Histoire de la Réformation du seizième siècle

6.4

Effets puissants – Rome – Motifs de résistance de la papauté – Eck à Rome – Eck l’emporte – Le Pape est le monde – Dieu opère la séparation – Un prêtre suisse plaide pour Luther – Le consistoire romain – Exorde de la bulle – Condamnation de Luther

Tout se préparait à Rome pour la condamnation du défenseur de la liberté de l’Église. On y avait vécu longtemps dans une orgueilleuse sécurité. Longtemps les moines de Rome avaient accusé Léon X de ne songer qu’au luxe et au plaisir, de ne s’occuper que de chasse, de comédie et de musiquea, tandis que l’Église allait s’écrouler. A la fin, aux cris du docteur Eck, qui est venu de Leipzig invoquer la puissance du Vatican, pape, cardinaux, moines, tout dans Rome se réveille et pense à sauver la papauté.

a – « E sopra tutto musico eccellentissimo, e quando el canta con qualche uno, li fa donar cento e piu ducati… » (Zorzi, MSC.)

Rome, en effet, devait en venir aux mesures les plus sévères. Le gant était jeté ; le combat devait être à mort. Luther n’attaquait pas les abus du pontificat romain, mais le pontificat lui-même. A sa voix, le pape eût dû humblement descendre de son trône, et redevenir simple pasteur ou évêque des bords du Tibre. Tous les dignitaires de la hiérarchie romaine eussent dû renoncer à leurs richesses et à leur gloire mondaine, et redevenir anciens et diacres des églises de l’Italie. Tout cet éclat, toute cette puissance, qui depuis des siècles éblouissaient l’Occident, eussent dû s’évanouir et faire place à l’humble simplicité du culte des premiers chrétiens. Dieu aurait pu faire ces choses : il les fera un jour ; mais on ne pouvait les attendre des hommes. Et quand même un pape eût été assez désintéressé et assez hardi pour vouloir renverser l’antique et somptueux édifice de l’Église romaine, des milliers de prêtres et d’évêques auraient étendu la main pour l’empêcher de crouler. Le pape n’avait reçu le pouvoir que sous la condition expresse de maintenir ce qu’on lui confiait. Rome se croyait instituée de Dieu pour gouverner l’Église. On ne peut donc pas s’étonner qu’elle se soit apprêtée à frapper les plus terribles coups. Et pourtant elle hésita d’abord. Plusieurs cardinaux et le pape lui-même n’étaient pas pour les mesures sévères. L’habile Léon comprenait bien qu’un jugement dont l’accomplissement dépendait de la volonté très douteuse de la puissance civile pouvait gravement compromettre l’autorité de l’Église. Il voyait d’ailleurs que les moyens violents déjà mis en œuvre n’avaient fait qu’augmenter le mal. Est-il impossible de gagner ce moine saxon ? se demandaient les politiques de Rome. Toute la force de l’Église, toutes les ruses de l’Italie y échoueront-elles ? Il faut négocier encore.

Eck rencontra donc de puissants obstacles. Il ne négligea rien pour empêcher des concessions impies. Parcourant Rome, il exhalait sa colère et criait vengeance. Le parti fanatique des moines se ligua promptement avec lui. Fort de cette alliance, il assaillit avec un nouveau courage et le pape et les cardinaux. Selon lui, tout essai de conciliation était inutile. Ce sont là, disait-il, de vains rêves dont on se berce dans le lointain. Il connaît le péril, car il a lutté avec ce moine audacieux. Il sait qu’il faut se hâter de couper ce membre gangrené, de peur que le mal n’envahisse tout le corps. Le fougueux combattant de Leipzig résout objection après objection, et a de la peine à persuader le papeb. Il veut sauver Rome malgré Rome elle-même. Il met tout en œuvre. Il passe des heures entières en délibération dans le cabinet du pontifec. Il remue et la cour et les cloîtres, et le peuple et l’Église. « Eck conjure les abîmes des abîmes contre moi, disait Luther ; il met le feu aux forêts du Liband. »

b – Sarpi., Hist. du concile de Trente.

c – « Stetimus nuper, papa, duo cardinales… et ego per quinque horas in deliberatione… » (Eckii epistola 3 maii, Luth. Op. lat., II, p. 48.)

d – « Impetraturus abyssos abyssorum… succensurus saltum Libani… » (Luth. Ep., I, p. 421, 429).

Mais au moment même où le docteur Eck croyait avoir à jamais fixé la victoire, elle semble tout à coup lui échapper. Il y avait à Rome un parti respectable, qui favorisait jusqu’à un certain point Luther. Nous avons là-dessus le témoignage d’un citoyen romain, dont une lettre (de janvier 1521) nous a été heureusement conservée. « Sachez, dit-il, qu’il n’y a personne dans Rome, au moins parmi les hommes judicieux, qui ne sache parfaitement que dans beaucoup de points Martin Luther dit la véritée … » Ces hommes d’élite s’opposèrent vivement aux instances du docteur Eck. « Il faut y réfléchir, disaient-ils. Ce sont des raisons qu’il faut opposer à Luther, et non des exécrations. » Léon X était de nouveau ébranlé. Alors tout ce qu’il y avait de mauvais dans Rome était hors de sensf. Eck battait le rappel, et de tous côtés lui arrivaient des auxiliaires. Il n’est pas de la dignité du pontife romain, disaient-ils, de donner des raisons à chaque misérable avorton qui s’avisera de lever la tête. Il faut réduire les entêtés par la force, de peur que d’autres ne se laissent entraîner à une semblable audace. Le châtiment de Jean Huss en a épouvanté plusieurs ; et si l’on eût fait de même à Reuchlin, jamais Luther n’eût osé ce qu’il oseg. »

e – « Scias neminem Romæ esse, si saltem sapiat, qui non certo certius sciat, et cognoscat Martinum in plurimis veritatem dicere. » (Riederers Nachrichten zur Kirchen, Gelehrten und Bücher Geschichte, I, 179.)

f – « Mali vero, quia veritatem audire coguntur, insaniunt. » (Riederers Nachrichten zur Kirchen, Gelehrten und Bûcher Geschichte, I, p. 179.)

g – « Non decere Rom. Pont. unicuique vilissimo homunculo rationem reddere debere. » (Ibid.)

En même temps des théologiens de Cologne, de Louvain, d’autres universités encore et des princes même de l’Allemagne adressaient au pape dans le même sens de pressantes sollicitations. Mais les instances les plus vives vinrent d’un banquier que l’on appelait à Rome le Roi des Écush. La Papauté a toujours été quelque peu dans les mains de ceux qui lui ont prêté de l’or. Ce banquier était Fugger, le trésorier des indulgences. Fort inquiet de ses bénéfices et de sa marchandisei, le négociant d’Augsbourg écrivait : « Employez la force contre Luther ; je vous promets l’appui de plusieurs princes. » Il paraît même que c’était lui qui avait envoyé Eck auprès de Léon Xj.

h – « Super omnia vero mercatorille Fuckerus, qui plurimum ob pecunias Romæ potest, utpote quem Nummorum Regem vocare solent. » (Ibid.)

i – « De quæstu suo ac beneficiorum mercatura sollicitus. » (Ibid.)

j – « Ejusce rei causa Eckium illum suum Romam misit. » (Riederers Nachrichten zur Kirchen, Galehrten und Bücher Geschichte, p. I, 179.)

Le Roi des Ecus fut vainqueur. Ce fut non le fer des Gaulois mais les sacs d’argent des Germains qui cette fois-ci furent mis dans la balance. Enfin le rival de Luther l’emporte. Les politiques sont réduits au silence par les fanatiques, dans les conseils de la papauté. Léon cède. La condamnation de Luther est résolue. Eck respire. Son orgueil se complaît dans la pensée que c’est lui qui a décidé la ruine de son hérétique rival, et qui a ainsi sauvé l’Église. « Il était bon, dit-il, que je vinsse en ce temps à Rome ; car on y connaît peu les erreurs de Luther. On apprendra un jour ce que j’ai fait dans cette causek. »

k – « Bonum fuit me venisse hoc tempore Romam… » (Epist. Eckii.)

Parmi ceux qui s’efforcèrent de soutenir le docteur Eck il faut nommer le maître du sacré palais, Silvestre Mazzolini de Prierio. Il venait de publier un écrit dans lequel il établissait que non seulement c’était au pape seul qu’appartenait la décision infaillible de tous les points discutés, mais encore que la domination papale était la cinquième monarchie de Daniel, et la seule véritable ; que le pape était le prince de tous les princes ecclésiastiques, le père de tous les princes séculiers, le chef du monde, et même en essence le monde entierl. Dans un autre écrit il affirmait que le pape était aussi élevé au-dessus de l’Empereur que l’or l’est au-dessus du plombm  ; que le pape peut élire et destituer les empereurs et les électeurs, établir et annuler les droits positifs, et que l’Empereur, avec toutes les lois et tous les peuples de la chrétienté, ne peut décider la moindre chose contre la volonté du pape. Telle était la voix qui sortait du palais du souverain pontife ; telle était la gigantesque fiction qui, unie au dogme scolastique, prétendait étouffer la vérité renaissante. Si cette fable n’eût été démasquée comme elle l’a été, et même par des savants de l’Église catholique, il n’y eût eu ni véritable histoire ni véritable religion. La papauté n’est pas seulement un mensonge devant la Bible ; elle l’est encore devant les annales des peuples. Aussi la Réformation, en brisant son charme, a affranchi, non seulement l’Église, mais encore les rois et les nations. On a dit que la Réformation était une œuvre politique : en ce sens, cela est vrai ; mais ce n’est là que le sens secondaire de l’œuvre du seizième siècle.

l – « Caput orbis, et consequenter orbis totus in virtute. » (De juridica et irrefragabili veritate Romanæ Ecclesiæ. Bibl. Max. XIX, cap. IV.)

m – « Papa est imperatore major dignitate plus quam aurum plombo. » (De Papa et ejus potestate, p. 371.)

Ainsi, Dieu répandait un esprit d’étourdissement sur les docteurs de Rome. Il fallait maintenant que la séparation entre la vérité et l’erreur s’accomplît ; et c’était l’erreur qui devait l’opérer. Si l’on en fût venu à un accommodement, ce n’eût pu être qu’aux dépens de la vérité ; or, lui enlever la moindre partie d’elle-même, c’est préparer son complet anéantissement. Elle est comme cet insecte dont il suffit, dit-on, d’ôter une antenne pour qu’il meure. Elle veut être entière en tous ses membres, pour déployer cette énergie qui lui fait remporter des victoires étendues et salutaires, et pour se propager dans les siècles à venir. Mêler un peu d’erreur à la vérité, c’est jeter un grain de poison dans un mets abondant ; ce grain suffit pour en changer toute la nature : il en résultera la mort, lentement peut-être, mais certainement. Ceux qui gardent la doctrine de Christ contre les adversaires qui l’attaquent veillent avec jalousie sur ses ouvrages les plus avancés, comme sur le corps de la place lui-même ; car dès que l’ennemi s’est emparé de la moindre de ces positions, il n’est pas loin de la conquête. Le pontife romain se décida, à l’époque où nous sommes parvenus, à déchirer l’Église, et le fragment qui lui en est resté en main, quelque magnifique qu’il soit, cache inutilement sous des ornements pompeux le principe délétère dont il est attaqué. Là où est la parole de Dieu, là seulement est la vie. Luther, quel que fût son courage, se fût probablement tu si Rome s’était tue elle-même et avait affecté quelques concessions apparentes. Mais Dieu n’avait pas abandonné la Réformation à un faible cœur d’homme. Luther était dans les mains d’un plus clairvoyant que lui. La Providence divine se servit du pape pour rompre tout lien entre le passé et l’avenir, et pour jeter le réformateur dans une carrière nouvelle, inconnue, incertaine à ses yeux, et dont il n’eût pas su trouver seul les difficiles abords. La bulle pontificale fut la lettre de divorce que Rome envoya à l’Église pure de Jésus-Christ, en la personne de celui qui était alors son représentant humble, mais fidèle ; et l’Église l’accepta, pour ne plus relever dès cette heure que du chef qui est dans le ciel.

Pendant qu’à Rome on poursuivait avec tant de violence la condamnation de Luther, un humble prêtre, habitant l’une des simples cités de l’Helvétie, et qui n’avait jamais eu aucun rapport avec le réformateur, s’était vivement ému à la pensée du coup qui allait le frapper ; et tandis que les amis mêmes du docteur de Wittemberg tremblaient et se taisaient, ce fils des montagnes de la Suisse prenait la résolution de tout employer pour arrêter la bulle redoutable. Il se nommait Ulrich Zwingle. Guillaume des Faucons, secrétaire du légat du pape en Suisse, qui, en l’absence du légat, se trouvait chargé des affaires de Rome, était son ami. « Tant que je vivrai, lui avait dit peu de jours auparavant le nonce ad interim, vous devez vous promettre de moi tout ce qu’on peut attendre d’un ami véritable. » Le prêtre helvétien, se fiant à cette parole, se rendit à la nonciature romaine (au moins c’est ce que nous pouvons conclure de l’une de ses lettres). Il ne craignait pas pour lui-même les dangers auxquels la foi évangélique expose ; il savait qu’un disciple de Jésus-Christ doit toujours être prêt à sacrifier sa vie. « Tout ce que je demande à Christ pour moi, disait-il à un ami auquel il confiait alors ses sollicitudes à l’égard de Luther, c’est que je supporte avec un cœur d’homme les maux qui m’attendent. Je suis un vase d’argile entre ses mains ; qu’il me brise ou qu’il m’affermisse, comme il lui plaîtn. » Mais l’évangéliste suisse craignait pour l’Église chrétienne, si un coup si redouté venait atteindre le réformateur. Il s’efforça de persuader au représentant de Rome d’éclairer le pape, et d’employer tous les moyens en son pouvoir pour empêcher qu’il ne frappât Luther d’excommunicationo. « La dignité du saint-siège lui-même y est intéressée, lui dit-il ; car si les choses en viennent à un tel point, l’Allemagne, pleine d’enthousiasme pour l’Évangile et pour le docteur qui le lui annonce, méprisera le pape et ses anathèmesp. » Cette démarche fut inutile ; il paraît même que quand elle fut faite le coup était déjà porté. Telle fut la première occasion dans laquelle les sentiers du docteur saxon et ceux du prêtre suisse se rencontrèrent. Nous retrouverons celui-ci dans le cours de cette histoire, et nous le verrons se développer et croître peu à peu jusqu’à une haute stature dans l’Église du Seigneur.

n – « Hoc unum Christum obtestans, ut masculo omnia pectore ferre donet, et me figulinum suum rumpat aut firmet, ut illi placitum sit. » (Zwinglii epistolæ, curant. Schulero et Schulthessio, p. 114.)

o – « Ut pontificem admoneat, ne excommunicationem ferat. » (Ibid.)

p – « Nam si feratur, auguror Germanos cum excommunicatione pontificem quoque contempturos. » (Ibid.)

La condamnation de Luther une fois résolue, de nouvelles difficultés furent soulevées au sein du consistoire. Les théologiens voulaient qu’on en vînt immédiatement à la fulmination, les jurisconsultes, au contraire, que l’on commençât par une citation. « Adam, disaient-ils aux théologiens leurs collègues, ne fut-il pas d’abord cité ? Adam, où es-tu ? dit le Seigneur. Il en fut de même pour Caïn : où est ton frère Abel ? lui demanda l’Éternel. » A ces singuliers arguments tirés de l’Écriture sainte les canonistes joignaient des motifs puisés dans le droit naturel : « L’évidence d’un crime, disaient-ils, ne saurait enlever à aucun criminel le droit de se défendreq. » On aime à retrouver ces principes de justice dans une congrégation romaine. Mais ces scrupules n’arrangeaient pas les théologiens de l’assemblée, qui, conduits par la passion, ne pensaient qu’à aller vite en besogne. On tomba enfin d’accord que l’on condamnerait immédiatement la doctrine de Luther, et que quant à lui et à ses adhérents on leur accorderait un terme de soixante jours, après lesquels, s’ils ne se rétractaient pas, ils seraient tous, ipso facto, frappés d’excommunication. De Vio, revenu malade d’Allemagne, se fit porter dans l’assemblée. Il ne voulut pas manquer à ce petit triomphe, qui lui offrait quelque consolation. Battu à Augsbourg, il prétendait au moins condamner à Rome ce moine indomptable, devant lequel il avait vu échouer sa science, sa finesse et son autorité. Luther n’était plus là pour répondre : de Vio se sentait fort. « Si les Allemands ne sont domptés par le fer et par le feu, dit-il, ils secoueront entièrement le joug de l’Église de Romer. » Cette déclaration fut d’un grand poids, et le cardinal se vit vengé de sa défaite. Une dernière conférence, à laquelle Eck assista, eut lieu en présence du pape lui-même, dans sa villa de Malliano. Ce fut le 15 juin que le sacré collège arrêta la condamnation et approuva la fameuse bulle.

q – Sarpi, Hist. du Concile de Trente, I, p. 12.

r – « Nisi igne et gladio Germani compescerentur, omnino jugum Rom. Ecclesiæ excussuros. » (Riederers Nachrichten, I, p. 179.)

« Lève-toi, Seigneur, dit le pontife romain, parlant en ce moment solennel comme vicaire de Dieu et chef de l’Église, lève-toi, sois juge dans ta cause ; souviens-toi de l’opprobre dont les insensés t’accablent tout le jour. Lève-toi, ô Pierre ! souviens-toi de ta sainte Église romaine, mère de toutes les églises et maîtresse de la foi ! Lève-toi, ô Paul ! car voici un nouveau Porphyre qui attaque tes doctrines et les saints papes nos prédécesseurs. Lève-toi enfin, assemblée de tous les saints ! sainte Église de Dieu ! et intercède auprès du Dieu tout-puissants.

s – Luth. Op. (L.), XVII, p. 305, et Op. lat., I, p. 32.

Le pape cite ensuite comme pernicieuses, scandaleuses et empoisonnées, quarante et une propositions de Luther, dans lesquelles celui-ci exposait la sainte doctrine de l’Évangile. On trouve dans le nombre les propositions suivantes :

« Dès l’heure même où cette bulle sera publiée, continue le pape, les évêques devront rechercher avec soin les écrits de Martin Luther qui renferment ces erreurs, et les brûler publiquement et solennellement en présence du clergé et des laïques. Quant à Martin lui-même, bon Dieu ! que n’avons-nous pas fait ? Imitant la bonté du Dieu tout-puissant, nous sommes prêt pourtant à le recevoir encore dans le sein de l’Église, et nous lui accordons soixante jours pour nous faire parvenir sa rétractation dans un écrit scellé par deux prélats ; ou bien, ce qui nous serait plus agréable, pour venir lui-même à Rome, afin que personne ne puisse plus douter de son obéissance. En attendant, et dès cette instant même, il doit renoncer à prêcher, à enseigner, à écrire, et livrer ses ouvrages aux flammes. Et s’il ne se rétracte pas dans l’espace de soixante jours, nous le condamnons par la présente, lui et ses adhérents, comme hérétiques publics et obstinés. » Le pape prononce ensuite un grand nombre d’excommunications, de malédictions, d’interdits contre Luther et contre tous les siens, avec ordre de saisir leurs personnes et de les envoyer à Romet.

t – « Sub prædictis pœnis, præfatum Lutherum, complices adhærentes, receptatores et fantatores, personaliter capiant et ad nos mittant. » (Bulla Leonis, loc. cit.)

On peut deviner sans peine ce que ces généreux confesseurs de l’Évangile seraient devenus dans les cachots de la papauté.

Ainsi la foudre se formait sur la tête de Luther. On avait pu croire, lors de l’affaire de Reuchlin, que la cour de Rome ne voulait plus faire cause commune avec les dominicains et les inquisiteurs. Maintenant ceux-ci avaient le dessus, et l’antique alliance était solennellement renouvelée. La bulle était publiée, et depuis des siècles la bouche de Rome n’avait pas prononcé une parole de condamnation, sans que son bras frappât de mort. Ce message meurtrier allait partir des sept collines et atteindre dans son cloître le moine saxon. Le moment était bien choisi. On pouvait supposer que le nouvel empereur, qui avait tant de raisons pour rechercher l’amitié du pape, s’empresserait de la mériter en lui sacrifiant un moine obscur. Déjà Léon X, les cardinaux, Rome entière triomphaient et croyaient voir leur ennemi à leurs pieds.

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