Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Préface du tome V

Ce volume est le dixième de l’Histoire de la Réformation du seizième siècle en Europe ; c’est le cinquième de la seconde série. La première série exposait l’histoire de la Réforme depuis son commencement jusqu’aux temps de la Confession d’Augsbourg (1530). La seconde série embrassera les années qui se sont écoulées depuis cette époque jusqu’au triomphe de la Réforme dans les diverses contrées de l’Europe. Ce dernier terme n’est pas toujours facile à fixer ; il varie suivant les pays.

Cependant une règle que l’auteur a déjà établie dans la préface de son premier volume limite sensiblement l’œuvre qu’il a entreprise. « Ce n’est pas l’histoire d’un parti que je me propose d’écrire, a-t-il dit, c’est celle de l’une des plus grandes révolutions qui se soient opérées dans l’humanité. L’histoire de la Réformation est autre chose que l’histoire du protestantisme. » Un ou deux volumes venant, s’il plaît a Dieu, après celui-ci, suffiront pour la terminer. L’auteur l’a divisée en deux séries pour la commodité du public, mais il ne les sépare point l’une de l’autre. Elles forment un seul et même ouvrage.

La marche qu’il suivra probablement à l’avenir exprimera mieux l’unité du grand événement qui a illustré le seizième siècle. Les rivières coulent d’abord à part ; puis elles confluent successivement l’une avec l’autre et forment un même fleuve. Il arrive un moment où les eaux subissent la loi de la concentration ; le même phénomène se présente aussi pour une histoire comme la nôtre. Après avoir suivi séparément les faits de la Réformation en Allemagne, dans la Suisse allemande, en France, en Angleterre, dans la Suisse occidentale et ailleurs, nous concentrerons un peu notre récit et présenterons en un seul tableau la marche de cette grande transformation.

Des pays nouveaux et des hommes nouveaux se présenteront à nous. Dès l’entrée de notre prochain volume, nous parcourrons l’Ecosse, le Danemark, la Suède, la Hongrie et d’autres contrées encore, nous appliquant à retracer les grands traits de leur histoire religieuse. Nous reviendrons même à Luther, à Mélanchthon, dont la société est à la fois si aimable et si salutaire.

Une raison, outre celle qu’il a indiquée, appelle l’auteur à restreindre son travail et pourrait soudain l’interrompre. Le temps est court désormais pour lui, et il ne peut achever son œuvre qu’avec le secours de celui qui est le maître de nos jours.

Ce volume commence par l’Angleterre. Une histoire fidèle de la Réformation est peut-être maintenant nécessaire à ce pays plus qu’à tout autre. L’opinion générale sur le continent, si l’on excepte les partisans aveugles du pape, est que la cause de la Réforme est gagnée et qu’il n’y a pas besoin de la défendre. Ceci, chose étrange, n’est pas entièrement vrai pour l’Angleterre, ce pays si cher aux amis de la vérité et de la liberté. Il s’est formé, même parmi des ministres anglicans, un parti enthousiaste des rites, des habits sacerdotaux, des doctrines superstitieuses de Rome, et qui attaque vivement la Réforme. Les excès auxquels se portent quelques-uns de ceux qui le composent sont inouïs. L’un d’eux établit une comparaison entre les réformateurs et — les hommes de la terreur, Danton, Marat, Robespierre, etc.a, et donne même l’avantage à ces derniers. « La Réformation, dit encore ce prêtre anglican, n’a pas été une pentecôte ; je la regarde comme un déluge, un acte de la vengeance divine. » En présence de semblables opinions et d’autres qui, quoique moins accentuées, ne sont pas moins fatales, l’histoire de la Réformation pourrait donner des enseignements salutaires.

a – The Guardian, numéro du 20 mai 1868.

A l’histoire d’Angleterre succèdent, dans ce volume, les faits qui amenèrent le triomphe de la Réformation dans Genève. Cette histoire devrait intéresser les protestants de toutes les nations, cette petite cité ayant eu plus tard une part si considérable dans la propagation de la vérité évangélique et les luttes du protestantisme avec la papauté.

L’auteur a continué à recourir, pour ces récits, aux sources les plus authentiques ; entre autres, pour l’Angleterre, à la grande collection des State papers du règne d’Henri VIII, commencée en 1831 par les ordres du roi et les soins de sir Robert Peel. Il doit beaucoup aussi au beau recueil des œuvres des réformateurs publié par les soins de la Parker Society, etc. Pour ce qui regarde Genève, il s’est attaché principalement, comme il l’a fait depuis beaucoup d’années, aux registres manuscrits du Conseil, si authentiques et souvent si détaillés.

Ce volume se termine par le voyage de Calvin en Italie, son séjour à Ferrare, sa fuite et son arrivée à Genève. Ces circonstances ont fait naître quelques discussions. Nous sommes dans un âge littéraire où la critique règne. La critique est bonne, elle est nécessaire, elle épure l’histoire, elle déblaye les avenues du palais de la vérité. Mais si les âges dogmatiques ont leurs excès, les âges critiques ont aussi les leurs. Il y a longtemps qu’on a dit : « Ceux qui courent trop précipitamment après la vérité la dépassent. » Ceux qui veulent renouveler l’histoire ressemblent à ceux qui veulent renouveler les villes. Ceux-ci commencent par jeter bas quelques maisons mal bâties qui déparaient le quartier et gênaient la circulation, puis ils en viennent à mettre les mains sur des édifices solides, utiles et que chacun regrette. Les hommes sages prendront dans les âges critiques la modération et l’équité pour règle. Les discussions auxquelles nous avons fait allusion roulent sur deux circonstances, pas très importantes, de la vie de Calvin : — l’époque où il quitta Bâle pour se rendre à Ferrare et le chemin qu’il suivit en revenant d’Italie en Suisse. Un professeur genevois qui, à un grand talent, joint un grand travail, M. Albert Rilliet, a soutenu que le voyage de Calvin à Ferrare avait eu lieu non en automne 1535, mais en mars 1536, et qu’à son retour le réformateur n’avait point passé par Aoste. M. le docteur Jules Bonnet, de Paris, qui avait exposé la thèse contraire dans son mémoire sur Calvin au val d’Aoste, lu à l’Académie des sciences morales et politiques de France, a défendu solidement sa manière de voir dans son écrit intitulé : Calvin en Italie. M. Rilliet nous ayant adressé son écrit comme à l’auteur de l’Histoire de la Réformationb, la courtoisie nous appelle à dire notre pensée sur ce sujet. Nous croyons qu’il y a de la vérité de l’une et de l’autre part, et entre les deux extrêmes nous prenons plutôt une voie moyenne. Ceux de nos lecteurs que ces débats n’intéressent pas, agréeront nos excuses et voudront bien feuilleter rapidement ces pages.

bLettre à M. J.-H. Merle d’Aubigné, auteur de l’histoire de la Réformation, sur deux points obscurs de la vie de Calvin.

Commençons par l’époque où Calvin quitta Bâle ; nous ne pensons pas que ce point obscur soit devenu clair ; peut-être même qu’en remuant les ténèbres, on les a un peu accrues. M. Rilliet pense que ce départ eut lieu seulement après que l’Institution de la religion chrétienne fut sortie de presse, en mars 1536. Son argument le plus concluant est une lettre de Bullinger qui, vingt et un ans après, en 1557, rappelle à Calvin l’avoir vu pour la première fois à Bâle en 1536. M. Rilliet croit que cela eut lieu à la fin de janvier. On peut lire dans l’écrit de M. Bonnet, Calvin en Italie, les raisons qu’il donne pour invalider ce témoignage. Les nouveaux éditeurs des œuvres de Calvin, tout en parlant très favorablement de la lettre de M. Rilliet, ne trouvent pas, si nous les avons compris, qu’elle établisse avec certitude le séjour à Bâle jusqu’à l’achèvement de l’impression de son livrec.

c – Calvini Opera, vol III. Introduction, p. xix. Brunswic.

Nous avons d’abord admis l’opinion d’un départ en automne. La découverte d’un fait qui n’avait point été encore signalé, nous a engagé dès lors à le placer plus tard. Calvin, à Ferrare, avait avec lui « un mien traité, » dit-ild. On trouvera dans le texte les raisons qui nous font croire que c’était l’Institution ; elles nous paraissent décisives, quoique sur ce point comme sur d’autres nous soyons prêt à endurer la contradiction. Si l’hypothèse est vraie, l’impression, avons-nous pensé, était vraiment terminée avant le départ. De plus, dans sa préface des Psaumes, Calvin dit : « Incontinent après, je me retirai de là. » Quel est le régime du mot après ? Quelques lignes auparavant le réformateur avait dit : « Je ne mis pas lors en lumière le livre tel qu’il est maintenant, copieux et de grand labeur. » Si mettre en lumière est le régime cherché, Calvin fut à Bâle jusqu’au commencement de mars.

dLettres françaises, I, p. 48.

Ce n’est pourtant pas une certitude. Muratori admet l’an 1535 comme celui de la venue du réformateur, et l’an 1536 comme celui de la fuitee. Tiraboschi dit que Calvin fut à la cour de Ferrare circa il 1535f. Quant à l’argument du sien traité, l’impression n’était pas prête pour la foire d’automne, mais elle put l’être avant celle de Pâques, et Calvin put partir avec son livre aussitôt qu’il fut terminé. Il put aussi en recevoir un exemplaire, apporté par quelque ami, ou venu de quelque autre manière.

eAnnali d’italia, vol. IV, p. 305.

f – Tome VII, Ire partie, p. 291.

Quant au passage de Calvin dans sa préface des Psaumes, les mots : « Je ne mis pas lors en lumière le livre, » ne se rapportent pas au fait du départ, mais à la circonstance que quand le livre parut, il n’était pas si copieux et de si grand labeur que dans des éditions postérieures. Nous pensons donc que, dans l’état actuel de la question et jusqu’à de nouvelles lumières, on ne peut se prononcer catégoriquement sur le départ en mars.

Remarquons seulement que, même en admettant cette époque, Calvin a pu être à Ferrare avant la fin de mars, y rester avril, mai et une partie de juin, ce qui serait suffisant. Deux dates pourraient suggérer une autre hypothèse, savoir le 30 janvier, jour où M. Rilliet croit que Calvin fut à Bâle, et le 14 mai, jour indiqué par le premier monument d’Aoste, comme celui où il fut posé, peut-être parce qu’il était celui du passage de Calvin, on aurait entre ces deux dates trois mois et demi, ce qui serait encore suffisant.

Passons au second point. Il s’agit du lieu où Calvin a franchi les Alpes en revenant d’Italie. Nous croyons que ce passage se trouve entre la cité d’Aoste et Martigny. M. Rilliet pense que c’est celui qui est entre Chiavenne et Coire (p. 23 et 28).

Quels sont les arguments qui militent en faveur de l’un et de l’autre de ces deux passages ?

1° Le passage par la cité d’Aoste a pour lui l’opinion générale. Amis et ennemis, catholiques et réformés se prononcent également en sa faveur.

2° Ce chemin était pris depuis des siècles par les pèlerins qui, partant du côté septentrional des Alpes, allaient à Rome ou en revenaient. Un très ancien itinéraire, écrit de l’an 1151 à l’an 1154, par un bénédictin de l’Islande, porte comme route Bâle, Soleure, Avenches, Vevey, Saint-Maurice et le Saint-bernardg.

gRevue de Numismatique française de 1865.

3° Les grands hommes portent avec eux un cachet que seuls ils impriment sur les lieux où ils passent. Luther l’a laissé en plusieurs endroits, Jean-Jacques Rousseau de même. Or, on a à Angoulême la vigne de Calvin ; près de Poitiers, la grotte de Calvin, et l’on trouve près d’Aoste la ferme de Calvin, le pont de Calvin, et plus haut la fenêtre de Calvin. Si Calvin n’avait pas été dans ces localités, comment supposer que de bons catholiques d’Aoste auraient eu l’idée étrange de leur donner le nom du réformateur détesté de Genève.

4° Ces données sont confirmées par plusieurs ouvrages soit manuscrits, soit imprimés ; le document appartenant aux archives de M. Martinet, ancien député d’Aoste au parlement de Turin, et l’histoire manuscrite d’Aoste, trouvée par M. le pasteur Gaberel, à Turin, dans la bibliothèque du roi Charles-Albert, sont également très positifs à cet égard. Il peut s’y trouver quelques inexactitudes ; il y en a partout, même dans les écrits de ceux qui leur font la guerre. Ce qui prouve que l’un de ces écrits ne mérite aucune foi, selon M. Rilliet, c’est que Luther et Calvin y sont nommés l’un à côté de l’autre. Notre honorable correspondant dit : « Comme si, en 1536, la pensée fût venue à personne d’associer Calvin et Lutherh. » Si cela suffit pour rejeter un document, nous ne savons vraiment plus ce que deviendrait l’histoire. Que l’on parlât de Luther dans Aoste, cela est sûr ; les évangéliques y étaient les luthériens, la secte luthérienne ; nous citons dans le texte des passages qui le montrent. Quant à Calvin, si, revenant de Ferrare, il était à Aoste, professant les mêmes doctrines que son devancier, il n’était certes que très naturel qu’on l’associât au réformateur de l’Allemagne. Ajoutons que des écrivains italiens, plus à même que nous d’étudier la question sur les lieux, M. Sclopis, auteur des Annales des Étals généraux du Piémont et de la Savoie ; M. Goffredo Casalis, auteur du Dictionnaire géographique du Piémont, sont très catégoriques à l’égard du passage de Calvin.

hLettre à M. Merle d’Aubigné, p. 33.

5° Parmi les diverses sources authentiques de l’histoire, les lettres, etc., il en est une qui avec justice a toujours été mise au premier rang ; ce sont les monuments, les inscriptions faites peu après l’événement. En effet, il n’y a pas ici seulement le témoignage d’individus, mais celui d’une communauté, de l’État lui-même. Sur la place publique d’Aoste, cinq ans après le passage du réformateur, en un temps où le souvenir de ces choses était net et vivant dans l’esprit des habitants « fut dressée, » dit un document d’Aoste, « une croix de pierre taillée, au milieu de la ville, comme se remarque par écrit, au pied d’icelle, le 14 mai 1541. » Cette croix étant détériorée après deux siècles de durée, on éleva à la place, en 1741, une colonne de huit pieds de haut, sur laquelle on lisait cette inscription :

Hanc Calvini fuga erexit anno MDXLI.
Religionis constantia reparavit anno MDCCXLI.

Senebier, de Genève, en fait mention dans son Histoire littéraire, et donne l’inscription ci-dessus. Enfin, un siècle plus tard, les citoyens d’Aoste renouvelèrent encore le monument et ajoutèrent aux mots de l’inscription précédente ceux-ci :

Civium munificentia renovavit et adornavit
anno MDCCCXLI.

Tout voyageur qui passe par Aoste y lit donc maintenant ces mots :

La fuite de Calvin a élevé cette (croix ou colonne) l’an 1541.
La constance religieuse l’a réparée l’an 1741.
La munificence des citoyens l’a renouvelée et ornée l’an 1841.

La population au milieu de laquelle l’événement a eu lieu, présidée par ses magistrats, érige, répare, renouvelle dans trois siècles différents un monument officiel destiné à en rappeler la mémoire. Il n’y a guère de fait historique qui ait reçu une sanction pareille. L’argument est si fort qu’on se demande comment M. Rilliet s’y prend pour l’annuler. Selon lui, l’inscription veut dire non pas que le monument a été élevé en 1541, mais que ce fut alors que la fuite de Calvin eut lieu.

« Il est impossible, dit-il, qu’en 1541 Calvin ait prêché dans le val d’Aoste ; il est impossible par conséquent qu’on eût, cette année-là, élevé un monument pour éterniser le souvenir de sa fuite. » Puis il argumente de ce qu’il appelle cette contradiction chronologique pour combattre l’authenticité du fait. Le syllogisme, s’il y a syllogisme, est fort loin d’être concluant. Si les prémisses sont vraies, la conséquence est juste ; mais les prémisses ne le sont pas. Ici est le point de l’affaire.

Pourquoi le monument aurait-il dû être élevé l’année même de l’événement ? Ce serait vraiment étrange. On ne se presse pas tant d’ordinaire ; on attend des années, et même des siècles, pour élever une statue ou une colonne. Ce n’est qu’après trois siècles et demi que l’Allemagne vient d’élever à Luther le monument de Worms. Les catholiques aostains ont bien pu attendre cinq ans.

Mais considérons l’inscription. Elle ne dit point que la fuite de Calvin ait eu lieu cette année. Comme Reparavit anno 1741, signifie qu’on a réparé le monument l’an 1741, comme encore Renovavit et adornavit anno 1841, signifie qu’on l’a renouvelé et orné l’an 1841i, Erexit anno 1541, signifie qu’il a été élevé en 1541. Cela est clair.

iLettres françaises, I p. 43.

Maintenant venons aux autres passages par lesquels Calvin a pu revenir en Suisse. Quels sont les arguments en faveur du passage par Chiavenne ou par toute autre localité ? Il n’en existe pas un. M. Rilliet lui-même ne s’appuie d’aucun témoignage. Il n’y a rien. Dans un tel état de choses, pesant les raisons des deux cotés, nous admettons l’opinion générale que Calvin a passé pat la cité d’Aoste.

Quoique M. Rilliet n’ait parlé que de deux points obscurs, il y en a pourtant trois indiqués dans la lettre qu’il nous a fait l’honneur de nous adresser ; le troisième, c’est le séjour de Calvin à Ferrare. Selon lui on n’en sait rien, il parle même de l’absolu silence de Calvin à ce sujet. Le savant écrivain perd ici de vue les lettres du réformateur à la duchesse de Ferrare ; elles montrent que ce silence n’existe aucunement. Nous avons même d’autres opuscules ou lettres du réformateur, écrits par lui dans la même ville, et qui nous révèlent sous un jour fort satisfaisant ce qu’il était alors. Nous les avons signalés, cités même en partie, dans ce volume. De plus, des écrivains fort estimés nous transmettent d’autres faits qui sont acquis à l’histoire. A notre avis, ce point obscur est maintenant éclairé. Quelques autres points de la lettre, que M. Rilliet nous a adressée, seraient susceptibles de rectification ; mais ils sont de moindre importance, et nous ne nous y arrêterons pas.

Nous venons de voir comment la critique s’est occupée du voyage de Calvin en Italie. L’ouvrage dont nous présentons au public, un nouveau volume, a eu aussi sa part aux remarques de cet art utile, et nous ne nous en plaignons pas. Lessing disait qu’une attaque était une bonne fortune pour un auteur ; peut-être gagnerons-nous quelque chose à celle-ci. Les critiques ne nous ont pas, il est vrai, manqué jusqu’à présent ; nous en avons reçu non seulement de France et de Suisse, mais d’Angleterre, d’Amérique et d’autres pays où l’Histoire de la Réformation s’imprime presque en même temps qu’à Paris. Il est inutile de parler ici du caractère de ces appréciations ; nous dirons seulement qu’une ou deux, venant récemment de lieux plus rapprochés, ont une couleur toute nouvelle, qui nous appelle à nous en occuper.

La vérité est une mine qui doit être exploitée, un champ qui doit être cultivé par plusieurs, et tous ses amis, au lieu de s’attaquer, doivent se prêter secours. Cela est surtout nécessaire quand il s’agit de la vérité historique, bien difficile quelquefois à trouver, tandis que l’erreur se présente, au moins de temps en temps, sous des apparences spécieuses. Les plus grands historiens ne sont pas toujours irréprochables quant à l’exacte vérité du récit. On n’a pas épargné la critique à l’Histoire romaine de Tite-Live, et de nos jours, on a prétendu trouver un nombre considérable d’erreurs dans une célèbre histoire contemporaine. Si de grands historiens payent leur tribut à l’humanum est errare, comment s’étonner que les petits se trompent ? L’auteur a pu le faire comme d’autres, mais ce n’a jamais été faute d’avoir recherché la vérité avec toute l’attention dont il était capable. Il s’est appliqué même, plus qu’on ne le fait quelquefois, à la connaître dans tous ses détails ; et des notes tirées des écrits originaux appuyent son récit ; mais des efforts constants ne surmontent pas toutes les difficultés. Un document nécessaire peut ne pas exister ; s’il existe, il peut n’être pas clair ; tel mot dans tel passage peut être pris dans des sens différents, le propre ou le figuré, etc., etc.

Dans le cours de nos travaux pour l’Histoire de la Réformation, nous avons pu, ayant sous les yeux les documents originaux, comparer leurs données avec le récit des historiens, et nous avons trouvé ainsi un grand nombre d’erreurs, même chez les écrivains les plus accrédités ; mais nous n’avons pas cru devoir proclamer ces fautes et nous attribuer la fonction de redresseur des torts ; nous nous sommes contenté de mettre dans notre livre la vérité telle que nous la discernions ; c’est le meilleur moyen de réparer l’erreur.

On ne nous a pas traité de la même manière. En annonçant la Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française l’on a fort critiqué l’Histoire de la Réformation. Personne peut-être ne s’est plus réjoui que nous, quand on apprit, il y a quelques années, qu’un jeune littérateur du canton de Vaud, M. Herminjard, s’occupait de cette importante collection. Nous regrettions seulement qu’elle n’eût pas été publiée trente ans plus tôt, puisqu’elle aurait peut-être plus d’une fois abrégé nos recherches. Nous la citons une ou deux fois dans le présent volume.

Cette grande entreprise devait trouver des secours propres à en faciliter l’exécution ; ils n’ont pas manqué surtout à Genève. Ayant été consulté sur ce point, nous appuyâmes l’entreprise et encourageâmes nos amis à la seconder.

Nous faisons encore les mêmes vœux et nous pensons ne pas pouvoir mieux témoigner notre intérêt qu’en exprimant une idée qui pourrait rendre l’œuvre plus utile. Nous comprenons que l’éditeur de ces lettres n’ait pas embrassé un champ aussi étendu que l’est celui de la Réformation dans les divers pays de l’Europe ; mais dès qu’il se limite aux réformateurs de langue française et spécialement à nos trois pays de Neuchâtel, Vaud et Genève, nous aurions désiré qu’il eût pris des mesures pour que son ouvrage, étant moins volumineux, fût à la portée des petites fortunes, de celles de la majorité des pasteurs en particulier. Cela eût pu se faire en recueillant moins de lettres déjà publiées, en insérant moins de notes, elles ont de l’intérêt, mais plusieurs n’étaient pas nécessaires, Nous aurions aimé que le choix des lettres inédites même fût plus rigoureux. Le second volume renferme cent et tant de lettres des seigneurs de Berne, qui n’étaient pas dans la véritable acception du mot des réformateurs ; quelques-unes de ces missives sont intéressantes, mais la plupart pouvaient être omises. Nous ne voudrions pas faire la moindre peine à notre vaillant investigateur ; il permettra à un ami de l’histoire des réformateurs, des observations de nature à étendre l’utilité de son travail.

Nous en venons maintenant aux observations qui ont été faites dans des articles destinés à annoncer la Correspondance :

Deux critiques, qui se ressemblent assez, ont attiré notre attention ; l’une venant de Genève, l’autre de Paris.

La première, celle de Genève, nous a peut-être plus surpris que l’autre, parce que nous l’avons trouvée dans un journal qui, lorsqu’il a eu précédemment à mentionner notre livre, l’a fait en termes aimables. Mais nous savons qu’un principal rédacteur doit laisser à ses collaborateurs une assez grande liberté. Cet article, assez court du reste, n’est pas signé. Le Lien, journal de Paris, où a paru la seconde critique dont nous parlons, dit avoir facilement reconnu l’auteur de la première ; nous n’avons pas eu l’œil aussi pénétrant que lui. Nous commencerons par l’article de critique anonyme. Nous ne sommes pas nommé ; mais l’auteur inculpant les histoires de la Réformation, nous en prenons naturellement notre part.

« On demeure convaincu, dit-il, que cette histoire (celle de la Réformation) n’a encore été ni suffisamment étudiée ni définitivement écritej. » Personne plus que nous ne désire voir de nouveaux écrits répandre toujours plus la connaissance de la Réforme. Mais sur quelles bases le critique établit-il son assertion ?

jJournal de Genève du 21 juillet 1868. (Feuilleton)

Voici l’argument par lequel il commence : « Les premiers germes des doctrines réformées, dit-il, ont été très probablement apportés à Genève en 1521 par Cornelius Agrippa de Nettesheim. » Nous avons parlé de ce personnage dans notre histoire ; mais nous ne l’avons pas présenté comme ayant joué dans Genève le rôle très probable » que le critique lui attribue. La grande affaire d’Agrippa n’était pas l’Évangile, mais la magie, il y avait trois degrés dans son enseignement. Il faut d’abord, disait-il, connaître les forces occultes qui émanent de l’âme du monde. C’est la magie naturelle. Puis vient la magie céleste, qui repose sur la signification du nombre et de l’influence des étoiles. Enfin le plus haut degré c’est la magie cérémonielle ou religieuse. Ces deux préparations nécessaires pour arriver à la religion, risquaient fort de faire tourner la tête de ses disciples plutôt que de convertir leurs cœurs. Agrippa a été assez peu sérieux pour composer des écrits mal famés ; il est même tel de ses essais, dont nous jugeons plus décent de ne pas donner le titre. Il passait pour sorcier. Bodin dit qu’il fut le plus grand de tous ; Kellermann le représente comme adonné aux prestiges diaboliques, prætigiis diabolicis deditus. Cela montre tout au moins la direction de son esprit. Quant à sa profession religieuse, Bayle affirme dans son Dictionnaire critique « qu’il vécut dans la communion romaine » et le plus récent de ses biographes, M. Weizsaecker, dit dans l’Encyclopédie de Herzog, que « jamais une sérieuse conviction n’a amené Agrippa à rompre le pont derrière lui. » Ce personnage avait du talent et des connaissances. Il exprime des sentiments respectables quand il dit que ni les écoles des philosophes, ni les génies des scolastiques ne peuvent nous transmettre la science de la Parole de Dieu. Mais il avait un esprit agité, peu affermi. Il allait sans cesse de lieu en lieu, et sa vie intérieure et extérieure furent également pleines d’aventures. Quant aux doctrines réformées, on lit dans le sixième chapitre de son livre de Vanitate scientiarum : « Pourquoi insisterais-je sur les exemples des anciens hérétiques ? Regardons à ceux de notre temps. Quels sont les chefs hérétiques allemands, qui, commençant par le seul Luther, (quæ ab uno Luthero), sont aujourd’hui si nombreux ? » Serait-ce celui qui appelait Luther hérésiarque, qui apporta le premier très probablement dans Genève les germes de la lutérerie ?

Passons au second grief. Le critique anonyme dit : « En 1522, un moine français nommé François Lambert, y avait même publiquement prêché les nouvelles opinions. Cette date certaine de l’apparition de la lutérerie dans Genève, est une des intéressantes informations dues à la Correspondance des Réformateurs. » Il n’est peut-être pas d’histoire de la Réformation qui ait autant parlé, et parlera encore de Lambert, que celle dont nous publions le dixième volume. Quant au fait indiqué, nos lecteurs doivent depuis longtemps le connaître. Il en est parlé dans le deuxième volume, page 535, (première série). Nous y donnons une partie d’une lettre du réformateur Haller à Zwingle où il dit que le père franciscain a prêché à Genève, à Lausanne, à Fribourg et aussi à Berne, mais en latin. Plus loin, nous disons nous-même : « Le premier il avait annoncé l’Evangile dans la ville de Genève. » Voilà la découverte due à la Correspondance. Nous l’avions déjà faite, et notre livre l’avait publiée en plusieurs pays et en plusieurs langues, vingt à trente ans avant que la Correspondance en parlâtk ; — environ une génération d’hommes auparavant. Pour peu que notre critique anonyme soit jeune, il n’était pas encore né.

k – Le millésime du volume cité est 1848, et c’est une quatrième édition.

Le critique qui fait cas de l’influence évangélique, selon lui très probable, d’Agrippa, influence qui n’a pas existé, et de celle de Lambert qui ne fit que traverser Genève, se plaint ensuite de ce que l’histoire de la Réformation attache une certaine importance au séjour que fit à Genève Thomas Ab Hofen, sous-secrétaire du Sénat de Berne et commissaire de ce canton suisse. Nous estimons, en effet, que ce séjour devait être signalé plus que ceux d’Agrippa et de Lambert. La présence d’Ab Hofen à Genève était pour le grand réformateur de la Suisse, Zwingle, l’objet de vives espérances. Les Genevois selon lui retireront de l’œuvre de Thomas Ab Hofen « une utilité non commune, » — utilitatem non vulgarem. — Le réformateur ne doute pas qu’au milieu des affaires de l’Etat, dont il est chargé, Ab Hofen « ne néglige nullement les affaires de Christ, » — Christi negotiorum minime sis negligens. — Il lui écrit « qu’il méritera très bien des citoyens de Genève, s’il ne cherche pas seulement à régler les lois et les droits, mais les esprits. Et qu’est-ce, dit-il, qui peut mieux régler les esprits que la parole et la doctrine de Celui qui a formé lui-même ces espritsl ?) » Avons-nous été trop loin dans notre livre ? Nous avons dit que « Ab Hofen ne venait pas dans Genève pour la réformer, mais pour des fonctions diplomatiques. » Nous avons été frappé de ce qu’il répondit à Zwingle. « Sachez qu’aussi loin que mes forces vont je n’y manquerais pasm. » A quoi ne manquerait-il pas ? Il le dit immédiatement auparavant ; c’est de faire en sorte « que le nombre de ceux qui confessent à Genève la doctrine de l’Evangile s’augmenten. » Les forces d’Ab Hofen n’étaient pas petites, et le Suisse fidèle n’a certes pas manqué de faire ce qu’il avait promis à Zwingle. Nous ne nous sommes pourtant pas flatté à l’égard des fruits de son travail ; nous avons dit : « Il fut navré ; il avait attendu de meilleures choses ! Tout ce a que je fais est vain, écrit-il, Sed omnia frustra fiunt ». Ce qui ne veut pas dire qu’il ne fit rien, puisqu’il parle de tout ce qu’il fait. La rareté de documents semblables, à cette époque, l’obligation où nous nous trouvions de parler beaucoup d’événements politiques, nous a fait regarder le séjour d’Ab Hofen comme une oasis, où nous avons trouvé plaisir à nous arrêter.

l – Zwingli, Ep., II, p. 9 et 10.

m – « Quousque meæ vires valeant. » (Zwingli. Ep., II, p. 1415.)

n – « Ut hic Genevæ numerus Evangelii doctrinam confitentium augere incipiat. » (Ibid.)

Le critique dit ensuite qu’on doit à M. Herminjard d’avoir revendiqué pour Saunier la composition de la lettre de Payerne à Genève. Ceci est plus explicite que ce que dit l’éditeur lui-même (vol. II, p. 427). On trouve dans le deuxième volume de l’Histoire de la Réformation au temps de Calvin, cette lettre de Payerne, page 674 à (570, et dans les lignes qui l’introduisent, il est dit qu’Antoine Saunier, du Dauphiné, ami de Farel, était le pasteur des chrétiens évangéliques de cette ville, et qu’ils résolurent ensemble d’écrire à Genève. Quand un pasteur et une Église de petite ville ou de village veulent écrire une lettre importante, c’est le pasteur qui la compose ; il n’en a guère été autrement depuis trois siècles. Peut-être pourtant, valait-il mieux ne pas aller plus loin que nous l’avons fait, car la lettre originale n’est pas de la main de Saunier, comme M. Herminjard le reconnaît, et le Post Scriptum où il est parlé de ce ministre, doit tout au moins avoir été composé par un autre.

Le critique continue et dit : « On s’étonne bien davantage, en voyant que deux pièces dues à la plume de Farel ont été omises. » La première de ces lettres, du 18 novembre 1532, ne contient pas d’informations sur Genève ; cela est naturel puisqu’elle est écrite de Morat à Genève. Seulement les noms des amis que Farel salue indiquent quels étaient les premiers adhérents de la Réformation. Mais ces noms se trouvent ailleurs et comme M. Herminjard lui-même le remarque, il en manque. Quant à la seconde lettre (du 26 juillet 1532) elle porte cette adresse générale : A mes très chers frayres en notre Seigneur, tous les amateurs de la Sainte Parole. Ruchat croit qu’elle fut adressée aux réformés de France, et d’autres écrivains l’affirment, tandis que M. Herminjard est convaincu qu’elle le fut à Genève. La question est douteuse. Cependant nous comprenons l’opinion de ceux qui sont pour la France. Ils ont pu se dire : « Farel, écrivant au très petit nombre de Genevois, qui commençaient à se tourner vers la Réforme (c’était trois mois avant qu’il parût à Genève), aurait-il adressé sa lettre à tous les amateurs, etc. ? » Il est naturel qu’il le fasse, s’il s’adressa à ses compatriotes dispersés dans plusieurs provinces du royaume. Cette lettre au reste ne contient pas un fait qui se soit passé à Genève. Elle est essentiellement une lettre d’exhortation.

L’historien, d’ailleurs, doit-il citer toutes les lettres écrites dans le temps dont il parle ? Que serait devenue notre histoire, en présence des recueils volumineux, où se trouvent par centaines les lettres de Luther, de Mélanchthon, de Calvin, de Cranmer, de Bullinger et de tant d’autres réformateurs ? Le critique raisonne comme si notre histoire ne s’occupait que de la Réformation de Genève. Nous avons voulu faire connaître à l’étranger notre émancipation héroïque, et notre belle Réforme. Des amis nous ont reproché d’y avoir donné trop de place ; mais nous avons atteint, au moins en partie, le but que nous nous proposions. Un jour, trois citoyens américains, des Etats-Unis, tous laïques, vinrent voir l’auteur, et l’un d’eux prenant la parole, lui dit : « Nous avons lu votre histoire, Monsieur. Vos Berthelier, vos Lévrier, vos Hugues sont nos ancêtres politiques. Nous saluons en eux les pères de notre liberté. » Dieu donne que quelques grains semés sur une terre lointaine produisent de bons fruits pour une patrie qui nous est chère.

Pas une des remarques du critique n’est fondée.

Venons-en maintenant aux objections du journal français le Lien. Cette feuille, on le sait, est l’organe le plus accrédité de la nouvelle école théologique, mais nous n’attribuons point ses jugements à cette circonstance. Nous aimons à reconnaître la sincérité dans ceux qui ne sont point avec nous. Et même le Lien, dans des articles qu’il a consacrés antérieurement à notre histoire, a fait preuve d’une grande impartialité et d’une vraie bienveillance pour notre travail.

Nous avons établi que la justification par la foi, ce principe essentiel et créateur de la Réformation, fut enseignée par Lefèvre, à la Sorbonne, avant 1512 ; nous avons dit que c’était là l’aurore d’un nouveau jouro. Le Lien est d’un avis contraire. Nous n’avons pourtant point considéré Lefèvre comme un réformateur du même genre que Luther et les autres. Nous avons dit : « Après tant d’années (en 1533 et 1534), le vieux docteur en était encore à la vaine espérance de voir le catholicisme se réformer lui même. » Pour prouver que nous n’avons pas été trop loin dans le bien que nous avons dit de lui, nous citerons le Lien lui-même. Il dit : « Il y avait au moins quelques apparences que Lefèvre avait été comme le père de la Réformation dans notre patrie, puisqu’il avait enseigné quelque temps avant Luther la grande doctrine dont Luther a fait la base de sa rénovation religieuse. Lefèvre, d’ailleurs, se rattacha, dès 1521, de plus en plus fermement, du moins par le cœur, aux croyances évangéliques, etc. »

o – 1re série, vol. III, 12.2.

Il nous semble que le Lien et nous sommes, sur ce point, tout à fait d’accord, et c’est peut-être une chose assez rare pour que nous nous en réjouissions.

Le Lien passe à un second article. Selon lui, dire que Briçonnet a jamais eu de la sympathie pour les doctrines de Luther est « une méprise inconcevable. » Nous avons indiqué une époque de vie et de zèle dans Briçonnet, mais aussi nous avons signalé sa faiblesse. « Ce qu’il cédait, avons-nous dit, suffisait à Rome. On peut bien, disait-il, accorder une certaine invocation de la Vierge si l’on dit que ce n’est que par la médiation de Christ qu’elle a quelque influence. » Nous avons parlé de ses déplorables décrets de la fin de 1523, de ses efforts de 1524 pour déraciner les hérésies, de sa chute de 1525. Mais que pense donc le Lien lui-même de cet évêque ? « Briçonnet, dit-il, donne, pour la réforme du clergé, l’exemple du zèle le plus pur, du dévouement le plus entier. Tout ce qui était de nature à avancer le règne de Dieu, il le fait pour son compte et il le fait faire aux autres. Il fait distribuer gratis des exemplaires du Nouveau Testament à tous les pauvres qui en demandaient. De là s’engendra, dit Crespin, un ardent désir de connaître la voie du salut Nouvellement révélée. Briçonnet fut très vivement touché par la lecture d’une lettre d’Œcolampade. Il chargea Roussel et les prédicateurs les plus évangéliques de son diocèse de faire une instruction quotidienne au peuple sur les Epîtres de saint Paul. Les hommes et les femmes qui assistaient à ces exercices religieux d’un nouveau genre apportaient avec eux leur Nouveau Testament français. Briçonnet comprenait à merveille que le meilleur moyen de convertir les âmes et d’avancer la piété, était de faire lire la Parole de Dieu, d’amener les fidèles à la source vivifiante de l’Evangile. Nous ne sommes pas étonné que les tendances réformatrices de Briçonnet n’aient pas été comprises a même de son tempsp. »

p – Voir le Lien, 1868, p. 237, 242, 243.

Ainsi parle le Lien. Ici, nous n’osons presque pas dire que son collaborateur et nous, sommes d’accord. Dans l’appréciation du caractère évangélique, réformateur de Briçonnet, il nous surpasse. Nous ne déclarons pas, comme l’a fait notre critique, qui a l’attaque un peu bruyante et l’expression un peu vive, que ce qu’il affirme est une méprise inconcevable ; mais nous n’allons pas si loin.

Le Lien (p. 269) s’occupe d’une lettre de Calvin à Daniel, qui se trouve dans la bibliothèque de Berne, dont nous avons depuis longtemps la copie. Cette lettre est datée Melliani. Un paléographe distingué que le gouvernement de Louis-Philippe avait chargé de rechercher les lettres de Calvin dans les bibliothèques de l’Europe, M. Bonnet, de Paris, donnant cette épître dans son édition anglaise des lettres de Calvin, y a mis la date de Meaux. M. Herminjard lui substitue celle de Meillant (département du Cher). Cette indication vaut-elle mieux que la première ? Nous en doutons. Nous avons consulté d’abord le Dictionnaire de Douillet, et nous avons trouvé que le nom latin de Meillant est Mediolanum. Nous avons fait d’autres recherches pour voir s’il n’y avait pas un autre Meillant dans le Cher, et si quelque dictionnaire ne donnerait pas Mellianum, comme dit M. Herminjard. Nous n’avons rien trouvé de semblableq. Enfin nous avons pris en mains le Dictionnaire géographique de Vosgien, revu par Giraud, et nous avons trouvé pour nom latin de Meillant : Castrum Mediolani. Ainsi, en français, ce bourg s’appelle Meillant ou Château-Meillant. En latin, de même, Mediolanum ou Castrum Mediolani (à cause d’un vieux château). Nous n’avons pas trouvé d’autre nom, et Calvin, qui savait bien son latin, n’a pu employer que le vrai. Si M. Herminjard a quelque autorité à présenter pour Mellianum, nous sommes prêt à la prendre en considération. Jusque-là, il ne s’agit, à nos yeux, dans la lettre de Calvin, pas plus de Meillant que de Meaux. Si un savant a eu à choisir entre ces deux noms, on comprend qu’il ait penché pour Meaux, ville si importante dans les premiers temps de la Réforme française, plutôt que pour Meillant, où il s’agissait pour Calvin, nous dit-on, de faire sa provision de vin.

q – Le Grand Dictionnaire de la Martinière ne dit rien. Le Dictionnaire géographique d’Expilly a le nom de Meillant, mais point de nom latin. Le Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne, de même. Le Dictionnaire des Villes de France, de Duclos, de même. Nous avons eu recours alors à des dictionnaires latins : dans le Novum Lexicon geographicum de Ferrarius et Baudrand, point de Mellianum ; dans un autre dictionnaire latin, point de Mellianum.

M. Herminjard accuse ceux qui n’acceptent pas Meillant d’inconcevable méprise, met un point d’exclamation, et une ligne plus bas il parle d’une étrange préoccupation d’esprit. Ce passage n’est pas le seul de ce genre. Il nous semble fâcheux qu’on emploie de tels mots. On ne prend pas ce ton dans le monde littéraire ; nous avons souvent remarqué comment des hommes de lettres, ceux même qui ne professent pas de sentiments religieux, savent être courtois les uns vis-à-vis des autres. Faudra-t-il qu’il n’en soit pas ainsi parmi ceux qui professent l’Évangile ? Sans doute on a vu quelquefois, et en tout pays, des écrivains soutenant de fausses thèses prendre ce ton magistral ; je ne pense pas que cela réussisse parmi nous. Nous autres vieux huguenots, nous ne voulons qu’un seul maître. Nous avons applaudi quand le fouet est tombé dans le nouveau monde, et nous désirons qu’on ne le relève pas dans l’ancien. Calvin s’est occupé de ce sujet et a cherché la cause de ce ton arrogant, magistral. Il veut qu’on « ôte du cœur cette outrecuidance, » et donne cette règle : « Quiconque appète (désire) une hautesse ferme, qu’il soit abattu du sentiment de sa propre infirmité, et ne pense rien de soi, sinon en petitesse. » Ce qu’il y a de mieux pour nous, c’est de vivre comme des amis et des frères.

La même lettre de Calvin a donné lieu à un second débat. Il y est question d’un Mécène, qui n’est pas nommé, mais auquel Calvin donne le qualificatif de Supinus. Qui est-il ? Deux hypothèses ont été présentées. Le collaborateur du Lien suppose que ce Mécène, fut André Alciat, de Milan, fameux jurisconsulte alors à Bourges, trop entier dans son opinion, dit ce journal (page 270) et aussi peut-être trop vaniteux ; de là l’épithète de Supinus. Il ne nous parait pas que cet adjectif se rapporte à l’orgueil, c’est plutôt à l’indolence. Supinus est proprement qui est couché sur le dos. Le fameux philologue Forcellini met le vers de Juvénal

Multum referens de Mæcenate Supino

dans la rubrique Solutus, otiosus, ignavus, oscitans, negtigens, delicatus ; il ajoute : Hujus modi enim supini jacere diu nut sedere solent. « Ces Supini ont coutume d’être longtemps couchés ou assis. » Nous ne partageons pas l’opinion de M. Herminjard et du Lien que l’un et l’autre traduisent Supinus par orgueilleux. Il s’agit de mollesse et non d’orgueil, et il nous paraît que l’adjectif de Calvin s’applique mieux à Briçonnet qu’à Alciat. Les incertitudes de l’évêque, sa disposition quiétiste nous semblent l’indiquer. D’ailleurs, un Mécène est un seigneur, un haut dignitaire de l’Eglise, un prince qui encourage les lettres et les arts, en donnant des récompenses à ceux qui les cultivent. Briçonnet, comte de Montbrun, évêque, cardinal, ambassadeur à Rome, avait des droits à ce titre, et nous savons qu’en effet sa renommée était d’être le protecteur des savants. Alciat, au contraire, professeur de droit, obligé, pour échapper à la persécution, de fuir l’Italie et de se réfugier en France, devait être plutôt patronné que patron. En effet, il trouva dans François Ier son Mécène.

Au reste, une lettre comme celle dont il est question, écrite dans un langage énigmatique, peut contenir des allusions à des faits, à des personnes, sur lesquels les interprètes se partagent. Quand M. Reuss réimprimera les pièces publiées dans la correspondance qu’édite M. Herminjard, on peut présumer qu’en divers cas, il proposera des leçons ou des conjectures nouvelles. Il faut applaudir à toutes les recherches analogues à celles qui sont déposées dans la Correspondance des Réformateurs de langue française, mais s’attendre à ce que des découvertes postérieures éclairent les documents déjà étudiés. L’historien n’est pas responsable des lacunes qui existent au moment de son travail.

Il serait trop long d’examiner dans cette préface les autres remarques du Lien ; nos observations ont déjà été trop étendues et nous craignons d’avoir fatigué nos lecteurs. S’il y a souvent dans les critiques du Lien, dont nous venons de parler, un ton tranchant, une profusion de paroles destinée à exprimer de l’étonnement, etc., profusion qui rappelle un peu la vivacité du Midi, nous aimons à reconnaître les égards avec lesquels ce journal parle plus d’une fois de notre travail. C’est ainsi qu’il dit, par exemple, en nous nommant : « A lui revient la gloire d’avoir fait connaître en France le premier le siècle de la Réformationr. » Il y a même dans quelques-uns des passages, des mots trop bienveillants pour que nous puissions les accepter. Il est vrai que, comme le dit le critique, nous nous sommes occupé de bonne heure, de l’Histoire de la Réformation. Nous l’avons fait dès 1818 ; il y a cinquante ans ; et nous pouvons ajouter, nous l’avons fait en nous attachant le plus possible aux documents des temps, lettres, mémoires, etc. Un certain nombre des lettres que M. Henninjard publie maintenant comme inédites, ont été connues, déchiffrées, publiées en fragments par noua, depuis au moins une trentaine d’années. Nous passâmes alors bien des matinées dans la Bibliothèque royale, maintenant impériale, à Paris, à étudier l’intéressant dossier de la correspondance entre Marguerite, sœur du roi, et Briçonnet, à déchiffrer et à transcrire leurs lettres. On a dit au collaborateur du Lien qu’elles ont des passages très difficiles. On ne l’a pas trompé, nous fûmes alors des heures sur une même phrase. Ce sont sans doute les mêmes manuscrits qui ont été lus par M. Herminjard, et en sa qualité de paléographe, qualité dans laquelle, nous n’en doutons pas, il nous surpasse, il se sera tiré d’affaire plus vite que nous. Nous n’avons pas donné toutes ces lettres inédites, et celles que nous avons citées ne le sont pas en entier, nous bornant au travail de l’historien ; mais nous en fîmes connaître par fragments environ douze dans notre troisième volume, le premier qui s’occupait de la France. M. Henninjard en donne environ quinze, si nous ne nous trompons. Dans le même volume, nous avons inséré plusieurs fragments de lettres inédites d’Anémond de Coct, de Pierre de Sebville, de Jean Yaugris, etc. M. Herminjard en donne de même après nous et en plus grand nombre, l’histoire devant faire un choix plus rigoureux. Nous ne poursuivrons pas cette énumération. Un littérateur remarquant que la Correspondance ne mentionnait pas l’insertion partielle, dans notre histoire, de plusieurs de ses lettres inédites, ajoutait : « Cela n’est pas dans les mœurs de la république des lettres. »

rLe Lien, 1868, p. 298.

Nous terminerons par quelques considérations. Remarquons seulement qu’elles ne sont pas faites en vue des écrivains dont nous avons parlé, et pour le montrer d’une manière plus positive, et ne pas nous présenter seul dans cette cause, nous mettrons d’abord en avant des autorités respectables.

Un grand critique, M. Sainte-Beuve, dit : « Il y a une sorte d’histoire qui se fonde sur les pièces mêmes, les instruments d’États, les papiers diplomatiques, la correspondance des ambassadeurs ; puis il y a une histoire d’une tout autre physionomie, l’histoire morale, écrite par des acteurs et des témoins. »

Un homme éminent qui, par son dernier écrit : La Papauté sous le premier Empire, a pris un nom honorable parmi les historiens, M. le comte d’Haussonville, a appuyé ce jugement. « M. Sainte-Beuve a raison, dit-il, cette dernière histoire est la meilleure, je veux dire au moins la plus instructive, la plus profitable, la seule qui serve à dessiller les yeux, à ouvrir les intelligences, à combattre les funestes engouements, à éviter les désagréables mystifications. Ce qui nous importe, c’est de connaître les gens, suivant l’heureuse expression de Saint-Simon, par la levée du rideau gui les couvre. »

Un autre écrivain distingué a dit : « La véritable histoire s’élève seulement quand l’historien commence à démêler à travers la distance des temps, l’homme vivant, agissant, doué de passions, muni d’habitudes, avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct et complet, comme celui que tout à l’heure nous avons quitté dans la rue. Une langue, une législation, un catéchisme n’est jamais qu’une chose abstraite ; la chose complète, c’est l’homme agissant, l’homme corporel et visible, qui mange, qui marche, qui se bat, qui travaille.

Que ne regarde-t-on de près à l’histoire ? Là on trouverait la vie humaine, la vie intime avec ses scènes les plus variées et les plus dramatiques, le cœur humain avec ses passions les plus vives comme les plus douces, et de plus, un charme souverain, le charme de la réalité. »

Enfin, nous lisons dans les études de l’un des maîtres les plus autorisés en fait de composition historique, M. Daunou, que « l’histoire qui d’elle-même est pittoresque et dramatique, est devenue, dans le temps moderne, terne et froide et n’offre plus ces vives images des hommes et des choses que le genre antique savait tracer. »

L’histoire s’était délivrée du bâillon que le moyen âge lui avait mis pour l’empêcher de parler avec naturel, avec vie, comme les hommes parlent ; et peut-être les enseignements de l’illustre académicien et pair de France que nous venons de citer, M. Daunou, y avaient-ils contribué. Mais on se demande depuis quelque temps s’il n’y a pas à craindre une recrudescence du moyen âge, si l’on ne tâche pas de nouveau de mettre le bâillon à l’histoire. On dirait quelquefois que l’archéologie pense que l’histoire pourrait être supprimée comme chose de luxe, ornement inutile, et remplacée par les documents, les diplômes, les extraits de registres cousus à d’autres extraits.

Faudra-t-il que si un historien, tout en restant fidèle aux documents, en tire quelque chose où il y ait de la lumière et de la vie, il entende de toute part les antiquaires lui crier : Haro sur vous ! Faudra-t-il que dès qu’un personnage sent, se meut, parle, se réjouit ou s’attriste, l’Aréopage prononce que c’est un être fictif qui n’a jamais pu exister et que l’imagination seule a produit ? Vous croyez que nos ancêtres ont été des gens ayant comme nous des passions, des regrets, des cœurs qui battent… Nullement ; ils ont été des ombres glacées comme celles qui se tenaient sur les bords du Styx ! Jusqu’à présent on avait dit : Cet être sent, se meut, donc il vit ; mais, selon une nouvelle école, la vie est une fable. Rien n’est authentique que ce qui est ennuyeux. Un homme et une histoire ne sont tenus pour êtres réels et vivants que s’ils sont pâles, roides, morts.

Nous en avons eu bien des exemples. Un jour on nous fit un reproche. « Votre imagination, nous dit-on, invente certains traits qui donnent de la vie au sujet, mais dont vous n’avez rien pu savoir. » On cita le passage suivant : « Quand le réformateur Fryth, dit-on, fut conduit comme prisonnier, à pied, devant la cour épiscopale de Croydon, vous dites qu’il avait l’œil serein, la face joyeuse, que le voyage se passa dans de pieuses et agréables conversations avec ceux qui le conduisaient. — Comment avez-vous pu savoir cela, ajoute-t-on, étiez-vous de la partie pour connaître l’apparence de sa figure ? » Nous prîmes aussitôt le VIIIe volume des Actes et Monuments de Fox, en anglais ; l’appendice contient le récit de ce voyage fait par un témoin oculaire. Nous ouvrîmes le livre et nous trouvâmes ces mots : And so with a cheerful and merry countenance, he went with them, spending the time in pleasant and godly communication. » Ce qui devait avoir été inventé par nous était la traduction presque littérale d’un document écrit il y a 335 ans.

Si l’on substituait l’archéologie à l’histoire, nous ne pensons pas que le public eu sût gré aux auteurs de cette transformation. Les recherches des paléographes ne sont pas l’édifice, mais les matériaux préparés pour le construire. L’histoire est au-dessus de l’archéologie comme la maison est au-dessus des fondements. L’édifice élevé par l’architecte est le but. C’est là que les hommes trouvent une demeure agréable, à l’abri des intempéries de l’air. Mais il est bon de piocher, de tirer des fragments de rocher, du sein de la terre ; il est utile pour construire d’avoir des pierres et même de bonnes. L’historien qui fait peu de cas de l’archéologie montre un esprit superficiel ; l’archéologue qui fait peu de cas de l’histoire montre un esprit dont la culture n’est pas encore complète.

Au reste, il ne faut pas craindre le mouvement qui se t’ait de nos jours ; il n’a pas de chance de succès, la véritable histoire ne périra pas.

Si nous avons inséré cette réclamation dans le présent volume, ce n’est pas pour ce qui nous concerne personnellement ; mais cette histoire ayant été reçue avec faveur, nous tenions à établir que nous avons toujours cherché les autorités les plus respectables et que tout en étant sujet à l’erreur, nous avons donné un récit vrai — vrai pour les faits et vrai pour l’esprit qui l’anime.

Oh ! quand cesseront les débats, les luttes ? Il y a heureusement dans le monde quelque chose que les attaques des hommes ne peuvent ni abattre, ni même ébranler, et qui suffit à l’âme pour lui donner la paix. Les saintes paroles que les prophètes de Dieu ont écrites, subsisteront à jamais, parce que la lumière de Dieu est en elles, et que dans toutes les générations, beaucoup de cœurs avides des biens les plus élevés, y ont trouvé et trouvent la vie éternelle. Ce n’est pas seulement à cause de leur divine beauté qu’elles nous ravissent, mais parce qu’elles satisfont pleinement tous les besoins de notre être. Nous disons à cette vérité céleste et vivante, que les paroles divines nous révèlent : J’étais nu et tu m’as vêtu. J’avais faim et tu m’as donné à manger. J’avais soif et tu m’as donné à boire ! Pourquoi tant d’hommes qui sont altérés, ne viennent-ils pas à ces eaux-là ? De beaux esprits de l’antiquité païenne, les Celse, les Porphyre, les Julien ont attaqué le christianisme aux premiers temps, en employant les mêmes et vaines objections, dont aujourd’hui encore on se sert. Ils ne savaient pas qu’il se trouvait en lui une force impérissable. Il y a dix-huit siècles qu’il résiste à toutes les attaques, et depuis notre glorieuse Réformation il a pris un élan nouveau. Les peuples qui couvrent de leurs navires les mers les plus lointaines, ont répandu partout la semence de Dieu. Ses pas ont été jusqu’au bout du monde ; les nations accroupies se lèvent à son approche.

Sans doute, l’incrédulité ne fut jamais plus commune dans les parties basses de la société ; mais aussi les croyants ne furent jamais si nombreux par toute la terre. C’est une multitude que personne ne peut compter. Et quand même l’infidélité et l’athéisme augmenteraient encore, nous ne t’abandonnerons pas, ô Sauveur du monde ! Si la sagesse terrestre donne à ses amis une lumière qui dessèche, qui désole l’âme, toi, tu donnes une lumière qui relève, qui vivifie et qui réjouit. Au milieu des luttes tu mets la paix dans nos cœurs. Au sein des souffrances tu donnes une puissante et vivante consolation ; et à l’approche de cette mort qui est l’épouvantement des hommes, tu remplis nos âmes de l’espérance ferme et vive de parvenir, par le chemin de ta croix, à la vie avec toi, dans le monde invisible et glorieux. A qui irions-nous, ô Jésus-Christ ! Tu as les paroles de la vie éternelle, et nous avons cru, nous avons connu, que tu es le Christ, le fils du Dieu vivant.

Genève, novembre 1868.

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