Histoire de la Réformation du seizième siècle

6.7

Marche de la Réforme – Les augustins à Eisleben et Miltitz – Députation à Luther – Miltitz et l’Électeur – Conférence à Lichtenberg – Lettre de Luther au Pape – Livre donné au Pape – Union de Christ et du fidèle – Liberté et servitude

Après un tel écrit, toute espérance de réconciliation entre le pape et Luther devait s’évanouir. L’incompatibilité de la foi du réformateur avec la doctrine de l’Église devait frapper les moins clairvoyants. Mais précisément alors de nouvelles négociations venaient de commencer. Cinq semaines avant la publication de la Captivité de Babylone, à la fin d’août 1520, le chapitre général des Augustins s’était assemblé à Eisleben. Le vénérable Staupitz y résigna le vicariat général de l’ordre, et Wenceslas Link, qui avait accompagné Luther à Augsbourg, en fut revêtu. L’infatigable Miltitz arriva tout à coup au milieu du chapitrei. Il brûlait du désir de réconcilier le pape et Luther. Son amour-propre, son avarice, et surtout sa jalousie et sa haine, y étaient intéressés. Eck et ses fanfaronnades le gênaient ; il savait que le docteur d’Ingolstadt l’avait décrié à Rome, et il eût tout sacrifié pour faire échouer, par une paix promptement conclue, les trames de cet importun rival. L’intérêt religieux était nul pour lui. Un jour, à ce qu’il raconte, il était à table chez l’évêque de Leissen. Les convives avaient déjà fait de nombreuses libations, lorsqu’on leur apporta un nouvel écrit de Luther. On l’ouvre, on le lit, l’évêque s’emporte, l’official jure ; mais Miltitz rit de tout son cœurj. Miltitz traitait la Réformation en homme du monde, Eck en théologien.

i – « Nondum tot pressus difficultatibus animum desponderat Miltitius… dignus profecto non mediocri laude. (Pallavicini, I, p. 68.)

j – « Der Bischof entrüstet, der Official gefluchet, er aber gelachet habe. » (Seckend, p. 266.)

Réveillé par l’arrivée du docteur Eck, Miltitz adressa au chapitre des Augustins un discours prononcé avec un accent italien très marquék, pensant imposer ainsi à ses bons compatriotes :

k – « Orationem habuit italica pronuntiatione vestitam. » (Luth. Ep. I, p. 483.)

« Tout l’ordre des Augustins est compromis dans cette affaire, dit-il. Indiquez-moi un moyen de réprimer Lutherl. – Nous n’avons rien à faire avec le docteur, répondirent les pères, et nous ne saurions quel conseil vous donner. » Ils s’appuyaient sans doute sur ce que Staupitz avait délié Luther, à Augsbourg, de ses obligations à l’égard de l’ordre. Miltitz insista. « Qu’une députation de ce vénérable chapitre se rende vers Luther, et le sollicite d’écrire au pape, en l’assurant qu’il n’a jamais rien tramé contre sa personnem. Cela suffira pour terminer l’affaire. » Le chapitre se rendit à la requête du nonce, et chargea, sans doute sur sa demande, l’ancien vicaire général et son successeur, Staupitz et Link, de parler à Luther. Cette députation partit aussitôt pour Wittemberg, avec une lettre de Miltitz pour le docteur, remplie des expressions les plus respectueuses. « Il n’y avait pas de temps à perdre, disait-il : la foudre, déjà suspendue sur la tête du réformateur, allait bientôt éclater ; et alors tout serait fini. »

l – « Petens consilium super me compescendo. » (Ibid.)

m – « Nihil me in personam suam fuisse molitum. » (Luth. Ep. I, p. 484.)

Ni Luther ni les députés qui partageaient ses sentimentsn n’espéraient rien d’une lettre au pape. Mais c’était même là une raison pour ne pas se refuser à l’écrire. Une telle lettre ne pouvait être qu’une simple affaire de forme, qui ferait encore mieux ressortir le droit de Luther. « Cet Italien de la Saxe (Miltitz), pensait Luther, a sans doute en vue dans cette demande son intérêt particulier. Eh bien, soit. J’écrirai, conformément à la vérité, que je n’ai jamais rien eu contre la personne du pape. Il faudra me tenir sur mes gardes pour ne pas attaquer trop fortement le siège même de Rome. Cependant je le saupoudrerai de selo. »

n – « Quibus omnibus causamea non displicet. » (Ibid., p. 486.)

o – « Aspergetur tamen sale suo. » (Luth. Ep. I. p. 486.)

Mais, bientôt après, le docteur apprit l’arrivée de la bulle en Allemagne ; le 3 octobre il déclara à Spalatin qu’il n’écrirait point au pape, et le 6 du même mois il publia son livre sur la Captivité de Babylone. Miltitz ne se découragea point encore. Le désir d’humilier Eck lui faisait croire l’impossible. La 2 octobre il avait écrit, plein d’espérance, à l’Électeur : Tout ira bien ; mais pour l’amour de Dieu ne tardez pas davantage à me faire payer la pension que vous et votre frère me faites depuis quelques années. Il me faut de l’argent pour me faire de nouveau des amis à Rome. Écrivez au pape, faites hommage aux jeunes cardinaux, parents de Sa Sainteté, de pièces d’or et d’argent au coin de Votre Altesse électorale, et joignez-en aussi pour moi, car on m’a volé celles que vous m’aviez donnéesp. » Même après que Luther eut eu connaissance de la bulle, l’intrigant Miltitz ne se découragea pas encore. Il demanda d’avoir à Lichtemberg une conférence avec Luther. L’Électeur ordonna à celui-ci de s’y rendreq. Mais ses amis, et surtout l’affectueux Mélanchthon, s’y opposèrentr. « Quoi ! pensaient-ils, dans le moment où paraît la bulle qui ordonne qu’on s’empare de Luther pour le conduire à Rome, accepter, en un endroit éloigné, une conférence avec le nonce du pape ! N’est-il pas évident que, le docteur Eck ne pouvant s’approcher du réformateur, parce qu’il a trop ouvertement affiché toute sa haine, le rusé chambellan s’est chargé de prendre Luther dans ses filets ? »

p – « Den Pabsts Nepoten, 2 oder 3 Churfürstliche gold und silberstücke, zu verehren… » (Seckend, p. 267.)

q – « Sicut princeps ordinavit. » (Luth. Ep. I, p. 455.)

r – «  Invito præceptore (Melanchthon), nescio quanta metuente. » (Luth., Ep. I, p. 455.)

Ces craintes ne pouvaient arrêter le docteur de Wittemberg. Le prince a commandé : il obéira. « Je pars pour Lichtemberg, écrit-il le 11 octobre au chapelain ; priez pour moi. » Ses amis ne voulurent pas l’abandonner. Le même jour, vers le soir, Luther entra dans Lichtemberg, à cheval, entouré de trente cavaliers, parmi lesquels se trouvait Mélanchthon. Le nonce du pape y arriva à peu près en même temps, avec une suite de quatre personness. Cette modeste escorte n’était-elle pas une ruse pour inspirer de la confiance à Luther et à ses amis ?…

s – « Jener von mehr als 30, diser aber kaum mit 4 Pferden begleitet. » (Seckend, p. 268.)

Miltitz fit à Luther les plus pressantes sollicitations, l’assurant que la faute serait jetée sur Eck et sur ses folles jactancest, et que tout se terminerait à la satisfaction des deux parties. « Eh bien, répondit Luther, je m’offre à garder dorénavant le silence, pourvu que mes adversaires le gardent de même. Je veux faire pour la paix tout ce qu’il m’est possible de faireu. »

t – « Totum pondus in Eccium versurus. » (L. Epp. I, p. 496.)

u – « Ut nihil videar omittere quod in me ad pacem quoquo modo facere possit. » (Luth. Ep. I, p. 496.)

Miltitz fut rempli de joie. Il accompagna Luther jusqu’à Wittemberg. Le réformateur et le nonce papal entrèrent l’un à côté de l’autre dans cette ville, de laquelle le docteur Eck s’approchait déjà, présentant d’une main menaçante la bulle formidable qui devait renverser la Réformation. « Nous amènerons la chose de bonne fin, écrivit aussitôt Miltitz à l’Électeur ; remerciez le pape de sa rose, et envoyez en même temps quarante ou cinquante florins au cardinal Quatuor Sanctorumv. »

v – Seckend, p. 268.

Luther devait remplir sa promesse et écrire au pape. Avant de dire à Rome un adieu éternel, il voulait lui faire entendre encore une fois d’importantes et salutaires vérités. On ne verra peut-être dans sa lettre qu’un écrit caustique, une amère et insultante satire ; mais c’est ne pas connaître les sentiments qui l’animaient. Il attribuait sincèrement à Rome tous les maux de la chrétienté : dès lors toutes ses paroles sont, non des insultes, mais de solennels avertissements. Plus il aime Léon, plus il aime l’Église de Christ, plus il veut dévoiler la grandeur de sa plaie. L’énergie de ses expressions est la mesure de l’énergie de son affection. Le moment est venu de frapper de grands coups. On croit voir un prophète faisant pour la dernière fois le tour de la cité, lui reprochant toutes ses abominations, lui révélant les jugements de l’Éternel, et lui criant : « Encore quelques jours !… » — Voici la lettre :

« Au très-saint Père en Dieu, Léon X, pape à Rome, soit tout salut en Christ Jésus, Notre Seigneur. Amen.

Du milieu de cette violente guerre que depuis trois ans je livre à des hommes déréglés, je ne puis m’empêcher quelquefois de regarder à vous, ô Léon, très-saint Père en Dieu ! Et bien que la folie de vos impies flatteurs m’ait contraint à en appeler de votre jugement à un concile futur, mon cœur ne s’est pas détourné de Votre Sainteté, et je n’ai cessé de demander à Dieu, par de constantes prières et de profonds soupirs, votre prospérité et celle de votre pontificatw.

w – « Ut non totis viribus, sedulis atque quantum in me fuit gemebundis precibus apud Deum quæsierim. » (Luth. Ep. I, p. 498.)

J’ai attaqué, il est vrai, quelques doctrines antichrétiennes, et j’ai fait une profonde blessure à mes adversaires, à cause de leur impiété. Je ne m’en repens pas ; car j’ai ici l’exemple de Christ. A quoi sert le sel, s’il ne mord pas ? A quoi le tranchant de l’épée, s’il ne coupe pasx ? Maudit soit l’homme qui fait nonchalamment l’œuvre du Seigneur ! O très excellent Léon, loin d’avoir jamais conçu une mauvaise pensée à votre égard, je vous souhaite pour l’éternité les biens les plus précieux. Je n’ai fait qu’une chose : j’ai maintenu la Parole de la vérité. Je suis prêt à céder à tous, en tout ; mais quant à cette Parole, je ne veux, je ne puis l’abandonnery. Celui qui pense autrement que moi pense mal.

x – « Quid proderit sal, si non mordeat ? Quid os gladii, si non cædat ? » (Ibid. p. 499.)

y – « Verbum deserere et negare nec possum, nec volo. » (Luth. Ep. I, p. 499.)

Il est vrai que j’ai attaqué la cour de Rome ; mais ni vous-même, ni aucun homme sur la terre, ne pouvez nier que la corruption n’y soit plus grande qu’à Sodome et à Gomorrhe, et que l’impiété qui y règne ne soit sans espoir de guérison. Oui, j’ai été rempli d’horreur en voyant que sous votre nom on trompait le pauvre peuple de Christ. Je m’y suis opposé, et je m’y opposerai encore ; non que je m’imagine pouvoir, malgré l’opposition des flatteurs, venir à bout de quelque chose dans cette Babylone, qui est la confusion même, mais je me dois à mes frères, afin que quelques-uns échappent, s’il est possible, à ces terribles fléaux.

Vous le savez, Rome depuis beaucoup d’années a inondé le monde de tout ce qui pouvait perdre l’âme et le corps. L’Église de Rome, autrefois la première en sainteté, est devenue une caverne de voleurs, un théâtre de prostitution, un royaume de la mort et de l’enferz, en sorte que l’Antechrist lui-même, s’il paraissait, ne pourrait en augmenter la malice. Tout cela est plus évident que la lumière même du soleil.

z – « Facta est… spelunca latronum licentiosissima, lupanar omnium impudentissimum, regnum peccati, mortis et inferni… » (Luth. Ep. I, p. 500.)

Et cependant, vous, ô Léon, vous êtes comme un agneau au milieu des loups, et comme Daniel dans la fosse aux lions ! Seul, que pouvez-vous opposer à ces monstres ? Peut-être est-il trois ou quatre cardinaux qui joignent à la science la vertu. Mais qu’est-ce que cela contre un si grand nombre ! Vous périrez par le poison, avant même que de pouvoir essayer quelque remède. C’en est fait de la cour de Rome ; la colère de Dieu l’a atteinte, et elle la consumeraa. Elle hait les avis ; elle craint la réforme ; elle ne veut point modérer la fureur de son impiété, et mérite ainsi qu’on dise d’elle comme de sa mère : Nous avons traité Babylone, et elle n’est point guérie : abandonnons-la ! (Jérémie 51.9) C’était à vous et à vos cardinaux d’appliquer le remède ; mais la malade se rit du médecin, et le cheval ne veut point sentir les rênes…

a – « Actum est de Romana curia : pervenit in eam ira Dei usque in finem… » (Ibid.)

Plein d’affection pour vous, très excellent Léon, j’ai toujours regretté que, formé pour un siècle meilleur, vous ayez été élevé au pontificat en ce temps-ci. Rome n’est pas digne de vous et de ceux qui vous ressemblent ; elle ne mérite d’avoir pour chef que Satan lui-même. Aussi est-il vrai qu’il règne plus que vous dans cette Babylone. Plût à Dieu que, déposant cette gloire qu’exaltent si fort vos ennemis, vous pussiez l’échanger contre un modeste pastoral, ou vivre de votre héritage paternel ; car il n’y a que des Iscariots qui soient dignes d’une telle gloire. O mon cher Léon ! à quoi servez-vous donc dans cette cour romaine, si ce n’est à ce que les hommes les plus exécrables usent de votre nom et de votre pouvoir pour ruiner les fortunes, perdre les âmes, multiplier les crimes, opprimer la foi, la vérité et toute l’Église de Dieu ? O Léon ! Léon ! vous êtes le plus malheureux des hommes, et vous siégez sur le plus dangereux des trônes ! Je vous dis la vérité, parce que je vous veux du bien.

N’est-il pas vrai que sous la vaste étendue du ciel il n’y a rien de plus corrompu, de plus haïssable que la cour romaine ? Elle dépasse infiniment les Turcs en vices et en corruption. Autrefois la porte du ciel, elle est devenue la bouche de l’enfer ; bouche large, et que la colère de Dieu tient ouverteb, en sorte que, voyant tant de malheureux qui s’y précipitent, il me faut crier, comme en une tempête, afin que quelques-uns du moins soient sauvés de l’affreux abîme.

b – « Olim janua cœli, nunc patens quoddam os inferni, et tale os quod, urgente ira Dei, obstrui non potest… » (Luth. Ep. I, p. 501.)

Voilà, ô Léon, mon Père, pourquoi je me suis déchaîné contre ce siège qui donne la mort. Loin de m’élever contre votre personne, j’ai cru travailler pour votre salut, en attaquant vaillamment cette prison ou plutôt cet enfer, dans lequel vous êtes renfermé. Faire à la cour de Rome toute sorte de mal, c’est s’acquitter de votre propre devoir. La couvrir de honte, c’est honorer Christ ; en un mot, c’est être chrétien que de ne pas être Romain.

Cependant, voyant que je perdais à secourir le siège de Rome et mes soins et mes peines, je lui ai remis la lettre de divorce ; je lui ai dit : Adieu, Rome, que ce qui est injuste soit injuste encore ; que ce qui est souillé se souille encore davantage ! (Apocalypse 22.11) et je me suis livré aux tranquilles et solitaires études de la sainte Écriture. Alors, Satan a ouvert les yeux, et réveillé son serviteur Jean Eck, grand ennemi de Jésus-Christ, afin qu’il me fît redescendre dans l’arène. Il voulait établir, non la primauté de Pierre, mais la sienne, et pour cela mener en triomphe Luther vaincu. C’est à lui qu’est la faute de tout l’opprobre dont le siège de Rome est couvert. »

Luther raconte ses rapports avec de Vio, Miltitz et Eck ; puis il poursuit :

« Maintenant donc, je viens à vous, ô très-saint Père, et, prosterné à vos pieds, je vous prie de mettre un frein, si cela est possible, aux ennemis de la paix. Mais je ne puis rétracter ma doctrine. Je ne puis permettre que l’on impose à la sainte Écriture des règles d’interprétation. Il faut qu’on laisse libre la Parole de Dieu, qui est la source même d’où jaillit toute libertéc.

c – Leges interpretandi verbi Dei non patior, cum oporteat verbum Dei esse non alligatum, quod libertatem docet… » (Luth. Ep. I, p. 504.)

O Léon ! mon Père ! n’écoutez pas ces flatteuses sirènes qui vous disent que vous êtes non un simple homme, mais un demi-dieu, et que vous pouvez ordonner tout ce qu’il vous plaît. Vous êtes le serviteur des serviteurs, et la place où vous êtes assis est la plus dangereuse et la plus misérable de toutes. Croyez, non ceux qui vous élèvent, mais ceux qui vous humilient. Je suis peut-être trop hardi en enseignant une si haute majesté, qui doit instruire tous les hommes ; mais je vois les dangers qui vous entourent à Rome ; je vous y vois poussé çà et là, comme sur les vagues de la haute mer en tourmente. La charité me presse, et je dois pousser un cri d’avertissement et de salut.

Pour ne pas paraître les mains vides devant Votre Sainteté, je vous présente un petit livre qui a paru sous votre nom, et qui vous fera connaître de quels sujets je pourrai m’occuper, si vos flatteurs me le permettent. C’est peu de chose si l’on regarde au volume ; mais c’est beaucoup si l’on regarde au contenu ; car le sommaire de la vie chrétienne s’y trouve renfermé. Je suis pauvre, et je n’ai rien autre à vous offrir ; d’ailleurs, avez-vous besoin d’autre chose que de dons spirituels ? Je me recommmande à Votre Sainteté, que le seigneur Jésus garde éternellement ! Amen ! ! »

Le petit livre dont Luther faisait hommage au pape était son discours sur « La liberté du chrétien. » Le réformateur y démontre, sans polémique, comment, sans porter atteinte à la liberté que la foi lui a donnée, le chrétien peut se soumettre à toute ordonnance extérieure, dans un esprit de liberté et de charité. Deux vérités servent de base à tout le reste : « Le chrétien est libre et maître de toutes choses. Le chrétien est serviteur et soumis en tout et à tous. Il est libre et maître par la foi ; il est soumis et serviteur par la charité. »

Il expose d’abord la puissance de la foi pour rendre le chrétien libre : « La foi unit l’âme avec Christ, comme une épouse avec un époux, dit Luther au pape. Tout ce que Christ a devient la propriété de l’âme fidèle ; tout ce que l’âme a devient la propriété de Christ. Christ possède tous les biens et le salut éternel : ils sont dès lors la propriété de l’âme. L’âme possède tous les vices et tous les péchés : ils deviennent dès lors la propriété de Christ. C’est alors que commence un bienheureux échange : Christ, qui est Dieu et homme, Christ, qui n’a jamais péché, et dont la sainteté est invincible, Christ, le Tout-Puissant et l’Éternel, s’appropriant par son anneau nuptial, c’est-à-dire par la foi, tous les péchés de l’âme fidèle, ces péchés sont engloutis en lui et abolis en lui ; car il n’est aucun péché qui puisse subsister devant son infinie justice. Ainsi, par le moyen de la foi l’âme est délivrée de tous péchés et revêtue de la justice éternelle de son époux Jésus-Christ. O heureuse union ! le riche, le noble, le saint époux, Jésus-Christ, prend en mariage cette épouse pauvre, coupable, mépriséed, la délivre de tout mal, et la pare des biens les plus exquis… Christ, roi et sacrificateur, partage cet honneur et cette gloire avec tous les chrétiens. Le chrétien est roi, et par conséquent il possède toutes choses ; il est sacrificateur, et par conséquent il possède Dieu. Et c’est la foi, et non les œuvres, qui lui apporte un tel honneur. Le chrétien est libre de toutes choses, au-dessus de toutes choses, la foi lui donnant tout abondamment. »

d – « Ist nun das nicht eine fröhliche Wirthschafft, da der reiche, edle, fromme Bräutigam Christus, das arme, verachtete, böse Huhrlein zur Ehe nimmt… » (L. Op. (L.), XVII, p. 385.)

Dans la seconde partie de son discours, Luther présente l’autre côté de la vérité. Bien que le chrétien soit ainsi devenu libre, il devient volontairement serviteur, pour en agir avec ses frères comme Dieu en a agi avec lui-même par Jésus-Christ. « Je veux, dit-il, servir librement, joyeusement, gratuitement, un père qui a ainsi répandu sur moi toute l’abondance de ses biens : je veux tout devenir pour mon prochain, comme Christ est tout devenu pour moi. — De la foi, continue Luther, découle l’amour de Dieu ; de l’amour découle une vie pleine de liberté, de charité et de joie. Oh ! que la vie chrétienne est une vie noble et élevée ! Mais, hélas ! personne ne la connaît et personne ne la prêche. Par la foi le chrétien s’élève jusqu’à Dieu ; par l’amour il descend jusqu’à l’homme ; et cependant il demeure toujours en Dieu. Voilà la véritable liberté, liberté qui surpasse toute autre liberté, autant que les cieux sont élevés pardessus la terre. »

Tel est l’écrit dont Luther accompagna sa lettre à Léon X.

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