Histoire de la Réformation du seizième siècle

10.8

Progrès – Résistance aux ligueurs – Rencontre de Philippe de Hesse et de Mélanchthon – Le landgrave gagné à l’Évangile – Palatinat, Lunebourg, Holstein – Le grand maître à Wittemberg

La ligue catholique de Ratisbonne et les persécutions qui la suivirent excitèrent une puissante réaction dans les populations germaniques. Les Allemands n’étaient pas disposés à se laisser enlever cette Parole de Dieu qui leur avait enfin été rendue ; et aux ordres de Charles-Quint, aux bulles du pape, aux menaces et aux bûchers de Ferdinand et des autres princes catholiques, ils répondirent : « Nous la garderons ! »

A peine les ligueurs avaient-ils quitté Ratisbonne, que les députés des villes, dont les évêques avaient pris part à cette alliance, surpris et indignés, se réunirent à Spire et arrêtèrent que leurs prédicateurs, malgré les défenses des évêques, n’annonceraient que l’Évangile, et l’Évangile seul, conformément à la parole des prophètes et des apôtres. Puis ils se préparèrent à présenter à l’assemblée nationale un avis ferme et uniforme.

La lettre impériale datée de Burgos vint, il est vrai, troubler toutes leurs pensées. Néanmoins vers la fin de l’année, les députés de ces villes et plusieurs seigneurs réunis à Ulm jurèrent de se prêter, en cas d’attaque, un secours mutuel.

Ainsi, au camp formé par l’Autriche, la Bavière et les évêques, les villes libres en opposaient aussitôt un autre où elles arboraient l’étendard de l’Évangile et des libertés nationales.

Tandis que les villes se plaçaient aux avant-postes de la Réforme, plusieurs princes étaient gagnés à sa cause. Un des premiers jours du mois de juin 1524, Mélanchthon revenait à cheval de voir sa mère, accompagné de Camérarius et de quelques autres amis, lorsque, près de Francfort, il rencontra un brillant cortège. C’était Philippe, landgrave de Hesse, qui, trois ans auparavant, avait visité Luther à Worms, et qui se rendait alors aux jeux de Heidelberg, où devaient se trouver tous les princes de l’Allemagne.

Ainsi la Providence rapprochait successivement Philippe des deux réformateurs. On savait que l’illustre docteur était allé dans sa patrie ; l’un des chevaliers du landgrave lui dit : « C’est, je pense, Mélanchthon. » Aussitôt le jeune prince pique des deux, et, arrivant auprès du docteur, il lui dit : Es-tu Philippe ? — Je le suis, répondit le savant un peu intimidé, et s’apprêtant à mettre respectueusement pied à terrek. Demeure, dit le prince, fais volte-face et viens passer la nuit avec moi ; il est des sujets sur lesquels je désire t’entretenir ; ne crains rien. — Que pourrais-je craindre d’un prince tel que vous ? répondit le docteur. — Eh, eh ! dit le landgrave en riant, si je t’emmenais et te livrais à Campeggi, il n’en serait pas fâché, je pense. » Les deux Philippe font route, l’un à côté de l’autre ; le prince interroge, le docteur répond, et le landgrave est ravi des vues claires et frappantes qui lui sont présentées. Mélanchthon le suppliant enfin de lui laisser continuer sa route, Philippe de Hesse ne se sépare de lui qu’avec peine. « A une condition, lui dit-il, c’est que, de retour chez vous, vous traitiez avec soin les questions que nous avons débattues et m’envoyiez votre écritl. » Mélanchthon le promit. « Allez donc, lui dit Philippe, et passez par mes États. »

k – Honoris causa de equo descensurus. (Camerarius, p. 94.)

l – Ut de quæstionibus quas audiisset moveri, aliquid diligenter conscriptum curaret. (Ibid. p. 94.)

Mélanchthon rédigea, avec son talent ordinaire, un Abrégé de la doctrine renouvelée du christianismem ; et cet écrit, plein de concision et de force, fit une impression décisive sur l’esprit du landgrave. Peu après son retour des jeux de Heidelberg, ce prince, sans se joindre aux villes libres, rendit de son côté une ordonnance, par laquelle, s’opposant à la ligue de Ratisbonne, il commandait que l’Évangile fût prêché dans toute sa pureté. Il l’embrassa lui-même avec l’énergie de son caractère. « Plutôt, s’écriait-il, abandonner mon corps et ma vie, mes États et mes sujets, que la Parole de Dieu. » Un moine, le frère mineur Ferber, s’apercevant de ce penchant du prince pour la Réforme, lui écrivit une lettre pleine de reproches, dans laquelle il le conjurait de demeurer fidèle à Rome. Je veux, répondit Philippe, demeurer fidèle à l’ancienne doctrine, mais telle qu’elle est contenue dans l’Écriture. Puis il établit, avec une grande force, que l’homme est justifié uniquement par la foi. Le moine se tut, tout étonnén. On appela le landgrave « le disciple de Mélanchthono. »

m – Epitome renovatæ ecclesiasticæ doctrinæ.

n – Seckendorf, p. 738.

o – Princeps ille discipulus Philippi fuit a quibusdam appellatus. (Camer. p. 95.)

D’autres princes suivaient une direction semblable. L’électeur palatin refusait de se prêter à aucune persécution ; le duc de Lunebourg, neveu de l’électeur de Saxe, commençait à réformer ses États, et le roi de Danemark ordonnait que, dans le Schleswig et le Holstein, chacun fût libre de servir Dieu comme sa conscience le lui commanderait.

La réforme fit une conquête plus importante encore. Un prince, dont la conversion à l’Évangile devait avoir jusqu’à nos jours de grandes conséquences, commençait alors à se détourner de Rome. Un jour vers la fin de juin, peu après le retour de Mélanchthon à Wittemberg, entrait dans la chambre de Luther le grand maître de l’ordre Teutonique, Albert, margrave de Brandebourg. Ce chef des moines chevaliers de l’Allemagne, qui possédaient alors la Prusse, s’était rendu à la diète de Nuremberg, pour invoquer contre la Pologne le secours de l’Empire. Il en revenait l’âme brisée. D’un côté, les prédications d’Osiandre et la lecture de l’Évangile l’avaient convaincu que son état de moine était contraire à la Parole de Dieu ; de l’autre, la chute du gouvernement national en Allemagne lui avait ôté toute espérance d’obtenir le secours qu’il était venu réclamer. Que fera-t-il donc ?… Le conseiller saxon de Planitz, avec lequel il avait quitté Nuremberg, l’invita à voir le réformateur. « Que pensez-vous, dit à Luther le prince inquiet et agité, de la règle de mon ordre ? Luther n’hésita pas ; il vit qu’une conduite conforme à l’Évangile pouvait seule aussi sauver la Prusse. « Invoquez, dit-il au grand maître, le secours de Dieu ; rejetez la règle insensée et confuse de votre ordre ; faites cesser cette abominable principauté, véritable hermaphrodite, qui n’est ni religieuse ni séculièrep ; fuyez la fausse chasteté, recherchez la véritable ; mariez-vous ; et à la place de ce monstre sans nom, fondez un empire légitimeq. » Ces paroles dessinaient nettement, dans l’âme du grand maître, une situation qu’il n’avait jusqu’alors que vaguement entrevue. Un sourire éclaira ses traits ; mais il avait trop de prudence pour se prononcer ; il se tutr. Mélanchthon, qui était présent, parla comme Luther, et le prince repartit pour ses États, laissant les réformateurs convaincus que la semence qu’ils avaient jetée dans son cœur porterait un jour des fruits.

p – Ut loco illius abominabilis principatus, qui hermaphrodita quidem. (L. Epp. II. 527.)

q – Ut contempta ista stulta confusaque regula, uxorem duceret. (Ibid.)

r – Ille tum arrisit, sed nihil respondit. (Ibid.)



Albert le Margrave

Ainsi Charles-Quint et le pape s’étaient opposés à l’assemblée nationale de Spire, de peur que la Parole de Dieu ne gagnât tous les assistants ; mais la Parole de Dieu ne peut être liée : on refusait de lui permettre de retentir dans une des salles d’une ville du Bas-Palatinat ; eh bien, elle s’en vengeait en se répandant dans toutes les provinces ; elle remuait les peuples, éclairait les princes, et elle déployait dans tout l’Empire cette force divine, que ni bulles, ni ordonnances, ne pourront jamais lui ravir.

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