Histoire de la Réformation du seizième siècle

2.5

L’université de Wittemberg – Premiers enseignements – Leçons bibliques – Sensation – Prédications à Wittemberg – La vieille chapelle – Impression.



Mellerstadt (1455-1513)

Arrivé à Wittemberg, Luther se rendit au couvent des Augustins, où une cellule lui fut assignée ; car, quoique professeur, il ne cessa pas d’être moine. Il était appelé à enseigner la physique et la dialectique. On avait eu égard sans doute, en lui assignant ces fonctions, aux études philosophiques qu’il avait faites à Erfurt, et au grade de maître ès arts dont il était revêtu. Ainsi Luther, qui avait alors faim et soif de la parole de Dieu, se voyait obligé de se livrer presque exclusivement à l’étude de la philosophie scolastique d’Aristote. Il avait besoin du pain de vie que Dieu donne au monde, et il devait s’occuper de subtilités humaines. Quelle contrainte ! que de soupirs ne poussa-t-il pas ! « Je suis bien, par la grâce de Dieu, écrit-il à Braun, si ce n’est que je dois étudier de toutes mes forces la philosophie. J’ai désiré vivement, dès mon arrivée à Wittemberg, d’échanger cette étude contre celle de la théologie ; mais, ajouta-t-il, pour que l’on ne crût pas que c’était de la théologie du temps qu’il était question, c’est de cette théologie qui recherche le fruit de la noix, la pulpe du froment et la moelle des os, que je parlet. Quoi qu’il en soit, Dieu est Dieu, continue-t-il avec cette confiance qui fut l’âme de sa vie : l’homme se trompe presque toujours dans ses jugements ; mais celui-ci est notre Dieu. Il nous conduira avec bonté aux siècles des siècles. » Les travaux que Luther fut alors obligé de faire, lui furent d’une grande utilité pour combattre plus tard les erreurs des scolastiques.

t – … Theologia quæ nucleum nucis et medullam tritici et medullam ossium scrutatur. (L. Epp. I, 6.)

Il ne pouvait s’en tenir là. Le désir de son cœur devait s’accomplir. Cette même puissance qui, quelques années auparavant, avait poussé Luther du barreau vers la vie religieuse, le poussait maintenant de la philosophie vers la Bible. Il se mit avec zèle à l’étude des langues anciennes, et surtout du grec et de l’hébreu, afin de puiser la science et la doctrine dans les sources mêmes d’où elles jaillissent. Il fut toute sa vie infatigable au travailu. Quelques mois après son arrivée à l’université, il demanda le grade de bachelier en théologie. Il l’obtint, à la fin de mars 1509, avec la vocation particulière de se livrer à la théologie biblique, ad Biblia.

u – In studiis litterarum, corpore ac mente indefessus. (Pallavicini Hist. Cour. Trid. I, 16.)

Tous les jours, à une heure après midi, Luther était appelé à parler sur la Bible : heure précieuse pour le professeur et pour les disciples, et qui les faisait pénétrer toujours plus avant dans le sens divin de ces révélations longtemps perdues pour le peuple et pour l’école !

Il commença ses leçons par l’explication des psaumes, et en vint bientôt à l’Épître aux Romains. Ce fut surtout en la méditant que la lumière de la vérité entra dans son cœur. Retiré dans sa tranquille cellule, il consacrait des heures à l’étude de la Parole divine, l’Épître de saint Paul ouverte devant lui. Un jour, parvenu au dix-septième verset du premier chapitre, il y lut ce passage du prophète Habacuc : Le juste vivra par la foi. Cet enseignement le frappe. Il y a donc pour le juste une autre vie que celle du reste des hommes : et cette vie, c’est la foi qui la donne. Cette parole, qu’il reçoit dans son cœur comme si Dieu même l’y déposait, lui dévoile le mystère de la vie chrétienne et augmente en lui cette vie. Longtemps après, au milieu de ses nombreux travaux, il croyait encore entendre cette voix : « Le juste vivra par la foiv. »

v – Seckend., p. 55.

Les leçons de Luther, ainsi préparées, ressemblaient peu à ce qu’on avait entendu jusqu’alors. Ce n’était pas un rhéteur disert ou un scolastique pédant qui parlait ; c’était un chrétien qui avait éprouvé la puissance des vérités révélées, qui les tirait de la Bible, qui les sortait du trésor de son cœur, et les présentait toutes pleines de vie à ses auditeurs étonnés. Ce n’était pas un enseignement d’homme, c’était un enseignement de Dieu.

Cette exposition toute nouvelle de la vérité fit du bruit ; la nouvelle s’en répandit au loin, et attira à l’université récemment fondée une foule de jeunes étudiants étrangers. Plusieurs professeurs même assistaient aux leçons de Luther, entre autres Mellerstadt, appelé souvent la lumière du monde, premier recteur de l’université, qui déjà à Leipzig, où il avait été auparavant, avait vivement combattu les ridicules enseignements de la scolastique, avait nié que « la lumière créée le premier jour, fût la Théologie, » et avait soutenu que l’étude des lettres devait être la base de cette science. Ce moine, disait-il, déroutera tous les docteurs ; il introduira une nouvelle doctrine et réformera toute l’Église ; car il se fonde sur la Parole de Christ, et personne au monde ne peut ni combattre, ni renverser cette Parole, quand même il l’attaquerait avec toutes les armes de la philosophie, des sophistes, des scotistes, des albertistes, des thomistes, et avec tout le tartaretw ! »

w – Melch. Adam. Vita Lutheri, p. 104.

Staupitz, qui était la main de la Providence pour développer les dons et les trésors cachés dans Luther, l’invita à prêcher dans l’église des Augustins. A cette proposition, le jeune professeur recula. Il voulait se borner aux fonctions académiques ; il tremblait à la pensée d’y ajouter celles de la prédication. En vain Staupitz le sollicitait : « Non, non, répondait-il, ce n’est pas une petite chose que de parler aux hommes à la place de Dieux. » Touchante humilité dans ce grand réformateur de l’Église ! Staupitz insista. Mais l’ingénieux Luther trouvait, dit un de ses historiens, quinze arguments, prétextes et défaites pour se défendre de cette vocation. Enfin le chef des Augustins continuant toujours son attaque : « Ah ! monsieur le docteur, dit Luther, en faisant cela vous m’ôtez la vie. Je ne pourrai pas y tenir trois mois. — A la bonne heure, répondit le vicaire général ; qu’il en soit ainsi au nom de Dieu ! Car notre, Seigneur Dieu a aussi besoin là-haut d’hommes dévoués et habiles. » Luther dut se rendre.

x – Fabricius centifol. Lutheri, p. 33. — Mathesius, p. 6.

Au milieu de la place de Wittemberg se trouvait une vieille chapelle en bois, de trente pieds de long sur vingt de large, dont les cloisons, soutenues de tous côtés, tombaient en ruine. Une vieille chaire, faite de planches et haute de trois pieds, recevait le prédicateur. C’est dans cette misérable chapelle que commença la prédication de la Réforme. Dieu voulut que ce qui devait rétablir sa gloire eût les commencements les plus humbles. On venait seulement de poser les fondements de l’église des Augustins, et, en attendant qu’elle fût achevée, on se servait de ce temple chétif. « Ce bâtiment, ajoute le contemporain de Luther, qui nous rapporte ces circonstancesy, peut bien être comparé à l’étable où Christ naquit. C’est dans cette misérable enceinte que Dieu a voulu, pour ainsi dire, faire naître une seconde fois son Fils bien-aimé. Parmi ces milliers de cathédrales et d’églises paroissiales, dont le monde est rempli, il n’y en eut alors aucune que Dieu choisît pour la prédication glorieuse de la vie éternelle. »

y – Myconius.

Luther prêche : tout frappe dans le nouveau prédicateur. Sa figure pleine d’expression, son air noble, sa voix pure et sonore, captivent les auditeurs. Avant lui, la plupart des prédicateurs avaient cherché plutôt ce qui pouvait amuser leur auditoire que ce qui pouvait le convertir. Le grand sérieux qui domine dans les prédications de Luther, et la joie dont la connaissance de l’Évangile a rempli son cœur, donnent à la fois à son éloquence une autorité, une chaleur et une onction que n’eurent point ses devanciers. « Doué d’un esprit prompt et vif, dit l’un de ses adversairesz, d’une mémoire heureuse, et se servant avec une facilité remarquable de sa langue maternelle, Luther ne le céda en éloquence à aucun de son âge. Discourant du haut de la chaire comme s’il eût été agité de quelque forte passion, accommodant son action à ses paroles, il frappait d’une manière surprenante les esprits de ses auditeurs, et comme un torrent il les entraînait où il voulait. Tant de force, de grâce et d’éloquence ne se voient que rarement chez les peuples du Nord. — Il avait, dit Bossuet, une éloquence vive et impétueuse, qui entraînait les peuples et les ravissaita. »

z – Florimond Raymond. Hist. hæres., cap. 5.

a – Hist. des variat., I. 1er.

Bientôt la petite chapelle ne put plus contenir les auditeurs qui s’y pressaient en foule. Le conseil de Wittemberg choisit alors Luther pour son prédicateur, et l’appela à prêcher dans l’église de la ville. L’impression qu’il y produisit fut encore plus grande. La force de son génie, l’éloquence de sa diction et l’excellence des doctrines qu’il annonçait étonnaient également ses auditeurs. Sa réputation se répandit au loin, et Frédéric le Sage vint lui-même une fois à Wittemberg pour l’entendre.

Une vie nouvelle avait commencé pour Luther. A l’inutilité du cloître avait succédé une grande activité. La liberté, le travail, l’action vive et constante à laquelle il pouvait se livrer à Wittemberg, achevèrent de rétablir en lui l’harmonie et la paix. Maintenant il était à sa place, et l’œuvre de Dieu devait développer bientôt sa marche majestueuse.

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