La Théologie de Wesley

1.8 L’opposition cléricale

Luther a dit : « Il faut que l’Évangile fasse de la rumeur ! » En effet, l’histoire atteste que tout réveil soulève l’opposition de tous ceux qui ne veulent pas être troublés dans leur sommeil. Le Réveil du xviiie siècle ne devait, pas plus que la Réformation duxvie, échapper à cette nécessité. Nous renvoyons à la Vie de Wesley le détail des luttes qu’il soutint contre le peuple anglais, pris dans toutes les classes de la société. Mais il est une de ces classes, je veux dire le clergé anglican, dont l’opposition est aujourd’hui déplorée par tous comme une faute, on devrait dire une folie, qui pèse encore comme un remords, sur les membres et les dignitaires de l’Église d’Angleterre, et qu’ils essaient de réparer.

L’évêque de Bristol paraît avoir été le premier des membres de l’épiscopat à prendre à partie, dès 1739, Wesley et ses amis. Dans une entrevue qu’il eut avec John Wesley, après une passe d’armes théologique, il lui dit brusquement : « Monsieur, vous n’avez rien à faire dans mon diocèse, et je vous somme d’en sortir. »

« Monseigneur, lui répondit Wesley, mon affaire dans ce monde est d’y faire tout le bien qui est en mon pouvoir. Aussi, je me crois obligé de demeurer là où il me semble qu’il y a le plus de bien à faire. Je crois, pour le moment, que c’est ici même que je puis être de quelque utilité ; par conséquent j’y reste. J’ai été appelé à prêcher l’Évangile, et malheur à moi si je ne le fais partout où je me trouve ! Votre Seigneurie sait que, par l’ordination qui m’a été conférée, j’ai été fait prêtrea de l’Église universelle, et qu’ayant été ordonné en qualité d’agrégé d’un collège, je ne suis pas limité à une cure particulière, mais que j’ai le droit de prêcher la parole de Dieu partout, dans l’Église d’Angleterre. Je ne puis donc pas admettre qu’en prêchant ici, en vertu de cette commission, je sois en opposition avec aucune loi humaine. Et s’il m’arrivait de le faire, je devrais me demander alors s’il ne vaut pas mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Si, d’ici là, j’arrivais à la conviction que je puis avancer la gloire de Dieu et le salut des âmes mieux ailleurs qu’à Bristol, alors. Dieu aidant, je quitterais cette ville ; mais, jusqu’à ce moment, je m’y refuseb. »

a – On sait que l’Église anglicane donne le titre de prêtre (priest) à ses ministres.

b – H. Moore, Life of Wesley, t. 1, p. 463.

Dans cette même année, l’archevêque de Canterbury, primat d’Angleterre, fit appeler Charles Wesley, et lui enjoignit de discontinuer ce qu’il désignait comme une conduite irrégulière. Charles se montra digne de son aîné, et il persista à prêcher l’Évangile « en temps et hors de temps ». Il resta fort attaché à l’Église anglicane, et, de ce chef, il fut souvent un embarras pour John ; mais il n’en fut pas moins un ouvrier remarquable du Réveil méthodiste.

D’autres évêques ne se bornèrent pas à d’impuissantes menaces. Celui d’Exeter, Lavington, publia un ouvrage, intitulé : Le fanatisme des méthodistes et des papistes comparé, où il soutenait cette thèse : « Les Méthodistes font l’œuvre des papistes, ils travaillent pour eux, ils sont d’accord avec eux sur quelques-uns de leurs principes, ils ont la tête pleine des mêmes grands projets et en poursuivent la réalisation avec les mêmes moyens répréhensibles. » Dans l’Angleterre, qui avait conservé comme mot d’ordre populaire le fameux No popery, cette dénonciation était aussi perfide que fausse et ne pouvait qu’augmenter les passions intolérantes de la foule contre le Méthodisme. Wesley répondit victorieusement au livre de Lavington, en l’accusant de « blasphémer contre une grande œuvre de Dieu », de chercher simplement à « exposer les Méthodistes à la haine et à la risée publique et d’exciter contre eux l’autorité civile ». La controverse se poursuivit, digne et calme du côté de Wesley, violente et injurieuse du côté de l’évêque. A la fin, celui-ci battit piteusement en retraite.

En 1763, l’évêque de Gloucester, Warburton, descendit à son tour dans l’arène, et publia un volume contre le prétendu fanatisme des Méthodistes. Le Méthodisme avait alors un quart de siècle d’existence, et il avait fait ses preuves pour tous ceux qui avaient quelque intelligence des choses spirituelles. Mais cette intelligence manquait à l’évêque de Gloucester, comme à la plupart de ses confrères. Son livre sur la Doctrine de la Grâce jette le ridicule sur la doctrine de la régénération par le Saint-Esprit. Il va jusqu’à dire que c’est « le diable qui est l’accoucheur de la nouvelle naissance ». Cette grossière et furieuse agression suscita d’énergiques réponses. Whitefield, dans un virulent pamphlet, accusa l’évêque « d’avoir tenté de dérober à l’Église son divin Consolateur et de lui enlever toute influence surnaturelle et toute intervention divine ». Wesley tailla sa meilleure plume pour combattre un ouvrage qui s’attaquait aux bases mêmes de la foi chrétienne ; mais il le fit avec cette courtoisie qui contrastait avec les violences de langage auxquelles s’était porté le prélat. Plusieurs ministres et théologiens anglicans prirent part à cette discussion et se rangèrent du côté de Wesley. Warburton ne répliqua pas ; il s’aperçut, un peu tard, qu’en attaquant le Méthodisme sur la doctrine du Saint-Esprit, il s’était attaqué à ce qui était la raison même de l’existence du grand mouvement religieux qui ébranlait les âmes, depuis vingt-cinq ans.

Chose digne de remarque, les mauvaises dispositions des évêques anglicans et du clergé officiel contre Wesley et les Méthodistes ne poussèrent pas le gouvernement à les persécuter. L’influence politique des évêques anglicans n’était pas à comparer à celle de l’épiscopat français sous Louis XIV. On raconte — et l’anecdote doit être vraie, — qu’un quaker (peut-être Guillaume Penn, qui était bien en cour), ayant son franc-parler avec le roi d’Angleterre, fut interrogé par lui sur le compte des Méthodistes. « Ces Méthodistes, lui dit-il, font beaucoup de bruit dans le pays. Qu’en pensez-vous ? » Le quaker lui répondit : « Roi George, je les connais bien, et tu peux être assuré que tu n’as pas, dans tout ton empire, deux meilleurs hommes, et qui t’aiment mieux que John et Charles Wesley. »

Ces bonnes dispositions du roi assurèrent le bon ordre, d’une manière assez générale, dans la métropole et dans ses environs. Vers la fin de 1741, le président des juges du Middlesex vint voir Wesley et lui dit : « Vous ne devez plus tolérer d’être molesté par la populace. Nous avons reçu, mes collègues et moi, des ordres provenant de très haut, de vous faire justice, toutes les fois que vous réclamerez notre protection. » Wesley eut bientôt l’occasion de mettre à l’épreuve la bonne volonté des magistrats du Middlesex, qui firent bonne justice des perturbateurs.

Mais il n’en fut pas de même partout. L’Angleterre se ressentait encore de l’anarchie politique du siècle précédent. La populace était grossière et violente, et la magistrature locale se faisait trop souvent la complice de ses désordres.

La populace se rua, plus d’une fois, sur les maisons des Méthodistes et les mit à sac. Dans une localité rurale, l’un des marguilliers de l’Église chassa le prédicateur et ses amis de la paroisse. Les registres de l’Église portent encore la note des dépenses faites à l’auberge par ces étranges défenseurs de l’Église, « pour chasser les Méthodistes ». Ailleurs encore, le pasteur anglican, accompagné d’un tambour, se mettait à la tête des tapageurs pour interrompre le culte des Méthodistes.

En présence d’un épiscopat anglican peu sympathique et souvent hostile au Méthodisme, Wesley n’eut pas pu se soumettre, ce qui eût signifié se démettre de la vocation divine qu’il sentait toujours plus urgente. Le malheur à moi si je n’évangélise ! tenaillait sa conscience. Obéir à des évêques étrangers eux-mêmes à ce noble tourment, et s’enterrer dans une paroisse, il ne le pouvait ni ne le devait, et c’est alors que naquit, au hasard d’une lettre à un ami, cette devise, dans laquelle la postérité a vu le mot d’ordre de sa vie et de son ministère : Le monde est ma paroisse !

« Si vous me demandez, écrivait-il à cet ami du nom d’Edmonds (juin 1739), d’après quel principe j’agis, je vous réponds : Je désire être un chrétien… C’est pour obéir à ce principe que je suis allé en Amérique et que j’ai visité l’Église morave, et je suis prêt, toujours pour être fidèle à Dieu, d’aller en Abyssinie, en Chine, ou partout ailleurs où il plaira à Dieu de m’envoyer.

Jugez vous-même s’il est juste d’obéir à l’homme plutôt qu’à Dieu ? Je considère le monde entier comme ma paroisse, c’est-à-dire qu’en quelque endroit du monde que je me trouve, je crois que c’est mon droit et mon devoir stricts d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut à tous ceux qui veulent m’entendre. »

L’opposition du clergé eut un résultat auquel il ne s’attendait guère, celui de contraindre le Méthodisme à se créer les institutions qui allaient assurer sa durée. Le génie organisateur de John Wesley y eut une grande part, mais l’opposition des évêques et des ministres en fit une nécessité.

Chassés des églises, quels pouvaient être les refuges des Wesley et de George Whitefield ? Pendant l’année 1739, quatre ministres de Londres et quatre de la province seulement consentirent à laisser prêcher Wesley dans leurs chaires. La Parole de Dieu pouvait-elle être liée ? Non, non ! Si les églises dépendent des évêques, les champs et les places publiques sont au Seigneur. Comme nous allons le voir, Whitefield inaugura ce mode d’évangélisation à Kingswood, à Bristol et à Londres ; Wesley, après quelques hésitations, suivit son exemple. Dès lors, le champ principal d’activité des Méthodistes était trouvé, et leur prédication, transportée en plein air, devait gagner, en puissance, ce qu’elle perdrait en solennité.

Deux autres conditions furent imposées par la force des choses au réveil naissant. La première fut l’itinérance des prédicateurs, et la seconde fut la prédication laïque. On peut affirmer que, sans ces trois innovations, le réveil ne se serait pas produit, ou du moins il eût avorté misérablement.

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