dissoudre ; la papauté, obligée de choisir entre deux maux, résolut de s’entendre avec les princes. Le pape accorda qu’on traitât préalablement dans les cours séculières les questions importantes, abandonnant au concile les questions secondaires, pourvu qu’on témoignât toutes sortes d’égards à la papauté. Rome triompha dans les murs de Trente, mais elle y cessa d’être une hiérarchie pure. L’élément politique a primé dès lors ses conseils et la papauté est tombée toujours plus dans la dépendance des puissances du siècle. Le plan de François Ier est en partie réalisé. Toutefois il y aurait un autre pas à faire. A la place du vote complaisant des rois, il faudrait établir sur le trône de l’Église la Parole souveraine et inflexible de Dieu.

Charles-Quint espérait que l’étrange avis du roi de France porterait Clément VII à entrer dans la ligue italienne, mais le pape se montrait peu susceptible quand il s’agissait des choses religieuses. Toutefois l’Empereur étant fort impatient, Clément résolut de lui donner cette légère satisfaction. Pourquoi se refuserait-il à entrer dans une ligue dont le but était d’exclure François Ier de l’Italie ? Il signait alors des articles secrets par lesquels il s’engageait à donner à la France Parme, Plaisance, Urbiu, Reggio, Livourne, Pise, Modène, même Milan et Gênes ; il n’y avait donc aucune raison pour que le digne oncle de Catherine ne signât avec Charles un autre traité qui stipulait précisément le contraire. François Ier ne serait pas alarmé de l’entrée du pontife dans la ligue ; il comprendrait que c’était simplement un procédé honnête, une mesure diplomatique. Le mariage de la nièce du pape faisait tant de peine à ce pauvre Empereur ; il fallait bien lui donner cette consolation. D’ailleurs le pape, en donnant sa signature à Charles-Quint, faisait, à ce qu’il pensait, une chose très probe, car il n’avait pas la moindre intention de tenir à François Ier les promesses solennelles qu’il lui avait faitesm.

m – Guicciardini. — Du Bellay.

On était au 28 février. Les équipages de Charles étaient prêts ; chevaux, mulets, carrosses, valets, officiers, seigneurs, tous attendaient le moment du départ. Les navires qui devaient transporter ce prince puissant et sa cour en Espagne, se trouvaient dans le port de Gênes et n’avaient plus qu’à lever l’ancre. Ce jour même avait été fixé pour signer l’acte de la ligue italienne. Les hauts et puissants contractants se réunirent dans le palais de Bologne. Le document fut lu à haute voix en présence des délégués des princes et puissances de l’Italie qui y étaient compris. Chacun dit oui, les signatures furent apposées, et Médicis s’empressa d’y mettre son nom, se promettant bien de signer sous peu un autre contrat avec le roi de France…

Tout semblait devoir se passer dans les règles, et sans que Charles-Quint laissât percer son dépit. Ce prince, qui savait si bien se contenir, donna toutefois une scène aux grands personnages qui l’entouraient. S’adressant au pape, il lui demanda le chapeau de cardinal pour trois de ses prélats : c’était, pensait l’Empereur, une petite gratification que Clément pouvait bien lui faire ; mais le pape n’accorda qu’un chapeau. Aussitôt l’ambassadeur de France s’approcha et en demanda aussi un de la part de son maître, pour Jean, évêque d’Orléans, oncle du duc de Longueville, ce qui fut accordé. Alors le même ambassadeur, prenant courage, demanda aussi le cardinalat, sans désemparer, en faveur du roi d'Angleterre, pour l’évêque de Worcester. C’était trop pour Charles-Quint. Quoi ! une faveur pour un roi qui renvoie sa tante Catherine, qui se brouille avec le pape, qui se jette dans le schisme… « L’Empereur prit cette requête, dit Du Bellay, merveilleusement en mauvaise part. » « Certes, dit-il à ceux qui l’entouraient, nous pouvons bien voir que les affaires de ces deux rois vont tout d’un branle, que l’un ne fait pas pour l’autre, moins que pour soi. » Puis, sortant de sa réserve ordinaire, Charles-Quint déclara ouvertement sa désapprobation. Cette requête d’un chapeau pour l’Angleterre, dit-il, me vient plus à déplaire et plus à contre-cœur, que si M. l’ambassadeur de France en avait demandé quatre pour son maîtren. » Les diplomates présents ne pouvaient détourner leurs regards de dessus cette figure toujours si placide, et tout à coup si animée ; ils jouissaient en secret de voir un sentiment quelconque, et surtout de la mauvaise humeur, sur les traits de ce puissant monarque dont toutes les paroles, toutes les actions, résultat d’une froide réflexion, étaient calculées avec art. Mais nul ne s’en réjouit autant que l’envoyé d’Angleterre, Hawkins. « L’Empereur est parti d’ici mécontent, écrivit-il aussitôt à Henri VIII, et n’ayant réussi dans aucune des choses pour lesquelles il est venuo. Tout ce qu’il a fait a été de renouveler une vieille ligue pour n’avoir pas l’air d’être venu inutilement à Bolognep. » Charles avait hâte de sortir de cette ville, où il avait été joué par le pape et fait échec et mat par le roi, et se repentait déjà d’avoir laissé éclater son dépit. Il descendit l’escalier du palais, se jeta dans sa voiture, et partit pour Milan, où, avant de se rendre à Gênes et en Espagne, il avait quelques affaires à régler. C’était, comme nous l’avons dit, le vendredi 28 févrierq.

n – Du Bellay, Mémoires, p. 189.

o – « The Emperor departed from hens evil contented, and satisfied in no thing that he came for. » State papers, VII, p. 439.)

p – « Lest he should be seen to have done nothing. » (Ibid.)

q – « The 28th. the Emperor departed from hens (State papers, VIII, p. 438) and went to Milan » (Ibid., p. 447).

Le pape resta encore dix jours à Bologne. Il était question d’une entrevue qu’il devait avoir avec le roi de France ; il lui en avait déjà écrit de sa main. Le nonce du pape avait proposé au roi que l’Empereur en fût aussi… Pourvu, répondit François, que le roi d'Angleterre soit le quatrièmer. — Moi, de ma part, continua ce prince, et le roi d’Angleterre, de la sienne, nous ne voudrions, crainte de surprise, nous trouver à l’entrevue qu’avec des forces égales à celles de l’Empereur… Or, il pourrait advenir, qu’étant ensemble trois forces de princes, assez peu amis, au lieu de confirmer une paix, nous commencerions une guerres. » On revint donc à la conférence à deux, pendant laquelle le mariage se conclurait. On avait d’abord choisi Nice pour le lieu du rendez-vous ; mais le duc de Savoie, qui n’aimait pas voir les Français à Nice, s’y refusa. « Eh bien, dit le pape, j’irai à Antibes, à Fréjus, à Toulon, à Marseille… » Pour s’allier à la famille de France, il eût été plus loin que les colonnes d’Hercule. François, de son côté, désirait que le pape, qui avait attendu l’Empereur en Italie, vînt le chercher, lui, dans dans son propre royaume. Le pape lui faisait ainsi un plus grand honneur qu’à Charles-Quint, ce à quoi il était fort sensible. Marseille fut désigné.

r – Du Bellay, Mémoires, p. 189.

sIbid.

Maintenant tout était en règle. Le sang des Valois et des Médicis allait s’unir. Les clauses, conditions et conventions étaient expressément stipulées. La cérémonie du mariage devait se célébrer avec pompe dans la ville des Phocéens. Le pape était au comble du bonheur et la jeune fille avait des yeux tout brillants. Le sort en était jeté : Catherine de Médicis s’assiérait un jour sur le trône de la France ; la Saint-Barthélemy était dévolue à cette noble contrée, le sang des martyrs coulerait par torrents dans les rues de Paris, et les rivières charrieraient à travers les provinces, de longues et muettes processions de cadavres, dont le lugubre silence crierait jusqu’au ciel.

Mais cette époque était encore éloignée ; Paris offrait alors un spectacle bien différent. Il est temps d’y retourner.

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