Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 10
Les deux cultes dans Genève

(Mai à juillet 1534)

7.10

La morale dans la Réformation – Une apparition de la Vierge – Une procession savoisienne – Une seconde entre dans la ville – Images abattues – L’ancien et le nouveau culte – La première Pentecôte évangélique – Un prêtre dépouille le vieil homme – Transformation – Un chevalier de Rhodes – Danses et chants dans les rues – Prédication sur les remparts

Tandis que l’on poursuivait de la Maisonneuve sur les bords du Rhône et de la Saône, la lutte entre le catholicisme et la réforme devenait plus vive sur les bords du Léman ; un évangélique était menacé de mort dans Lyon, mais le catholicisme romain était près de trouver la sienne dans Genève. Il s’écroulait sous son propre poids ; les ordres religieux, les franciscains surtout, qui avaient été établis pour le soutenir, en ébranlaient alors les fondements. Des abus notoires, de scandaleux désordres, rendaient la protestation contre le monachisme et la papauté toujours plus nécessaire, toujours plus énergique. Au moment même où le procès commençait à Lyon, le 3 mai, une personne honorable de Genève, Madame Jaquemette Matonnier, passant près du couvent des franciscains, aperçut une femme connue par sa mauvaise vie, entrer furtivement dans le monastère. « Tu ferais mieux, lui dit-elle, de demeurer avec ton mari. » A ces mots, deux moines qui se tenaient devant la porte se jetèrent avec violence sur Madame Matonnier et la battirent « jusqu’au sang. » Cette histoire, bientôt connue, émut toute la ville. Les syndics se rendirent au couvent, firent mettre les deux moines dans la prison et en prirent la clef. « Des hommes qui vivent en religion, disait-on, ne devraient pas être souillés de telles vilenies ; et pourtant à grand’peine trouverait-on un couvent sur dix, qui ne soit un lieu de débauche plutôt qu’un domicile de chasteté ! »

Le péché engendrait la mort. Le clergé romain se suicidait par les détestables mœurs d’un grand nombre de ses membres. Mais des temps meilleurs commençaient ; la morale sortait alors, avec la foi, du sépulcre où l’une et l’autre avaient été longtemps renfermées, et répandaient dans la chrétienté les germes puissants d’une vie nouvelle. Triste spectacle que présente l’Église au commencement du seizième siècle ! Il y avait de magnifiques cathédrales, de riches pontifes, des rites somptueux, d’admirables peintures, des chants harmonieux ; mais, au milieu de toutes ces pompes, était un vide immense : la foi et la vie manquaient. La religion ressemblait alors aux arbres de l’hiver qui avec leurs nombreux rameaux, brillants de givre aux rayons du soleil, ont sans doute un certain éclat, mais sont tout glacés. Une saison nouvelle commençait, qui ramenant la sève dans leurs branches stériles, les couvrirait d’un riche feuillage et leur ferait produire des fruits savoureux. Est-ce à dire que la réaction de la morale contre le rite, comme l’a dit un chrétien éminent, soit le vrai fait de la Réformation, sa gloire et le titre qui lui appartient ? Cette assertion néglige un élément essentiel. Le grand titre de la Réformation est d’avoir fetidu à la chrétienté la religion en son entier, la vérité avec la vie, la doctrine avec la morale. Si l’une eût manqué, l’autre n’eût pas suffi, et la Réformation n’eût pas existé.

Tandis que le catholicisme romain s’abaissait par les désordres de ses moines, le christianisme évangélique s’élevait par le zèle des réformateurs. Farel, Viret et Froment prêchaient tous les jours, soit en public, soit dans les maisons, « au grand avancement de la Parole de Dieu, laquelle s’augmentait beaucoup. » La Réformation n’était plus un simple enseignement ; elle entrait dans les mœurs, dans le culte et produisait la vie. Le dimanche après Pâques, Farel bénit le premier mariage évangélique.

En voyant ces étranges contrastes, les catholiques sincères, et même ceux qui ne l’étaient pas, se demandaient si la dernière heure avait sonné pour la papauté dans Genève ? Il fallait faire un suprême effort ; malheureusement les remèdes ne valaient pas mieux que le mal. Un jour (le bruit s’en répandit en un moment dans toute la ville), la sainte Vierge, vêtue d’habits blancs, apparut an curé, dans l’église de Saint-Léger, elle ordonna qu’il se fît une grande procession de toutes les contrées environnantes et ajouta que par ce moyen « les luthériens crèveraient par le milieu, mais que si l’on n’obéissait pas à cet ordre, la ville s’abymerait. » Les huguenots sourirent, s’enquirent de la chose et à la suite de recherches authentiques découvrirent que cette belle dame était la chambrière du curéa. » Mais plusieurs catholiques dans Genève et tous, à peu près, dans la Savoie, se tinrent convaincus de l’apparition de la Vierge. Le clergé battit le rappel. « Il dépend de vous, disaient en plusieurs lieux les curés, de faire mourir tous les hérétiques de Genève. » Les dévots des paroisses voisines se mirent en mouvement pour cette œuvre pie, et le 15 mai, une grande procession d’hommes, de femmes et d’enfants arriva devant la ville. On les entendait chanter à pleine voix, en langue savoisienne : Mare de Dy, pryy pou nous ! « Mère de Dieu, priez pour nous ! » Le conseil, craignant quelque tumulte, leur défendit d’entrer ; la procession dut se contenter d’aller à Notre-Dame de Grâce, près du pont d’Arve. Ces pauvres gens, n’ayant rien mangé en route et étant épuisés, les syndics leur envoyèrent du pain. Ces bandes, après s’être restaurées, reprirent le chemin de la maison. Plusieurs Genevois, curieux de les voir de près, sortirent de la ville, se groupèrent sur leur passage, et quand les Savoyards défilèrent devant eux en chantant : Mare de Dy, pryy pou nous ! » les malins huguenots se mirent à répondre sur le même air : « Frare Farel, pregy toujours ! » Frère Farel, prêchez toujoursb !

a – Froment, Gestes de Genève, p. 92 et 93.

b – Registre du Conseil du 15 mai 1534. — Froment. Gestes de Genève.

Tout n’était pas fini : l’histoire de l’apparition de la Vierge et son commandement étant parvenus jusque dans la capitale du Chablais, on vit paraître sur les hauteurs de Cologny une procession nombreuse, compacte, et d’une apparence plus redoutable que la première ; c’étaient les hommes de Thonon et des lieux voisins, qui, portant des bannières, des croix, des reliques, descendaient d’un pas ferme le coteau. Ils franchirent hardiment les portes de la ville, les huguenots qui entendaient alors le frère Farel n’étant pas là pour les retenir. Ces robustes pèlerins, arrivant au Bourg-de-Four, s’arrêtèrent devant l’église de Sainte-Claire. L’alarme se répandit aussitôt ; quelques citoyens entrant dans l’auditoire où prêchait Farel, annoncèrent l’invasion romaine ; le réformateur ne se dérangea pas ; mais quelques-uns de ses auditeurs, le bouillant Perrin, l’énergique Goulaz et d’autres sortirent et se précipitant au-devant de la procession, repoussèrent rudement de l’épée ces Savoyards, qui entraient dans Genève comme dans un village du Chablais. Les pèlerins surpris jetèrent avec effroi leurs bannières, et s’enfuirent de la ville. Froment suppose que les ennemis du dedans n’ayant pas eu le temps de se joindre à ceux du dehors, le coup avait ainsi manqué ; nous croyons plutôt que ces dévots pèlerins ne comptaient que sur leurs litanies, pour faire la guerre aux luthériens. Ces processions, ces bannières de la Vierge, ces petites reliques, donnaient aux réformés un dégoût toujours plus profond du catholicisme ; les pompes de Saint-Pierre même ne les touchaient guère plus que le fétichisme des Savoyards. Ils commençaient à comprendre que le culte ne doit pas être un spectacle, et que charger l’Église d’une multitude de rites, c’est la dépouiller de la présence de Christ.

L’audace que ces bandes catholiques avaient montrée enhardit quelques huguenots. Tandis que des Savoyards venaient affirmer leur foi dans Genève, hésiteraient-ils à montrer la leur ? Des enfants perdus de la Réforme se laissèrent emporter à des actes répréhensibles. Quand ils se rendaient au cloître des franciscains, le premier objet qui frappait leurs yeux était l’image de saint Antoine de Padoue, thaumaturge du treizième siècle, ayant à sa droite et à sa gauche celles de huit autres saints. Ces figures béates, rangées au-dessus du portail du couvent, irritaient les huguenots. En vain leur disait-on que les images sont les livres des idiots, les réformés répondaient que si les prélats catholiques remettaient aux idoles l’office d’enseigner le peuple, c’est qu’ils préféraient, eux, rester dans leurs fauteuils. « Si vous n’aviez pas ôté la Bible de l’Église, disaient-ils, vous n’auriez pas eu besoin d’y pendre vos peintures. » Une nuit donc, un samedi, entre onze heures et minuit, neuf hommes portant une échelle s’approchent du couvent, la dressent silencieusement devant le portail, puis, armés d’un marteau et d’un ciseau, ils commencent à abattre les images, ils coupent la tête et les membres du saint, ne laissant que le tronc ; ils font de même aux autres figures et jettent les débris dans le puits de Sainte-Claire. La nuit se passa sans rumeur ; mais le matin, grand bruit dans la ville. « Oh ! que c’est une chose piteuse ! » disaient les dévots assemblés devant le portail de Saint-François. Les iconoclastes, ayant été plus tard découverts, furent punis, mais les images ne furent pas rétablies.

« Hélas ! dirent les Fribourgeois, Genève va renverser les autels de la foi romaine ! — Ah ! répondaient les Bernois, c’est que sur ces autels l’évêque a voulu réduire en cendre les chartes vénérables de ce peuple et les a arrosées du sang de ses plus illustres citoyensc !… » Le culte des sens n’allait plus aux Genevois. Ces peintures encadrées, ces anges en saillie, ces décorations éblouissantes, ce prestige des rites et des édifices, ces pilastres et ces frontons, ces chants inintelligibles, ces parfums qui entêtent, le mécanisme des prêtres, leurs dorures et leurs dentelles leur répugnaient souverainement. Puisque Dieu est esprit, disaient-ils, il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit, par la foi intérieure du cœur, par la pureté de la conscience, et en s’offrant eux-mêmes à Dieu pour faire toute sa volonté.

c – Registre du Conseil des 4, 11, 13, 30 avril, 5, 14, 15, 17, 24, 26 mai et 12 juin. — Sœur Jeanne, Levain du Calvinisme, p. 89. — Msc. de Berne, Hist. Helv., V, 12. — Froment, Gestes de Genève, p. 119, 120.

L’heure venait où ce culte spirituel allait être réellement célébré dans Genève ; la fête de Pentecôte était arrivée. Un foule considérable accourut ce jour-là au grand Auditoire. Ce n’étaient pas seulement les Vandel, les Chautemps, les Roset, les Levet, leurs femmes et leurs amis qui s’y rendaient, de nouveaux assistants se joignaient aux anciens. Farel prêcha avec puissance. Il avait coutume de dire que Dieu envoie la pluie sur une ville quand il lui plaît, tandis qu’une autre ville n’en a pas une seule goutte ; » aussi conjurait-il « tous les cœurs affamés du désir de la prédication du saint Évangiled » de prier que l’Esprit leur fût donné. Nous n’avons pas son sermon de Pentecôte, il prêchait d’abondance ; mais nous savons qu’il le termina, comme il le faisait toujours, en donnant gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, le seul et véritable Dieu, et que ce discours porta de bons fruits. Diverses circonstances avaient préparé ses auditeurs. Le complot de l’évêque et du duc, que Dieu avait fait échouer, la nomination de syndics huguenots, la rupture avec Fribourg, la captivité de la Maisonneuve, tous ces événements avaient remué les cœurs, les avaient fendus comme le soc de la charrue fend la terre, et ouverts à la semence du ciel. Ce qui reluisait maintenant aux yeux de ceux qui remplissaient le grand Auditoire, « ce n’étaient pas les petites flammes des chandelles humaines, mais Christ, le grand soleil de justice, comme en plein midie. » Tandis que la voix des prêtres gazouillait à peine quelques paroles et résonnait seulement en l’air, celle du réformateur était entrée jusque dans les profondeurs de l’âme. On en vit bientôt la preuve.

d – Expression de Farel. Voyez la page 242 du volume récemment publié pour solenniser le trois centième anniversaire de sa mort. (Du vrai usage de la croix de Jésus-Christ. Neuchâtel 1865.)

e – Farel, Du vrai usage de la Croix, p. 157.

Le discours fini, Farel se prépara à célébrer publiquement la cène du Seigneur selon la forme de l’Évangile, et, se plaçant avec ses frères, Viret et Froment, devant une table, il rendit grâces, prit le pain, le rompit, et dit : « Prenez et mangez ; » puis, ayant prit la coupe, il dit : « Ceci est le sang de la nouvelle alliance, répandu en rémission des péchés. » Les fidèles commençaient à s’approcher pour recevoir la communion du Seigneurf, quand une circonstance inattendue fixa leur attention. Un prêtre d’une noble stature, revêtu de ses vêtements sacerdotaux, qui se trouvait dans l’assemblée, se leva et s’approcha de la table. C’était messire Louis Bernard, l’une des douze habilités de la cathédrale, qui jouissait d’un riche bénéfice. Le révérend Louis Bernard, frère de celui qui avait été touché lors de la première prédication de Farel, prétendait-il dire la messe ? voulait-il disputer avec Farel ? ou avait-il été converti ? Chacun attendait ce qui allait se passer. Le prêtre arrivé devant la table, s’arrête, et, ô surprise ! il ôte ses vêtements sacerdotaux, il jette loin de lui la chasuble, l’aube et l’étole, et dit à haute voix : « Je me dépouille du vieil homme et me déclare captif de l’Évangile du Seigneurg. » Puis, se tournant vers les réformateurs et leurs amis : « Frères, dit-il, je veux vivre et mourir avec vous pour Jésus-Christ. » Tous croyaient voir un miracleh ; les cœurs étaient émus ; Farel reçut Bernard comme un frère ; il lui rompit le pain, il lui donna la coupe, et, mangeant d’un seul pain, les deux anciens adversaires marquèrent ainsi qu’ils voulaient s’aimer l’un l’autre « d’une ronde et pure affection. » Ce prêtre n’était pas seul à jeter bas la robe souillée de son ancienne vie et à revêtir la robe nette du Seigneur. Plusieurs Genevois commençaient alors à penser et à vivre autrement que leurs pères ; mais Louis Bernard était un type frappant de cette transformation, et la foule, en sortant de l’église, ne pouvait détourner les yeux de dessus lui. On le voyait retourner plein de paix et avec joie dans la maison paternelle, en portant, au lieu de la chape des prêtres, une cape à l’espagnole. » Et tous les évangéliques, hommes, femmes et enfants, lui allaient souhaiter en grande joie la bienvenue et faire la révérencei. »

f – Gebennis hac Pentacoste cum innumeri cœnam peragerent dominicam. » (Haller à Bullinger, 4 juin 1534. Msc. Arch. Eccl. Tigur.)

g – « Veterem hominem exuens et se Evangelii Domini captivum exhibens. (Haller, ibid.)

h – « Esi in miraculum. » (Haller à Bullinger. 4 juin 1534. Msc. Eccl. Tigur.)

i – La cape à l’espagnole était un manteau à capuchon, fort en usage alors. (La sœur Jeanne, Levain du Calvinisme, p. 89.)

Une autre circonstance, tout aussi extraordinaire, vint encore augmenter la beauté de cette fête. Au milieu des joies de cette première Pentecôte évangélique, on vit arriver à Genève un chevalier de Rhodes, qui venait y chercher la liberté de la foi. Un chevalier de Rhodes était à Genève un personnage étrange. On savait confusément que ces moines guerriers, institués pour défendre les pèlerins dans la Terre-Sainte, avaient été chassés de Jérusalem par Soliman, et étaient finalement arrivés à Malte ; mais pourquoi celui-ci venait-il à Genève ? Cet ancien chevalier, nommé Pierre Gaudet, racontait que, né près de Saint-Cloud-lez-Paris, il avait entendu l’Évangile, et, qu’ayant choisi pour sa gloire la croix du Fils de Dieu, il avait le monde en dédain. Le scandale qu’il avait ainsi excité l’avait contraint à s’enfuir. Ayant un oncle à une lieue de Genève, le commandeur de Compesières, il s’était réfugié chez lui ; mais sentant le besoin de la communion chrétienne, il venait vers ses frères pour en jouir. Les huguenots le reçurent comme un ami. Cette ville, qui avait eu dans Berthelier, dans Lévrier, des martyrs de la liberté, allait avoir dans Gaudet le premier martyr de l’Évangilej.

j – Registre du Conseil du 29 juin 1535. — Crespin, Martyrologue, p. 114.

Tandis que la Parole de Dieu formait des mœurs nouvelles, le contraste des mœurs anciennes s’affichait encore hardiment. Les gens de la classe inférieure, hommes, femmes, jeunes gens et jeunes filles dansèrent, selon la coutume, sur la place publique le soir du jour de la Pentecôte. Les tabarins se mirent à jouer de leurs instruments dans les rues, et des bouffons à exciter le peuple. Des femmes de Saint-Gervais, déguisées et portant des branches de buis, donnèrent le branle à celles des autres quartiers. Des jeunes gens s’étant joints à elles, ces bandes joyeuses parcouraient les rues en longues files, chantaient, gambadaient, quelquefois même attaquaient les passants. Georges Marchand, un huguenot sans doute, qui avait la main assez prompte, se voyant pris par une femme qui voulait le faire danser avec elle, lui donna un soufflet. Il y eut de grosses querelles ; le Conseil, en conséquence, défendit ces promenades chorégraphiques et ordonna que chacun se contentât de danser devant sa maison ; c’était bien assez. Dès lors ces processions bouffonnes ne se renouvelèrent plus. Tandis que le menu peuple catholique se livrait à des jeux folâtres, sans s’apercevoir qu’il dansait avec le tambourin autour de la tombe entr’ouverte du catholicisme romain, les évangéliques redoublaient de zèle et de foi pour répandre l’enseignement de la Parole de Dieu, et une vie plus chrétienne, plus humaine allait s’établir dans cette petite mais importante cité. La procession de la Pentecôte, 1534, avec ses grossières facéties, fut, dans Genève, le convoi funèbre de la papauték.

k – Registre du Conseil des 31 mai et 2 juin 1534.

En effet, les laïques apprenaient alors de meilleures choses que celles que les moines leur avaient enseignées. Ce n’étaient pas les ministres seuls qui travaillaient ; de simples fidèles exerçaient le ministère de la charité. S’il se trouvait en quelque maison un homme fort rebelle, s’opposant à la doctrine de l’Écriture, ses amis, ses voisins, ses parents, qui en avaient goûté l’excellence, s’approchaient de lui et, sans le scandaliser, sans lui rendre mal pour mal, ils l’admonestaient en grande douceur. Les évangéliques invitaient tels ou tels de leurs amis, même des étrangers, même des adversaires, en leur maison, à boire et à manger, pour parler plus intimement avec eux. Toute leur étude était de gaigner quelqu’un à la Parollel.

l – Froment, Gestes de Genève, p. 127.

Dans les contrées voisines, en Savoie, dans les pays de Gex et de Vaud, dans le Chablais, non seulement les ennemis de Genève usaient de menaces, mais ils se préparaient à l’attaquer. On parlait beaucoup dans la ville d’assauts qui devaient se faire par lesforains ; aussi y avait-il toujours des citoyens sous les armes. Farel, Viret, Froment se joignaient pendant les veilles de la nuit aux soldats de la république, et, assis pêle-mêle près des portes de la ville, sur les remparts, sur les murailles, à la lueur des feux ou des flambeaux, ils parlaient ensemble de la vérité et échangeaient des questions et des réponses. Un chacun, familièrement et librement, objectait et répliquait à ce que le prêcheur disait, et quelquefois, avant de quitter le poste, les citoyens étaient résolus en leur cœur, sur des points religieux, dont jusque-là ils avaient douté. Ce n’est pas sans raison que ces colloques de bivac sont signalés ici. « Ah ! » s’écriait plus tard l’un des évangélistes de Genève, en se rappelant ces entretiens nocturnes, qu’il avait eus aux postes militaires, en icelles assemblées et guets, autant et plus de gens de Genève ont été gagnés à l’Évangile, qu’en prêchant publiquementm … »

m – Froment, Gestes de Genève, p. 126, 127.

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