Vie de John Hunt, missionnaire aux îles Fidji

Conclusion

Coup d’œil d’ensemble sur l’œuvre, le caractère et la vie de John Hunt. — Unité de tendance dans sa vie et dans ses œuvres. — Trois témoignages rendus à son caractère. — Résultats des travaux missionnaires aux îles Fidji. — Statistique de cette mission.

Nous ajouterons peu de choses au récit que nous venons de faire de la vie et des travaux du missionnaire John Hunt. Si nous n’avons pas trop failli à la tâche que nous nous étions imposée, le lecteur a pu faire connaissance avec l’un des caractères les plus purs de la pieuse et vaillante cohorte des missionnaires contemporains. A côté de tant d’hommes qui ont soif de fracas et de gloire, il est salutaire à l’âme de se rappeler quelqu’une de ces existences modestes et utiles, dont les vertus ne viennent à notre connaissance que par accident, et qui ont été dominées par une seule pensée, l’amour de Dieu et des hommes.

L’œuvre de John Hunt peut se résumer en un seul mot que nous empruntons à son biographe anglais et qui est le plus bel éloge que l’on puisse faire de sa vie : « Il a laissé le monde meilleur qu’il ne l’a trouvé. » Pendant que tant de longues vies s’écoulent inutiles à elles-mêmes et à l’humanité, voici un homme qui, mort à trente-six ans, et n’ayant eu à son service que dix années d’activité, a laissé une trace féconde dans l’histoire de la civilisation et de l’évangélisation du monde. Il est à nos antipodes un peuple jeune et qui n’a pas encore donné la mesure de ce qu’il sera, lorsque le christianisme l’aura complètement élevé à la hauteur des nations civilisées ; tel qu’il est cependant, il nous offre sur plusieurs points de son territoire la preuve évidente d’immenses progrès accomplis. Eh bien ! si vous demandiez à ce peuple quelle est la cause de ces progrès, il vous montrerait l’Évangile que John Hunt a traduit dans son idiome ; si vous lui demandiez quels hommes lui ont appris à comprendre et à aimer cet Évangile, il vous montrerait la troupe fidèle et déjà nombreuse de ses missionnaires qui ne se sont pas épargnés dans l’accomplissement de leur œuvre d’amour, mais il vous parlerait surtout de John Hunt, le chef vénéré de ces hommes intrépides, mort à la peine, à l’âge où d’autres commencent à vivre.

Arrivé aux îles Fidji au moment où l’évangélisation en était aux tâtonnements des débuts, il sut lui imprimer une marche ferme et décidée ; il présida à ces premières luttes et participa à la joie de ses premiers succès. Il sut espérer alors que tout parlait de découragement ; il sut découvrir les germes d’avenir cachés dans les entrailles de ce peuple, alors que pour tous ce n’était qu’une peuplade de féroces et incorrigibles anthropophages. Au lieu d’abandonner son âme aux tristes pressentiments qui préparent et qui créent l’insuccès, il se mit à l’œuvre avec une décision et une opiniâtreté qui devaient forcer et, pour ainsi dire, emporter d’assaut le succès. S’il ressentit constamment, en présence du débordement d’iniquité qui l’environnait, la sainte horreur d’une âme pure jetée en face d’infamies révoltantes, il ne fit jamais rejaillir sur le pécheur la répulsion que lui inspirait le péché. Ce fut à force d’amour qu’il vainquit les âmes qui l’entouraient, et la pureté de son caractère, aussi bien que la douceur de ses sentiments, fut pour beaucoup dans les succès de la cause évangélique.

C’est en l’envisageant dans son ensemble que l’œuvre de Hunt paraît grande et admirable. Mais cette vue d’ensemble ne peut résulter que de l’étude attentive des détails, et il faut l’avoir suivi, comme nous l’avons fait, dans les luttes quotidiennes de la vie missionnaire, pour emporter une impression à la fois juste et complète de la grandeur de cette existence toute vouée à une sainte cause. Qu’on l’envisage comme civilisateur, comme prédicateur de l’Évangile, comme homme d’étude, comme écrivain, comme traducteur du Nouveau Testament, comme chrétien, comme chef de famille, sous chacun de ces divers aspects, comme en les prenant dans leur ensemble, son œuvre se présente à nous avec un cachet de perfection bien digne de nous captiver.

Et l’on ne s’étonnera pas de voir ce cachet sur ses œuvres quand on se rappellera à quel point il s’efforça de l’imprimer sur son caractère et sur sa vie. Qu’on suive par la pensée les étapes successives de cette existence, et l’on s’apercevra que ce qui lui donne son unité essentielle, c’est la soif de perfection qui remplit toujours l’âme de Hunt. Que l’on prenne le garçon de ferme illettré et ignorant des grandes plaines du Lincolnshire, dans l’âme duquel l’Esprit de Dieu développe des aspirations et des besoins qui aboutiront à la conversion, — ou le jeune prédicateur laïque se défiant de ses forces et travaillant à se donner une culture intellectuelle qui lui manque, — ou l’étudiant s’efforçant de racheter, à force de luttes contre lui-même et contre les circonstances défavorables où il est placé, les lacunes de sa culture première, — ou enfin le missionnaire, jeté par la Providence au milieu des peuplades anthropophages de l’Océanie, et essayant de se surpasser sans cesse dans sa vie intérieure aussi bien que dans sa vie missionnaire, — partout on retrouve chez lui, au milieu des innombrables modifications amenées dans la vie par les circonstances changeantes, ce besoin de progresser et de s’élever spirituellement, en épurant son âme et en asservissant sa vie au culte du devoir.

Chez Hunt, cette poursuite constante de la perfection dans tous les domaines n’était pas tant un résultat du caractère ou de la tournure d’esprit qui lui était spéciale, qu’un fruit de la vie chrétienne. Ce que nous avons appelé progrès, il l’appelait sanctification ; ce que nous avons appelé perfection, il l’appelait sainteté. La sainteté, au sens chrétien, oui, voilà le mot qui dépeint le mieux l’âme, le caractère et la vie de cet homme de Dieu. Nous avons retrouvé cette préoccupation dans toutes les parties de son existence, et nous ne nous y étendrons pas maintenant, attendu que ce volume tout entier la met en évidence.

Nous pourrions citer bien des témoignages, outre ceux que renferme déjà ce livre, qui tous prouveraient à quel point ceux qui connurent Hunt l’estimèrent et l’aimèrent. Nous nous contenterons d’en citer trois.

Le premier est celui d’une dame américaine, aux souvenirs de laquelle nous sommes redevables de plusieurs traits intéressants, et qui, pendant plusieurs années, fut l’hôte de Hunt à Viwa.

« Il nous semble mystérieux, dit-elle, qu’un serviteur de Dieu si bon et si utile ait été si tôt arraché à ses travaux. J’ai été témoin de l’activité qu’il y déployait pendant le temps que j’ai passé au sein de son heureuse famille. Il se couchait rarement avant minuit et se levait au point du jour. Chaque partie de l’œuvre missionnaire recevait une part de ses soins. Il a traduit en fidjien le Nouveau Testament, composé des cantiques, préparé des catéchismes dans la même langue ; il a enseigné la théologie à de jeunes hommes qu’il a appelés à l’évangélisation. Il a présidé à l’érection de deux maisons commodes. Les malades ont reçu ses soins assidus jusqu’au moment où l’arrivée du Dr Lyth à Viwa le dispensa de ces soins. La somme du travail accompli par lui est véritablement étonnante ; mais il avait à cœur son œuvre, et il ne paraissait jamais se sentir fatigué. Chacun l’aimait, car il était l’ami de tous. M. Calvert dit avec vérité de lui : « Il sut acquérir une grande influence partout et auprès de tous. Il réussit admirablement dans ses relations avec les chefs, avec les païens et avec les chrétiens, avec les capitaines de vaisseau et avec les étrangers, avec ses collègues dans le ministère et avec tous. Il réussit à faire du bien sur une immense échelle. Les résultats de ses voyages, de ses prières, de ses prédications, de ses conversations, de sa vie, en un mot, sont considérables et parleront de lui sans aucun doute, aussi longtemps que Fidji existera. »

Nous empruntons notre second extrait aux actes de la conférence méthodiste britannique de 1849, qui, dans les notices nécrologiques des pasteurs morts dans l’année, rend le témoignage suivante John Hunt :

… « Pendant près de dix ans, il a insisté en temps et hors de temps, et a réussi à entasser les œuvres d’une longue existence dans cet espace de temps si limité. Il acquit rapidement une connaissance approfondie de la langue indigène. La traduction du Nouveau Testament qui a été publiée à Fidji et que l’on considère comme excellente, a été faite presque entièrement par lui. Il publia un cours de théologie chrétienne sous forme de courts sermons, et il en achevait une nouvelle édition considérablement augmentée lorsque la mort l’a surpris. Il était dévoué de tout son cœur à l’œuvre évangélique, et était réjoui par les succès qui accompagnaient la prédication de la vérité, sous l’influence du Saint-Esprit. L’un de ces succès le réjouit particulièrement ; ce fut le grand réveil qui éclata à Viwa en 1845. M. Hunt était un homme doué d’une énergie intellectuelle remarquable ; il possédait une piété vivante qui se manifestait par l’amour le plus pur pour Dieu et pour les hommes ; sa patience ne se laissait rebuter par aucune épreuve ; son zèle calme et fervent tout à la fois, — qu’il fût malade ou en santé, fort ou faible, — poursuivait toujours le même objet, le salut de ses semblables. L’influence qu’il exerçait sur des gens de toute classe, indigènes et étrangers, était excessivement étendue et utile. Aussi sa mémoire est-elle bénie par ceux qui l’ont connu. »

A l’assemblée annuelle de la Société des missions wesleyennes qui eut lieu à Exeter-Hall, à Londres, en 1849, le Dr Hannah, l’ancien directeur des études du missionnaire défunt, parla de lui en ces termes :

« On m’excusera peut-être si, en présence des sept vides que la morts a faits pendant l’année au milieu de nos missionnaires, j’arrête particulièrement mon attention sur l’un d’eux. Je fais allusion à la mort d’un homme qui a été placé pendant un certain temps sous mes soins et dont j’ai connu intimement et avec bonheur le caractère ; je veux parler du Rév. John Hunt qui est tombé dernièrement à Fidji, tombé sous les armes, glorieusement tombé, tombé pour se relever au grand jour.

C’était un homme d’humble extraction, et, à l’origine, d’humble culture intellectuelle ; mais il reçut la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ en vérité, et c’est cette grâce qui a fait de lui ce qu’il a été. Sans elle, il eût passé inconnu au travers de la vie, et sans être remarqué. C’est la grâce qui a éveillé son esprit ; cet esprit a découvert en soi des énergies inattendues ; et ces énergies, sous la direction et sous la bénédiction du Seigneur, ont donné le jour à des œuvres dont les fruits ne périront pas.

Je n’ai jamais connu d’homme d’un cœur plus droit dans la grande œuvre de notre Seigneur. Je n’ai jamais connu d’homme dont les principes fussent plus assis, dont le zèle fût plus habituellement nourri par la charité, et qui fût plus disposé à se dévouer en loute manière à tout ce qui pouvait glorifier son Maître. Et, bien que sa carrière, dans l’estimation des hommes, semble avoir été bien courte, on peut dire pourtant que, par l’abondance de ses travaux et par les succès extraordinaires qui les ont couronnés, John Hunt a vécu une longue vie. Il a su entasser dans ses dix années le travail d’un grand nombre d’années ; et, quoiqu’il soit parti au moment où nous désirions le plus le conserver, nous avons la confiance que son exemple vivra et sera utile. »

John Hunt a été l’un des ouvriers de la première heure, mais en mourant, il n’a pas, grâce à Dieu, emporté avec lui le dévouement et l’esprit de sacrifice. Sur ses traces sont venus de nombreux missionnaires qui ont continué et développé l’œuvre si bien inaugurée par lui et par ses collègues. Les chrétiens anglais ont tenu à prouver qu’il y avait encore parmi eux des hommes de foi et de conviction qui ne reculent pas devant les œuvres difficiles, et toutes les fois que la Société a adressé un appel en faveur des îles Fidji, il s’est trouvé de jeunes chrétiens qui sont venus s’offrir à elle. Jetons un coup d’œil, avant de terminer, sur les résultats de ces travaux évangéliques et sur les perspectives qu’offre l’avenir.

« La transformation qui s’est opérée aux îles Fidji, pendant les vingt-cinq dernières années, dit M. Calvert, le compagnon et l’ami de Hunt, cette transformation qui n’est pas superficielle, offre à tout esprit qui étudie l’histoire à un point de vue philosophique, un phénomène complètement inexplicable, si l’on n’admet pas l’action d’une force surnaturelle, toute-puissante et divine. Et que l’on fasse attention à la nature de cette transformation. La plupart des traits saillants du caractère fidjien, se sont effacés plus ou moins complètement. Le cannibalisme a entièrement disparu d’une grande partie des îles Fidji. La polygamie achève de disparaître dans les districts importants, et l’infanticide a diminué dans une égale mesure. L’arbitraire et le pouvoir despotique qui étaient les seules règles de gouvernement font place au salutaire contrôle de la justice et de l’équité. La vie humaine n’est plus livrée à vil prix, et, dans bien des cas, l’action ferme d’une législation, fondée sur la Parole de Dieu, remplace le caprice de la vengeance privée qui répondait au meurtre par le meurtre. Des actes qui autrefois s’accomplissaient quotidiennement sans soulever de protestation et sans attirer de réprobation, sont aujourd’hui considérés comme crimes et punis comme tels.

La civilisation a fait des progrès, non pas peut-être autant qu’en attendraient ceux qui ignorent ce qu’il faut détruire et ce qu’il faut créer pour civiliser un tel peuple, ou ceux qui n’ont entrevu les faits que de loin, affaiblis et diminués par la distance. Mais le progrès a été réel, et tel qu’il est, il nous permet d’attendre un plein développement, en temps convenable. Il est, en vérité, absurde de s’imaginer, comme le font certaines gens, que la civilisation peut s’imposer d’une manière soudaine à un peuple barbare. Essayer d’imposer à ces tribus ce qui, après tout, est le résultat et la preuve de la culture et des progrès d’une nation, ce serait suspendre à un arbre sans vie des feuilles et des boutons artificiels. Les détails achevés, la décoration et les ornements de l’édifice, nous les laissons à l’architecte qui complétera notre œuvre ; ce qu’il faut élever d’abord, c’est le corps de l’édifice ; et avant tout, il faut poser des fondations profondes et solides, ce qui réclame un labeur caché et peu appréciable, car la maçonnerie massive qui forme la base d’un bâtiment doit se dérober aux regards et se cacher au-dessous du niveau du sol.

Il serait déraisonnable du reste de s’attendre à voir la civilisation de cet archipel ou des divers archipels de la Polynésie avancer beaucoup plus rapidement que ne l’a fait la civilisation d’un pays comme le nôtre. Nos progrès ont été lents et gradués ; ils se sont accomplis au milieu de luttes contre les circonstances défavorables, et ce n’est que particule après particule que notre civilisation s’est assimilée les éléments de sa vigueur actuelle et de sa perfection. A leur début dans les voies de la vie civilisée, les Fidjiens ont l’avantage, d’autre part, de profiter des soins et de l’expérience des hommes qui viennent au milieu d’eux du sein de la culture nationale la plus élevée. »

Quelques détails de statistique compléteront utilement ces remarques. Il y a actuellement dans les îles Fidji (c-à-d en 1865) 372 lieux de culte, 45 missionnaires anglais ou indigènes ayant reçu la consécration, 379 catéchistes, 1286 instituteurs, 313 prédicateurs locaux (laïques), 14 380 membres de l’Église, 4412 candidats pour l’admission, 973 écoles quotidiennes, 34 999 élèves des deux sexes, 64 045 auditeurs réguliers.

Ces chiffres sont éloquents, et disent assez quels progrès remarquables ont fait les îles Fidji dans les voies de la civilisation et du christianisme. Plus de la moitié de la population est placée directement sous l’influence de l’Évangile. Tout n’est pas fait cependant, et il est des parties de l’Archipel où la prédication chrétienne n’a pas pénétré. Il y a là un champ d’activité tout ouvert, les rapports en font foi. Ce qui manque, ce sont les missionnaires, et les missionnaires qu’il faut à Fidji, aujourd’hui comme aux jours de John Hunt, ce sont des hommes qui sachent dire avec St. Paul : « Je ne me mets en peine de rien et ma vie ne m’est point précieuse, pourvu que j’achève avec joie ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus. »

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