Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 19
Un réformateur qui veut perdre sa vie plutôt que la sauver

(Mai à juillet 1533)

6.19

Fryth cité devant une commission royale – Tyndale à Fryth – Cranmer entreprend de le sauver – Il le demande à Fitz William – Essai de conciliation – Fryth demeure ferme – Une prophétie sur la cène – Le gentilhomme et le portier d’accord pour sauver Fryth – Comment on veut s’y prendre – Fryth ne veut pas être sauvé – Fryth devant la cour épiscopale – Interrogé sur la présence réelle – Cranmer ne peut le sauver – Condamnation de Fryth – Son supplice – Influence de ses écrits – Quels livres il faut lire

L’ennemi veillait ; la seconde phase de la captivité de Fryth, celle qui devait finir par le martyre, commençait. Les évêques de Henri VIII qui, en rejetant le pape pour plaire au roi, étaient restés dévoués à la doctrine scolastique, craignaient de voir ce réformateur leur échapper ; ils se mirent donc à solliciter Henri VIII de le mettre à mort. Fryth avait pour lui la reine, Cromwell et Cranmer. N’importe, ils ne se décourageaient point et représentaient au roi que cet homme, quoique enfermé dans la Tour de Londres, ne cessait d’écrire et d’agir pour la défense de l’hérésie. C’était le temps de carême ; les ennemis de Fryth s’entendirent avec le docteur Currein, chapelain du roi, qui devait prêcher devant la cour, et à peine était-il monté en chaire, qu’il se mit à déclamer contre ceux qui niaient la présence matérielle de Christ dans l’hostie. Ayant frappé d’horreur son auditoire : « Il n’est pas étonnant, dit-il, que cette abominable hérésie fasse tant de progrès parmi nous. Un homme, maintenant à la Tour de Londres, a l’audace de la défendre, et nul ne pense à le punir !… »

Le service étant fini, le brillant auditoire quitta la chapelle, et chacun en sortant demandait qui était donc cet homme-là ? C’est Fryth, répondait-on, et il y eut aussitôt de grandes exclamations. Le coup fit effet ; les préjugés scolastiques du roi se ranimèrent ; il fit appeler Cromwell et Cranmer, a Je m’étonne fort, leur dit-il, qu’on ait tenu si longtemps John Fryth à la Tour sans l’examiner. J’ordonne que son procès soit instruit sans « retard et que s’il ne se rétracte, il souffre la peine qu’il a méritée. » Puis, il nomma pour l’examiner six des premiers lords spirituels et temporels de l’Angleterre, l’archevêque de Cantorbéry, l’évêque de Londres, l’évêque de Winchester, le lord chancelier, le duc de Suffolk et lecomte de Wiltshire. Ceci annonçait l’importance que Henri VIII mettait à cette affaire. Jusqu’à présent tous les martyrs étaient tombés sous les coups des évêques ou de Thomas More ; dans ce cas, ce fut le roi lui-même qui étendit sa forte main contre le serviteur de Dieu.

Cet ordre de Henri VIII plongea Cranmer dans la peine la plus cruelle. D’un côté, Fryth était à ses yeux un disciple de l’Évangile, mais de l’autre, il attaquait une doctrine que l’archevêque tenait alors pour chrétienne, car, comme Luther, comme Osiander, il croyait encore à la consubstantiation. Hélas ! écrivait-il à l’archidiacre Hawkins, il professe la doctrine d’Œcolampadeg… » Toutefois Cranmer résolut de tout faire pour sauver Fryth. Les meilleurs amis du jeune réformateur comprirent qu’un bûcher se dressait pour réduire en cendres le chrétien le plus fidèle de l’Angleterre. « O bien-aimé, lui écrivit Tyndale, alors à Anvers, ne craignez pas les hommes qui vous menacent ; ne vous fiez pas à ceux qui vous flattent. C’est avec le sang de la foi que la lumière de l’Évangile de Christ doit être entretenueh. Chaque jour l’huile sainte doit être versée dans cette lampe précieuse de peur que sa lumière ne s’éteigne. » Il ne manquait pas d’exemples pour confirmer cette parole. Deux de nos frères, continuait Tyndale, viennent d’être mis à mort à Anvers pour la gloire de l’Évangile ; quatre à Ruysselede… On persécute à Rome, on persécute en France ; cinq docteurs ont été saisis à Paris pour l’Évangile. Voyez, vous n’êtes pas seul ! Tous ces frères ont choisi la souffrance, dans l’espérance de la résurrection. Portez toujours en votre corps l’image de Jésus-Christ et gardez sans tache votre conscience.

g – Cranmer’s Letters et Remains, p. 246.

h – « A light that must be fed with the blood of faith. » (Tyndale to Fryth, Bible Annals, I, p. 357.)

Una salus victis nullam sperare salutem.
Le salut des vaincus est de n’en point vouloir.

Oh ! si vous pouviez nous écrire comment vous êtes. » Il y avait dans cette lettre d’un martyr à un martyr une dernière ligne qui honore une femme chrétienne : « Votre femme se soumet à la volonté de Dieu, disait Tyndale, et ne voudrait pas que pour elle la gloire de Dieu fût obscurcie. »

Si l’on s’occupait de Fryth sur les bords de l’Escaut, on ne le faisait pas moins sur les bords de la Tamise. De bons bourgeois de la Cité demandaient à quoi servait que l’Angleterre quittât le pape pour s’attacher à Christ, si elle brûlait les serviteurs de Christ ? La petite Église était en prière. L’archevêque Cranmer voulait sauver Fryth ; il aimait sa personne, il admirait sa piété. Si l’accusé paraissait devant la commission nommée par le roi, il était perdu ; il fallait imaginer quelque moyen de l’arracher à une mort inévitable. Le moyen fut trouvé. L’archevêque déclara qu’avant de procéder au jugement, il voulait avoir une conférence avec le prisonnier pour essayer de le convaincre. Cela était fort naturel. Mais, en même temps, le primat parut craindre que si ce colloque avait lieu dans la métropole, un concours de peuple ne troublât la paix publique, comme au temps de Wicleffi. Il arrêta donc que la conférence se tiendrait à Croydon, où il avait un palais. La crainte du primat semble fort étrange. Une émeute à l’occasion de Fryth, dans un moment où le roi, les communes, le peuple marchaient d’accord, paraît peu probable. Cranmer avait un autre motif.

i – For that there should be no concourse of citizens. » (Fox, Acts, VIII, p. 696.)

Parmi les personnes qui formaient sa maison, se trouvait un gentilhomme qui était d’un caractère bienveillant, inclinait du côté de l’Évangile, s’affligeait de la cruauté des évêques, et regardait comme une œuvre légitime et chrétienne de leur enlever, si possible, leurs victimes. Cranmer, lui adjoignant un portier de Lambeth, lui donna la charge de mener Fryth à Croydon. Ces deux employés de l’archevêque devaient conduire le prisonnier, sans huissiers, sans sergents, sans soldats, à pied, au travers des campagnes et des bois pendant quatre ou cinq heures. Singulière promenade et singulière escortej !

j – Le récit auquel nous empruntons ces faits, et qui se trouve dans le huitième volume de Fox, nous parait être du gentilhomme lui-même. La circonstance qu’il est conçu de manière à ne compromettre ni lui ni Cranmer en est elle-même la preuve.

Lord Fitz William, premier comte de Southampton, gouverneur de la Tour, était alors malade à Westminster, dans sa maison, souffrant de vives douleurs, jusqu’à pousser des cris. Le 10 juin, sur la demande de Monseigneur de Cantorbéry, le gentilhomme de l’archevêque et le portier de Lambeth, Gallois nommé Perlebeau, furent introduits dans la chambre de ce seigneur, qu’ils trouvèrent étendu sur un lit, dans une extrême angoisse. Fitz William, homme du monde, était fort irrité contre les évangéliques, qui étaient cause, selon lui, de toutes les difficultés de l’Angleterre. Le gentilhomme lui présenta respectueusement la lettre du primat et l’anneau du roi : Que voulez-vous ? dit brusquement le gouverneur, sans ouvrir la lettre. — Sa Grâce demande à Votre Seigneurie de nous faire remettre maître Fryth. » Ce nom mit le passionné Southampton hors de lui, et il maudit Fryth et tous les hérétiquesk. Il trouvait étrange qu’un gentilhomme et un portier dussent conduire devant la cour épiscopale un prisonnier de cette importance ; n’y avait-il donc pas des hommes d’armes à la Tour ? Fitz William soupçonnait-il quelque chose, voyait-il avec peine le réformateur sortir des murs où il le gardait si bien ? Nous l’ignorons ; mais il fallait obéir, car on lui apportait l’anneau du roi. Aussi, ôtant précipitamment le sien de son doigt : « Fryth, dit-il, Fryth… Tenez, remettez ceci au lieutenant de la Tour et emmenez-moi bien vite votre hérétique. Je suis trop heureux d’en être débarrassé. »

k – « Banned and cursed Fryth and all other heretics… » Fox, Acts, VIII, p. 696.)

Peu d’heures après, Fryth, le gentilhomme et Perlebeau entraient dans un bateau amarré près de la Tour, que les rameurs dirigèrent rapidement sur Lambeth, palais de l’archevêque. Les trois personnages gardèrent d’abord un profond silence ; seulement, le gentilhomme poussait de temps en temps de gros soupirs. Ayant charge de faire premièrement un effort pour amener Fryth à quelque conciliation, il rompit enfin le silence : « Maître Fryth, dit-il, si vous n’êtes pas prudent, vous êtes perdu… Quel dommage ! Doué comme vous l’êtes, savant dans les lettres grecques et latines, dans les saintes Écritures, les anciens docteurs et toute espèce de science, vous allez périr ; et tous ces dons admirables vont périr avec vous ; ils seront sans utilité pour le monde, sans consolation pour votre femme, vos enfants, vos parents et vos amis… » Le gentilhomme s’arrêta et reprit peu après : « Votre position est dangereuse, maître Fryth, mais elle n’est pas désespérée. Vous avez beaucoup d’amis qui feront ce qu’ils pourront en votre faveur. Faites de votre côté quelque chose, — quelque concession, — et vous serez sauvé. Votre opinion sur la présence simplement spirituelle du corps et du sang du Sauveur est prématurée ; c’est trop tôt pour l’Angleterre. Attendez des temps meilleurs pour la professer. »

Fryth ne disait mot ; on n’entendait que le faible courant de l’eau et le bruit des avirons. Le gentilhomme crut avoir ébranlé le jeune docteur, et, après un moment de silence, il reprit : « Milord Cromwell et milord de Canterbury ont une grande affection pour vous ; ils savent que si vous êtes jeune en années, vous êtes vieux en connaissances, et que vous pouvez devenir l’un des citoyens les plus utiles de cet empirel … Si vous voulez vous conduire un peu d’après leurs conseils, ils ne permettront certes pas qu’on vous fasse quelque mal. Mais si vous vous roidissez dans votre opinion, il est impossible de sauver votre vie. Si vous avez de bons amis, vous avez, Monsieur Fryth, de mortels ennemis. »

l – « To be a most profitable member of this realm. » (Fox, Acts, VIII, p. 696.)

Le gentilhomme s’arrêta et regarda le prisonnier. C’était par de telles paroles qu’on avait séduit Bilney ; mais Fryth se tenait en présence de Dieu, prêt à perdre sa vie pour la sauver. Il remercia le gentilhomme de sa bienveillance, et dit que sa conscience ne lui permettait pas de s’éloigner, par respect humain, de la vraie doctrine sur la cène du Seigneur. « Si l’on m’interroge sur ce point, dit-il, il faut que je réponde selon ma foi ; plutôt que d’y manquer, je perdrais vingt vies, si je les avaism. J’ai pour l’établir un grand nombre de passages des saintes Écritures et des anciens docteurs, et si mon jugement se fait selon l’équité, je n’ai rien à craindre. — Ah ! s’écria le gentilhomme, si votre jugement se faisait selon l’équité, vous seriez sauvé, mais c’est ce dont je doute fort. Notre Maître lui-même, Jésus-Christ, n’a pas été jugé équitablement, et je ne crois pas qu’il le fût, s’il était à cette heure sur la terre. Comment donc le seriez-vous, vous dont l’opinion est si peu comprise, même si odieuse ? — Je sais, répondit Fryth, que la doctrine que j’annonce est maintenant une nourriture trop substantielle ; mais écoutez-moi. » En disant ces mots, Fryth serra la main du gentilhommen : Si vous vivez dans vingt ans, vous verrez tout le royaume professer le même sentiment que moi concernant la cène — tout — sauf certaine classe d’hommes… Ma mort, dites-vous, sera pleine de tristesse pour mes amis. Ce ne sera que pour un peu de temps. Tout bien compté, ma mort vaut mieux pour moi et pour les miens que ma vie dans les chaînes. Dieu, dont je défends la cause, sait ce qu’il doit faire de moi. Il m’aidera et nul n’obtiendra de moi un seul pas en arrière. »

m – « I should presently lose twenty lives if I had so many. » (Ibid., p. 697.)

n – « Taking the gentleman by the hand. » (Ibid.)

Le bateau approchait de Lambeth. Les voyageurs descendirent, entrèrent au palais de l’archevêque, y prirent quelque nourriture, puis se mirent en route pour se rendre à pied à Croydon, à douze milles de Londres.

Les trois voyageurs avançaient à travers les collines et les plaines du Surrey ; çà et là paissaient des troupeaux dans de maigres pâturages, et l’on voyait à l’est de vastes forêts. Le gentilhomme marchait tristement à côté de Fryth. Il était inutile de lui demander de nouveau une rétractation, mais une autre pensée préoccupait l’officier de Cranmer ; celle de faire échapper Fryth. Le pays était alors peu habité ; les bois qui recouvraient du côté de l’est, au sud de la Tamise, des hauteurs crayeuses, pouvaient servir d’asile au fugitif. La difficulté était de persuader Perlebeau. Le gentilhomme ralentit le pas, appela le portier, et ils marchèrent ensemble derrière le prisonnier. Quand ils furent assez éloignés de lui pour qu’il ne pût suivre leur conversationo : « Vous avez entendu cet homme, dit le gentilhomme ; je suis sûr que la conversation que nous avons eue sur la Tamise vous a frappé. — Je n’ai jamais entendu quelqu’un, répondit Perlebeau, qui eût à la fois tant de fermeté et d’élévation. — Ce n’est rien que cela, reprit le gentilhomme, vous ne pouvez vous faire une juste idée de sa science et de son éloquence. Si vous l’entendiez à l’université ou du haut de la chaire, c’est alors que vous l’admireriez ! Jamais l’Angleterre n’a possédé un docteur de son âge aussi savant que lui. Et pourtant, nos évêques le traitent comme s’il était un idiot… Ils en ont horreur comme du diable même, et veulent à tout prix se défaire de lui. — Vraiment, s’écria le portier, quoi ! cette figure si gracieuse, ce caractère si humble, si noble, ne suffisent pas pour le sauver de la mort !… — Il est perdu, si nous l’amenons à Croydon. » Ici le gentilhomme baissa la voix. « Ce que je veux vous dire, continua-t-il, je le dis devant Dieu, si toi, Perlebeau, tu étais du même avis que moi, nous ne l’emmènerions certainement pas à Croydon — Que dites-vous ? » répliqua le portier étonné. Puis, après un moment de silence, il ajouta : « Vous avez plus de crédit que moi, et votre responsabilité dans cette affaire est plus grande que la mienne. Si vous croyez pouvoir sauver honnêtement cet homme, je me rangerai de grand cœur à votre désir. » Le gentilhomme respira.

o – « They remain privately, walking by themselves, without the hearing of Fryth. » (Fox, Acts, VIII, p. 697.)

Cranmer avait voulu faire d’abord tous les efforts possibles pour changer les sentiments de Fryth ; n’ayant pu réussir, il désirait le sauver d’une autre manière. Il avait voulu qu’il se rendît à pied à Croydon, qu’il ne fût accompagné que de deux de ses serviteurs, choisis parmi les mieux disposés pour la nouvelle doctrine. Le gentilhomme du primat n’eût jamais osé prendre sur lui la responsabilité de faire évader un prisonnier à qui le roi avait donné pour juges les premiers personnages du royaume, si son maître ne l’avait désiré. Heureux d’avoir gagné le portier à son entreprise, il commença à discuter avec lui les voies et moyens. Il connaissait bien le pays, et son plan était arrêté. « Remarquez-vous cette colline qui est devant nous ? dit-il à Perlebeau ; c’est Brixton-Causeway, à deux milles de Londres. Comme vous le voyez, de grands bois s’étendent des deux côtés du coteau. Arrivés au sommet, nous permettrons à Fryth de se jeter dans le bois de gauche ; de là il peut se rendre facilement dans le Kent où il est né, et où il a beaucoup d’amis. Nous traînerons une heure ou deux sur la route, après sa fuite, pour lui laisser le temps de se mettre en sûreté, et quand la nuit sera proche nous nous rendrons à Streatham, à un mille et demi d’ici, et nous crierons dans toute la ville que notre prisonnier s’est échappé 1, qu’il s’est jeté dans les bois qui sont sur la droite, du côté de Wandworth, que nous l’avons suivi pendant plus d’un mille, mais que nous avons perdu sa trace dans la forêt, parce que nous n’étions pas assez nombreux. En même temps, nous entraînerons avec nous autant de monde que nous pourrons, afin de battre le pays dans cette direction ; nous y passerons, s’il le faut, toute la nuit ; et avant que nous ayons pu faire connaître à Croydon ce qui nous est arrivé, Fryth sera en sûreté et les évêques seront déçus dans leur attente. » On voit, comme nous l’avons dit, que le gentilhomme n’était pas très scrupuleux quant aux moyens d’enlever une victime aux prêtres romains. Perlebeau pensait de même. Ce plan me plaît, répondit-il, allez maintenant vers le prisonnier, et faites-le-lui connaître, car nous voici déjà au pied de la colline. »

Le gentilhomme, tout joyeux, pressa le pas. « Maître Fryth, dit-il, causons un peu nous deux. Je ne puis vous le cacher, la tâche que j’ai entreprise de vous conduire à Croydon, comme une brebis à la boucherie, me serre le cœur, et il n’y a pas de danger que je ne sois prêt à braver pour vous délivrer de la bouche du lionp. Ce bon garçon et moi, nous avons formé un projet ; écoutez-moi bien. » Le gentilhomme ayant exposé son dessein, Fryth sourit aimablement et dit : « Voilà donc le fruit de la longue consultation que vous avez eue ensemble. Vous avez perdu votre temps. Si vous me quittiez tous les deux, si vous alliez à Croydon, et déclariez aux évêques que vous m’avez perdu, je vous suivrais d’aussi près que possible, et je leur apporterais la nouvelle que moi j’ai trouvé Fryth et le leur ramèneq … »

p – To deliver you of the lion mouth’s. » (Fox, Acts, VIII, p. 698.)

q – « That I had found and brought Fryth apain. » (Ibid.)

Le gentilhomme ne s’était pas attendu à une pareille réponse. Un prisonnier qui refuse la liberté !… — « Vous êtes fou, lui dit-il ; croyez-vous que vos raisonnements convertiront les évêques ? A Milton-Shone, vous cherchiez à vous sauver sur le continent, vous refusez ici de le faire ! — Les deux cas sont différents, répondit Fryth ; j’étais alors en liberté, et selon le conseil de saint Paul je voulais user de cette liberté pour continuer mes études. Mais maintenant la puissance supérieure m’a saisi par la permission du Dieu tout-puissant, ma conscience m’oblige à défendre la doctrine pour laquelle on me poursuit, si je ne veux encourir la condamnation du Seigneur. Si je me sauvais maintenant, ce serait des mains de mon Dieu que je m’échapperais. Si je fuyais, je fuirais loin du témoignage que je dois rendre à sa Parole, et je mériterais l’enfer. Je vous remercie l’un et l’autre de tout mon cœur, mais je vous conjure de me conduire où vous avez reçu l’ordre de me mener. Si vous vous y refusez, j’irai tout seulr. »

r – « For else I will go thither all alone. » (Fox, Acts, VIII, p. 699.)

Ceux qui voulaient sauver Fryth n’avaient pas compté sur tant d’intégrité. Tels furent pourtant les martyrs du protestantisme. Les deux serviteurs de l’archevêque continuèrent leur chemin avec cet étrange prisonnier. Fryth avait l’œil serein, la face joyeuse, et le reste du voyage se passa dans de pieuses et agréables conversations. Il fut remis à Croydon, aux officiers de la cour épiscopale, et passa la nuit dans la loge du portier du palais primatial.

Le lendemain matin, il parut devant les évêques et les lords nommés par le roi pour l’examiner. Cranmer et le lord chancelier Audeley désiraient son acquittement, mais il y avait parmi les autres juges des hommes impitoyables.

L’interrogatoire commença :

« Croyez-vous, lui dit-on, que le sacrement de l’autel est ou non le vrai corps de Christ ? » Fryth répondit simplement et fermement : Je crois que le pain est le corps de Christ, en tant qu’il est rompu, et nous apprend ainsi que le corps de Christ a été rompu et livré à la mort pour la rémission de nos péchés. Je crois que le pain est le corps de Christ, en tant qu’il est distribué, et nous apprend ainsi que le corps du Christ et les fruits de sa mort sont distribués à tous les croyants. Je crois que le pain est le corps de Christ en tant qu’il est reçu, et nous apprend ainsi que de même que l’homme extérieur reçoit le sacrement de sa bouche et le broie de ses dents, l’homme intérieur reçoit vraiment par la foi le corps de Christ et les fruits de sa mort. »

Les juges n’étaient pas satisfaits ; ils voulaient une dénégation formelle et complète : « Penses-tu, reprit l’un d’eux, que le corps naturel de Christ, sa chair, son sang, ses os, sont contenus sous le sacrement et y sont présents sans aucune figure ? — Non, répliqua-t-il, je ne le pense pas. » Puis il ajouta avec beaucoup d’humilité et de charité : « Cependant je ne vous demande pas de croire ce que je dis, comme vous ne devez pas me demander de croire ce que vous dites. Chacun doit être laissé libre de croire selon que Dieu incline son cœur. Nul ne doit condamner l’autre. Il faut entretenir l’amour fraternel et supporter nos mutuelles infirmitéss. »

s – « Nourish in all things brotherly love and one to bear another’s infirmity. » (Fox, Acts, V, p. 12.)

Les commissaires entreprirent alors de convaincre Fryth de la transsubstantiation ; mais il cita l’Écriture, saint Augustin, Chrysostome, et établit avec éloquence la manducation spirituelle. La séance fut levée. Cranmer avait été ému quoiqu’il fût encore sous l’influence des enseignements de Luthert. « Cet homme a parlé admirablement, dit-il en sortant au docteur Heath, et pourtant il se trompe à mon avis. » Il consacra plus tard le plus important de ses écrits à exposer la doctrine que professait alors le jeune réformateur ; peut-être les paroles de Fryth commencèrent-elles à l’ébranler.

t – « Mit tien Zæhnen zu bissen. » (Plank, III, p. 369.)

Plein d’amour pour lui, il voulait le sauver. Quatre fois pendant le cours de l’instruction, il le fit appeler et eut avec lui des conversations intimesu, où il lui parlait dans le sens de Luther. Fryth offrit de soutenir publiquement sa doctrine contre quiconque voudrait l’attaquer ; nul n’accepta le défiv. Cranmer, désolé de voir ses efforts inutiles, se tut dès lors ; l’affaire fut remise à l’ordinaire, qui était l’évêque de Londres, et le 17 juin l’accusé fut de nouveau renfermé dans la Tour. L’évêque s’adjoignit pour le jugement Longland, évêque de Lincoln, et Gardiner, évêque de Winchester ; on n’eût pu trouver sur le banc épiscopal des juges plus rigoureux. Fryth avait été à Cambridge le disciple le plus distingué de l’habile et ambitieux Gardiner ; mais au lieu d’exciter la compassion de cet homme dur, cela augmenta sa colère. Fryth et ses amis, disait-il, sont des vilains, des blasphémateurs, des membres du diablew. »

u – « And surely I myself sent for him three or four times to persuade him. » (Cranmer, Remains, Letters, p. 246.)

v – « There was no man willing to answer him in open disputation. » (Fox, Acts, VIII, p. 699.)

w – « The devil’s limbs. » (Bishop Hooper’s Early writings, p. 245.)

Le 20 juin Fryth fut amené à Saint-Paul, devant les trois évêques, et quoique d’un esprit humble et d’un caractère presque timide, il répondit avec courage. Un secrétaire mit par écrit toutes ses réponses, et Fryth, saisissant la plume, écrivit : « Moi, Fryth, c’est ainsi que je pense ; c’est là ce que j’ai dit, écrit, défendu, affirmé et publié dans mes livresx. » Les évêques lui ayant demandé s’il voulait rétracter ses erreurs, Fryth répondit : Que la justice ait son cours et que le jugement se prononce ! » Stokesley ne le fit pas attendre : Pour que toi, Fryth, dit-il, qui es méchant, ne deviennes plus méchant encore et n’infestes pas de tes hérésies le troupeau du Seigneur, nous te déclarons excommunié, exclu de l’Eglise, et te livrons aux autorités séculières, leur demandant, par les entrailles de notre Seigneur Jésus-Christ, que la rigueur de ton exécution ne soit pas trop grande, ni sa douceur trop mitigéey. »

x – « Ego Frythus ita sentio, ita dixi, scripsi, affirmavi, etc. » (Fox, Acts, V, p. 14)

y – « Nor yet the gentleness too much mitigated. » (Ibid., p. 15.

Fryth, conduit à Newgate, fut enfermé dans un obscur donjon, où on lui mit aux pieds et aux mains autant de chaînes qu’il en pouvait porter, et autour du cou, un collier de fer fixé à un poteau ; il ne pouvait, ni se tenir debout, ni s’asseoir. La douceur n’était pas trop mitigée. Sa charité ne se démentit point. Je vais mourir, disait-il, mais je ne condamne, ni ceux qui sont du côté de Luther, ni ceux qui sont du côté d’Œcolampade, puisque les uns et les autres rejettent la transsubstantiationz. » On fit alors entrer dans son cachot, un jeune ouvrier de vingt-quatre ans, nommé André Hewet. Fryth lui demanda pour quel crime on le mettait en prison : « Les évêques, lui raconta-t-il, m’ont demandé ce que je pensais du sacrement ; j’ai répondu : Je pense comme Fryth. » Alors l’un d’eux a souri, et l’évêque de Londres m’a dit : Fryth est un hérétique ; il est condamné au feu et si tu ne rétractes ton opinion tu seras brûlé avec lui. — C’est bien, ai-je répondu ; je suis contenta. » Et ils m’ont mis ici pour me brûler avec vous. » — Sainte simplicité !

z – « All the Germans, both of Luther’s side and also of Œcolampadius. » (Tyndale and Frith, Works, III, p. 455.)

a – « Truly, I am content there withall. » (Fox, Acts, V, p. 18.)

Le 4 juillet, ils furent conduits l’un et l’autre à Smithfield ; les bourreaux les attachèrent au poteau, dos à dos ; le feu fut mis ; la flamme s’éleva ; Fryth étendant les mains l’embrassa, comme une amie, dont il saluait la venue. Le peuple ému donnait les marques d’une vive sympathie. Ah ! disait plus tard un chrétien évangélique, il était l’un de ces prophètes que Dieu, ayant pitié de ce a royaume d’Angleterre, a suscités pour nous appeler à la repentanceb. » Ses ennemis étaient là ; Cooke, prêtre fanatique, s’apercevant que quelques personnes priaient, cria : Ne priez pas pour ces gens ! pas plus que pour un chienc !… »

b – « God raised up his prophete Fryth. » (Becon, Works, III, p. 11.)

c – « No more than they would do for a dog. » (Fox, Acts, V, p. 10)

Une douce lumière éclaira en ce moment le visage de Fryth ; on l’entendit demander au Seigneur le pardon de ses ennemis. Hewet mourut le premier et Fryth bénit Dieu de ce que les souffrances de son jeune frère étaient terminées. Remettant son âme entre les mains du Seigneur, il expira. « Vraiment, s’écrièrent plusieurs, Christ remporte dans ses saints de grandes victoires ! »

Plus d’une âme fut éclairée par les écrits de Fryth, et ce réformateur contribua ainsi puissamment à la rénovation de l’Angleterre. « Un jour, un Anglais, nous raconte Thomas Becon, prébendier de Canterbury et chapelain de l’archevêque Cranmer, après avoir pris congé de sa mère et de ses amis, se rendit dans le Derbyshire et de là au Peakd, district merveilleusement stérile, et où il n’y avait, disait-on, ni science, ni étincelle de piété. Étant arrivé dans un petit village appelé Alsop dans le Dale (vallée), il y rencontra un certain gentilhomme nommé aussi Alsop, seigneur de ce village, ancien en années et mûr dans la connaissance de Christ. Après qu’ils eurent pris un simple repas, le gentilhomme montra à son hôte certains livres qu’il appelait ses joyaux et principaux trésors ; c’étaient le Nouveau Testament et les livres de Fryth. Puis, il ajouta que retiré dans son manoir, seul au milieu des montagnes et des rocs, des cascades et des cavernes, il avait trouvé dans ces écrits la véritable religion. Il n’aimait pas seulement l’Évangile, ajoute le chapelain de Cranmer, il le vivaite. » Tels sont les fruits que ce réformateur martyr a laissés après lui jusque dans les contrées alors sauvages de l’Angleterre.

d – Montagne du Derbyshire.

e – « Not only love, but also live the Gospel. » (Becon, Jewel of Joy,, III, p. 421.)

Les écrits de Fryth n’étaient pas destinés à être toujours lus avec la même avidité ; la vérité qui s’y trouve est cependant bonne pour tous les temps. Les livres des apôtres et des réformateurs, que lisait au seizième siècle ce seigneur d’Alsop, feront plus de bien, malgré leurs teintes antiques, aux individus et aux peuples qui les honoreront, que des écrits légers — et même des ouvrages qui, sans être vraiment chrétiens, méritent pourtant à d’autres égards l’estime de nos contemporains.

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