La Théologie de Wesley

1.5 L’Arminianisme de Wesley

Le 6 juillet 1741, John Wesley mit la main, dans la bibliothèque du collège de Lincoln, à Oxford, sur les Œuvres d’Episcopius, le chef le plus éminent de l’Arminianisme, et il y lut l’histoire du fameux synode de Dordrecht (1618-1619), qui formula le dogme de la prédestination calviniste dans toute sa rigueur. « Quelle scène que celle dont ce synode fut le témoin ! s’écrie Wesley dans son journalc. Je ne m’étonne pas que la malédiction divine soit tombée, si peu de temps après, sur notre Église et notre nationd. C’est vraiment dommage que le Saint Synode de Trente et le Synode de Dordrecht n’aient pas siégé à la même époque ; ils prétendaient avoir, l’un et l’autre, le souci de la pureté de la doctrine ; ils furent animés du même esprit persécuteur, et l’on peut se demander si le dernier venu ne l’emporta pas à cet égard sur son prédécesseur. »

c – Journal de John Wesley. Standard Edition, 6 juillet 1741, t. II, p. 473.

d – L’Église anglicane avait envoyé des délégués au Synode de Dordrecht.

En adoptant ou en acceptant le nom d’Arminien, Wesley n’entendit pas se solidariser avec les disciples d’Arminius, et moins encore adopter toutes leurs vues. Ce nom-là désignait simplement ceux qui avaient pris parti contre la prédestination entendue au sens calviniste. On sait que les Arminiens des Pays-Bas se constituèrent en Églises sous le nom de Remontrants. Les sociétés fondées par Wesley ne devinrent pas des succursales des Églises des Remontrants des Pays-Bas ; mais elles ne repoussèrent pas un nom qui leur rappelait un courageux défenseur de la liberté évangélique.

Jacques Arminius (forme latine du nom Harmensen) fut nommé, en 1603, professeur à l’Université de Leyde ; il y prit une attitude nettement anti-calviniste, et enseigna à ses élèves que la grâce de Dieu est offerte à tous les hommes, qui sont libres de l’accepter ou de la rejeter. Son collègue Gomar, fougueux calviniste, lui fit une opposition acharnée. Leurs discussions furent portées devant les synodes et jusque devant les Etats de Hollande, et passionnèrent vivement les esprits. Ces tracasseries achevèrent d’altérer la santé d’Arminius, déjà épuisée par de grands travaux. Il mourut en 1609, laissant après lui le souvenir d’un homme aussi pieux que savant. Ses disciples, à la tête desquels se distinguèrent son successeur Episcopius et le célèbre professeur Grotius, continuèrent à propager ses vues. Les Arminiens, comme on appela désormais les adversaires de la prédestination, présentèrent, en 1610, aux Etats de Hollande, une Remontrance, où ils exposaient, en cinq articles, leur doctrine sur les points controversés :

1° Le premier affirme que Dieu a décidé, de toute éternité, de sauver ceux qui croiraient en Jésus-Christ et persévéraient dans cette foi, et d’abandonner au péché et à la condamnation ceux qui refusent de croire. 2° Jésus-Christ est mort pour tous les hommes et a acquis à tous la réconciliation et la rémission des péchés ; toutefois, ceux-là seulement sont mis en possession de ces grâces, qui croient en Jésus. 3° Aucun homme n’a de lui-même la foi qui sauve, puisque dans son état de chute, il ne peut penser ou faire rien de bon ; mais le Saint-Esprit produit en lui tout ce qui est bon. 4° Si tout ce qui est bon en nous est l’œuvre de la grâce, cette grâce n’est cependant pas irrésistible. 5° L’homme peut déchoir de la grâce, s’il ne persévère pas dans son union avec Christ par la foi.

Le prince d’Orange, Maurice de Nassau, après avoir longtemps refusé de prendre parti dans cette querelle théologique, fut entraîné, dans l’intérêt de sa politique, à favoriser le calvinisme et à combattre l’arminianisme, il convoqua un Synode national, à Dordrecht, en 1618, composé presque exclusivement de calvinistes, et devant lequel les Remontrants furent cités comme accusés. La partialité la plus outrée ne cessa de régner dans les délibérations du synode. On ne fit aucune attention aux représentations des Arminiens contre l’autorité judiciaire que s’attribuait une assemblée toute composée de leurs adversaires. On leur permit d’exposer leur doctrine, mais en leur enjoignant de s’abstenir de toute attaque contre la doctrine de Calvin. Enfin, ils furent chassés de l’assemblée comme menteurs et imposteurs, avec une dureté qui révolta plusieurs des députés étrangers, entre autres celui de Brême, qui s’écriait encore à la fin de sa vie : « O Dordrecht, Dordrecht ! plût à Dieu que je ne t’eusse jamais vue ! » En même temps qu’on les chassait de l’assemblée, il leur fut défendu de quitter la ville sans permission. Sur les quinze ministres qui avaient représenté au synode le parti remontrant, quatorze, ayant refusé de se taire sur leurs convictions, furent exilés. Deux cents ministres et maîtres d’écoles furent déposés de leurs fonctions. Trois arminiens distingués, Barnevelt, Grotius et Hoogerbets, dont Maurice redoutait l’opposition à ses desseins, avaient été emprisonnés avant le synode. Pour sanctionner les décrets de cette assemblée, le premier fut condamné à avoir la tête tranchée, et les deux autres à la prison perpétuelle. L’illustre Barnevelt mourut en héros et en chrétien. L’un des députés au synode fit sur cette mort ce cruel jeu de mots, que « les canons de Dordrecht avaient emporté la tête de l’avocat de Hollandee. »

e – Chastel, Histoire du Christianisme, t. IV, p. 368.

Ces fameux canons du synode de Dordrecht, au nom desquels on persécutait les Arminiens, formulèrent le dogme de la prédestination absolue en cinq chapitres destinés à réfuter les cinq articles des Remontrants. Le premier article du synode dit que le décret de Dieu est absolu et non conditionnel et n’a d’autre fondement que son bon plaisir. Le second affirme que Christ n’est mort que pour les seuls élus. D’après le troisième et le quatrième, la grâce est irrésistible, et d’après le cinquième, elle ne peut pas se perdre.

Les décisions de Dordrecht furent acceptées dans la plupart des Églises réformées, en France, où le synode d’Alais décida que tous les pasteurs seraient tenus de prêter le serment de ne s’en écarter en rien ; en Suisse, où la Formule de consensus soutint le calvinisme le plus rigide. L’Église anglicane fit exception. Le roi Jacques Ier, qui avait envoyé des députés à Dordrecht, prit parti toutefois contre les décrets du synode, en défendant aux prédicateurs anglicans de parler de la prédestination dans leurs sermons. Les puritains, indépendants et presbytériens, étant strictement calvinistes, l’Église anglicane en vint, par une réaction naturelle, à se prononcer dans le sens arminien.

Dans les Pays-Bas, où l’Arminianisme était né, il fut longtemps persécuté par le calvinisme triomphant, et il s’en sépara toujours plus et glissa peu à peu vers le latitudinarisme théologique. Mais les erreurs des successeurs d’Arminius ne sont pas plus imputables à Arminius lui-même que le rationalisme allemand ou genevois n’est imputable à Luther et à Calvin.

En acceptant d’être appelé Arminien, bien que ce terme fût de son temps un terme de mépris, Wesley n’entendait pas épouser toutes les vues, souvent aventureuses, des disciples d’Arminius, mais seulement affirmer qu’il était d’accord avec lui en repoussant la doctrine de la prédestination absolue, doctrine inconnue aux premiers siècles de l’Église, et que Calvin emprunta à saint Augustin.

Dès 1770, Wesley publia un petit traité de huit pages, intitulé : Réponse à la question, qu’est-ce qu’un Arminien ? par un Ami de la Libre grâcef. Cette brochure, qui eut de nombreuses éditions, débutait ainsi : « Dire d’un homme : C’est un Arminien, produit le même effet sur bien des gens que de dire : C’est un chien enragé ! Cela leur cause un tel effroi qu’ils prennent la fuite à toute vitesse et ne s’arrêtent que pour jeter une pierre à ce méchant animal. Plus le mot est inintelligible, et plus il convient aux propos de ceux qui en usent. Ceux à qui on a attaché ce terme déplaisant ne savent pas toujours comment l’accueillir ; comme ils en ignorent le sens, ils ne savent ni comment repousser l’accusation, ni comment se justifier d’une chose qui doit être très mauvaise, ou même ce qu’il y de pire. »

fThe question « What is an Arminian » answered by a Lover of Free Grace — Works, vol. X, p. 358.

Bien des gens prétendaient qu’Arminius et Arius avaient la même doctrine. Wesley repoussa avec énergie une telle confusion. Il répondait : « Personne n’a jamais cru et affirmé la suprême et éternelle divinité de Christ et ne continue à les croire et à les affirmer avec plus de conviction que la plupart de ceux qu’on appelle Arminiens. » Dans cette même brochure, Wesley, après avoir résumé les points sur lesquels Calvinistes et Arminiens étaient divisés, les supplie de ne plus se jeter à la tête ces noms comme des cris de guerre.

« Finissons-en, s’écrie-t-il, avec ces ambiguïtés. N’employons plus des expressions qui ne font qu’embrouiller les questions. Que les gens honnêtes disent ce qu’ils pensent, mais qu’ils n’emploient plus de grands mots dont ils ne comprennent pas la signification… Jean Calvin fut un homme pieux, savant et sensé, et Jacques Arminius fut également un homme pieux, savant et sensé. Beaucoup de Calvinistes sont pieux, savants et sensés, et beaucoup d’Arminiens ont les mêmes qualités. La seule différence est que les premiers croient à une prédestination absolue et les autres à une prédestination conditionnelle.

Un mot encore. N’est-ce pas le devoir de tout prédicateur arminien de ne jamais, en public ou en particulier, employer le mot Calviniste comme un terme de reproche, ou comme une injure, ce qui est aussi contraire aux bonnes manières qu’au christianisme ? Et n’est-ce pas également le devoir des prédicateurs calvinistes de ne plus employer en mauvaise part le terme d’Arminien ? »

Il ne semble pas que les conseils de modération donnés par Wesley aient été suivis. Et il arriva pour le mot arminien ce qui était arrivé pour le mot méthodiste, qu’il demeura acquis à la langue religieuse, et que Wesley et ses amis acceptèrent d’être ainsi désignés.

Edmond Schérer s’est prévalu de l’acceptation de ce terme par Wesley pour y voir la preuve qu’il était « un fort mauvais théologien », et que « s’il avait connu par une étude sérieuse les principes hétérodoxes du parti dont il réclamait le nom, il aurait repoussé toute idée d’affinité avec un système aussi équivoqueg. » Pour Schérer, l’Arminianisme se trouve dans un rapport éloigné, mais incontestable, avec le socinianisme. Nous n’acceptons pas le procès de tendance qu’il fait à Wesley. Celui-ci, encore une fois, s’est placé uniquement sur le terrain des cinq articles, par lesquels le parti arminien a combattu, au synode de Dordrecht, la doctrine de la prédestination absolue.

gLa réformation au 19e siècle, numéro du 21 octobre 1848.

Ajoutons que Schérer fut obligé de reconnaître que, « sur le point fondamental de la justification, Wesley resta toujours attaché aux doctrines de la Réformation. »

Il ajoute : « Wesley était chrétien, il avait saisi et retenu l’essentiel ; il avait retenu le centre vivant et scripturaire de la justification gratuite par la foi au Sauveur. Cette grande doctrine, mise en lumière à la Réformation, et instrument du réveil religieux du seizième siècle, devint l’instrument d’un réveil analogue au dix-huitième. C’est par elle que Wesley devint, entre les mains du Seigneur, un ouvrier honoré et béni, et c’est elle qui, en faisant la vie et la force intérieure de l’Église wesleyenne, rattache Wesley et son œuvre à la Réformation et au christianisme évangélique. »

Nous enregistrons avec plaisir ces aveux que la force de la vérité arracha à Schérer, et nous ne nous arrêtons pas à réfuter les jugements injustes qu’il formulait sur Wesley et où le calviniste, qu’il n’était plus guère, semblait vouloir se faire pardonner sa prochaine défection. Du Schérer de 1847, nous aimons à en appeler à celui qui, devenu un prince de la critique littéraire en France, écrivait, quelques années plus tard, dans la Revue des Deux Mondesh :

h – Du 15 mai 1861.

« Le Méthodisme est un mouvement religieux qui a changé la face de l’Angleterre. Oui, l’Angleterre, telle que nous la connaissons, avec sa littérature pudique et grave, avec son langage biblique, avec sa piété nationale, avec ses classes moyennes dont la moralité exemplaire fait la force du pays, l’Angleterre est l’œuvre du Méthodisme… Wesley, génie organisateur, a fondé la société religieuse à laquelle son nom reste attaché, secte puissante, qui tient de l’Église et de la confrérie, et qui atteint mieux que ne le ferait un clergé lettré le pauvre et l’ignorant, le paysan du Dorsetshire ou le mineur des Cornouailles. Cependant, le Méthodisme a fait plus que d’établir une secte, il a vivifié toutes les autres, il a étendu son influence jusqu’à l’Église établie, il y a remis en honneur les doctrines de la Réformation, il en a réveillé le clergé, il lui a communiqué l’esprit missionnaire, il a suscité dans ses rangs une foule d’hommes, les Newton, les Scott, les Romaine, qui ne le cédaient pas aux prédicateurs méthodistes eux-mêmes en piété et en dévouement. »

John Wesley fonda, en 1778, une revue qu’il intitula Arminian Magazine, avec ce sous-titre : « Consistant en extraits et en traités originaux sur la Rédemption universelle. » Comme le titre l’indiquait, c’était un pamphlet mensuel (de 80 pages environ), destiné à combattre le calvinisme, qui, depuis la mort récente de Whitefield, était devenu plus agressif et tournait souvent à ce quiétisme dangereux, communément appelé antinomisme.

Dans sa préface, Wesley déclarait vouloir combattre d’autres recueils périodiques, le Gospel Magazine (Magazine évangélique) notamment, qui s’efforçait d’établir, dit-il, que Dieu n’aime pas tous les hommes, que ses compassions ne sont pas sur toutes ses œuvres, et que, conséquemment, Christ n’est pas mort pour tous les hommes, mais pour les élus seulement.

« C’est là, estime Wesley, une doctrine commode, qui, en simple anglais, se résume en ceci, qu’avant la fondation du monde, Dieu aurait absolument et irrévocablement décrété que quelques hommes seront sauvés, quoi qu’ils fassent, et les autres damnés, quoi qu’ils fassent. » Wesley se plaignait des violences de langage avec lesquelles les partisans des décrets traitaient leurs adversaires, et il promettait que l’Arminian Magazine aurait une meilleure tenue. « Nous maintiendrons, disait-il, que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et nous proclamerons la vérité dans l’amour. » Il promettait d’ailleurs qu’il ne se renfermerait pas dans un sujet unique et qu’il admettrait de la variété dans les articles traités.

Comme on pouvait s’y attendre, l’Arminian Magazine s’ouvrit par une notice sur Arminius, peu connu jusqu’à lors en Angleterre, et, pendant treize ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, survenue en 1791, Wesley y combattit le bon combat de la liberté évangélique et du salut offert à tous. Les articles de polémique, très nombreux à l’origine, firent place peu à peu à des articles d’édification ; études bibliques, biographies, lettres, récits d’histoire, anecdotes, poésies, etc., formèrent un recueil varié et plein d’intérêt et d’édification, qui contribua grandement à fortifier la cohésion des sociétés méthodistes et à les préserver de la contagion des mauvaises doctrines.

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