Explication du Notre Père

Invocation

Notre Père, qui es aux cieux.

Pour bien prier, il faut savoir avant tout comment nommer et honorer Celui que l’on invoque, et comment l’aborder pour se le rendre propice et pour le disposer à écouter. Or, de tous les noms qui existent, il n’en est pas qui nous assure un meilleur accueil de la part de Dieu que celui de Père. Comme ce mot est doux et onctueux ! comme il est profond et comme il va au cœur ! Seigneur, Dieu, juge, voilà des titres bien moins aimables et moins consolants. C’est la nature même qui a planté dans notre âme le nom de père, et qui l’a revêtu d’un si grand charme. Nul autre nom ne plaît autant à Dieu, et nul ne le dispose davantage à nous exaucer. En nous déclarant ses enfants, nous sommes sûrs d’émouvoir ses entrailles paternelles ; car, pour un père, ce qu’il y a de plus doux, c’est la voix de son enfant.

Nous ajoutons : qui es aux cieux, afin que ces paroles nous rappellent notre profonde misère, et nous excitent à prier Dieu avec ardeur qu’il daigne avoir pitié de nous. Car celui qui commence sa prière par ces mots : Notre Père, qui es aux cieux, et qui les prononce du fond de son cœur, confesse par là qu’il a, à la vérité, un père, mais que ce père est dans les cieux, tandis que pour lui il languit sur la terre, misérable et délaissé. De là doivent naître dans son âme de véhéments soupirs, comme ceux d’un enfant relégué loin du pays de son père, vivant parmi les étrangers dans la détresse et la misère. C’est comme s’il s’écriait : « Hélas ! mon Père, tu es dans le ciel ; et moi, ton pauvre enfant, je demeure sur la terre ; loin de toi je gémis dans la misère ; malheureux et proscrit, je passe ma vie au milieu des démons, des plus terribles ennemis, des plus redoutables dangers. »

Celui qui prie ainsi a le cœur bien placé vers Dieu, pour le fléchir et pour émouvoir sa miséricorde. Ces paroles sont d’une telle portée qu’elles ne sauraient sortir du sein de la nature humaine, à moins que l’Esprit de Christ n’y habite. Car, pour peu qu’on veuille y bien songer, on verra qu’il n’y a pas d’homme assez parfait pour dire en vérité : qu’il n’a pas de père ici-bas, qu’il ne possède rien sur la terre, qu’il y est entièrement étranger, que Dieu seul est son Père. Hélas ! telle est la perversité de notre nature, que nos yeux cherchent toujours ici quelque objet qui leur plaise, et que le Dieu du ciel ne suffit point à nos affections.

Ces paroles donc nous redressent et nous apprennent à ne mettre notre confiance qu’en Dieu, puisque lui seul nous peut introduire dans le ciel, selon qu’il est écrit : Personne n’est monté au ciel, sinon Celui qui est descendu du ciel, savoir le Fils de l’homme (Jean 3.13). Ce n’est que sur ses ailes que nous pouvons y arriver.

Aussi tout le monde doit-il faire cette prière, non seulement les savants, mais les simples ouvriers, et ceux-là même qui n’en peuvent mesurer toute la portée. Car je soutiens que la prière de ces derniers est souvent la meilleure ; c’est leur cœur qui parle plus encore que leur bouche.

[Dans l’édition originale sont ici quatre paragraphes dans lesquels Luther s’élève contre les prières des laïques et des prêtres, faites avec distraction et pour remplir sa tâche. « Ce n’est pas là prier, et Dieu dit à ces gens, par Esaïe 29.13) : « Ce peuple s’approche de moi des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi. » C’est peut-être obéir à l’église ; mais ce n’est pas agir selon le commandement de Dieu. Et il est à craindre qu’ainsi on ne se trompe soi-même en se confiant sur ses prières, et qu’on n’adresse jamais à Dieu de vraies prières ; si bien que ceux qui semblent prier le plus, en réalité prient le moins, et que ceux qu’on dirait le moins prier, sont précisément ceux qui prient le plus. On met actuellement sa confiance en un vain babil, en des cris, des chants, tandis que Jésus-Christ a dit, au contraire, que personne ne sera exaucé par beaucoup de paroles (Matthieu 6.7). Ainsi l’entendent de malheureux prédicateurs qui ne se soucient point d’enseigner avec travail et peine leurs ouailles à prier de cœur, et qui se contentent de l’apparence et de la prière des lèvres, d’autant plus qu’ils y trouvent leur avantage. » (F. R.)]

Et, en effet, tous les docteurs de l’Écriture affirment que la nature et l’essence de la prière n’est autre chose que l’élévation du cœur ou de l’âme vers Dieu. D’où il résulte que là où il n’y a pas élévation d’âme, il n’y a pas de prière. Aussi les formulaires ne nous sont-ils prescrits que pour nous donner matière à méditer et à prier. Car, comme on l’a observé plus haut, les paroles qu’on prononce de la bouche ne doivent être considérées que comme une trompette, un tambour, ou des orgues, ou quelque autre instrument destiné à ébranler notre cœur et à l’élever vers le Seigneur.

Que personne donc ne se repose tellement sur la piété de son cœur, qu’il présume de prier sans formulaire, à moins qu’il n’ait déjà acquis assez d’expériences spirituelles pour pouvoir repousser les pensées étrangères ; sans quoi le diable aura bon marché de lui pour éteindre et détruire peu à peu toute dévotion de l’âme. Qu’on s’en tienne donc humblement aux paroles prescrites, les prenant pour appui et pour point de départ jusqu’à ce que les ailes aient grandi, et qu’on puisse voler sans paroles. Car je suis loin de rejeter les formulaires ou prières orales, et ne veux pas que personne les rejette. Nous devons, au contraire, les recevoir avec grande reconnaissance, comme d’admirables dons de la munificence divine. Mais ce que je rejette, c’est la mauvaise pratique de ceux qui, au lieu de regarder les paroles comme un levier destiné à remuer et élever leur cœur vers Dieu, imaginent que pour en ressentir l’effet magique, il suffit de les murmurer des lèvres, sans dévotion, et par conséquent sans amélioration, souvent même avec ennui et impatience.

Que si, en disant votre prière ou autrement, vous recevez une étincelle du feu divin, et sentez votre cœur s’échauffer au dedans de vous, gardez-vous de prêter l’oreille à la voix perfide du serpent ancien, c’est-à-dire de l’homicide orgueil, et de dire : « Ah ! je prie maintenant de cœur et de bouche, et j’estime qu’il n’y a guère de chrétiens qui soient capables d’une aussi fervente dévotion. » — Car de pareilles pensées, c’est le diable qui vous les a inspirées. Vous ne pouvez vous y livrer sans devenir plus coupables que ceux-là même qui ne prient point du tout. Elles vous mettent presque au rang des blasphémateurs et de ceux qui maudissent l’Éternel. Car ce n’est pas vous, c’est Dieu que vous devez glorifier pour tout le bien que vous avez ou que vous éprouvez en vous.

Qu’on remarque enfin de quelle manière Jésus nous fait prier. Il veut que chacun prie non point pour lui seul, mais pour toute la société humaine, nous enseignant à dire : « Notre Père, » et non pas : « Mon Père ; » car la prière est un bien spirituel dont chaque homme doit avoir sa part, et dont il ne faut exclure personne, pas même ses ennemis. Dieu, qui est le père de nous tous, veut aussi que nous nous traitions tous comme des frères, nous aimions tendrement, et priions les uns pour les autres, comme nous le faisons pour nous-mêmesd.

d – Cyprien restreint ces mots : Notre Père « aux hommes nouveaux, renés dans le baptême et rendus à leur Dieu (Jean 1.11). Celui qui, par sa foi en Dieu, est devenu son fils, doit commencer par lui en rendre grâce en professant publiquement ce qu’il est, et l’appelant son Père. Il renonce à son père charnel, et témoigne qu’il n’a plus de père que Celui qui est dans les cieux (Deutéronome 3.9 ; Matthieu 23.19 ; 8.22). En même temps il reconnaît pour frères tous ceux qui ont le même père, et qui sont régénérés comme lui. » (F. R.)

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