Histoire de la Réformation du seizième siècle

14.11

Troisième période – Commission mixte – Les trois points – Dissimulation romaine – Philippe rappelé – Abus – Concessions – On accorde les évêques – Le Pape – Danger des concessions – Opposition des laïques – Opposition de Luther – La Parole au-dessus de l’Église – Aveuglement de Mélanchthon – Le protestantisme se perd – Pas de concessions – Nouvelle commission – Décision du Landgrave – Les deux fantômes – Les trois doctrines – La grande antithèse – Rupture des conférences – Demandes de congés – Promesse d’un concile – Sommation de Charles – Refus des Protestants – Menaces de Charles – Altercations et tumulte – Rome cède, et les Protestants résistent – Appel de Luther

La Diète entra alors dans sa troisième période ; et comme au temps des tâtonnements avait succédé celui des menaces, maintenant au temps des menaces succéda celui des accommodements. De nouveaux et plus redoutables dangers devaient s’y rencontrer pour la Réforme. Rome, voyant le glaive arraché de ses mains, saisissait le filet, et, enlaçant ses adversaires de « liens d’amitié et de cordons d’humanité, » allait s’efforcer de les attirer doucement dans l’abîme.

Le 16 août, à huit heures du matin, on réunit une commission mixte, qui comptait de chaque côté deux princes, deux jurisconsultes et trois théologiens. Il y avait, de la part du parti romain, le duc Henri de Brunswick et l’évêque d’Augsbourg, les chanceliers de Bâle et de Cologne, Eck, Cochlée et Wimpina ; et de la part des Protestants, le margrave George de Brandebourg, le prince électoral de Saxe, les chanceliers Brück et Heller, Mélanchthon, Brentz et Schnepf f.

f – F. Urkunden Buch, 2, p. 219.

On convint de prendre pour base la confession des États évangéliques, et l’on se mit à la lire article par article. Les théologiens romains montrèrent une condescendance inattendue. Sur vingt et un articles, il n’y en eut que six ou sept auxquels ils firent objection. Le péché originel arrêta quelque temps ; enfin l’on s’entendit ; les Protestants admirent que le baptême ôtait la coulpe du péché, et les Romains accordèrent qu’il n’ôtait pas la convoitise. Quant à l’Église, on convint qu’elle renfermait des hommes sanctifiés et des pécheurs ; on s’accorda de même sur la confession. Les Protestants rejetaient surtout comme impossible l’énumération de tous les péchés, prescrite par Rome ; le docteur Eck concéda ce pointg.

g – Die Sund die man nicht wisse, die durff man nicht beichten. (F. Urkunden 2, p. 228.)

Il ne restait que trois doctrines sur lesquelles on différait.

La première était celle de la pénitence. Les docteurs romains enseignaient qu’elle avait trois parties, la contrition, la confession et la satisfaction. Les Protestants rejetaient la dernière, et les Romains, sentant bien qu’avec la satisfaction tomberaient les indulgences, le purgatoire et d’autres de leurs dogmes et de leurs profits, la maintenaient avec force : « Nous accordons, disaient-ils, que les pénitences imposées par les prêtres ne procurent pas la rémission de la coulpe du péché ; mais nous maintenons qu’elles sont nécessaires pour obtenir la rémission de la peine. »

Le second point controversé fut l’invocation des Saints, et le troisième, qui était le principal, fut la justification par la foi. Il était de la plus haute importance pour les Romains, de maintenir l’influence méritoire des œuvres ; tout leur système, au fond, reposait là-dessus. Eck déclara donc fièrement la guerre à cette assertion, que la foi seule justifie. Ce mot seule, disait-il, nous ne pouvons le tolérer. Il enfante les scandales, et rend les gens grossiers et impies. Renvoyons « la savate au savetierh. » C’était un calembour du docteur ; le mot qui signifie seule en latin signifiant semelle en allemand. Mais les Protestants n’entendaient pas de cette oreille ; on le vit bien lorsqu’ils se posèrent entre eux la question : « Voulons nous maintenir que la foi seule nous justifie gratuitement ? » — Sans doute, sans doute ! s’écria l’un d’eux ; gratuitement et inutilementi » On alla même chercher d’étranges autorités : Platon, parlant de Dieu, dit-on, déclare que ce n’est pas par des œuvres extérieures, mais par la vertu, qu’on l’adore ; et chacun connaît ces vers de Catonj :

h – Man soll die Sole ein weil zum Schuster schicken. (Urkunden, II, p. 225.)

i – Omnino, omnino, addendum etiam frustra. (Scultet. P. 289.)

j – Si Deus est animus, nobis ut carmina dicunt,
Hic tibi præcipue pura sit mente colendus.

Si Dieu n’est qu’un esprit, comme dit le poète,
C’est par un esprit pur qu’il le faut adorer.

Sans doute, reprenaient les théologiens romains, ce n’est que d’œuvres faites avec la grâce que nous parlons ; mais nous disons qu’il y a dans de telles œuvres quelque chose de méritoire. Les Protestants déclarèrent ne pouvoir l’accorder.

On s’était rapproché au delà de toute espérance. Les théologiens de Rome, comprenant fort bien leur position, s’étaient proposé de paraître d’accord, plutôt que de l’être. Tout le monde savait, par exemple, que les Protestants rejetaient la transsubstantiation ; mais l’article de la confession sur ce point pouvant être pris dans le sens romain, les Papistes l’avaient admis. Leur triomphe n’était que renvoyé. Les expressions générales dont on se servait sur tous les points controversés, permettraient plus tard de donner à la confession une interprétation romaine ; l’autorité ecclésiastique la déclarerait seule véritable, et Rome, grâce à quelques moments de dissimulation, remonterait ainsi sur le trône. N’a-t-on pas vu de nos jours les trente-neuf articles de l’Église anglicane interprétés dans le sens du concile de Trente ? Il est des causes auxquelles le mensonge ne fait jamais défaut. Ce complot, profondément conçu, fut habilement exécuté.

On était dans les meilleurs termes, et la concorde semblait rétablie. Une seule inquiétude troublait cette douce illusion : la pensée du Landgrave. « Ignorant que nous sommes presque d’accord, cet écervelé, disait-on, assemble sans doute déjà son armée ; il faut le ramener, et le rendre témoin de notre bonne intelligence. » Le 18 août au matin, l’un des membres de la commission, le duc Henri de Brunswick, accompagné d’un conseiller de l’Empereur, partit pour s’acquitter de cette difficile missionk. Le duc George de Saxe le remplaça comme arbitre.

k – Brunswigus coactus est abire πρὸς τὸν μακεδόνα, quem timent contrahere exercitum. (Scultet. p. 299.)

Ce fut alors que de la première partie de la confession l’on passa à la seconde ; des doctrines aux abus. Ici les théologiens romains ne pouvaient céder si facilement ; car s’ils paraissaient s’entendre avec les Protestants, c’en était fait de l’honneur et de la puissance de la hiérarchie. Aussi était-ce pour cette partie du combat qu’ils avaient réservé leurs ruses et leurs forces.

Ils commencèrent par se rapprocher des Protestants autant qu’ils le purent ; car plus ils accordaient, plus ils pouvaient attirer à eux la Réforme, et l’éteindre en l’étouffant. « Nous pensons, dirent-ils, qu’avec la permission de Sa Sainteté et l’approbation de Sa Majesté, on pourra jusqu’au prochain concile permettre la communion sous les deux espèces, partout où elle est déjà établie ; seulement vos ministres devront prêcher à Pâques que cela n’est pas d’ordre divin, et que le Christ est tout entier sous chaque espècel.

l – Vorschlage des Anschlussea der Sieben des Gegentheils. (Urk. 2, p. 251.)

De plus, continuèrent-ils, quant aux prêtres mariés, voulant épargner les pauvres femmes qu’ils ont séduites, pourvoir à l’entretien de leurs enfants innocents, et prévenir toutes sortes de scandales, nous les tolérerons jusqu’au a prochain concile ; et l’on verra alors s’il ne serait pas bon d’arrêter que les hommes mariés peuvent être admis aux ordres sacrés, comme cela a eu lieu dans la primitive Église pendant quelques sièclesm.

m – Wie von alters in der ersten Kirche etliche Hundert Jahre, in Gebrauch gewesen. (Ibid. 254.)

Enfin, nous reconnaissons que le sacrifice de la messe est un mystère, une représentation, un sacrifice de commémoration, un souvenir des souffrances et de la mort du Christ, accomplies sur la croixn. »

n – Zu Errinnerung und Gedächtniss. (Urk. 2, p. 253.)

C’était beaucoup céder ; mais le tour des Protestants devait venir ; car si Rome paraissait donner, ce n’était que pour prendre.

La grande question était l’Eglise, son entretien, son gouvernement. Qui y pourvoira ? On ne voyait que deux moyens : les princes ou les évêques. Si l’on craignait les évêques, il fallait se décider pour les princes ; si l’on craignait les princes, il fallait se décider pour les évêques. On était alors trop loin de l’état normal pour découvrir une troisième solution, et s’apercevoir que l’Eglise devait être entretenue par l’Église elle-même, par le peuple chrétien. « Les princes séculiers feront défaut à la longue au gouvernement de l’Église, dirent les théologiens saxons, dans le préavis qu’ils présentèrent le 18 août ; ils ne sont pas aptes à s’en acquitter, et d’ailleurs, cela leur coûterait trop chero ; les évêques, au contraire, ont des biens destinés à pourvoir à cette charge. »

o – Ist Ihnen auch nicht moglich. Dazu Kostet es zu viel. (Ibid. 247.)

Ainsi l’incapacité présumée de l’État, et la crainte qu’on avait de son indifférence, jetaient les Protestants dans les bras de la hiérarchie.

On proposa donc de rendre aux évêques leur juridiction, le maintien de la discipline et la surveillance des prêtres, pourvu qu’ils ne persécutassent pas la doctrine évangélique, et n’accablassent pas les pasteurs de vœux et de fardeaux injustes. « Dès le commencement de l’Église, ajoutait-on, les évêques ont été placés au-dessus des prêtres, et il est dangereux devant le Seigneur de changer l’ordre des gouvernements. » Cet argument, on le voit, est fondé, non sur la Bible, mais sur l’histoire ecclésiastique.

Les théologiens protestants allèrent même plus loin, et, faisant un dernier pas qui semblait décisif, ils consentirent à reconnaître le Pape comme étant, mais de droit humain, suprême évêque de la chrétienté. « Quand même le Pape est un Antechrist, disaient-ils, nous pouvons être sous son gouvernement, comme les Juifs furent sous Pharaon, et, plus tard, sous Caïphe. » Il faut avouer que ces deux comparaisons n’étaient pas flatteuses pour le Pape. Seulement, ajoutaient les docteurs, que la saine doctrine nous soit pleinement assurée. »

Le chancelier Brück paraît ici avoir été seul dans la vérité ; il écrivit en marge, d’une main ferme : « Je doute que nous puissions reconnaître le Pape, puisque nous disons qu’il est l’Antechrist, et puisque c’est de droit divin qu’il s’arroge la primautép. »

p – Sed de hoc dubito cum dicimus eum Antechristum. (Urkunden, p. 247)

Enfin, les théologiens protestants consentaient à s’entendre avec Rome quant aux cérémonies indifférentes, aux jeûnes, à la forme du culte ; et l’Électeur s’engageait à mettre sous séquestre les biens ecclésiastiques déjà sécularisés, jusqu’à décision du prochain concile.

Jamais l’esprit conservateur du luthéranisme ne s’était si clairement manifesté. « Nous avons promis à nos adversaires de leur céder certains points de gouvernement ecclésiastique que l’on peut accorder sans blesser la conscienceq, » écrivait Mélanchthon. Mais il commençait à devenir fort douteux que les concessions ecclésiastiques n’entraînassent pas des concessions dogmatiques. La Réforme allait à la dérive… Encore quelques pas, et son heure avait sonné. Déjà la désunion, le trouble, l’épouvante, commençaient à se mettre dans ses rangs. Mélanchthon était devenu plus puéril qu’un enfant, disait l’un de ses amisr ; et pourtant il était tellement excité, que le chancelier de Lunebourg ayant fait quelques objections à ces concessions inouïes, le petit maître ès arts leva fièrement la tête, et dit, d’un ton aigre et cassant : « Celui qui ose dire que les moyens indiqués ne sont pas chrétiens, est un menteur et un scélérats. » Sur quoi le Chancelier lui rendit aussitôt la monnaie de sa pièce.

q – Nos politica quædam concessuros quæ sine offensione conscientiæ. (Corp. Ref. 2, p. 302.)

r – Philippus ist kindischer denn ein Kind worden. Baumgartner, (Ibid. 363.)

s – Der Luge als ein Bosewichst. (Ibid. 364.)

Ces propos ne sauraient néanmoins contredire le renom de douceur de Mélanchthon. Après tant d’efforts inutiles, il se trouvait épuisé, aigri ; ses paroles blessèrent d’autant plus qu’on les eût moins attendues de sa bouche. D’autres étaient abattus comme lui.

Brentz se montrait inhabile, rude et’grossier ; le chancelier Heller avait égaré le pieux margrave de Brandebourg, et changé le courage de ce prince en pusillanimité ; il ne restait à l’Électeur d’autre appui humain que son chancelier Brück : encore cet homme inébranlable commençait-il à s’effrayer de son isolement.

Mais il n’était pas seul ; les plus vives réclamations se faisaient entendre au dehors. « S’il est vrai que vous fassiez de telles concessions, disaient aux théologiens saxons leurs amis alarmés, c’en est fait de la liberté chrétiennet ! Qu’est-ce que votre prétendue concorde ?… Un épais nuage que vous élevez dans les airs, pour éclipser le soleil qui commençait à éclairer l’Égliseu. Jamais le peuple chrétien n’acceptera des conditions aussi contraires à la parole de Dieu ; et tout ce que vous y gagnerez, ce sera de fournir aux ennemis de l’Évangile un prétexte spécieux pour égorger ceux qui lui demeureront fidèles. » Parmi les laïques ces convictions étaient générales. « Mieux vaut mourir avec Jésus-Christ, disait tout Augsbourgv, que de conquérir sans lui la faveur du monde entier ! »

t – Actum est de christiana libertate. (Ibid. 295.)

u – Quid ea concordia aliud esset quam natæ jam et divulgatæ luci obducere nubem. (Ibid. 296.)

v – Die gange Stadt sagt. (Ibid. 297.)

Nul ne ressentit tant d’effroi que Luther, au moment où il vit l’édifice glorieux que Dieu avait élevé par ses mains, sur le point de s’écrouler dans celles de Mélanchthon. Le jour que cette nouvelle lui parvint, il écrivit cinq lettres, à l’Électeur, à Mélanchthon, à Spalatin, à Jonas et à Brentz, toutes également remplies de courage et de foi.

« J’apprends, disait-il, que vous avez commencé une œuvre merveilleuse, savoir, de mettre Luther et le Pape d’accord ; mais le Pape ne veut pas, et Luther s’excusew. Et si, en dépit d’eux, vous venez à bout de cette affaire, alors, suivant votre exemple, je mettrai d’accord Christ et Bélial.

w – Sed Papa nolet et Lutherus deprecatur. (L. Epp. 4, p. 144.)

Le monde, je le sais, est plein de criailleurs qui obscurcissent la doctrine de la justification par la foi, et de fanatiques qui la persécutent. Ne vous en étonnez pas, mais continuez à la défendre avec courage ; car elle est le talon de la semence de la femme pour écraser la tête du serpentx.

x – Nam hic est ille unicus calcaneus seminis antiquo serpenti adversantis. (Ibid. 151.)

Prenez garde aussi à la juridiction des évêques, de peur que nous ne devions recommencer bientôt un combat plus terrible que le premier. Ils prendront nos concessions largement, très largement, toujours plus largement ; et ils nous donneront les leurs étroitement, très étroitement, et toujours plus étroitementy. Toutes ces négociations sont impossibles, à moins que le Pape ne renonce à la papauté.

y – Ipsi enim nostras concessiones large, largius, largissime, suas vero, stricte, strictius, strictissime. (Ibid. 145.)

Le beau motif vraiment que nous donnent nos adversaires ! Ils ne peuvent, disent-ils, contenir leurs sujets, si nous ne publions pas partout qu’ils ont la vérité pour eux ; comme si Dieu ne faisait enseigner sa parole que pour que nos ennemis puissent, à leur plaisir, tyranniser leurs peuples !

Ils crient que nous condamnons toute l’Église ; non, nous ne la condamnons pas ; mais eux, ils condamnent toute la parole de Dieu, et la parole de Dieu est plus que l’Églisez. »

z – Sed ab ipsis totum verbum Dei, quod plus quam Ecclesia est, damnari.(Ibid. 145.)

Cette déclaration importante du Réformateur décide la controverse entre les chrétiens évangéliques et la Papauté ; malheureusement on a vu souvent des Protestants revenir, sur ce point fondamental, à l’erreur de Rome, et mettre l’Église visible au-dessus de la parole de Dieu.

« Je vous écris à cette heure, continue Luther, de croire avec tous les nôtres, et cela par obéissance envers Jésus-Christ, que Campeggi est un insigne démona. Je ne puis dire de quelle indignation ces conditions qu’on vous propose me remplissent. Le plan de Campeggi et du Pape a été de nous éprouver d’abord par les menaces, puis, s’ils ne réussissaient pas, par la ruse ; vous avez triomphé de la première attaque, et soutenu la terrible arrivée de César. Maintenant vient la seconde. Agissez avec courage, et ne cédez aux adversaires que ce qui peut être prouvé avec évidence par la parole même de Dieu.

a – Quod Campeggius est unus magnus et insignis diabolus. (Ibid. 147.)

Mais si, ce dont Christ nous préserve ! vous ne proclamez pas tout l’Évangile ; si, au contraire, vous renfermez cet aigle glorieux dans un sac, Luther, n’en doutez pas, Luther viendra, et délivrera l’aigle avec éclatb. Aussi certain que Christ vit, cela se fera. »

b – Veniet, ne dubita, veniet Lutterus, hanc aquiliam liberaturus magnifice. (L. Epp. 4, p. 155.)

Ainsi parla Luther, mais en vain ; tout s’acheminait dans Augsbourg vers une ruine prochaine. Mélanchthon avait sur les yeux un bandeau que nul ne pouvait arracher ; il n’écoutait plus Luther, et dédaignait la popularité. « Il ne convient pas, disait-il, que nous nous laissions émouvoir a par les clameurs du vulgairec ; il faut penser à la paix et à la postérité. Si l’on annule la juridiction des évêques, qu’en résultera-t-il pour nos descendants ? Les puissances séculières ne se soucient nullement des intérêts de la religiond. D’ailleurs, trop de dissemblance dans les Églises nuit à la paix ; il faut nous unir aux évêques, de peur que l’infamie du schisme ne nous travaille à jamaise. »

c – Sed nos nihil decet vulgi clamoribus moveri. (Corp. Ref. 2, p. 303.)

d – Profani jurisdictionem ecclesiasticam et similia negotia religionem non curent. (Ibid.)

e – Ne schismatis infamia perpetuo laboremus. (Ibid.)

On n’écoutait que trop Mélanchthon, et l’on travaillait avec force à rattacher au Pape, par les liens de la hiérarchie, l’Église que Dieu avait merveilleusement émancipée. Le protestantisme se précipitait, les yeux fermés, dans les filets de ses ennemis. Déjà des voix graves annonçaient le retour des Luthériens dans le sein de l’Église romaine. « Ils préparent leur défection et passent aux Papistes, » disait Zwinglef. Le politique Charles-Quint faisait en sorte qu’aucune parole superbe ne vînt compromettre sa victoire ; mais le clergé romain n’y tenait pas : son orgueil, son insolence croissaient de jour en jour. « On ne pourrait croire, disait Mélanchthon, les airs de triomphe que les Papistes se donnent. » Il y avait de quoi ; l’accord avait chance de se conclure ; encore un ou deux efforts.… et alors, malheur à la Réforme !

f – Lutherani defectionem parant ad Papistas. (Zw. Epp. 2, p. 461.)

Qui pouvait prévenir cette désolante ruine ? Ce fut Luther, qui prononça le nom vers lequel devaient se tourner les regards. « Christ vit, dit-il ; et celui par qui la violence de nos ennemis a été vaincue, saura bien nous donner la force de surmonter la ruse. » C’était, en effet, la seule ressource, et elle ne manqua pas à la Réformation.

Si la hiérarchie romaine avait voulu, sous quelques conditions fort admissibles, recevoir les Protestants prêts à capituler, c’en était fait d’eux : une fois qu’elle les eût tenus dans ses bras, elle les y aurait étouffés ; mais Dieu aveugla la Papauté, et sauva ainsi son Église. « Pas de concessions ! » avait dit le sénat romain ; et Campeggi, fier de sa victoire, répétait : « Pas de concessions ! » Il remuait ciel et terre pour enflammer, dans ce moment décisif, le zèle catholique de Charles. De l’Empereur, il passait aux Princes. « Le célibat, la confession, la suppression de la coupe, les messes privées, s’écriait-il, tout cela est obligatoire : il nous faut tout. » C’était dire aux chrétiens évangéliques : « Voilà les Fourches Caudines, passez-y ! » Les Protestants virent le joug, et frémirent. Dieu ranima le courage des confesseurs dans leurs cœurs affaiblis. Ils levèrent la tête, et rejetèrent cette capitulation humiliante. Aussitôt la commission fut dissoute.

C’était une grande délivrance ; mais un nouveau danger les menaça presque aussitôt. Les chrétiens évangéliques auraient dû quitter immédiatement Augsbourg ; mais, dit l’un d’euxg, « Satan, déguisé en ange de lumière, aveuglait les yeux de leur entendement : » ils restèrent. Tout n’était donc pas perdu pour Rome, et l’esprit de mensonge et de ruse pouvait recommencer ses attaques.

g – Baumgartner à Spengler. (C. R., II, p. 363.)

On croyait à la cour que la fâcheuse issue de la commission devait être attribuée à quelques mauvaises têtes, et surtout au duc George. On résolut donc d’en nommer une autre, composée seulement de six membres : d’un côté, Eck et les chanceliers de Cologne et de Bade ; de l’autre, Mélanchthon et les chanceliers Brück et Heller. Les Protestants y consentirent, et tout fut remis en question.

L’alarme s’accrut alors parmi les partisans les plus décidés de la Réformation. Si l’on s’expose sans cesse à de nouveaux périls, ne faudra-t-il pas enfin que l’on succombe ? On frémissait à la pensée que le règne des prêtres allait être rétablih. Les députés de Nuremberg surtout déclaraient que jamais leur ville ne se remettrait sous ce joug détesté. « Ce sont les conseils du douteux Érasme que suit Mélanchthon, disait-on. — Dites plutôt ceux d’Ahitophel (2Samuel.15) ! » reprenaient d’autres. — Quoi qu’il en soit, ajoutaient quelques-uns, si le Pape avait acheté Mélanchton à prix d’argent, celui-ci n’eût jamais pu mieux faire pour lui assurer la victoirei. »

h – Fremunt et alii socii ac indignantur regnum Episcoporum restitui. (Ibid. 328.)

i – Si conductus quanta ipse voluisset pecunia a Papa esset. (Ibid. 33.)

Le Landgrave surtout s’indignait de ces lâchetés. « Mélanchthon, écrivait-il à Zwingle, marche à reculons comme une écrevissej. » De Friedwalt, où il s’était rendu après s’être enfui loin de Charles-Quint, Philippe de Hesse s’efforçait d’arrêter la chute du protestantisme. « Quand on commence à céder, on cède toujours plus, écrivait-il à ses ministres restés à Augsbourg. Déclarez donc à mes alliés que je rejette ces conciliations perfides. Si nous sommes chrétiens, ne recherchons pas notre propre avantage, mais la consolation de tant de consciences fatiguées, affligées, pour lesquelles il n’y a plus de salut, si on leur enlève la parole de Dieu. Les évêques ne sont pas de vrais évêques, car ils ne parlent pas selon les saintes Ecritures. Si nous les reconnaissions, qu’arriverait-il ? Ils nous enlèveraient nos ministres, ils aboliraient l’Evangile, ils rétabliraient les anciens abus, et le dernier état serait pire que le premier… Si les Papistes veulent permettre la libre prédication du pur Évangile, qu’on s’entende avec eux ; car la vérité sera la plus forte, et extirpera tout le reste. Mais sinon, non ! C’est le moment, non de céder, mais de demeurer ferme jusqu’à la mort. Faites échouer les combinaisons craintives de Mélanchthon, et dites de ma part aux députés des villes d’être des hommes, et non des femmesk ! Ne craignons rien ; Dieu est avec nous. »

j – Retro it, ut cancer. (Zw. Epp. 2, p. 506.)

k – Das sie nicht weyber seyen sondern manner. (Corp. Ref. 2, p. 327.)

Mélanchthon et ses amis ainsi attaqués cherchaient à se justifier. D’un côté, ils soutenaient que si l’on maintenait la doctrine, elle renverserait finalement la hiérarchie. Mais alors pourquoi relever celle-ci ? N’était-il pas plus que douteux qu’une doctrine ainsi affaiblie gardât encore assez de force pour ébranler la Papauté ? D’un autre côté, Mélanchthon et les siens montraient du doigt deux fantômes devant lesquels ils reculaient épouvantés. Le premier était la guerre ; elle était, selon eux, imminente. « Ce ne sont pas seulement, disaient-ils, des maux temporels sans nombre qu’elle entraînera après elle, la dévastation de l’Allemagne, les meurtres, les viols, les sacrilèges, les rapines ; mais elle enfantera des maux spirituels plus affreux encore, et amènera inévitablement la destruction de toute religionl. » Le second fantôme était la domination de l’État. Mélanchthon et ses amis prévoyaient la dépendance où les princes réduiraient l’Église, la sécularisation croissante de ses institutions et de ses conducteurs, la mort spirituelle qui en résulterait ; et ils reculaient avec crainte devant un tel avenir. « Les gens de bien ne pensent point que la cour doive régler le ministère dans l’Églisem, disait Brentz. N’avez-vous pas éprouvé vous-mêmes, ajoutait-il ironiquement, avec quelle sagesse et quelle douceur ces rustres (c’est ainsi que j’appelle les officiers et les préfets des princes) traitent les ministres de l’Église, et l’Église elle-même ? Plutôt sept fois mourir ! — Je vois, s’écriait Mélanchthon, quelle Église nous aurons, si le gouvernement ecclésiastique est aboli. Je découvre dans l’avenir une tyrannie beaucoup plus intolérable que celle qui a existé jusqu’à ce journ. » Puis, accablé des accusations qui pleuvaient sur lui de toutes parts, le pauvre Mélanchthon s’écriait : « Si c’est moi qui ai suscité cette tempête, je supplie Sa Majesté de me jeter à la mer, comme «  Jonas, et de ne m’en retirer que pour me livrer à la torture et à l’échafaudo. »

l – Confusio et perturbatio religonum. (Ibid. 382.)

m – Ut aula ministerium in ecclesia ordinet bonis non detivur consultum. (Ibid. 362.)

n – Videopostea multo intolerabiliorem futuram tyrannidem quam unquam antea fuisse. (Corp. Ref. 2, p. 334.)

o – Si mea causa hæc tempestas coacta est, me statim velut Jonam in mare ejiciat. (Ibid. 382.)

L’épiscopat romain une fois reconnu, tout semblait facile. On accorda, dans la commission des six, la coupe aux laïques, le mariage aux pasteurs, et l’article de l’invocation des saints parut de peu d’importance. Mais on s’arrêta devant trois doctrines que les Evangéliques ne pouvaient concéder. La première était la nécessité d’une satisfaction humaine, pour que la peine du péché fût remise ; la seconde était l’idée de quelque chose de méritoire dans toute bonne œuvre ; la troisième était l’utilité des messes privées. Ah ! répondit vivement à Charles-Quint le légat Campeggi, je me laisserai plutôt mettre en pièces, que de rien céder quant aux messesp. »

p – Er wollte sich ehe auf Stucker Zureissen lassen. (L. Opp. 20, p. 328.)

« Quoi donc ! répliquaient les hommes politiques, d’accord sur toutes les grandes doctrines du salut, déchirerez-vous à jamais l’unité de l’Église pour trois articles si minimes ? Que les théologiens fassent un dernier effort, et l’on verra les deux partis s’unir, et Rome embrasser Wittemberg. »

Il n’en était pas ainsi : sous ces trois points se trouvait caché tout un système. Du côté romain, on croyait que certaines œuvres gagnent la faveur divine, indépendamment des dispositions de celui qui les accomplit, et en vertu de la volonté de l’Église. Du côté évangélique, au contraire, on avait la conviction que ces ordonnances extérieures n’étaient que des traditions humaines ; que la seule œuvre qui méritait à l’homme la faveur divine, c’était l’œuvre que Dieu a accomplie par Christ sur la croix, et que le seul moyen qui mettait l’homme en possession de cette faveur, c’était la régénération et la foi que Christ crée par son Esprit dans le cœur du pécheur. Les Romains, en soutenant leurs trois articles, disaient : « L’Eglise sauve, » ce qui est la doctrine essentielle de Rome ; les Évangéliques, en les rejetant, disaient : « Jésus-Christ seul sauve, » ce qui est le christianisme même. C’est là la grande antithèse qui existait alors et qui sépare encore maintenant les deux Églises. Avec ces trois points, qui mettaient les âmes dans sa dépendance, Rome se flattait à bon droit de tout regagner, et elle montra, en insistant, qu’elle avait l’intelligence de sa position. Mais les hommes évangéliques n’étaient pas disposés à abandonner la leur. Le principe chrétien fut maintenu contre le principe ecclésiastique qui aspirait à l’engloutir ; Jésus-Christ subsista en présence de l’Église, et l’on comprit dès lors que toutes les conférences étaient superflues.

Le temps pressait. Il y avait deux mois et demi que Charles-Quint était à l’œuvre à Augsbourg, et son orgueil souffrait de ce que quatre ou cinq théologiens arrêtaient la marche triomphante du vainqueur de Pavie. « Quoi ! lui disait-on, quelques jours vous ont suffi pour abattre le roi de France et le Pape, et vous ne pouvez venir à bout de ces Évangéliques !… » On résolut de rompre les conférences. Eck, irrité de ce que la terreur et la ruse n’avaient rien pu faire, ne sut se contenir en présence des Protestants. « Ah ! s’écria-t-il au moment où l’on se séparait, pourquoi l’Empereur, lors de son entrée en Allemagne, n’a-t-il pas fait une enquête générale des Luthériens ? Il eût alors entendu des réponses arrogantes, vu paraître des monstres d’hérésie, et son zèle, s’enflammant soudain, l’eût porté à détruire toute cette factionq. Mais maintenant les douces paroles de Brück et les concessions de Mélanchthon l’empêchent de s’échauffer comme la cause le demande. » Eck dit ces mots en souriant ; mais ils exprimaient bien toute sa pensée. Le colloque se termina le 30 août.

q – Hæc inflammassent Imperatorem ad totam hanc factionem delendam. (Corp. Ref. 2, p. 335.)

Les commissaires romains firent leur rapport à l’Empereur. On se trouvait en présence, à trois pas les uns des autres, sans que d’aucun côté il fût possible de se rapprocher, de l’épaisseur même d’un cheveu.

Ainsi donc Mélanchthon avait échoué, et ses énormes concessions se trouvaient inutiles. Par un faux amour de la paix, il s’était acharné à une entreprise impossible. Mélanchthon était au fond une âme vraiment chrétienne : Dieu le sauva de sa grande faiblesse, en faisant échouer le conseil qui le conduisait à sa ruine. Rien ne pouvait être plus heureux pour la Réformation que ce manque de succès de Mélanchthon ; mais aussi rien ne pouvait être plus heureux pour lui-même. On voyait ainsi que s’il voulait beaucoup céder, il n’allait pourtant pas jusqu’à céder Jésus-Christ ; et sa défaite le justifiait aux yeux des amis de l’Evangile.

L’électeur de Saxe et le margrave de Brandebourg firent aussitôt demander à Charles-Quint la permission de partir. Celui-ci s’y refusa d’abord assez rudement ; mais ensuite il se mit à conjurer les Princes de ne pas mettre par leur départ de nouveaux obstacles aux arrangements que l’on espérait pouvoir bientôt prendrer. Nous allons voir de quelle nature étaient ces arrangements.

r – Antwort des Kaisers, etc. (Urkund. 2, p. 313.)

Les Romains redoublèrent d’efforts. Si l’on lâchait maintenant le fil avec lequel on tramait la ruine de la Réforme, il était perdu pour jamais ; aussi travaillait-on à en rattacher les deux bouts. Il y avait des conférences dans les jardins, dans les églises, — à Saint-Maurice, — à Saint-George, — entre le duc de Brunswick et Jean-Frédéric, fils de l’Électeur, le chancelier de Bade et celui de Saxe, le chancelier de Liège et Mélanchthon ; mais toutes ces tentatives étaient superflues ; c’était à d’autres voies que l’on allait recourir.

Charles-Quint avait résolu de prendre en main l’affaire, et de trancher le nœud gordien, que ni les docteurs ni les princes ne pouvaient dénouer. Indigné de voir ses avances méprisées et son autorité compromise, il crut que le moment était venu de tirer l’épée. Dès le 4 septembre, les membres du parti romain, qui s’efforçaient encore de gagner les Protestants, soufflèrent à l’oreille de Mélanchthon ces effrayantes paroles : « Nous ne savons si nous osons vous le confier, lui disait-on ; le fer est déjà dans les mains de l’Empereur…, et certaines gens l’exaspèrent de plus en plus. Il ne s’irrite pas facilement ; mais, une fois irrité, il est impossible de l’apaisers. »

s – Nescio an ausim dicere, jam ferrum in manu Cæsaris esse. (Corp. Ref. 2, p. 342.)

Charles était en mesure de se montrer exigeant et terrible. Il venait enfin d’obtenir de Rome une concession inattendue, — un concile ! Clément VII avait porté devant une congrégation la demande de Charles. « Comment des hommes qui rejettent les anciens conciles se soumettront-ils à un nouveau ? » avait-on répondu. Clément n’avait lui-même aucune envie d’une telle assemblée : sa naissance et sa conduite la lui faisaient également redoutert. Cependant ses promesses du château Saint-Ange et de Bologne rendaient impossible d’articuler un refus absolu. Il répondit donc que le remède serait pire que le malu ; » mais que si l’Empereur, qui était bon catholique, jugeait un concile absolument nécessaire, le Pape y consentirait, toutefois sous la condition expresse que les Protestants se soumettraient, en attendant, aux doctrines et aux rites de la sainte Église. Puis, pour lieu de réunion, il indiquait Rome…

t – In eam (concilii celebrationem) Pontificis animus haud propendebatur. (Pallavicini, 1, p. 251.)

u – Al contrario, remedio e piu pericoloso e per partorir maggiori mali. (Littere di Principe, 2, p. 197.)

A peine le bruit de cette concession se fut-il répandu, que la crainte d’une réformation fit frémir les courtisans romains. Les charges publiques de la Papauté, toutes vénales, baissèrent aussitôt, dit un cardinal, et s’offrirent au prix le plus vilv, sans pouvoir même trouver d’acheteursw. La Papauté était compromise ; sa marchandise se détériorait ; et les prix courants baissaient aussitôt à la bourse de Rome.

v – Evulgatus concilii rumor… publica Romæ munera… jam in vilissimum pretium decidissent. (Pallav. 1, p. 251.)

w – Che non se non trovano danari. (Litt. Di Prin. 3, p. 5.)

Le mercredi 7 septembre, à deux heures après midi, les princes et les députés protestants ayant été introduits dans la chambre de Charles-Quint, le Comte-Palatin leur dit « que l’Empereur ne s’était point attendu, vu leur petit nombre, à ce qu’ils maintinssent des sectes nouvelles contre les antiques usages de l’Église universelle ; que néanmoins, désirant se montrer jusqu’au bout plein de douceur, il demanderait à Sa Sainteté la convocation d’un concile ; mais qu’en attendant, ils devaient rentrer immédiatement dans le sein de l’Église catholique, et rétablir tout sur l’ancien piedx. »

x – Interim restitui debere omnia Papistis. (Corp. Ref. 2. p.355) Voir aussi : Erkluurung des Kaisers Karl V. (Urkunden, II, p. 391)

Les Protestants répondirent, le lendemain 8 septembre, « qu’ils n’avaient point suscité des sectes nouvelles contre la sainte Écriturey ; que, bien au contraire, s’ils ne s’étaient pas mis d’accord avec leurs adversaires, c’était parce qu’ils avaient voulu demeurer fidèles à la parole de Dieu ; qu’en convoquant en Allemagne un concile universel, libre et chrétien, on ne ferait que tenir ce que les Diètes précédentes avaient promis, mais que rien ne saurait les obliger à rétablir dans leurs églises un ordre de choses opposé au commandement de Dieu. »

y – Nit neue, Secten wieder die heilige Schrifft. (Brück, Apol. P. 136.

Il était huit heures du soir quand, après une longue délibération, on fit rentrer les Protestants. « Sa Majesté, leur dit George Truchsès, s’étonne également, et de ce que les membres catholiques des commissions ont tant accordé, et de ce que les membres protestants ont tout refusé. Qu’est-ce que votre parti en face de Sa Majesté Impériale, de Sa Sainteté Papale, des Électeurs, des Princes, des États de l’Empire, et des autres rois, magistrats et potentats de la chrétienté ? Il est équitable que la minorité cède à la majorité. Voulez-vous que les voies de conciliation continuent, ou persistez-vous dans votre réponse ? Dites-le franchement ; car si vous persistez, l’Empereur procédera aussitôt à la défense de l’Église. Demain, à une heure, vous apporterez votre décision finale. »

Jamais paroles aussi menaçantes n’étaient sorties de la bouche de Charles. Il était évident qu’on voulait dompter les Protestants par la terreur ; mais ce but ne fut point atteint. Ils répondirent le surlendemain (car on leur accorda un jour de plus) que de nouveaux essais de conciliation ne serviraient qu’à fatiguer l’Empereur et la Diète ; qu’ils demandaient donc seulement qu’on s’occupât des moyens de maintenir la paix politique jusqu’à la convocation du concilez. C’est assez, fit répondre le redoutable empereur, j’y réfléchirai ; en attendant, que personne ne quitte Augsbourg. »

z – Urkunden. 2, p. 410-415 ; Brück, Apol. P. 139.

Charles-Quint se trouvait pris dans un labyrinthe, d’où il ne savait comment sortir. L’Etat avait voulu se mêler de l’Eglise, et se voyait contraint d’en venir aussitôt à sa raison dernière, le glaive. Charles ne désirait point la guerre, et pourtant comment l’éviter maintenant ? S’il n’exécutait pas ses menaces, sa majesté était compromise, et son autorité avilie. Il cherchait une issue ou à droite, ou à gauche, et n’en trouvait nulle part ; il ne lui restait que de fermer les yeux et de se jeter en avant, sans se soucier des conséquences. Ces pensées le troublaient, ces soucis le rongeaient ; il était hors de lui-même.

Ce fut alors que l’Électeur le fit prier de ne pas prendre en mauvaise part s’il quittait Augsbourg. « Qu’il attende ma réponse ! » dit brusquement l’Empereur ; et l’Électeur ayant répliqué qu’il enverrait ses ministres à Sa Majesté pour lui exposer ses motifs : « Pas tant de discours ! reprit Charles irrité ; que l’Électeur nous dise s’il veut attendre, oui ou nona. »

a – Kurtz mit Solchen worten ob er erwarten wolte oder nicht ? (Brück, Apol. P. 143.)

Le bruit de ces altercations entre les deux puissants princes s’étant répandu, l’alarme fut universelle ; on crut que la guerre allait éclater, et il y eut un grand cri dans tout Augsbourgb. C’était le soir : on allait, on venait, on se précipitait dans les hôtels des princes et des députés protestants, et on leur adressait les plus vifs reproches : « Sa Majesté, leur disait-on, va recourir à des mesures énergiques. » On annonçait même que les hostilités avaient commencé ; on se disait à l’oreille que le commandeur de Horneck, Walter de Kronberg, élu grand maître de l’Ordre Teutonique par l’Empereur, allait entrer en Prusse avec une armée et déposséder le duc Albert, converti par Lutherc. Deux soirs de suite le même tumulte se renouvela : on criait, on discutait, on se querellait, surtout dans et devant les hôtels des princes ; la guerre éclatait presque dans Augsbourg.

b – Ein beschwerlich Geschrey zu Augsbourg den selben abend ausgebrochen. (Ibid. p. 145.)

c – Man wurde ein Kriegs-volk in Preussen Schicken. (Ibid. p. 143)

Sur ces entrefaites, le 12 septembre, le prince électoral de Saxe, Jean-Frédéric, quitta la ville.

Le même jour, ou le lendemain, le chancelier de Bade, Jérôme Wehe, et George Truchsès, d’une part, le chancelier Brück et Mélanchthon, de l’autre, se rencontraient à six heures du matin dans l’église de Saint-Mauriced.

d – Brück. Apologie, p. 155-160.

Charles, malgré ses menaces, ne pouvait se décider à employer la force. Il eût pu, sans doute, d’un seul mot dit à ses bandes espagnoles et à ses lansquenets allemands, s’emparer de ces hommes inflexibles, et les traiter comme les Maures. Mais comment Charles, Néerlandais, Espagnol, absent depuis dix années de l’Empire, s’exposerait-il à soulever toute l’Allemagne en faisant violence aux favoris du peuple ? Les princes catholiques-romains eux-mêmes ne verraient-ils pas dans cet acte une atteinte portée à leurs privilèges ? La guerre n’était pas de saison. « Le luthéranisme s’étend déjà de la mer Baltique jusqu’aux Alpes, écrivait Érasme au Légat ; vous n’avez qu’une chose à faire… Tolérez-lee. »

e – A mare Baltico ad Helvetios. (Eras. Epp. 14, p. 1.)

La négociation commencée dans l’église de Saint-Maurice se continua entre le margrave de Brandebourg et George Truchsès. Le parti romain ne cherchait plus qu’à sauver les apparences, et n’hésitait pas, du reste, à tout sacrifier. Il demandait seulement quelques décorations de théâtre : que la messe fût célébrée avec les habits sacerdotaux, le chant, la lecture, les cérémonies et les deux canonsf. Les autres questions seraient renvoyées au prochain concile, et les Protestants se comporteraient jusque-là de manière à pouvoir en rendre compte à Dieu, au Concile et à Sa Majesté. Mais, du côté des Protestants, le vent avait aussi tourné. Maintenant, ils ne voulaient plus de paix avec Rome ; les écailles leur étaient enfin tombées des yeux, et ils découvraient avec effroi l’abîme où ils avaient été si près de se précipiter. Jonas, Spalatin, Mélanchthon même étaient d’accord. Nous avons jusqu’à présent obéi à ce commandement de saint Paul : Autant qu'il est possible, ayez la paix avec tous, dirent-ils ; maintenant il nous faut obéir à ce commandement de Jésus-Christ : Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l'hypocrisie. Il ne se trouve chez nos adversaires que ruse et perfidie, et leur unique but est d’étouffer notre doctrine, qui est pourtant la vérité mêmeg. Ils espèrent sauver les abominables articles du purgatoire, des indulgences, de la Papauté, parce que nous les avons passés sous silenceh. Gardons-nous, pour plaire au Diable et à l’Antechrist, de trahir Dieu et sa Parolei. »

f – In gewœhnlichen Kleidungen, mit Gesang und Lesen. (Urkunden, II, p. 418.) On appelle canon, des tableaux ou cartons placés au milieu de l’autel devant le prêtre, et qui contiennent le Symbole des Apôtres et diverses prières.

g – Eitel List, gefahrliche Tucke, etc. (Jonas. Urkund. 2, p. 423.)

h – Die gräuliche artikel. (Spalat. Ibid. 428.) de Primatu Papæ, de Purgatorio, de Indulgentiis. (Melancthon, Corp. Ref. 2, p. 374.)

i – Dem Teufel und Antichrist zu gefallen. (Urk. 2, p. 431.)

En même temps, Luther redoublait d’instances pour éloigner ses amis d’Augsbourg. « Revenez, revenez, leur criait-il ; revenez même, s’il le faut, maudits du Pape et de l’Empereurj. Vous avez confessé Jésus-Christ, offert la paix, obéi à Charles, supporté les injures, essuyé les blasphèmes… Je vous canoniserai, moi, comme des membres fidèles de Jésus-Christ. Vous avez fait assez, et au delà ; maintenant c’est au Seigneur à agir, et il agira. Ils ont notre confession, ils ont l’Évangile ; qu’ils le reçoivent, s’ils le veulent ; et, s’ils ne veulent pas, qu’ils périssent ! S’il en advient une guerre, qu’elle advienne ! Nous avons assez prié, nous avons assez discuté… Le Seigneur prépare nos adversaires comme la victime pour le sacrifice ; il va consumer leur magnificence et délivrer son peuple. Oui, il nous sauvera de Babylone même et de ses murs embrasés. »

j – Vel maledicti a Papa et Cæsare. (L. Epp. 4, p. 162-171.)

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