Histoire de la Réformation du seizième siècle

17.2

Missions romaines dans l’Angleterre païenne – Premiers succès – Appréciation – L’archevêque romain entreprend de soumettre les chrétiens bretons – Première agression : Dionoth – Seconde agression : Assemblée de Wigornia – Les Bretons consultent un solitaire – Troisième agression : Massacre près de Bangor – Apostasie des Saxons et vision de saint Pierre – Oswald en Ecosse – Conquête et missions d’Oswald, dans le Northumberland – L’évêque Aïdan et le roi Oswald – Succès des missionnaires de Iona

En effet, la vie spirituelle avait défailli dans le catholicisme italien ; et à mesure que l’esprit céleste y était devenu rare, l’amour de la domination s’y était accru. Les métropolitains de Rome et leurs délégués se montrèrent bientôt impatients de ranger à leurs coutumes la chrétienté tout entière.

Vers la fin du sixième siècle, un homme éminent, Grégoire, était assis sur le siège romain. De famille sénatorienne, et déjà sur le chemin des honneurs, il avait tout à coup renoncé au monde et transformé en couvent le palais de ses pères. Mais son ambition n’avait fait que changer d’objet. Tout l’Occident devait, selon lui, être soumis à la juridiction ecclésiastique de Rome. Il rejetait, il est vrai, le titre d’évêque universel que prenait le patriarche de Constantinople ; mais s’il ne voulait pas le nom, il voulait bien la chosea. Aux confins de l’Occident, dans la Grande-Bretagne, se trouvait une Église chrétienne indépendante de Rome. Il fallait en faire la conquête, et une occasion naturelle se présenta.

a – Il dit (Epp. Lib. 9. Ep. 12.) « De Constantinopolitana ecclesia quis eam dubitet apostolicæ sedi esse subjectam ? »

Avant son épiscopat, quand il n’était encore que moine, Grégoire, traversant un jour un marché de Rome, où des étrangers avaient étalé leurs marchandises, y avait aperçu de jeunes garçons que l’on vendait comme esclaves, et dont la noble apparence avait attiré ses regards. S’étant approché, il avait appris que le peuple anglo-saxon auquel ils appartenaient, s’était refusé à recevoir des Bretons la doctrine de la foi. Devenu peu après évêque de Rome, ce pontife, à la fois énergique et rusé, « le dernier des bons, a-t-on dit, le premier des mauvais, » résolut de convertir ces fiers conquérants et de s’en servir pour soumettre à la papauté les libres Bretons, comme il se servait des rois francs pour soumettre les Gaules. Rome s’est montrée souvent plus avide d’amener au pape des chrétiens que des idolâtresb ; en fut-il ainsi de Grégoire ? nous laissons la question indécise. Éthelbert, roi du Kent, ayant épousé une princesse franque et chrétienne, l’évêque romain crut le moment favorable pour son dessein, et fit partir pour l’Angleterre une mission placée sous la direction de l’un de ses amis nommé Augustin (l’an 596). Les missionnaires reculèrent d’abord devant la tâche qui leur était donnée ; mais Grégoire tint bon. Voulant gagner en faveur de son entreprise les rois des Francs, Théodéric et Théodebert, il affecta de les considérer comme les suzerains de l’Angleterre, et leur recommanda la conversion de leurs sujetsc. Ce ne fut pas tout ; il réclama aussi le secours de la puissante Brunehaut, aïeule de ces rois, célèbre par ses fourberies, ses dérèglements et ses crimes, et il ne craignit pas d’exalter les bonnes œuvres et la crainte de Dieu de cette Jézabeld. Ce fut sous de tels auspices que la mission romaine arriva en Angleterre. Le pape avait bien choisi son délégué. Il y avait dans Augustin, plus encore que dans Grégoire lui-même, un mélange d’ambition et de dévouement, de superstition et de piété, de ruse et de zèle. L’essentiel de l’Église était moins à ses yeux la foi et la sainteté, que l’autorité et la puissance ; et la prérogative de cette société n’était pas tant de sauver les âmes que de rassembler sous le sceptre de Rome tout le genre humaine. Grégoire lui-même était affligé de l’orgueil spirituel d’Augustin, et l’exhorta souvent à l’humilité.

b – On connaît l’histoire d’Otaïti et des autres missions actuelles de l’Église romaine.

c – Subjectos vestros. (Opp. Gregorii, tom. 4. P. 334.)

d – Prona in bonis operibus… in omnipotentis Dei timore. (Ibid. tom. 2. P. 835.)

e – On retrouve la même pensée dans Wiseman, IXe Conférence sur les doctrines de l'Église catholique.

Des succès du genre de ceux que la papauté recherche, couronnèrent bientôt les travaux des romains. Les quarante et un missionnaires ayant abordé en 597 dans l’île ou pointe de Thanet, le roi du Kent consentit à les recevoir, en plein air toutefois par crainte de la magie. Ils se rangèrent de manière à produire un certain effet sur ces hommes grossiers, firent porter en tête de leur procession une grande croix avec une image de Christ ; entonnèrent des cantiques latins, et s’approchèrent ainsi du chêne désigné pour la conférence. Ils inspirèrent assez de confiance à Éthelbert, pour qu’il leur permît de célébrer leur culte dans une vieille chapelle située à Darovern (Cantorbéry), alors en ruines, mais où les chrétiens bretons avaient autrefois adoré Jésus-Christ. Peu après le roi et des milliers de ses sujets reçurent, avec quelques symboles et quelques doctrines chrétiennes, les erreurs des pontifes romains, le purgatoire par exemple, que Grégoire établissait à l’aide de fables absurdesf. Augustin baptisa dix mille païens en un jour. Rome n’a fait encore que poser un pied dans la Grande-Bretagne ; elle ne tardera pas à y établir son règne.

f – Hœpfner, De origine dogmatis de purgatorio. Halle 1792.

Nous ne voulons pas méconnaître le prix de l’élément religieux apporté alors aux Anglo-Saxons ; et nous aimons à croire que plusieurs des missionnaires venus d’Italie s’efforcèrent de faire une œuvre chrétienne. Nous pensons même que tout le moyen âge doit être apprécié avec des sentiments d’équité que l’on n’a pas toujours rencontrés dans ceux qui en ont fait l’objet de leurs études. La conscience humaine a vécu, a parlé, a soupiré, durant la longue période de la papauté ; et comme la plante qui croît au milieu des épines, elle a su souvent forcer le passage à travers les grands obstacles des traditions et de la hiérarchie, pour s’épanouir au soleil vivifiant de la grâce de Dieu. L’élément chrétien est même fortement marqué dans quelques-uns des hommes les plus éminents de la théocratie, dans Anselme, par exemple.

Toutefois, appelé à raconter les luttes qui eurent lieu entre le christianisme primitif et le catholicisme romain, nous devons signaler la supériorité du premier sous le point de vue religieux, tout en concédant la supériorité du second sous le point de vue politique. Nous croyons (et la preuve s’en offrira plus tardg), qu’un voyage à Iona en eût appris beaucoup plus aux Anglo-Saxons que les fréquents pèlerinages qu’ils firent aux bords du Tibre. Sans doute, comme on l’a remarqué, ces pèlerins contemplaient à Rome de « nobles monuments, » mais il y avait alors dans les îles Britanniques (on l’a trop oublié), un christianisme qui, pour n’être pas parfaitement pur, valait mieux néanmoins que celui de la papauté. La mission chrétienne qui, au commencement du septième siècle, porta la foi et la civilisation dans la Bourgogne, les Vosges et l’Helvétie, pouvait bien aussi les répandre en Angleterre ; l’influence des arts, dont nous sommes loin de méconnaître la vertu civilisatrice, eût pu venir plus tard.

g – Dans l’histoire d’Oswald, roi du Northumberland.

Mais loin que le christianisme des Bretons dût convertir l’Heptarchie saxonne, c’était, hélas ! le romanisme de l’Heptarchie qui devait conquérir la Bretagne. Cette lutte entre l’Église romaine et l’Église saxonne qui remplit tout le septième siècle, est pour l’Église d’Angleterre de la plus haute importance, car elle établit clairement sa liberté primitive ; elle est aussi d’un grand intérêt pour les autres Églises de l’Occident, car elle leur fait suivre sous des traits plus marqués, l’acte usurpateur par lequel la papauté les soumit un jour à son joug.

Augustin, imposé comme archevêque non seulement aux Saxons, mais aussi aux libres Bretons, appelé par ordonnance du pape à résider à Londres, plus tard à Cantorbéry, et placé à la tête d’une hiérarchie qui comptait douze évêques, entreprit bientôt de ranger sous la juridiction romaine tous les chrétiens de la Grande-Bretagne. Il y avait alors à Bangor, dans le pays de Galles, une institution, issue croit-on de celle de Bangor, en Irlande, où près de trois mille hommes étaient réunis pour travailler de leurs mainsh, pour étudier, pour prier, et du sein de laquelle étaient partis plusieurs missionnaires. Un docteur fidèle, prêt à servir tous les hommes dans la charité et l’humanité, mais convaincu que nul ne devait commander aux héritages du Seigneur, Dionoth, présidait alors cette grande Église (Al-Ban-Chor, le grand chœur, la grande Église), et était l’homme le plus influent du christianisme breton. D’un caractère un peu timide, il cédait jusqu’à un certain point pour l’amour de la paix ; mais il ne sacrifiait jamais le devoir ; c’était un apôtre Jean, rempli de douceur et pourtant condamnant les Diotrèphes, qui aiment à être les premiers parmi les frères. Ce fut à lui qu’Augustin s’adressa. « Reconnaissez, lui dit-il, l’autorité de l’évêque de Rome. » Telle fut la première parole de la papauté aux antiques chrétiens de la Grande-Bretagne. — « Nous voulons aimer tous les hommes, répondit avec douceur le vénérable Breton, et ce que nous faisons pour tous, nous le ferons aussi pour celui que vous nommez le pape. Mais il ne doit pas s’appeler le Père des pères, et la seule soumission que nous puissions lui rendre est celle qu’en tout temps nous devons à tous les chrétiensi. » Ce n’était pas ce que demandait Augustin.

h – Ars unicuique dabatur, ut ex opere manuum quotidiano se posset in victu necessario continere. (Preuves de l'histoire de Bretagne, 2, p. 25.)

i – Istam obedientiam nos sumus parati dare et solvere ei et cuique Christiano continuo. (Wilkins, Conc. M. Brit. 1, p. 26.)

Ce premier échec ne le découragea pas. Fort du pallium de Rome et du glaive des Anglo-Saxons, l’archevêque convoqua en 601 des évêques bretons et anglais en assemblée générale, sous la voûte du ciel, autour d’un vieux chêne situé près de Wigornia (Worcester ou Hereford) ; c’est là qu’eut lieu la seconde agression romaine. Dionoth combattit avec fermeté l’extravagante prétention d’Augustin, qui lui demandait de nouveau de reconnaître l’autorité de Romej. Un autre Breton protesta contre l’orgueil des romains, qui attribuaient à leur consécration une vertu qu’ils refusaient à celle de Iona ou des Églises d’Asiek. « Les Bretons, s’écria un troisième, ne peuvent admettre ni le faste des romains, ni la tyrannie des Saxonsl. » En vain l’archevêque prodigua-t-il les arguments, les prières, les censures et, dit-on, les miracles, les Bretons furent inébranlables Quelques-uns même d’entre eux, qui avaient mangé avec les Saxons quand ceux-ci étaient encore païens, s’y refusèrent maintenant que ces Saxons étaient soumis au papem. Les Écossais surtout se montrèrent inflexibles. Dagam, l’un d’entre eux, ne voulut prendre aucune nourriture, non seulement à la même table que les romains, mais encore sous le même toit qu’euxn. Augustin échouait donc pour la seconde fois, et l’indépendance de la Grande-Bretagne semblait sauvée.

j – Dionothus de non approbanda apud eos Romanorum auctoritate disputabat. (Ibid. 24.)

k – Ordinationesque more asiatico eisdem contulisse. (Wilkins, Conc. M. Brit. 1, p. 24)

l – In communionem admittere vel Romanorum fastum vel Saxonum tyrannidem. (Ibid. 26.)

m – D’après le précepte de 1Cor.5.9-11

n – Dagamus ad nos veniens, non solum cibum nobiscum, sed nec in eodem hospitio quo vescebamur, sumere noluit, (Beda, lib. 2 cap. 4.)

Toutefois, la puissance redoutable des papes, soutenue par le sabre des conquérants, effrayait les Bretons. Ils voyaient un décret mystérieux enchaîner encore une fois les peuples au char triomphateur de Rome ; aussi plusieurs s’éloignaient-ils de Wigornia, inquiets et découragés. Comment sauver une cause dont les soutiens mêmes commencent à désespérer ! Bientôt on les invita à assister à un nouveau concile. « Que faire ? » se demandèrent-ils pleins d’angoisse. La papauté n’était pas encore bien connue ; elle était à peine formée. La conscience peu éclairée de ces fidèles était en proie aux plus violentes agitations. Ils se demandaient quelquefois si, en repoussant ce nouveau pouvoir, ils ne repoussaient pas Dieu lui-même. Un pieux chrétien, qui menait une vie solitaire, s’était acquis un grand renom dans ces contrées. Quelques-uns d’entre les Bretons se rendent vers lui. « Faut-il fuir Augustin, lui disent-ils, ou faut-il le suivreo ? — S’il est homme de Dieu, suivez-le, répondit le solitaire. — Et à quoi le reconnaître ? — S’il est doux et humble de cœur, reprit-il, il porte le joug de Christ ; mais s’il est violent et superbe, il n’est pas de Dieu. — Quel signe aurons-nous de son humilité ? dirent-ils encore. — S’il se lève quand vous entrerez. » Ainsi parla l’oracle de la Bretagne ; il eût mieux valu consulter la sainte Écriture.

o – Ad quendam virum sanctum et prudentem qui apud eos anachoreticam ducere vitam solebat, consulentes an ad prædicationem Augustini suas deserere traditiones deberent. (Ibid. lib. 2 cap. 2.)

L’humilité n’est pas la vertu des pontifes et des légats romains ; ils aiment à rester assis pendant qu’on les courtise ou qu’on les adore. Les évêques bretons entrèrent dans la salle du concile, et l’archevêque, voulant leur faire connaître sa supériorité, demeura fièrement assisp. Frappés à cette vue, les Bretons ne veulent plus entendre parler de l’autorité de Rome. Pour la troisième fois ils disent non ; ils ne connaissent d’autre maître que Christ. L’archevêque, qui s’attendait à voir ces évêques humilier à ses pieds les Églises britanniques, s’étonne et s’indigne. Il avait annoncé la prochaine soumission de la Grande-Bretagne, et le pape va maintenant apprendre que son missionnaire l’a déçu… Animé de cet esprit superbe, qui ne s’est trouvé que trop souvent dans les ministres de son Église, Augustin s’écrie : « Si vous ne voulez pas recevoir des frères qui vous apportent la paix, vous subirez des ennemis qui vous apporteront la guerre. Si vous ne voulez pas annoncer avec nous aux Saxons le chemin de la vie, vous recevrez de leurs mains le coup de la mortq. » Ayant ainsi parlé, l’orgueilleux archevêque se retira et s’occupa pendant ses derniers jours à préparer l’accomplissement de son funeste présager. La parole avait échoué ; maintenant l’épée !

p – Factumque est ut venientibus illis sederet Augustinus in sella. (Ibid.)

q – Si pacem cum fructibus accipere nollent, bellum ab hostibus forent accepturi… (Beda, Hist. Eccl. 2 cap. 2.)

r – Ipsum Augustinum hujus belli non modo conscium sed et impulsorem exstitisse — Wilkins ajoute que le mot qui se trouve dans Bède sur la mort d’Augustin est une parenthèse inventée par les écrivains romains, et qui ne se trouve point dans les manuscrits saxons. (Cone, brit., p. 26.)

En effet, après la mort d’Augustin, Édelfrid, l’un des rois anglo-saxons, encore païen, rassembla une nombreuse armée, et s’avança vers Bangor, ce foyer du christianisme breton. L’épouvante agita alors ces faibles Églises. On pleure, on prie. L’épée d’Édelfrid s’approche. Qui appeler ? Où trouver du secours ? La grandeur du danger semble ramener les Bretons à leur piété primitive ; ce n’est plus aux hommes qu’ils s’adressent, c’est au Seigneur lui-même. Douze cent cinquante serviteurs de Dieu, se rappelant quelles sont les armes du chrétien, après s’être préparés par le jeûne, se réunirent en un lieu isolé pour présenter à Dieu leurs prièress. Un chef breton nommé Brocmail, ému d’une tendre compassion, se plaça près d’eux avec quelques soldats, mais le cruel Édelfrid, apercevant de loin les douze cent cinquante chrétiens à genoux : « Qui sont ces gens ? dit-il, et que font-ils ? » L’ayant appris, il ajouta : « Ils combattent donc contre nous, quoique sans armes. » Et aussitôt il ordonna à ses soldats de fondre sur cette assemblée en prière. Douze cents de ces hommes pieux furent égorgést. Ils priaient et ils mouraient. Aussitôt après, les Saxons marchèrent sur Bangor, ce siège des lettres chrétiennes, et le détruisirent… Ainsi le romanisme triomphait en Angleterre. La nouvelle de ces massacres remplit ces contrées de pleurs et de grands gémissements ; mais les prêtres de la consécration romaine (le vénérable Bède lui-même pensa comme eux) virent dans ce cruel carnage l’accomplissement du présage du saint pontife Augustinu, et une tradition nationale le désigna longtemps chez les Gallois comme le provocateur de cette lâche boucherie. Les romains lançaient de cruels païens sur l’Église primitive de la Grande-Bretagne et l’attachaient sanglante à leur char. Un mystère d’iniquité s’accomplissait.

s – Ad memoratam aciem, peracto jejunio triduano, cum aliis orandi causa convenerant. (Beda, lib. 2 cap. 2.)

t – Extinctos in ea pugna ferunt de his qui ad orandum venerunt viros circiter mille ducentos. (Ibid.)

u – Sic completum est presagium sancti pontificis Augustini. (Beda, lib. cap. 2.)

Mais au moment où les glaives des Saxons semblaient avoir tout balayé devant la papauté, le sol trembla sous ses pieds et parut vouloir l’engloutir. Les conversions hiérarchiques plutôt que chrétiennes, opérées par les prêtres de Rome, étaient si peu réelles, qu’un grand nombre de néophytes retournèrent tout à coup au culte des idoles ; Éadbald, roi du Kent, fut lui-même au nombre des apostats. De tels retours au paganisme sont fréquents dans l’histoire des missions romaines. Les évêques s’enfuirent dans les Gaules. Mellitus, Justus y étaient déjà arrivés, et Laurent, qui avait succédé à Augustin, était sur le point de les suivre. Couché dans l’église, où il avait voulu passer la nuit avant de quitter l’Angleterre, ce prêtre romain poussait des soupirs en voyant périr dans ses mains l’œuvre qu’Augustin avait fondée ; il la sauva au moyen d’un miracle. Se présentant le matin devant le roi, il lui montre ses vêtements en désordre et son corps tout couvert de plaies. — « Saint Pierre, dit-il, lui apparaissant durant le silence de la nuit, l’a frappé du fouet à coups redoublés, parce qu’il abandonnait son troupeauv. » Le fouet était un moyen de persuasion morale que saint Pierre avait oublié dans ses épîtres. Laurent s’était-il fait donner ces coups ? se les était-il donnés lui-même ? ou bien toute cette histoire était-elle un rêve ? On aime à admettre cette dernière hypothèse. Le prince superstitieux, ému à l’ouïe de cette intervention surnaturelle, s’empressa de reconnaître la puissance du pape, vicaire d’un apôtre qui fouettait si impitoyablement ceux qui avaient le malheur de lui déplaire. Si la domination de Rome avait alors disparu de la Bretagne, il est probable que les Bretons reprenant courage, favorisés d’ailleurs par les besoins qui se seraient manifestés parmi les Anglo-Saxons, se fussent relevés de leur défaite, et eussent apporté aux Saxons leur christianisme libre. Mais maintenant l’évêque romain semblait demeurer maître de l’Angleterre, et la foi des Bretons y paraissait à jamais éteinte. Il n’en était pourtant pas ainsi. Un jeune homme, issu de la race énergique des vainqueurs, allait devenir dans le Nord le champion de la vérité et de la liberté, et l’île presque entière devait s’émanciper du joug romain.

v – Apparuit ei beatissimus apostolorum princeps, et multo illum tempore secretæ noctis flagellis acrioribus afficiens. (Ibid. cap. 6.)

Un prince anglo-saxon, Oswald, fils du païen et cruel Édelfrid, avait dû s’enfuir, fort jeune encore, en Ecosse, par suite des revers de sa famille, avec son frère Oswy, et plusieurs autres jeunes nobles. Il y avait appris la langue du pays, avait été instruit dans les vérités de la sainte Écriture, avait été converti par la grâce de Dieu et baptisé dans les églises d’Écossew. Il aimait à s’asseoir aux pieds des anciens de Iona, et à écouter leurs paroles. On lui montrait Jésus allant de lieu en lieu pour faire du bien, et il voulait faire de même ; on lui disait que Christ était le seul maître de l’Église, et il se promettait de n’en reconnaître jamais un autre. Oswald, plein de simplicité, de générosité, était surtout animé envers les pauvres de la plus tendre compassion, et ôtait son manteau quand il s’agissait de couvrir l’un de ses frères. Souvent en assistant aux douces assemblées des chrétiens d’Écosse, il avait désiré se rendre comme missionnaire au milieu des Anglo-Saxons. Bientôt il forme un hardi dessein ; il est chrétien, mais il est prince. Il amènera au Sauveur les peuples du Northumberland, mais d’abord il rétablira au milieu d’eux le trône de ses pères. Il y avait dans ce jeune Anglais l’amour d’un disciple et le courage d’un héros. A la tête d’une petite armée, mais fort de la foi en Christx, il entra dans le Northumberland, fléchit le genou avec ses soldais sur le champ de bataille, et remporta (634) une importante victoire sur de puissants ennemis.

w – Cum magna nobilium juventute apud Scotos sive Pictos exulabant, ibique ad doctrinam Scottorum cathechisati et baptismatis gratia sunt recreati. (Beda, lib. 3 cap. 1.)

x – Superveniente cum parvo exercitu, sed fide Christi munito. Ibid. Desiderans totam cui præesse cœpit gentem fidei Christianæ gratia imbui. (Ibid. cap. 3.)

Recouvrer le royaume de ses ancêtres n’était pour lui qu’une partie de sa tâche ; Oswald voulait donner à son peuple les bienfaits de la foiy. En effet, le christianisme apporté vers 625 au roi Edwin et au peuple du Northumberland par Pendin de York, avait disparu devant les ravages des armées païennes. Oswald demanda aux Écossais qui l’avaient accueilli, un missionnaire ; un frère nommé Corman, pieux, mais rude et austère, arriva dans le Northumberland. Bientôt ce ministre retourna découragé à Iona : « Ces gens vers lesquels vous m’avez envoyé, dit-il aux anciens de cette île, sont si obstinés, qu’il faut renoncer à changer leurs cœurs. » En entendant ce rapport, Aïdan, ancien d’Irlande, s’écriait en lui-même : « Si ton amour eût été présenté à ce peuple, ô Sauveur, bien des cœurs auraient été touchés !… J’irai, je te ferai connaître, ô toi, qui ne romps point le roseau froissé ! » Puis, portant sur le missionnaire un regard dans lequel se voyait un doux reproche : « Mon frère, lui dit-il, tu as été trop sévère pour des auditeurs si peu avancés. Il fallait leur donner à boire le lait spirituel, jusqu’à ce qu’ils fussent capables de recevoir des aliments plus solides. » Tous les yeux se fixèrent sur celui qui proférait de si sages paroles. — « Aïdan est digne de l’épiscopat ! » s’écrièrent les anciens de Iona ; et il fut, comme autrefois Timothée, établi évêque par l’imposition des mains de la compagnie des anciensz.

y – Desiderans totam cui præesse cœpit gentem fidei christianæ gratia imbui. (Ibid., cap. 3.)

z – Aydanus accepto gradu episcopatus, quo tempore eodem monasterio Segenius abbas et presbiter praefuit. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. v.) Bède, en disant qu’un simple prêtre présidait, exclut la pensée qu’il pût y avoir des évêques dans l’assemblée. On peut lire 1Tim.4.14.

Oswald reçut Aïdan comme un ange du ciel, et le missionnaire, ignorant encore la langue des Saxons, le roi l’accompagna partout, se tint à ses côtés et expliqua lui-même les douces paroles de l’Irlandaisa. Les peuples, pleins de joie, se pressaient en foule autour d’Oswald, d’Aïdan et d’autres missionnaires venus d’Ecosse et d’Irlande, et se montraient avides d’ouïr la Parole de Dieub. Le roi prêchait par ses œuvres, plus encore que par ses discours. Un jour, c’était Pâques, Oswald, en se mettant à table, apprit qu’une troupe de ses sujets, pressés par la faim, était devant les portes du palais. Il ordonna aussitôt de leur porter le repas qu’on allait lui servir, et saisissant les vases d’argent qui étaient sur sa table, il les brisa, en jeta les pièces à ses serviteurs, et commanda qu’on les donnât aux pauvres. Oswald s’étant rendu dans le Wessex pour y épouser la fille du roi, apporta à ce peuple anglo-saxon la connaissance du Sauveur ; et après neuf ans de règne, s’étant mis à la tête de son peuple pour repousser une invasion des idolâtres Merciens, que conduisait le cruel Penda, il tomba sur le champ de bataille, le 5 août 642, en s’écriant : « Seigneur, aie pitié des âmes de mon peuple ! » Ce jeune prince a laissé un nom cher aux Églises de la Grande-Bretagne.

a – Evangelisante antistite, ipse Rex suis ducibus ac ministris interpres verbi existeret cœlestis. (Beda, lib. 3, cap. 3.)

b – Confluebant ad audiendum verbum Dei populi gaudentes. (Ibid.)

Sa mort n’arrêta pas les travaux des missionnaires. Leur douceur et le souvenir d’Oswald les rendaient chers à ce peuple. Dès qu’on voyait l’un d’eux sur la grande route, les populations accouraient à lui, et le priaient de leur annoncer la Parole de la viec. La foi que le terrible Édilfrid avait cru noyer dans le sang des adorateurs de Dieu, reparaissait de toutes parts ; et Rome, qui, jadis, aux jours d’Honorius, avait dû quitter la Grande-Bretagne, pouvait bien une seconde fois être obligée de s’enfuir sur ses navires, devant la foi d’un peuple qui revendiquait sa liberté.

c – Mox congregati in unum vicani, verbum vitæ ab illo expetere curabant. (Ibid. cap. 26.)

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