Explication du Psaume 51

§ 58. L’idée de pardon gratuit répugne à l’orgueil humain.

Au contraire ceux qui ne s’y prennent point ainsi, mais qui veulent sans cesse se flatter dans la vue de quelque pauvre justice, ceux-là combattent avec leur Créateur. Ils le blasphèment et le renient, ils l’accusent de mensonge, et combattant la grâce dont il veut nous favoriser, ils rejettent la vie éternelle. Enfin de Dieu ils font un diable, tant est grande l’impiété de l’homme, lorsqu’il ne suit point la parole de Dieu et ne s’y soumet point. Et même les fidèles sentent souvent de pareilles impiétés en eux, lorsqu’ils ne s’attachent pas assez fortement à la parole de Dieu, et à cette confession et connaissance de leur misère : Combien de fois m’arrive-t-il que s’il était en mon pouvoir, je voudrais former un autre Dieu, un Dieu qui me dît : Tu as enseigné avec tant de fidélité, tu as prié avec tant de ferveur, tu as planté ma vigne avec tant de soin, qu’à cause de tous ces soins tu me seras souverainement agréable. La nature voudrait bien avoir un tel Dieu dont la faveur se procurât par nos propres œuvres ; mais elle ne veut point souffrir un Dieu qui pardonne gratuitement comme nous le voyons dans nos adversaires, qui ne sauraient rien moins souffrir que d’entendre dire que la rémission des péchés et la miséricorde de Dieu est embrassée par la seule foi. C’est ainsi que les enfants d’Israël cherchaient un Dieu rémunérateur de leurs œuvres, mais ils ne pouvaient souffrir, ils persécutaient même un Dieu qui se présentait à eux comme blâmant le péché et le pardonnant gratuitement à ceux qui le sentaient. Il est vrai que Dieu veut sans doute récompenser une fois largement les bonnes œuvres de ses enfants, comme sa parole le témoigne ; mais il veut d’abord que nous nous reconnaissions de pauvres pécheurs perdus et que nous nous confions en sa pure grâce et en sa miséricorde. — Il demeure donc vrai qu’il y a de deux sortes de gens : les uns, qui confessent que Dieu est seul juste, seul véritable, et seul saint ; les autres, qui sont impies, qui, comme des géants, font la guerre à Dieu et qui lui disent : Ta parole n’est point véritable, nous ne sommes pas aveugles comme tu le dis et comme le dit ta parole, car il y a encore en moi quelque lumière par laquelle, si je la suis, j’obtiendrai grâce. C’est là faire de Dieu un négociant, et lui dire : Si tu me donnes, je te donnerai. C’est là le sentiment général des docteurs scolastiques. Ce qu’un d’entre eux surtout dit, est assez connu, (Scotus). Voici comment il raisonne : « Si l’homme peut aimer un petit bien, il peut aimer aussi un grand bien, or l’homme aime la créature comme un moindre bien, ainsi il peut bien aussi aimer le Créateur par-dessus toute chose, comme étant le plus grand bien. Conclusion sans doute digne d’un tel théologien de la corruption et des ténèbres. Il ne voit pas que quand l’homme aime le plus la créature, il ne l’aime pas comme créature, car jamais homme naturel n’aima une fille, ou de l’or comme fille, ou comme or simplement, car cet amour a été corrompu par le péché, il ne peut plus être parfaitement pur dans la corruption où nous sommes.

[Luther veut dire ici que l’homme n’aime pas la créature dans l’ordre de Dieu et selon sa simple et première destination, sans mélange du désordre de ses passions, qui font des créatures autant de dieux auxquels le cœur et les affections les plus intimes s’attachent : ce qui fait que l’homme naturel qui aime ainsi les créatures comme ses dieux, ne peut pas aimer le véritable Dieu, et que même dans les saints l’amour de Dieu ne peut pas être parfait, à cause de la corruption qui mélange toujours l’amour désordonné de la créature avec l’amour de Dieua.]

a – Note du traducteur.

Ce que l’interprète latin tourne : « Que tu aies gain de cause, » le texte hébreu le dit : « Que tu sois trouvé pur. » Comme s’il voulait dire, quand tu portes ce jugement sur les hommes : Qu’ils ne sont que péché devant toi. D’abord la nature se récrie contre ce jugement, et le condamne comme injuste ; car la raison ne peut point le supporter, mais le déserte comme une hérésie et une doctrine infernale. Qu’arrive-t-il de là ? Eux, il est vrai, te condamnent et te souillent par leurs blasphèmes et par leurs opinions fausses et erronées, mais pourtant tu demeures pur, et ceux qui se prennent ainsi à toi, seront enfin jugés et déclarés impurs et injustes : car quand il est dit : « Afin que tu sois trouvé pur, » il suit de là par une antithèse nécessaire que ceux qui condamnent et qui critiquent Dieu dans ses paroles, seront trouvés impurs et corrompus. Et c’est la même chose que ce que nous avons dit : Que Dieu triomphe et à gain de cause, et non ceux qui le contrôlent et le condamnent.

Ajoutons encore que comme Satan est notre accusateur continuel devant le trône de Dieu, il est bon d’opposer ceci à Satan : Satan, si je pèche, qu’as-tu à y voir ? ce n’est pas à toi, ni contre toi que je pèche, mais contre Dieu. Ce n’est pas toi que j’offense ; quel droit donc as-tu sur moi ? Si j’ai péché, et que ce soit véritablement du mal que tu me reproches (car Satan épouvante aussi les pauvres âmes par des péchés imaginaires, voulant faire passer pour péché ce qui ne l’est point) ; si donc j’ai péché, c’est contre Dieu qui est un Dieu miséricordieux et débonnaire ; ce n’est point contre toi, ni contre ta loi, ni contre ta conscience, ni contre aucun homme, ni même contre aucun Ange, mais contre Dieu seul. Or ce Dieu n’est pas un diable, un tyran, un bourreau, tel que toi qui me veux déjà effrayer et qui me menaces de la mort, mais c’est un Dieu plein de miséricorde envers les pauvres pécheurs, un Dieu droit, intègre qui ne change point, plein de pitié et juste, aimant à justifier le pécheur repentant. Ainsi, toi qui es le père du mensonge, et qui es un meurtrier dès le commencement, tu n’as aucun droit sur moi, et ce n’est point à toi à m’accuser, mais c’est Dieu qui a ce droit-là, ce Dieu doux et clément, qui prend plaisir à pardonner à ceux qui confessent leurs péchés. Il n’a de colère, il n’a de menaces que pour ceux qui ne veulent point reconnaître leurs péchés et qui, par là, nient qu’il soit juste dans ses paroles.

Le sens que je viens de donner de ce passage est plein de piété et de consolation contre les dards enflammés du malin, mais il faut avouer que ce n’est pas le sens propre et naturel, et qu’il ne s’en tire que par une induction. Mais les vues de Satan en agitant les consciences par les reproches continuels du péché, sont de nous faire oublier ce passage, que Dieu seul est juste et saint, et de nous entraîner ainsi insensiblement à chercher quelque satisfaction et quelque confiance dans nos propres œuvres. C’est pourquoi il sera fort utile de s’opposer à Satan de la manière que je viens de dire : Et quiconque confesse de cette manière que c’est contre Dieu seul qu’il a péché, trouvera en Dieu, un Dieu qui le justifiera et l’absoudra. Car le pécheur pénitent glorifie Dieu par cette confession qu’il fait, qu’il est juste, et Dieu ne peut pas glorifier à son tour un tel pécheur en le justifiant. Il n’y a que les vrais fidèles et enfants de Dieu qui fassent ceci ; les impies ne le font pas, et ne savent ce que c’est.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant