La Théologie de Wesley

1.13 Autres caractères de la théologie de Wesley

1.13.1 L’enthousiasme

La théologie de Wesley et, d’une manière générale, la religion telle qu’il l’a comprise, pratiquée et enseignée, a pour caractère essentiel, ou du moins apparent, l’enthousiasme. Ce mot avait un sens fâcheux dans la langue religieuse de l’Angleterre au dix-huitième siècle. Il le devait sans doute aux sectes excentriques nées de l’époque révolutionnaire, et dont les Quakers (ou trembleurs) étaient les derniers représentants. Le prophétisme cévenol, transporté en Angleterre, à la suite de l’insurrection des Camisards, essaya d’y faire revivre la prophétie et les dons miraculeux. Quand le mouvement méthodiste éclata, en 1739, les French Prophets cherchèrent à entrer en rapport avec Wesley. Les crises religieuses qui éclataient dans les réunions qu’il présidait, purent faire illusion aux « prophètes français ». Wesley consentit même à avoir une entrevue avec une femme soi-disant inspiréea ; mais son bon sens le portait à se défier de toute prétendue révélation, et à s’en tenir à la Bible.

a – Voyez le Journal de Wesley (Standard Edition), t. II, page 136.

Ses adversaires disaient de lui : « C’est un enthousiaste ! » Et ce terme signifiait : C’est un fanatique ! Un évêque anglican, Lavington, publia même un livre où il comparait « l’enthousiasme des Méthodistes à celui des papistes ». Wesley consacra un sermon à combattre le faux enthousiasmeb. Mais il remit en honneur l’enthousiasme vrai et saint. Le Méthodisme qu’il fonda ne fut pas seulement, selon une parole de Chalmers, « le christianisme pris au sérieux », il fut le christianisme pris au tragique, le christianisme intensif et conquérant. Le mot même d’enthousiasme fut réhabilité. La Réformation du xvie siècle avait retrouvé la doctrine de l’Église primitive ; le Réveil du xviiie siècle retrouva son tempérament religieux et sa ferveur. Il rouvrit l’ère des Pentecôtes, qui semblait fermée, et rendit aux Églises une fécondité spirituelle et une activité missionnaire qu’elles avaient perdues. Ce fut l’une de ces crises, qui marquent un commencement nouveau dans l’histoire du royaume de Dieu sur la terre, analogue à celle dont Jésus parlait dans cette parole : « Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent. »

b – Voyez le sermon de Wesley, sur le faux enthousiasme, 2e vol. des Sermons, traduit en français (1888), p. 427.

Désormais, grâce aux deux Wesley et à Whitefield, l’idée d’une religion raisonnable parut contraire à la nature des choses, et les Églises nationales elles-mêmes se trouvèrent presque partout entraînées dans le mouvement.

1.13.2 La simplicité

L’enthousiasme de Wesley n’exclut pas la simplicité. Laissons-le exposer lui-même ses principes à cet égard, dans la préface de ses Sermons :

« Tout homme sérieux, dit-il, qui parcourra ces pages, y verra quelles doctrines j’enseigne comme les bases de la vraie religion… Mais qu’on n’y cherche pas une forme élaborée, élégante ou oratoire… J’écris et je parle habituellement ad populum, aux masses, à ceux qui n’ont aucun goût pour la rhétorique, et qui n’en sont pas moins compétents pour juger des vérités qui leur apportent le bonheur présent et à venir… C’est aux gens simples que j’essaie de dire la vérité toute simple. Je m’abstiens donc, de propos délibéré, de toute délicate spéculation philosophique, de toute argumentation compliquée et embrouillée, et, autant que possible, de tout appareil d’érudition, sauf quelquefois en citant le texte original de l’Écriture. Je m’efforce d’écarter tous les mots qui ne sont pas d’un usage courant, et, en particulier, les termes techniques que l’on rencontre si fréquemment dans les traités de théologie, et qui font l’effet d’une langue inconnue aux gens simplesc. »

c – Préface des Sermons de Wesley, Traduction nouvelle, 1888.

Cette simplicité était à la fois un besoin de l’esprit de Wesley et un résultat des conditions dans lesquelles il dut exercer son ministère. Les vérités qu’il se mit à prêcher dès qu’il en eut éprouvé en lui-même l’efficacité lui fermèrent les chaires des églises anglicanes, et, non sans quelque hésitation, il commença à prêcher en plein air. C’était là une irrégularité, pour ne pas dire une rupture avec la discipline de l’Église anglicane ; mais, comme le dit Schérer, « ce fut aussi le commencement d’une œuvre immense et bénie. Tel était l’état d’ignorance spirituelle dans lequel étaient tombées les masses, qu’on peut douter qu’aucun autre moyen d’action eût pu remplacer ces prédications populaires qui s’adressaient à dix, vingt et jusqu’à trente mille auditeurs à la fois, et portaient la conviction du péché dans les cœurs les plus endurcis. » On ne prêche pas à un peuple indiscipliné des doctrines abstruses. « Le Sermon sur la Montagne », dont Wesley fit une étude en treize sermons, dut rester pour lui le type de l’enseignement populaire.

1.13.3 La largeur

Un caractère essentiel de la théologie de Wesley, c’est qu’elle est irénique, ou, si l’on préfère ce mot, pacifique. Sa polémique, lorsqu’il croit devoir en faire, non seulement ignore le vocabulaire injurieux si familier aux réformateurs du xvie siècle, mais elle respire un esprit de douceur qu’il a contribué, pour sa large part, à acclimater dans la langue religieuse. Il n’a pas fréquenté sans profit les écrits de celui qu’il appelle « l’aimable archevêque de Cambrai », et les livres de son amie, Mme Guyon. Un écrivain d’origine française et protestante, Jean de la Fléchère, exerça une influence encore plus profonde sur Wesley, tant par l’atticisme de sa polémique que par sa largeur.

On accuse Wesley de sectarisme. Rien n’est plus faux que cette accusation. On trouverait difficilement, dans toute l’histoire de l’Église, un homme aussi large dans ses vues et aussi tolérant pour les opinions d’autrui. Il n’est pas sans utilité de réunir un certain nombre de citations sur un sujet qui fait le plus grand honneur au caractère chrétien de Wesley.

J’aime à citer le jugement de l’un des rares théologiens qui, parmi nous, ont su comprendre Wesley et lui rendre justice.

[Je veux parler de l’Etude sur le Réveil religieux du xviiie siècle en Angleterre, par J.-Alfred Porret, pasteur et professeur d’histoire des religions à l’École de théologie de Genève. J’aime à recommander ce livre, écrit avec une vraie science et une grande chaleur de cœur, par un homme qui n’est pas wesleyen, mais qui a su s’affranchir de l’étroitesse d’esprit de tant de théologiens français ou suisses, qui osent à peine nommer Wesley.]

« Accuser Wesley de despotisme, c’est méconnaître ce qui fut la grande inspiration de sa vie, l’une des plus consacrées, l’une des plus sacrifiées, dont l’histoire ait gardé le souvenir. Il aime son Dieu d’abord, ses frères ensuite en son Dieu. Repos, confort, temps, santé : il donna tout sans compter, par amour… Pendant longtemps, Wesley ne reçut aucun salaire. Sur les instances de la Société Méthodiste de Londres, il fixa enfin sa rétribution annuelle à 750 francs. Ayant tenu ses comptes jusqu’à 86 ans, il cessa alors, se rendant le témoignage qu’il avait économisé tout ce qu’il avait. Jamais, écrit-il, je n’ai eu cent livres à moi, et placé six sous à l’intérêt.

Son amour chrétien le rendit capable de pardonner beaucoup. Attaqué avec violence, méconnu avec la plus cruelle injustice, il ne rendit jamais injure pour injure. Je ne crois pas que son œuvre, considérable pourtant, de controversiste, contienne aucune page qui lui fasse honte. Il puisa dans son amour, une largeur trop rare parmi les chrétiens, se réjouissant de communier avec l’évêque Lavington, qui, dans un livre acrimonieux, avait essayé de le faire passer pour un suppôt du papisme. Il sut distinguer dans l’Évangile entre l’essentiel et l’accessoire, et tendant la main à tous ceux qui lui apparaissaient comme nés de Dieu, il fit sa devise de ces mots de son sermon sur le véritable esprit catholique : Si nous ne pouvons avoir les mêmes vues, ne pouvons-nous pas avoir le même amour ? A cette largeur de cœur, Wesley joignit une largeur de vues, rare en tout temps, mais surtout au sien. Ainsi, il n’hésitait pas à ouvrir le ciel de Jésus-Christ au païen Marc-Aurèle dont il savait apprécier les Pensées, plutôt qu’aux chrétiens de nom. »

1.13.4 La liberté

Je n’hésite pas à ajouter que l’un des caractères qui firent la puissance de l’enseignement de Wesley, ce fut d’être une théologie de liberté, qui eût pu prendre comme devise la parole de saint Paul : « Je vous parle comme à des personnes intelligentes ; jugez vous-mêmes de ce que je dis. » La doctrine de Wesley fut le salut pour tous. Son grand émule, Whitefield, était, il est vrai, prédestinatien ; mais son calvinisme, autant que nous pouvons en juger par les rares sermons de lui, qui sont arrivés jusqu’à nous, laissait sagement de côté une doctrine qui restreint à une fraction de l’humanité l’œuvre de Christ et l’offre du salut. L’arminianisme évangélique est resté, depuis Wesley, l’arme de la grande évangélisation. La prédestination n’est plus qu’une doctrine de cabinet, et encore elle n’est professée par ceux qui y croient qu’avec toutes sortes de restrictions et d’atténuations.

Le docteur R. W. Dale, l’éminent ministre congrégationaliste de Birmingham, a rattaché avec raison la doctrine de liberté de Wesley à l’expérience qu’il fit le 24 mai 1738 :

« Il est évident, dit-il, qu’au fond du cœur de Wesley, il y avait cette conviction immuable que sa volonté était moralement libre, C’est ce qui fit de lui un Arminien. Ses actes étaient siens et n’étaient pas déterminés par un aveugle destin ou par un décret divin quelconque. Il est évident, d’autre part, que, pour lui, la loi divine était une chose auguste et redoutable. Il comprit, comme bien peu d’hommes l’ont fait, la signification infinie du contraste entre l’obéissance et la désobéissance, entre le péché et la justice. Il était pécheur, et le sentiment de sa culpabilité lui était souvent intolérable. Pendant la durée de cet état misérable, il sentit que c’était la main de Dieu qui s’appesantissait sur lui, et que la condamnation prononcée par sa conscience lui révélait au moins partiellement la redoutable condamnation de Dieud. »

dTheology of John Wesley, by the Rev. R. W. Dale (discours prononcé au centenaire de la mort de Wesley, à Londres, en 1891).

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