Histoire de la Réformation du seizième siècle

8.9

Les deux réformateurs – Chute de l’homme – Expiation de l’homme-Dieu – Non-mérite des œuvres – Objections réfutées – Puissance de l’amour pour Christ – Élection – Christ seul le maître – Effets de cette prédication – Abattement et courage – Premier acte du magistrat – L’Église et l’État – Attaques

Tout en désirant suivre la voie de la douceur, Zwingle ne demeurait pas oisif. Depuis sa maladie sa prédication était devenue plus profonde, plus vivante. Deux mille personnes et plus avaient reçu la Parole de Dieu dans leur cœur, confessaient la doctrine évangélique dans Zurich, et pouvaient déjà l’annoncer elles-mêmesh. Zwingle a la même foi que Luther, mais une foi plus raisonnée. Chez Luther c’est l’élan qui domine, chez Zwingle c’est la clarté de l’exposition. Il y a dans les écrits de Luther un sentiment intime et personnel du prix dont est pour lui-même la croix de Jésus-Christ ; et ce sentiment, plein de chaleur et de vie, est l’âme de tout ce qu’il dit. La même chose se retrouve sans doute chez Zwingle, mais à un moindre degré. Il a vu davantage l’ensemble du système chrétien ; il l’admire surtout à cause de la beauté qu’il y trouve, de la lumière qu’il répand dans l’esprit humain, et de la vie éternelle qu’il apporte au monde. L’un est plus l’homme du cœur ; l’autre est plus l’homme de l’intelligence ; et voilà pourquoi ceux qui ne connaissent point par leur propre expérience la foi qui animait ces deux grands disciples du Seigneur, tombant dans l’erreur la plus grossière, ont fait de l’un un mystique et de l’autre un rationaliste. L’un est plus pathétique peut-être dans l’exposition de sa foi, l’autre est plus philosophique ; mais l’un et l’autre croient les mêmes vérités. Ils n’envisagent peut-être pas du même point de vue toutes les questions secondaires ; mais cette foi qui est une, cette foi qui vivifie et qui justifie quiconque la possède, cette foi qu’aucune confession, aucun article de doctrine, ne peut exprimer, est dans l’un comme dans l’autre. La doctrine de Zwingle a été souvent si mal représentée, qu’il convient de rappeler ce qu’il prêchait alors au peuple, dont la foule remplissait toujours de nouveau la cathédrale du Zurich.

h – « Non enim soli sumus : Tiguri plus duobus millibus permultorum estrationalium, qui lac jam spirituale sugentes… » (Zw. Ep., p. 104.)

Zwingle voyait dans la chute du premier homme la clef de l’histoire de l’humanité. Avant la chute, disait-il un jour, l’homme avait été créé avec une volonté libre, en sorte que s’il l’eût voulu il eût pu observer la loi ; sa nature était pure ; la maladie du péché ne l’avait point encore atteint : il avait sa vie en sa main. Mais ayant voulu être semblable à Dieu, il est mort et non pas lui seulement, mais aussi tout ce qui naît de lui. Tous les hommes étant morts en Adam, nul ne peut les rappeler à la vie, jusqu’à ce que l’Esprit, qui est Dieu lui-même, les ressuscite de la morti. »

i – « Quum ergo omnes homines in Adamo mortui sunt… donec per Spiritum et gratiam Dei ad vitana, quæ Deus est, excitentur. (Zw. Op., I, p. 203.) — Ces paroles et d’autres que nous avons citées, ou que nous citerons encore, sont tirées d’un écrit que Zwingle publia en 1523, et où il recueillit en corps de doctrine ce qu’il prêchait déjà alors depuis plusieurs années – Hic recencere cœpi, dit-il lui-même, quæ ex verbo Dei prædicavi. » (Zw. Opp. I, p. 203.)

Le peuple de Zurich, qui écoutait avec avidité ce puissant orateur, frappé de tristesse en voyant déployer à ses yeux l’état de péché dans lequel se trouve l’humanité, entendait bientôt après une parole de joie, et apprenait à connaître le remède qui peut rappeler l’homme à la vie : Christ, vrai homme et vrai Dieuj, disait la voix éloquente du fils des pâtres du Tockenbourg, nous a acquis une rédemption qui ne finira pas. C’est le Dieu éternel qui est mort pour nous : sa passion est donc éternelle ; elle apporte à jamais le salutk  ; elle apaise à jamais la justice divine en faveur de tous ceux qui s’appuient sur ce sacrifice avec une foi ferme et inébranlable. Là où le péché existe, s’écriait le réformateur, il est nécessaire que la mort survienne. Christ n’avait point de péché, il n’y a point eu de fraude dans sa bouche ; cependant il est mort !… Ah ! c’est que cette mort il l’a reçue à notre place ! Il a voulu mourir pour nous rendre à la vie ; et comme il n’avait point de péchés propres, le Père, plein de miséricorde, a transporté sur lui nos péchésl. Puisque la volonté de l’homme, disait encore l’orateur chrétien, s’est mise en rébellion contre le Dieu suprême, il était nécessaire, pour que l’ordre éternel fût rétabli et que l’homme fût sauvé, que la volonté humaine se soumît en Christ à la volonté divinem. » Il répétait souvent que c’était pour les fidèles, pour le peuple de Dieu, qu’avait eu lieu la mort expiatoire de Jésus-Christn.

j – « Christus verus homo et verus Deus… » (Ibid., p. 200)

k – « Deus enim æternus, quum sit qui pro nobis moritur, passionem ejus æternam et perpetuo salutarem esse oportet. » (Ibid.)

l – « Mori voluit ut nos vitæ restitueret… » (Ibid., p. 204.)

m – « Necesse fuit ut voluntas humana in Christo se divinæ submitleret. » (Zw. Op., I, p. 204.)

n – « Hostia est et victima, satisfaciens in æternum pro peccatis omnium fidelium. » (Ibid., p. 253.) « Expurgata peccata multitudinis, hoc est, fidelis populi. (Ibid., p. 264.)

Les âmes avides de salut, dans la cité de Zurich, trouvaient du repos en entendant cette bonne nouvelle ; mais il y avait dans les esprits de vieilles erreurs, qu’il fallait détruire. Partant de cette grande vérité d’un salut qui est le don de Dieu, Zwingle s’élevait avec force contre le prétendu mérite des œuvres humaines. Puisque le salut éternel, disait-il, provient uniquement du mérite et de la mort de Jésus-Christ, le mérite de nos œuvres n’est que folie, pour ne pas dire téméraire impiétéo. Si nous avions pu être sauvés par nos œuvres, il n’eût pas été nécessaire que Jésus-Christ fût mort. Quiconque est jamais venu à Dieu est venu à lui par la mort de Jésus-Christp. »

o – « Sequitur meritum nostrorum operum nihil esse quam vanitatem et stultitiam, ne dicam impietatem et ignorantem impudentiam. » (Ibid., p. 200.)

p – « Quotquot ad Deum venerunt unquam per mortem Christi ad Deum venisse. » (Ibid.)

Zwingle voyait les objections que cette doctrine suscitait parmi quelques-uns de ses auditeurs. On allait à lui, on les lui présentait. Il montait en chaire, et disait : « Des gens, plus curieux que pieux peut-être, objectent que cette doctrine rend les hommes légers et dissolus. Mais qu’importe ce que la curiosité des hommes peut objecter ou peut craindre ? Quiconque croit en Jésus-Christ est certain que tout ce qui vient de Dieu est nécessairement bon. Si donc l’Évangile est de Dieu, il est bonq. Et quel autre pouvoir serait capable d’implanter parmi les hommes l’innocence, la vérité, l’amour ?… O Dieu très clément, très juste, père des miséricordes, s’écriait-il dans l’effusion de sa piété, avec quelle charité tu nous as embrassés, nous tes ennemisr !… De quelles grandes et certaines espérances tu nous as remplis, nous qui n’eussions dû connaître que le désespoir ! et à quelle gloire tu as appelé en ton Fils notre petitesse et notre néant !… Tu veux, par cet ineffable amour, nous contraindre à te rendre amour pour amour ! »

q – « Certus est quod quidquid ex Deo est bonum sit. Si ergo Evangelium ex Deo, bonum est. (Zw. Op., I, p. 208.)

r – « Quanta caritate nos fures et perduelles. » (Ibid., p. 207.)

Puis, s’attachant à cette idée, il montrait que l’amour pour le Rédempteur est une loi plus puissante que les commandements. « Le chrétien, disait-il, délivré de la loi, dépend entièrement de Christ. Christ est sa raison, son conseil, sa justice et tout son salut. Christ vit en lui et agit en lui. Christ le conduit seul, et il n’a pas besoin d’un autre conducteurs. » Et, se servant d’une comparaison à la portée de ses auditeurs, il ajoutait : « Si un gouvernement défend sous peine de mort aux citoyens de recevoir de la main des étrangers des pensions et des largesses, que cette loi est douce et facile à ceux qui, par amour de la patrie et de la liberté, s’abstiendraient déjà d’une action si coupable ! Mais, au contraire, comme elle tourmente, comme elle accable ceux qui ne pensent qu’à leur intérêt ! Ainsi le juste vit joyeux dans l’amour de la justice, et l’injuste marche en frémissant sous le poids pesant de la loi qui l’opprimet. »

s – « Tum enim totus a Christo pendet. Christus est ei ratio, consilium, justitia, innocentia et tota salus. Christus in eo vivit, in eo agit. » (Zw. Op., 1, p. 233.)

t – « Bonus vir in amore justitiæ liber et lætus vivit. (Ibid., p. 234.)

Il y avait dans la cathédrale de Zurich bon nombre d’anciens soldats, qui comprenaient la vérité de ces paroles. L’amour n’est-il pas le plus puissant des législateurs ? Ce qu’il commande n’est-il pas aussitôt accompli ? Celui que nous aimons n’habite-t-il pas dans notre cœur, et n’y fait-il pas lui-même ce qu’il ordonne ? Aussi Zwingle, s’enhardissant, affirmait-il au peuple de Zurich que l’amour pour le Rédempteur était seul capable de faire faire à l’homme des choses agréables à Dieu. « Les œuvres faites hors de Jésus-Christ ne sont point utiles, disait l’orateur chrétien. Puisque tout se fait de lui, en lui et par lui, que prétendons-nous nous arroger à nous-mêmes. Partout où l’on croit en Dieu là est Dieu ; et là où Dieu se trouve il y a un zèle qui presse, qui pousse aux bonnes œuvresu. Prends soin seulement que Christ soit en toi et que tu sois en Christ, et ne doute pas qu’alors il n’opère. La vie du chrétien n’est qu’une opération continuelle, par laquelle Dieu commence, continue et accomplit le bien dans l’hommev. »

u – « Ubi Deus illic cura est et studium, ad opera bona urgens et impellens… » (Zw. Op., I, p. 213.)

v – « Vita ergo pii hominis nihil aliud est, nisi perpetua quædam et indefessa boni operatio, quam Deus incipit, ducit et absolvit… » (Ibid., p. 295.)

Frappé de la grandeur de cet amour de Dieu, qui est dès les temps éternels, le héraut de la grâce renforçait les accents de sa voix, pour appeler les âmes irrésolues ou craintives. « Craindriez-vous, disait-il, de vous approcher de ce tendre Père qui vous a élus ? Pourquoi nous a-t-il élus en sa grâce ? pourquoi nous a-t-il appelés ? pourquoi nous a-t-il attirés ? est-ce pour que nous n’osions pas aller à luiw  ?… »

w – « Quum ergo Deus pater nos elegit ex gratia sua, traxitque et vocavit, cur eum accedere non auderemus ? » (Ibid., p. 287.)

Telle était la doctrine de Zwingle. C’était celle de Jésus-Christ même. « Si Luther prêche Christ, il fait ce que je fais, disait le prédicateur de Zurich ; ceux qui ont été amenés par lui à Christ surpassent en nombre ceux qui l’ont été par moi. Mais n’importe ! je ne veux porter d’autre nom que celui de Christ, dont je suis le soldat, et qui seul est mon chef. Jamais un seul trait de lettre n’a été écrit ni par moi à Luther, ni par Luther à moi. Et pourquoi ? afin de montrer à tous combien l’esprit de Dieu est d’accord avec lui-même, puisque, sans nous être jamais entendus, nous enseignons avec tant d’harmonie la doctrine de Jésus-Christx. »

x – « Quam concors sit spiritus Dei, dum nos tam procul dissiti, nihil colludentes, tam concorditer Christi doctrinam docemus. (Zw. Op, I, p. 276.)

Ainsi Zwingle prêchait avec courage, avec entraînementy. La vaste cathédrale ne pouvait contenir la foule des auditeurs. Tous louaient Dieu de ce qu’une vie nouvelle commençait à ranimer le corps éteint de l’Église. Des Suisses de tous les cantons, venus à Zurich, soit pour la Diète, soit pour d’autres motifs, touchés par cette prédication nouvelle, en portaient les précieuses semences dans toutes les vallées helvétiques. Une acclamation s’élevait des montagnes et des cités. « La Suisse, écrivait de Lucerne à Zurich Nicolas Hageus, la Suisse a jusqu’à présent donné le jour à des Scipion, à des César et à des Brutus ; mais à peine a-t-elle produit un ou deux hommes qui connussent Jésus-Christ et qui nourrissent les cœurs, non de vaines disputes, mais de la Parole de Dieu. Maintenant que la Providence divine donne à la Suisse Zwingle pour orateur et Oswald Myconius pour docteur, les vertus et les saintes lettres renaissent parmi nous. O heureuse Helvétie ! si tu savais enfin te reposer de tant de guerres, et, déjà si célèbre par les armes, te rendre plus célèbre encore par la justice et la paixz ! » — « On disait, écrivait Myconius à Zwingle, que ta voix ne pouvait s’entendre à trois pas. Mais je vois maintenant que c’est un mensonge ; car la Suisse entière t’entenda  ! » — Tu t’es revêtu d’un courage intrépide, lui écrivait de Bâle Hédion ; je te suivrai tant que je pourraib. » — « Je t’ai entendu, lui disait de Constance Sébastien Hofmeister de Schaffouse. Ah ! plût à Dieu que Zurich, qui est à la tête de notre heureuse confédération, fût arrachée à la maladie, et que la santé revînt ainsi dans tout le corpsc ! »

y – « Quam fortis sis in Christo prædicando. » (Zw. Ep., p. 16O.)

z – « O Helvetiam, longe feliciorem si tandem liceat te a bellis conquiescere ! » (Zw. Ep., p. 128.)

a – « At video mendacium esse cum audiaris per totam Helvetiam. » (Ibid., p. 135.)

b – « Sequar te quoad potero… » (Ibid., p. 134.)

c – « Ut capite felicis patriæ nostræ a morbo erepto, sanitas tandem in reliqua membra reciperetur. » (Ibid., p. 147.)

Mais Zwingle rencontrait des adversaires aussi bien que des admirateurs. « A quel propos, disaient les uns, s’occupe-t-il des affaires de la Suisse ? Pourquoi dans ses instructions religieuses, disaient les autres, répète-t-il chaque fois les mêmes choses ? » Au milieu de tous ces combats, souvent la tristesse s’emparait de l’âme de Zwingle. Tout lui semblait se confondre, et la société lui paraissait se mouvoir sens dessus dessousd. Il croyait impossible que quelque chose de nouveau parût sans que quelque chose de tout opposé se montrât aussitôte. Une espérance naissait-elle en son cœur, tout à côté y naissait une crainte. Cependant bientôt il relevait fièrement la tête : « La vie de l’homme ici bas est une guerre, disait-il ; celui qui désire obtenir la gloire doit attaquer en face le monde, et, comme David, faire mordre la poussière à ce Goliath superbe, qui paraît si fier de sa haute stature. L’Église, disait-il comme Luther, a été acquise par le sang, et doit être restaurée par le sangf. Plus il y a en elle de souillures, plus aussi il nous faut armer d’Hercules, pour nettoyer ces étables d’Augiasg. Je crains peu pour Luther, ajoutait-il, même s’il est foudroyé par les carreaux de ce Jupiterh. »

d – « Omnia sursum deorsumque moventur. » (Ibid., p 142.)

e – « Ut nihil proferre caput queat, cujus non contrarium e regione emergat. » (Zw. Ep., p. 142.)

f – « Ecclesiam puto, ut sanguine parla est, ita sanguine ins taurari. » (Ibid., p. 143.)

g – « Eo plures armabis Hercules, qui fimum tot hactenus boum efferant. » (Ibid., p. 144.)

h – « Etiamsi fulmine Jovis istius fulminetur. » (Ibid.)

Zwingle avait besoin de repos ; il se rendit aux eaux de Bade. Le curé du lieu, ancien garde du pape, homme d’un bon caractère, mais d’une complète ignorance, avait obtenu son bénéfice en portant la hallebarde. Tandis que, fidèle à ses habitudes de soldat, il passait le jour et une partie de la nuit en joyeuse compagnie, Staheli, son vicaire, était infatigable à remplir tous les devoirs de sa chargei. Zwingle fit venir chez lui le jeune ministre. « J’ai besoin d’aides suisses, » lui dit-il ; et dès ce moment Staheli fut son collaborateur. Zwingle, Staheli et Luti, plus tard pasteur de Winterthour, vivaient sous le même toit.

i – Mise. Tig. II, 679-696. Wirz, I, 79, 78.

Le dévouement de Zwingle ne devait pas rester sans récompense. La Parole de Christ, prêchée avec tant d’énergie, devait porter des fruits. Plusieurs magistrats étaient gagnés ; ils avaient trouvé dans la Parole de Dieu leur consolation et leur force. Affligé de voir les prêtres, et surtout les moines, dire effrontément, du haut de la chaire, tout ce qui leur venait à l’esprit, le conseil rendit un arrêté par lequel il leur ordonna de n’avancer dans leurs discours « que ce qu’ils auraient puisé dans les sources sacrées de l’Ancien et du Nouveau Testamentj. » Ce fut en 1520 que le pouvoir civil intervint ainsi pour la première fois dans l’œuvre de la Réformation, agissant en magistrat chrétien, disent les uns, puisque le premier devoir du magistrat est de maintenir la Parole divine et de défendre les intérêts les plus précieux des citoyens ; — ôtant à l’Église sa liberté, disent les autres, l’asservissant au pouvoir séculier et donnant le signal de cette série de maux qu’a enfantés depuis lors l’union de l’Église et de l’État. Nous ne prononcerons point ici dans cette grande controverse, qui de nos jours est soutenue en plusieurs pays avec tant de chaleur. Il nous suffit d’en signaler l’origine à l’époque de la Réformation. Mais il y a autre chose encore à signaler ; l’acte de ces magistrats fut lui-même un effet produit par la prédication de la Parole de Dieu. La Réformation sortit alors en Suisse des simples individualités, et entra dans le domaine de la nation. Née dans le cœur de quelques prêtres et de quelques lettrés, elle s’étend, elle s’élève, elle prend position dans les lieux supérieurs. Comme les eaux de la mer, elle monte peu à peu, jusqu’à ce qu’elle recouvre une immense étendue.

j – « Vetuit eos Senatus quicquam praedicare quod non ex sacrarum Literarrum utriusque Testamenti fontibus hausissent. » (Zw. Op. III, p. 28.)

Les moines étaient interdits ; on leur ordonnait de ne prêcher que la Parole de Dieu, et la plupart ne l’avaient jamais lue. L’opposition provoque l’opposition. Cet arrêté devint le signal d’attaques plus violentes contre la Réformation. On commença à comploter contre le curé de Zurich. Sa vie fut en danger. Un soir que Zwingle et ses vicaires s’entretenaient tranquillement dans leur maison, des bourgeois arrivèrent avec précipitation, leur disant : « Avez-vous de solides verrous aux portes ? Soyez cette nuit sur vos gardes — Nous avions souvent de telles alarmes, ajoute Staheli ; mais nous étions bien armésk, et l’on faisait pour nous la garde dans la rue. »

k – « Wir waren aber gut geriistet. » (Mise. Tig. Il, 681. Wirz. I, 334.)

On avait pourtant recours ailleurs à des moyens plus violents encore. Un vieillard de Schaffouse, nommé Galster, homme juste et d’une ardeur rare à son âge, heureux de la lumière qu’il avait trouvée dans l’Évangile, s’efforçait de la communiquer à sa femme et à ses enfants ; son zèle, peut-être indiscret, attaquait ouvertement les reliques, les prêtres et les superstitions dont ce canton était rempli. Il devint bientôt un objet de haine et d’effroi, même pour sa famille. Le vieillard, prévoyant de funestes desseins, quitta, le cœur brisé, sa maison, et s’enfuit dans les forêts voisines. Il vécut là quelques jours, se nourrissant de ce qu’il pouvait trouver, quand tout à coup, c’était la dernière nuit de l’an 1520, des flambeaux éclairèrent en tout sens la forêt, et des cris d’hommes, des aboiements de chiens furieux retentirent sous ses sombres ombrages. Le conseil avait ordonné une battue dans les bois pour le découvrir. Les chiens trouvèrent leur proie. Le malheureux vieillard fut traîné devant le magistrat, et sommé d’abjurer sa foi ; comme il demeurait inébranlable, il fut décapitél.

l – Wirz I, 510. Sebast. Wagner, von Kirchhofer, p. 18.

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